• Aucun résultat trouvé

Exciper de l’incompétence d’un tribunal est tentant pour un Etat, attrait devant un juge qu’il ne veut pas voir trancher le différend l’opposant à un autre Etat. Le constat d’incompétence du tribunal, et surtout les effets subséquents, poussent ces Etats récalcitrants à qualifier ainsi de nombreux moyens même si ce n’est pas toujours justifié. La jurisprudence témoigne d’une utilisation très contestable de cette qualification par les Etats, ceux-ci invoquant abondamment l’incompétence du tribunal saisi. Diverses explications sont possibles. Il peut tout d’abord s’agir d’une simple erreur. Nous avons vu qu’il n’existe pas de liste des chefs d’incompétence à laquelle pourraient se référer les Etats pour qualifier à bon escient les obstacles qu’ils estiment pouvoir soulever. Les choses n’étant pas toujours très claires dans la doctrine et la jurisprudence, il est aisé de comprendre que les Etats peuvent commettre des erreurs de qualification, et ce, de bonne foi. Une autre raison, certainement plus fréquente, est que les Etats veulent parfois empêcher par tous moyens le juge de connaître du différend substantiel. Pour ce faire, ils utilisent allègrement cette qualification alors même que leurs moyens ne visent aucunement ce que nous avons identifié comme étant le concept de compétence du juge. En parant leur obstacle des atours de l’incompétence, ils espèrent aboutir au constat de l’empêchement pour le juge de statuer sur le fond de leur différend. L’une des conséquences attendues de cette supercherie, et non des

arrêt du 4 décembre 1998, Recueil C. I. J. 1998, p. 432 ; Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Espagne), r. g. n°112 et (Yougoslavie c. Etats-Unis d’Amérique), r. g. n°114, Demande en indication de mesures conservatoires, ordonnances du 2 juin 1999, Recueil C. I. J. 1999, p. 761 et p. 916 ; Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), r. g. n°119, Compétence de la Cour, arrêt du 21 juin 2000, Recueil C. I. J. 2000, p. 12 ; Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), r. g. n°123, Exceptions préliminaires, arrêt du 10 février 2005, Recueil C. I. J. 2005, p. 6 ; Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), r. g. n°126, Compétence de la Cour et recevabilité de la requête, arrêt du 3 février 2006, Recueil C. I. J. 2006, p. 8. Ne sont pris en compte ici que les affaires dans lesquelles ce type d’argument a été qualifié comme tel par les parties, et non comme il peut l’être parfois, comme recevabilité de la requête.

175 moindres, est l’examen prioritaire de cet obstacle par le juge – s’il choisit de statuer prioritairement sur cette question, ce qui n’est pas toujours le cas522. En cas de succès, l’objectif

sera atteint au plus vite ; en cas d’échec, le contestataire aura au moins repoussé l’examen du fond aussi loin que possible. Toutes les hypothèses de qualification contestable que nous avons pu relever ne sont pas à mettre au même plan. Certaines sont réellement erronées, sans aucun doute possible car le moyen invoqué est sans rapport avec le titre de compétence (

A

). D’autres sont plus délicates à aborder, et doivent donc être nettement isolées de cette première catégorie. La qualification alors utilisée est inadaptée, mais son emploi par le contestataire peut se comprendre, de par l’absence d’une qualification adéquate, ou par le flou de la distinction avec celle de recevabilité de la requête sur certains points. Ces qualifications suspectes nous donnent l’occasion de nous interroger sur ces moyens qui semblent effectivement empêcher le juge de connaître du différend substantiel, mais qui ne paraissent pas correspondre au concept même de compétence. Les affaires portées devant la Cour internationale de Justice permettent de mettre en lumière ces moyens, épars, qui sont invoqués à tort contre la compétence de la Cour, et manifestent une utilisation abusive de la contestation de la compétence du juge par les parties (

B

). Avant d’étudier ces points, précisons que si tous ces obstacles pouvaient se prévaloir d’une disposition inscrite dans le titre juridictionnel, ils pourraient alors à juste titre être qualifiés comme étant relatifs à la compétence du tribunal523. Ceux que nous étudions n’entrent pas dans cette hypothèse.

A. Utilisation erronée

De nombreuses affaires révèlent des contestations, dites de compétence du tribunal, qui ne peuvent être rattachées à aucun point du titre de compétence invoqué. Elles sont l’illustration manifeste d’une erreur de qualification par le contestataire, dont la bonne foi ne peut qu’être mise en cause, tant le lien avec la compétence du juge est inexistant. Il peut s’agir d’obstacles s’appuyant sur un prétendu non-respect de formalités (

1

) ou sur des arguments tenant de la défense au fond (

2

).

1. Prétendu non-respect de formalités

Lorsque le contestataire invoque l’incompétence du tribunal au motif que l’autre partie n’a pas respecté certaines formalités non inscrites dans l’instrument juridictionnel, l’erreur de qualification est flagrante. Il s’agit alors pour un Etat d’invoquer n’importe quel moyen, sans rapport aucun avec l’instrument de référence en matière de compétence, pour empêcher le juge

522 Voir le traitement de l’ordre d’examen des obstacles à l’exercice du pouvoir juridictionnel, infra p. 292 et s.. 523 Voir supra la Section 1 de ce présent Chapitre.

176

de statuer au fond. La bonne foi ne semble pas guider les Etats qui agissent de la sorte dans les trois situations observées.

a) Certains n’hésitent pas à prétendre que le juge est incompétent pour la simple raison que le demandeur a invoqué trop tardivement une base de compétence524. C’est ainsi que dans l’affaire du Mandat d’arrêt, la Belgique justifie notamment sa position par le fait que, « une démarche aussi

tardive, lorsqu’elle n’est pas acceptée par l’autre partie, met gravement en péril le principe du contradictoire et la bonne administration de la justice […] »525. Une telle attitude témoigne de la

mauvaise foi du contestataire dans la mesure où il est évident que la tardiveté de l’invocation n’enlève rien à la validité du titre de compétence en question, ni au fait que celui-ci couvre le différend soumis. Et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit de déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire ou d’acceptation au titre du forum prorogatum526, ces instruments témoignant de la

volonté du consentant de se soumettre à la juridiction de la Cour, tout au moins en apparence. Il faut cependant relever que la Cour a déjà accueilli ce moyen, il est vrai dans des affaires où son attitude est surprenante à plusieurs égards : celles de la Licéité de l’emploi de la force. Alors que le

demandeur présente « une nouvelle base de juridiction au stade du second tour de plaidoiries », la Cour considère

« qu’une démarche aussi tardive, lorsqu’elle n’est pas acceptée par l’autre partie, met gravement en péril le principe du contradictoire et la bonne administration de la justice ; et que, par suite, la Cour ne saurait, aux fins de décider si elle peut ou non indiquer des mesures conservatoires dans le cas d’espèce, prendre en considération le nouveau chef de compétence »527.

Certes, la découverte d’un titre de compétence lors du second tour de plaidoiries suppose une certaine maladresse inquiétante de la part du demandeur, et peut gêner l’autre partie dans l’organisation de sa défense. Cela n’enlève rien au fait que ce titre donne un consentement et correspond au différend en cause. La requête doit certes comporter « dans la mesure du

524Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), r. g. n°121, Demande en indication de mesures conservatoires, Ordonnance du 8 décembre 2000, Recueil C. I. J. 2000, p. 182 et Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), r. g. n°136, arrêt du 4 juin 2008, Recueil C. I. J. 2008, p. 177.

525 Mandat d’arrêt…, r. g. n°121, Demande en indication…, op. cit., spé. p. 195, par. 45 (voir l’argumentation développée à ce sujet par la Belgique dans les Plaidoiries de M. Bethlehem pour la Belgique, dans l’affaire du Mandat d’arrêt (République démocratique du Congo c. Belgique), Audience publique du 23 novembre 2000, Cour internationale de Justice CR 2000/35, 13 p., spé. par. 7.

526 En effet, dans ces affaires, les défendeurs ont reconnu la compétence de la Cour internationale soit par déclaration d’acceptation (Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), r. g. n°121, arrêt du 14 février 2002, Recueil C. I. J. 2002, p. 3) soit par forum prorogatum (Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), r. g. n°136, arrêt du 4 juin 2008, Recueil C. I. J. 2008, p. 177).

527 Licéité de l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), r. g. n°105, Demande en indication de mesures conservatoires, Ordonnance du 2 juin 1999, Recueil C. I. J. 1999, p. 124, spé. p. 139, par. 44. La question se pose ici au stade des mesures conservatoires, mais cela n’a pas d’incidence particulière. La Cour relève en l’espèce qu’une telle invocation « est sans précédent dans la pratique de la Cour », ibid.. Voir également l’affaire du Mandat d’arrêt, où elle refuse de l’accueillir ( Mandat d’arrêt…, r. g. n°121, Demande en indication…, op. cit., spé. p. 199-200, par. 63-64).

177 possible » les bases de compétence, mais le Règlement n’impose pas leur désignation précise à ce stade528.

b) L’incompétence peut être également invoquée au motif que le dépôt de la requête ne serait pas valide529. Le défendeur, considérant qu’il n’a pas été fait dans de bonnes conditions, prétend

qu’il en découle une inégalité entre les parties devant conduire au constat de l’incompétence du tribunal. C’est ainsi, par exemple, que l’Inde considère dans l’affaire relative au Droit de passage,

que,

« the Portuguese Declaration under the Optional Clause,[…], had not been communicated to the Government of India with the result that the conditions necessary to entitle Portugal to invoke against India the jurisdiction of the Court under the Optional Clause did not exist at all at that date. »530.

Elle en conclut que « [t]hat in consequence, the Court is without jurisdiction to entertain the Portuguese Application »531. Ici encore, la qualification de l’obstacle est totalement erronée, d’autant plus que la

Cour n’accorde pas au formalisme beaucoup de considération532. Le principe d’égalité entre les

parties est primordial, et doit être respecté. Cependant, la sanction d’une violation ne peut en aucun cas être un constat d’incompétence, qui ne peut résulter que d’un défaut de consentement des parties au pouvoir juridictionnel de ce juge. La violation du principe d’égalité ne peut conduire à une incompétence. Elle concerne soit une question de recevabilité de la requête, soit les conditions d’exercice du pouvoir juridictionnel, mais en aucun cas la compétence de ce juge.

c) Il arrive qu’une des parties prétende que l’incompétence du juge doit être constatée du fait d’un abus de procédure de la part de l’autre partie533. La requête peut être considérée abusive au

528 L’article 38 § 2 du Règlement dispose en effet que « [l]a requête indique autant que possible les moyens de droit sur lesquels le demandeur prétend fonder la compétence de la Cour […] » (italiques ajoutés).

529 Voir les affaires du Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), r. g. n°32, Exceptions préliminaires, arrêt du 26 novembre 1957, Recueil C. I. J. 1957, p. 125 et Demande en révision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), r. g. n°71, arrêt du 10 décembre 1985, Recueil C. I. J. 1985, p. 192.

530Preliminary objection of the Government of India, dans l’affaire du Droit de passage (Portugal c. Inde), Avril 1957, Cour

internationale de Justice, Mémoires, Plaidoiries et documents, pp. 97-188, spé. p. 112, par. 35. Elle ajoute que, « [i]n the view of the Government of India, this vital principle [d’égalité entre les parties] is manifestly infringed if a State, on making a Declaration under the Optional Clause, is permitted immediately to file an Application against the other States before the lapse of a sufficient time to enable them to be apprised of the making of the Declaration. Equality before the Court, if it is to be a real equality, must be an equality in fact as well as in law. », ibid., spé. p. 114, par. 40. Or, selon l’Inde, tel n’est pas le cas puisqu’elle prétend que le Portugal « filed its Application in the present dispute before either the Court or other Parties to the Statute had been notified by the Secretary- General of Portugal's Declaration accepting the Optional Clause, and without itself taking any steps to bring that Declaration to the notice of India », ibid., spé. p. 115, par. 44.

531Preliminary objection of the Government of India, ibid., spé. p. 115, par. 44 (soulignés par nous).

532 Voir supra p. 16 l’extrait de l’arrêt rendu dans l’affaire Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt du 30 août 1924, C.

P. J. I. série A n°2, p. 6, spé. p. 34, où elle indique qu’il ne peut être accordé au formalisme en droit international la même importance qu’il revêt en droit interne.

533Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), r. g. n°94, Exceptions préliminaires, arrêt du 11 juin 1998, Recueil C. I. J. 1998, p. 275 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et

178

motif que la demande aurait déjà été tranchée dans un autre cadre534, ou qu’elle est déposée dans

un objectif autre que celui d’obtenir le règlement d’un différend (notamment celui d’obtenir l’exécution d’un arrêt précédent535), ou encore parce que le demandeur abuserait du mécanisme

de l’article 36 § 2 du Statut536. L’abus de procédure serait caractérisé par le fait que la requête, ou

la demande, aurait un but autre que celui d’obtenir le règlement d’un différend. Relevons l’exemple de l’affaire des Usines de pâte à papier, assez révélatrice de la mauvaise foi qui peut

amener un Etat à invoquer une incompétence537. C’est ici le demandeur qui argue d’un abus de

procédure de la part du défendeur, lequel ayant souhaité demander lui-même l’indication de mesures conservatoires, après que la Cour ait rendu une première ordonnance à ce sujet à la demande du demandeur538. Le fait que ce soit le demandeur qui soulève cet obstacle ne constitue

pas une vraie différence quant à la stratégie mise en place. En effet, il agit en l’espèce par réaction à une demande incidente du défendeur. Il y a une inversion des positions procédurales à l’égard de cette demande. Il est donc logique que le demandeur adopte une attitude similaire à celle de la plupart des défendeurs dans une demande « ordinaire ». Nous ne voyons ici aucun rapport avec la question de savoir si un titre juridictionnel donne au juge compétence pour connaître de leur différend, mais le moyen sert une volonté d’empêcher le juge de connaître de ladite demande. Il s’agit plutôt de savoir, par l’abus de procédure, si la requête s’inscrit dans ce que le pouvoir juridictionnel permet au juge de faire, mais non de s’assurer que le différend les opposant relève d’un titre de compétence valable.

autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), r. g. n°139, arrêt du 19 janvier 2009, Recueil C. I. J. 2009 ;Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), r. g. n°135, Demande en indication de mesures conservatoires, Ordonnance du 23 janvier 2007, Recueil C. I. J. 2007, p. 3 ; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), r. g. n°80, Exceptions préliminaires, arrêt du 26 juin 1992, Recueil C. I. J. 1992, p. 240.

534Usines de pâte à papier…, r. g. n°135, Demande, Ordonnance du 23 janvier 2007, op. cit.. 535Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena… , r. g. n°139, arrêt, op. cit.. 536Frontière terrestre et maritime…, r. g. n°94, Exceptions préliminaires, op. cit..

537 Le demandeur prétend ainsi que, la « reconnaissance de la compétence de la Cour sur l’affaire que l’Argentine lui a soumise n’implique pas que la Cour soit compétente pour connaître n’importe quel incident de procédure comme la demande en indication de mesures conservatoires présentée par l’Uruguay. Il ne faut pas se laisser abuser par cette démarche. [… Il ajoute notamment que cette demande de mesures conservatoires l’entraîne] dans cette procédure incidente au moment où celle-ci doit finir l’élaboration de son mémoire pour prendre la défense de prétendus droits qui ne sont même pas en cause dans ce différend et qui ne peuvent pas l’être. […. Selon lui, la] Cour n’a pas compétence à cet effet. Il n’y a pas un manque de forum ouvert à l’Uruguay pour présenter son cas, il y a un abus de forum de la part de l’Uruguay qui se livre à un forum shopping que la Cour ne peut pas admettre », Plaidoiries de Mme Ruiz Cerutti, agent de la République d’Argentine, dans l’affaire des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), Audience publique tenue le lundi 18 décembre 2006, à 15 heures au Palais de la Paix, Cour internationale de Justice, CR 2006/55, 53 p., pp. 8-17, spé. p. 9 et 11, par. 9, 11 et 20 (italiques ajoutés).

538 Pour cette première ordonnance, voir Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), r. g. n°135, Demande en indication de mesures conservatoires, Ordonnance du 13 juillet 2006, Recueil C. I. J. 2006, p. 113, et pour la seconde : Demande en indication de mesures conservatoires, Ordonnance du 23 janvier 2007, Recueil C. I. J. 2007, p. 3.

179

2. Défense au fond

Dans la quête du constat de l’incompétence du tribunal, certains Etats n’hésitent pas à qualifier de moyens d’incompétence des moyens ayant trait au fond du différend. Cela peut paraître paradoxal dans la mesure où l’objectif recherché par un tel obstacle est précisément que le juge ne connaisse pas du différend substantiel. Parce qu’ils veulent à tout prix l’empêcher de trancher ce litige sur le fond, ils prétendent que tous leurs arguments ont trait à l’incompétence du juge. Cette hypothèse n’est pas rare. Des arguments qui relèvent d’une défense au fond sont avancés pour prétendre par exemple que le différend en question ne peut relever de la compétence de la Cour, puisqu’il n’entre pas dans les prévisions de la clause. Certains appuient leur prétention sur une démonstration, par exemple dans l’affaire de la Compagnie du port, selon

laquelle les objectifs et effets de l’adoption du texte incriminé font que celui-ci ne peut avoir eu pour conséquence le différend soumis539. La modification législative en cause n’ayant entraîné

aucune violation du traité en question, le défendeur prétend qu’il en découle que la Cour ne peut avoir compétence. La question de savoir si cette loi viole ou non les engagements pris constitue une argumentation sur le fond du différend, et non une question de compétence. Comme le relève le demandeur dans cette affaire,

« décliner la compétence en disant qu’on a raison sur le fond, c’est accepter la compétence puisqu[e le défendeur] plaide l’inexistence de responsabilité et non de compétence »540.

D’autres considèrent, dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, que le différend

n’entre pas dans les prévisions de la clause au motif que, pour qu’il y ait génocide, il faut une intention caractérisée de commettre de tels actes et qu’ils soient rattachés au défendeur, alors qu’aucune preuve n’est apportée par le demandeur541. Le défendeur en déduit alors une

incompétence de la Cour. Non seulement cette qualification est erronée, mais il ne s’agit même pas d’un empêchement du juge de statuer, que ce soit faute de compétence, de recevabilité de la

539 Le Liban développe une démonstration selon laquelle la modification législative à laquelle il a procédé était nécessaire et ne remettait pas en question certains principes relatifs aux impositions (cette loi étant à l’origine du différend en question, pour le demandeur). La Cour n’a pas eu l’occasion de se prononcer dans cette affaire puisqu’elle a pris acte d’un désistement intervenant après l’échange des pièces relatives aux exceptions préliminaires (voir Compagnie du port, des quais et des entrepôts de Beyrouth et Société Radio-Orient (France c. Liban), r. g. n°42, ordonnance du 31 août 1960, Recueil C. I. J. 1960, p. 186).

540 Observations et conclusions du Gouvernement de la République française sur les exceptions préliminaires présentées par le

Gouvernement de la République libanaise, dans l’affaire de la Compagnie du port, des quais et des entrepôts de Beyrouth et Société Radio-Orient (France c. Liban), Février 1960, Cour internationale de Justice, Mémoires, Plaidoiries et documents, pp. 75-102, spé. p. 78.

541 La France prétend ainsi, dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force que, « [e]n l’absence de l’élément d’intentionnalité, qui caractérise le génocide, les actes que la RFY impute à la France ne sont pas susceptibles d’entrer dans les prévisions de l’article IX de la Convention de 1948. Celle-ci ne peut donc pas constituer une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait être fondée. », Exceptions préliminaires de la République française, dans l’affaire de la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. France), 5 juillet 2000, 44 p., spé. p. 22, par. 47.

180

requête ou autre. Il s’agit tout simplement d’une défense au fond visant l’absence de preuve des éléments constitutifs de l’infraction et de leur imputabilité. Le recours à la qualification de compétence pour un tel moyen a évidemment pour but, dans ces affaires, d’éviter que le juge accepte de connaître du différend soumis, les défendeurs ne souhaitant pas que les faits