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6.1 Quand des orthophonistes et des audiologistes représentent la

6.1.2 Adopter et adapter les propositions du PPH

6.1.2.1 La communication une habitude à caractère particulier?

Dans la nomenclature, l’Ordre s’en tient finalement à une définition de base48 de la communication, c’est-à-dire en tant que processus de transmission et de réception des messages (cf. annexe 9, colonne du centre). Même s’il soutient ailleurs dans son texte que “la communication est plus que la transmission d’un message” (Avis préliminaire..., p.3), l’Ordre n’a pas pu, voulu ou su contourner la définition de base et la reformuler de manière à y intégrer sa dimension relationnelle. Conscient de l’importance de cette dimension de la

47Par exemple, les catégories conceptuelles du PPH sont utilisées pour classer les projets de recherche soumis au Réseau d’adaptation et de réadaptation (REPAR) , un organisme subventionnaire qui relève du FRSQ. Les Orientations ministérielles en matière de déficiences physiques (MSSS, 1995) se basent également sur un cadre inspiré du PPH. Il semblerait également que des organismes gouvernementaux comme la Société d’Assurances Automobile du Québec et la Commission de Santé et Sécurité au Travail s’inspirent des catégories du PPH pour orienter leurs politiques en matière de réadaptation.

communication, l’Ordre place en appendice de la définition, le court avertissement “Tenir compte de : Relations interpersonnelles”.

Dans l’ajout à la définition de base, l’Ordre avance l’idée qu’une “habitude de communication peut se réaliser de façon autonome (comme dans une activité de conversation)”. Il m’apparaît difficilement concevable de réaliser une activité de conversation de façon autonome, c’est-à-dire sans l’aide d’autrui. S’il y a conversation, il y a donc au moins un interlocuteur en relation avec la personne dont on examine l’habitude de vie communication. Or, qu’est-ce qu’une conversation sinon qu’une co-construction du sens (Holland, 1998) à plusieurs voix? Il me semble qu’en l’absence d’une autre voix, c’est plutôt d’un soliloque dont on parle... S’ils cherchent à mesurer le degré de réalisation d’une activité comme la conversation, l’orthophoniste et l’audiologiste doivent être sensibles aux deux parties de la définition de base : transmission/réception de messages / de la part d’autres individus, ainsi que de la société. La deuxième partie suppose des relations interpersonnelles, dont il faut se préoccuper et non pas seulement tenir compte de.

Ailleurs, l’Ordre affirme que l’habitude de vie communication possède un caractère transversal, ou particulier, caractère qu’elle partage avec l’habitude déplacements (Avis

préliminaire..., p.6). S’il montre l’importance de cette habitude de vie, l’Ordre ne démontre

pas en quoi la communication (et les déplacements), plus que les autres habitudes de vie, est nécessaire à la réalisation de la grande majorité des autres habitudes de vie. Le caractère particulier de la communication lui serait conféré par le fait, selon l’Ordre, qu’elle est “très souvent une composante d’une autre habitude de vie” (p.9). Mais il me semble que l’inverse est aussi vrai : je ne crois pas qu’il me serait possible par exemple de réaliser les habitudes de vie reliées à la communication écrite sans avoir au préalable réalisé quelques unes des habitudes de vie reliées à l’éducation...

Or, ni les relations interpersonnelles, ni l’éducation n’ont ce caractère “transversal” qu’auraient les habitudes reliées à la communication et aux déplacements. Avec les mêmes arguments, l’Ordre aurait très bien pu affirmer le caractère transversal des relations interpersonnelles, celles-ci étant essentielles à la réalisation d’habitudes de vie reliées à l’éducation, au travail, aux loisirs, aux responsabilités, etc. Ou encore faire ressortir le caractère particulier du travail, ses fruits permettant de réaliser plusieurs habitudes dont celles reliées à la nutrition, à l’habitation, aux responsabilités, à la communauté ou bien aux déplacements. Si l’on y songe bien, ce ne sont pas les habitudes déplacements et communication qui auraient dû être mises en évidence mais plutôt celle des relations

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interpersonnelles car en y songeant bien, la notion de “participation sociale” n’aurait pas beaucoup de sens si elle ne comprenait pas les “relations entre des personnes”49?

Ce petit exercice vient appuyer l’idée que les habitudes de vie sont interreliées bien que distinctes les unes des autres dans la nomenclature. Mais comme le but d’une nomenclature est de répertorier les activités quotidiennes et les rôles sociaux valorisés par le contexte socioculturel d’une personne (Fougeyrollas et coll., 1996), la création d’un ordre à l’intérieur du répertoire n’est pas nécessaire. L’accueil réservé à cette proposition de l’Ordre l’a montré. Par ailleurs, si la communication est selon l’Ordre, “un déterminant essentiel du degré de réalisation de la participation sociale ou encore aggravant la situation de handicap” (p.6), ce n’est pas par son caractère soi-disant transversal mais par sa dimension intrinsèquement relationnelle. Et c’est d’ailleurs ce que l’Ordre prend la peine de préciser quand il affirme que le concept communication “regroupe à la fois des dimensions transactionnelle et relationnelle”, la première concernant la “transmission d’un message d’un locuteur à un interlocuteur” tandis que la seconde renvoie “aux aspects d’interaction et d’échange qui existent entre les individus qu’il y ait ou non transmission explicite50 d’un message” (p.5). Ici encore, il est difficile de concevoir qu’un individu puisse interagir ou échanger avec d’autres individus sans qu’il y ait transmission explicite d’un message... Ou alors, le

message dont il est question est strictement verbal, oral ou écrit par exemple. Ou bien c’est le

message, et non pas la transmission, qui est explicite... Ou alors la transmission explicite signifie qu’elle est intentionnelle... Bien qu’il soit difficile de lever l’ambiguïté de cette affirmation, je la réfute néanmoins sur la base suivante : deux individus en présence l’un de l’autre et ayant noté la présence de l’autre, s’échangent nécessairement un ou des messages. Ne serait-ce que celui de ne pas vouloir s’échanger de message! Si tout comportement est une communication (c’est-à-dire que tous les comportements contiennent de l’information indépendamment de l’intention des interlocuteurs, Landry Balas, 1999), et s’il est vrai qu’on ne peut pas ne pas se comporter, il s’ensuit alors qu’on ne peut pas ne pas communiquer... Malgré ses affirmations, l’Ordre ne parvient pas dans son Avis préliminaire... à démontrer de manière convaincante et irréfutable le caractère particulier de la communication.

49L’une des acceptions du mot société, dans Le Petit Robert. 50C’est moi qui souligne.