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5.1 Le prétexte des orthophonistes et des audiologistes participent à la

5.1.1 Les rapports entre le PPH et la pratique de l’orthophoniste /

De façon générale, les participants ont entendu parler du PPH dans le cadre de leur pratique ou de leur formation, mais c’est le modèle de la classification internationale, la CIDIH, qu’ils

connaissent le mieux. Toutefois, compte tenu des réserves émises par plusieurs participants, il était prématuré, au moment des entrevues, de parler d’implantation.

5.1.1.1 S’implantera...

Que ce soit au cours de leur formation universitaire (pour ceux qui ont gradué depuis moins de 10 ans), ou dans leur milieu de pratique, les participants confirment l’influence du PPH sur certains aspects de leur pratique. En s’appuyant sur ce modèle, les participants ont l’impression de mieux répondre aux besoins concrets et aux attentes de leurs patients/clients et à ceux des membres de leur entourage. Ainsi, l’utilisation du vocabulaire du PPH ou des instruments qui en sont dérivés (par exemple, un plan de services développé par l’Office des personnes handicapées du Québec), permet selon les participants d’élargir la vision de la réadaptation, et indirectement celle de la communication. Comme le dit un des participants :

“De plus en plus, dans les hôpitaux et les centres de réadaptation, on voit la réadaptation comme un processus de réduction de handicaps. (..) La réadaptation ne vise plus uniquement la récupération spécifiquement linguistique, mais elle tend à tenir compte des besoins de l’usager, comment il communique et qu’est-ce qu’il lui manque pour pouvoir communiquer. Le modèle a permis d’établir des phases à la réadaptation lesquelles n’existaient pas auparavant: l’intégration sociale et l’intégration socioprofessionnelle. Le modèle a aussi permis de tenir compte de l’environnement social (personnes et services). Avant on en tenait compte mais de façon beaucoup moins précise.” (P9, p.31). Il est

probable que l’intérêt pour le quotidien des patients/clients et pour les dimensions concrètes ou fonctionnelles des troubles qui affectent la communication ne résulte pas uniquement de l’influence du PPH; en fait, cet intérêt a certainement quelque chose à voir avec les récents changement des conditions de la pratique des orthophonistes et des audiologistes. Je reviendrai sur ce dernier facteur dans la section portant sur la pratique professionnelle.

Les nécessaires contacts et les collaborations avec d’autres professionnels de l’adaptation et de la réadaptation (notamment au cours des réunions multi- ou interdisciplinaires) amènent orthophonistes et audiologistes à voir le PPH et sa nomenclature comme des moyens d’harmoniser les différentes perspectives : “C’est pas parce que j’pense que c’est l’outil

parfait mais c’est parce que j’pense que ça nous amène à parler le même langage pis à penser.. Pourquoi on est là? On est-tu là pour faire l’orthophoniste, la physio, l’ergo ou on est là pour aider quelqu’un?” (P3, lignes 1650-1664). En outre, l’utilisation du vocabulaire

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du PPH, et la participation de l’Ordre à la révision du PPH, sont perçues comme pouvant changer les perceptions à l’égard de la profession et des professionnels.

Adoptant le vocabulaire du PPH, un des participants a tout de même adapté quelques concepts et leurs définitions aux particularités de sa pratique et de sa clientèle. Pour chacun de ses patients/clients, ce participant a créé de nouvelles habitudes de vie qui correspondent aux besoins (ou aux problèmes) des personnes qu’il traite :”j’ai été obligé d’inventer des

habitudes de vie parce que celles qui étaient là-dedans m’convenaient pas. Des choses comme avoir.. une prosodie qui correspond aux normes sociales. C’est une habitude vie t’sais? j’arrivais pas à trouver une façon.. autre d’la décrire. J’ai quelqu’un qui a un gros problème, qui a une grosse dysarthrie.. mais j’ai aucune habitude de vie qui correspond. (..) au fur et à mesure qu’j’ai des patients.. j’suis obligée d’les réenrichir.” (P6, lignes 791-820)

Les commentaires des participants indiquent que le PPH et son vocabulaire exercent une certaine influence sur leurs interventions et sur les perceptions tant des patients/clients que des professionnels qui se préoccupent de leurs habitudes de vie. La lourdeur de la nomenclature du PPH et la difficulté à concevoir des moyens de l’appliquer dans le travail quotidien demeurent cependant des obstacles à son implantation à plus grande échelle. Avec un objectif comme celui de “servir de modèle conceptuel aux changements sociaux” (Fougeyrollas et coll., 1996), les auteurs du Processus de production du handicap devront poursuivre leurs représentations auprès des groupes de professionnels et des établissements d’adaptation et de réadaptation pour les convaincre d’adopter ce modèle.

5.1.1.2 ...s’implantera pas

Malgré ses attraits, certains voient mal comment intégrer le PPH dans leur pratique. D’une part, le modèle et sa nomenclature n’ont pas leur place dans tous les cours suivis par les futurs professionnels “j’peux pas dire que dans mon enseignement, le modèle de la

CQCIDIH est au cœur.. de ces cours-là. Parce que c’est des cours très fondamentaux” (P8,

lignes 41-53). D’autre part, la quantité et la précision des items de la nomenclature en découragent plus d’un : “c’est pas si complexe mais c’est.. lourd. (..) j’trouve qu’y a

beaucoup d’éléments, beaucoup d’choses.. qui.. mon Dieu! comme l’histoire de codes là, pis tout ça.. Moi là...” (P4, lignes 651-667).

Les participants trouvent que les professionnels et les milieux sont peu ou mal préparés à changer leurs façons de faire, à adapter la forme des rapports d’évaluation et d’intervention; certains remettent même en cause l’organisation des services :”les orthophonistes qui

travaillent en réadaptation croient au modèle mais les structures n’existent pas encore pour qu’on puisse dire qu’il a changé notre pratique. L’organisation des services ne reflète pas le modèle. Peu d’établissements offrent des services d’intégration sociale et travaillent vraiment sur les habitudes de vie et sur l’environnement. Malgré cela, les orthophonistes en réadaptation intensive fonctionnelle essaient de tenir compte en autant que cela leur est possible et dans une certaine limite, de l’environnement et des habitudes de vie (avec qui l’usager parle, comment il parle, quand il parle, on essaie aussi de recréer des situations pour obtenir l’utilisation d’un langage approprié). En résumé : oui le modèle a changé notre façon de voir la réadaptation et même certaines pratiques. Mais pour voir un véritable changement il faudrait une structure de service adaptée au modèle. Il faut souligner que les orthophonistes ont bien peu d’expertise pour travailler au niveau des habitudes de vie. On manque de moyens et d’outils et peu de formation est donnée.” (P9, p.31). Le PPH a des

défauts mais il stimule la réflexion sur la finalité des interventions : “ça reste qu’on découpe

encore l’être humain en petites tranches. (..) Au lieu d’être.. branché sur l’modèle médical pis dire “c’est quelle sorte de pansement qu’on met? Pis où on l’met?” Qu’on se demande plutôt.. “Ben c’est quoi qu’la personne a’ vit? De quoi a’ l’a besoin? Pis moi, qu’est-ce c’est que j’peux faire pour aider..? À.. réaliser.. ses attentes, à respecter ses valeurs, respecter.. ses besoins...” (P3, lignes 811-819).

En somme, les professionnels ne rejettent pas le modèle, ni sa nomenclature, qu’ils trouvent lourde néanmoins, mais ils voient mal comment les implanter -- ou comment ils s’implanteront -- dans des milieux où les pratiques sont relativement encadrées. Mais peut- être que l’implantation d’un modèle et l’adoption d’une nomenclature commencent-ils généralement de cette manière? Peu à peu, les praticiens adoptent un nouveau vocabulaire puis changent leur façon de voir l’intervention pour en venir à changer l’intervention elle-même. Mais pour que cela se fasse, encore faut-il que le modèle soit perçu comme pertinent par les orthophonistes et les audiologistes. C’est pourquoi certains sont allés plus loin dans leurs commentaires en s’interrogeant sur le contenu et la finalité de leurs interventions, et par conséquent, sur l’objet ou les objets de leur pratique.

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