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La portée de cette étude sur le sens donné à la notion de communication par des spécialistes de ses troubles est double : la réflexion sur la communication et les modèles qui la représentent est utile à la fois pour les disciplines de l'orthophonie et de l'audiologie et pour les professions d'orthophonistes et d'audiologistes.

7.2.1 pour les disciplines de l’orthophonie et de l’audiologie

Une discipline dont l’objet d’étude est fonction de sa finalité est-elle mieux placée ou mieux définie qu’une autre dont la définition de l’objet n’a pas ou peu de lien avec sa finalité? Est-ce que des médecins qui savent ce qu’est la santé ou qui s’en font une idée aussi juste que celle qu’ils ont de la maladie sont de meilleurs médecins que ceux qui connaissent très bien les pathologies? Autrement dit et dans les mots d’un participant de l’étude, la définition de la communication est-elle nécessairement au centre de la pratique au quotidien?

Or, il me semble dans un premier temps, qu’il est utile pour une discipline de définir et circonscrire son domaine d’intervention, de préciser les concepts auxquels elle recoure pour organiser ses connaissances. Cela est d’autant plus utile qu’en orthophonie et en audiologie, de nouvelles approches d’intervention font régulièrement leur apparition et remettent en cause les anciennes, qu’elles soient dominantes ou marginales. Il suffit de citer

les approches présentées au chapitre précédent et qui s’intéressent aux partenaires de communication des patients/clients. Par leurs fondements et leurs prémisses, ces approches diffèrent considérablement des approches qui visent avant tout la diminution des symptômes et des troubles du porteur. Et ces fondements ont certainement des rapports étroits avec la notion de communication. Ou avec ses éléments comme l’étude du contexte, de la relation et du sens.

En quoi une étude descriptive sur la communication et sur les modèles qui en représentent les éléments est-elle utile aux disciplines? Premièrement, ses catégories d’analyse pourraient servir à organiser les savoirs en orthophonie, en audiologie et dans les disciplines connexes, et à mettre en évidence la finalité des connaissances sur les troubles de la communication. Deuxièmement, comme l’orthophonie et l’audiologie sont aux confins ou au carrefour d’un nombre appréciable de disciplines, qui toutes voient s’accroître leurs connaissances, certains éléments de la réflexion sur la communication permettraient de préciser la base sur laquelle organiser toutes ces connaissances. En d’autres mots, le sens qui est donné à la notion de communication servirait de grille en discriminant ce qui est utile de ce qui l’est moins pour l’orthophonie et l’audiologie.

Cette étude exploratoire sur le sens de la notion de communication dans les deux disciplines peut être le déclencheur ou le point de départ d’une réflexion plus large sur l’objet et les fondements des disciplines. À terme, on peut imaginer qu’orthophonistes et audiologistes, enseignants, cliniciens et chercheurs, chercheront à opérationnaliser la communication comme ils l’ont fait avec le langage, la parole et l’audition. À cet égard, je crois que mon étude comparative de l’utilité des modèles de la communication et des modèles des conséquences des troubles pour rendre compte de la conversation entre une personne aphasique et son proche sera utile et pourra peut-être favoriser l’introduction des principes de la Nouvelle communication dans les disciplines.

Mon étude pourrait également servir de base ou de déclencheur à une réflexion plus approfondie sur les croyances et les postulats qui guident l’action, c’est-à-dire sur le

paradigme dans lequel s’inscrivent ou devrait s’inscrire l’orthophonie et l’audiologie. Dans

son essai sur l’histoire des sciences et des révolutions qui les traversent et les changent, Thomas S. Kuhn montre que le développement scientifique n’est pas qu’un simple processus d’accumulation (Kuhn, 1983). Je n’irais pas jusqu’à prétendre que mon étude puisse provoquer une révolution scientifique en orthophonie et en audiologie, mais il me semble qu’elle s’ajoute à d’autres initiatives (comme celles de la conversation assistée (Kagan,

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1998a), du Life Participation Approach in Aphasia (Chapey et coll., 2000), etc.) et montre qu’une réflexion sur le processus de la communication, plutôt que sur les caractéristiques des troubles, est porteuse de nouveaux repères pour chacune des disciplines. Imaginons qu’on en vienne ensuite, au sein de chacune des disciplines, à donner une place aux modèles et aux approches basés sur les principes de la Nouvelle communication juste à côté de celle réservée aux modèles et aux approches basées sur la physique et la biologie du langage, peut-être y aurait-il une petite révolution?... Annoncée il y a plusieurs années avec l’intégration des notions de la pragmatique dans l’étude de l’acquisition et des troubles du langage chez l’enfant surtout (Bloom & Lahey, 1978; Gerber, 1991), le mouvement vers une “pragmatique de la communication” (Watzlawick, Beavin & Jackson, 1979) pourrait s’amplifier et gagner les champs de pratique de l’orthophonie et de l’audiologie...

Enfin, triplement marginale par son objet, ses participants et sa méthode, mon étude contribue à élargir le champ des possibles en orthophonie et en audiologie. En m’intéressant à la communication plutôt qu’aux troubles de la communication, en m’intéressant aux professionnels plutôt qu’aux porteurs du trouble, et en choisissant une méthode de recherche qualitative, j’ai adopté une position à la fois hors des disciplines tout en demeurant à l’intérieur. À la manière de l’anthropologue qui étudie une sous-culture de sa propre culture, mais n’étant ni anthropologue, ni orthophoniste, ni audiologiste, j’avoue que la tâche n’a pas toujours été facile.

Par sa méthode, mon étude vient appuyer l’idée que l’orthophonie et l’audiologie ont avantage à intégrer les approches qualitatives en recherche. En ne se cantonnant plus uniquement aux approches quantitatives, les chercheurs en orthophonie et en audiologie sont mieux placés pour étudier et comprendre des phénomènes complexes, singuliers, ou difficilement accessibles ou mesurables comme la relation thérapeutique (Eastwood, 1988) ou encore l’influence du contexte de pratique sur les effets de l’intervention. C’est en substance la réponse que donnent Petheram et Parr (1998b) à ceux qui se demandent si l’aphasiologie a vraiment besoin des approches non quantitatives (Cappa, 1998). Ajoutons que les méthodes de la recherche qualitative remettent en question les postulats d’une réalité extérieure à celui qui l’observe (Levy, 1994), réductible en composantes plus simples, et résultant d’une chaîne causale. La recherche qualitative montre au contraire que le processus de communication et les troubles qui l’affectent ne sont pas extérieurs aux professionnels, que les troubles ne sont pas une somme de composantes simples et que leurs effets ne se comprennent pas entièrement par leurs causes.

7.2.2 pour les professions d’orthophoniste et d’audiologiste

Une étude sur le sens que prend la communication pour des orthophonistes et des audiologistes peut avoir une certaine portée sur leur pratique. En ayant montré par exemple qu’à travers les actes posés, les professionnels disent en creux leur conception de la communication, que la communication soit ou non au centre de leurs interventions, mon étude peut éventuellement conduire orthophonistes et audiologistes à considérer des facteurs comme le contexte de l’intervention et la relation qu’ils établissent avec les patients/clients. Toutefois, l’utilité de mon étude est plus évidente si ses résultats retournent à la source et sont repris par l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec. En effet, il me semble que l’Avis préliminaire... de l’OOAQ pourrait être suivi d’un Avis définitif, dont l’objectif ne serait plus d’influencer les auteurs du PPH mais plutôt d’approfondir la réflexion amorcée au moment de la validation de ce modèle. Il me semble que la question du handicap ou des situations de handicap dans le champ des troubles de la communication mériterait en soi une journée d’étude. Il me semble également que l’Ordre, dans ses démarches de réflexion sur les professions, pourrait tirer avantage des résultats d’une réflexion sur la communication. Par exemple, l’Ordre pourrait souhaiter préciser la nature des fondements de chacune des professions, leur mission et la (ou les) finalité(s) de la pratique en s’appuyant par exemple sur des concepts et des modèles différents de ceux des Laboratoires Bell.

Et dans le cadre plus quotidien de la pratique professionnelle, quelle pourrait être la portée de mon étude? D’emblée, je dirais que les résultats de mon étude et l’accent mis sur les principes de la Nouvelle communication et l’approche systémique pourrait faire en sorte que les orthophonistes et les audiologistes accordent davantage d’attention aux effets du contexte de la situation thérapeutique sur l’intervention et à l’influence de la relation interpersonnelle entre eux et leurs patients/clients. Et cette attention plus grande au contexte et à la relation pourrait se faire sans qu’ils aient à modifier leurs façons d’intervenir; les changements viendraient après. Je crois. Pour l’orthophoniste et l’audiologiste, l’intervention n’est possible que s’il y a communication entre eux et leurs patients/clients, parce qu’on ne peut pas ne pas communiquer. Dans le contexte thérapeutique, et plus spécialement dans celui de l’orthophoniste et de l’audiologiste, cela signifie qu’il faut être sensible à tous les actes expressifs, parce que tout comportement a valeur de message. Pour atteindre les objectifs de l’intervention, l’orthophoniste, l’audiologiste et leurs patients/clients n’ont d’autres choix que de communiquer. Par ailleurs, dans ce même contexte, la communication est aussi la finalité des efforts déployés. Ce qui m’amène à la conclusion de cette thèse.

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