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2.1 La communication un nouvel objet pour l’orthophoniste et l’audiologiste?

2.1.2 Penser à nouveau la communication ou penser une nouvelle

2.1.2.1 La relation comme système et le système comme contexte

La nouvelle façon de penser la communication est redevable aux idées de l’anthropologue britannique Gregory Bateson, à qui l’on doit, entre autres, l’hypothèse de la double contrainte (ou “double bind”), une hypothèse qui s’est révélée utile à la compréhension des troubles de la communication associés à la schizophrénie. Son interprétation de la théorie des types logiques de Whitehead et Russell et des paradoxes l’a conduit à affirmer que chaque message, qu’il soit sous forme d’impulsions dans un système nerveux ou de mots dans une conversation, comporte deux sortes de significations : d’une part, le message est indicatif et d’autre part il est impératif. Quand A parle à B, les mots utilisés parlent de A à B et sont une cause des actions ultérieures de B (Bateson & Ruesch, 1988). Autrement dit, le message est à la fois une information et un énoncé sur la façon dont cette information doit être comprise. La double contrainte résulte d’une confusion entre les deux significations du message. Elle s’illustre par l’injonction : Sois spontané! (Cabin, 1998); y obéir revient à n’être pas spontané tandis que ne pas y obéir, c’est être spontané, ce que l’injonction commandait... Certains disent de Bateson qu’il est un touche-à-tout, qu’il a été un des plus grands visionnaires du XXe siècle, “un explorateur qui a toujours su voir les liens entre les divers objets et domaines de ses explorations” (Donaldson, dans Bateson, 1996). Et l’un de ces liens est celui de la communication. Dans l’ouvrage que Bateson cosigne avec le psychiatre américain J. Ruesch, Communication. The social matrix of psychiatry et dont la première édition est publiée en 1951, on lit la définition suivante de la communication

interpersonnelle :

«un événement interpersonnel se caractérise par a) l’existence d’actes expressifs d’une ou plusieurs personnes; b) la perception consciente ou inconsciente de tels actes expressifs par d’autres personnes; c) l’observation en retour que ces actions expressives ont été perçues par d’autres; percevoir que l’on a été perçu influence profondément et change le comportement humain.» (Bateson & Ruesch, 1988, p.28).

Et une information (ou une idée ou un ordre) au sens où l’entend Bateson, est une différence perçue et significative, qui n’existe qu’en contexte, qu’en relation : l’information est une “différence qui fait une différence” (Bateson, 1996).

La reconnaissance de l’immense contribution de Bateson au développement de la Nouvelle

communication -- et des approches psychothérapeutiques dérivées (la thérapie brève par

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Mental Research Institute (MRI) et membres de l’École de Palo Alto, dont le représentant le plus connu est le philosophe et linguiste Paul Watzlawick.

Avec ses collègues Janet Beavin et Don Jackson (psychiatre et fondateur du MRI), Watzlawick publie en 1967 Une logique de la communication, un ouvrage qui fera date et contribuera à diffuser les idées de Bateson. Le cadre de référence adopté par ces auteurs permet d’examiner les psychopathologies en écartant la notion d’inconscient (une boîte noire dont la connaissance du fonctionnement importe moins que l’observation des relations entre les entrées et les sorties d’information), en écartant le passé (l’étude directe de la communication d’un individu avec les membres de son entourage permet d’identifier des modèles de communication qui ont une valeur diagnostique), et en privilégiant l’étude des

effets d’un comportement plutôt que la recherche de ses causes (questionner la finalité d’un

comportement dont la cause reste obscure peut fournir une réponse valable). Guidés par le principe de la rétroaction, ils affirment la circularité des modèles de la communication et relativisent les notions de normal et de pathologique : un comportement ne se comprend que si le contexte où il se produit est pris en compte. En outre, l’état d’un patient n’est pas immuable : il varie en fonction de sa situation interpersonnelle et en fonction aussi des présupposés de l’observateur13 (Watzlawick, Beavin & Jackson, 1979).

De l’ouvrage Une logique de la communication, on cite souvent les cinq axiomes formulés par ses auteurs, axiomes qui permettent d’étudier les troubles qui affectent la communication interpersonnelle. Le plus célèbre, on ne peut pas ne pas communiquer est un syllogisme reposant sur deux prémisses : tout comportement est une communication, or on ne peut pas ne pas se comporter, donc, on ne peut pas ne pas communiquer. Il faut comprendre qu’ici la communication a le sens d’un transfert d’information (Landry Balas, 1999). Auparavant, Bateson et Ruesch (1988) ont proposé de définir la communication comme “tous les processus par lesquels les gens s’influencent les uns les autres”, une définition reposant sur le postulat que “toutes les actions et tous les événements possèdent des aspects communicationnels dès qu’ils sont perçus par un être humain” (p.18). Le deuxième axiome a

13L’étude de Rosenhan, On being sane in insane places, l’a bien montré : pour cette étude, huit personnes se plaignant d’hallucinations ont demandé à être hospitalisées dans un hôpital psychiatrique pour suivre un traitement. Dès leur admission, elles ont déclaré ne plus avoir d’hallucination et se sont comportées d’une façon qu’on aurait considéré normale en dehors d’un hôpital psychiatrique. Or, ces faux patients ont été traité entre 7 et 52 jours et sont sortis avec un diagnostic de schizophrénie en rémission... Pas une seule de ces personnes n’a été identifiée comme un faux patient. Les comportements normaux étaient au contraire considérés comme des preuves supplémentaires de la justesse du diagnostic. Le diagnostic crée donc une réalité... (La réalité est une construction, Entretien avec Paul Watzlawick, in Cabin, 1998).

trait aux deux aspects que présente toute communication : le contenu et la relation14 tels que le second englobe le premier et par suite est une métacommunication. Le troisième affirme

que la nature d’une relation dépend de la ponctuation des séquences de communication

entre les partenaires15. Quatrième axiome : les êtres humains usent de deux modes de communication : digital et analogique16. Enfin, cinquième et dernier axiome : tout échange de communication est symétrique ou complémentaire selon qu’il est fondé sur l’égalité ou la différence (Watzlawick, Beavin & Jackson, 1979). En santé mentale, les implications cliniques

de ces principes ont été considérables : la thérapie familiale de type systémique est largement inspirée des travaux de l’École de Palo Alto, lesquels se sont à leur tour inspirés de la Théorie

générale des systèmes (Albernhe & Albernhe, 2000).