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Le consentement donné par un Etat à la compétence du juge à son égard est un acte toujours empreint d’un certain aspect conventionnel. Pour l’éliminer immédiatement, évoquons le cas des Etats qui prennent cet engagement sous la pression d’autres Etats, et de l’opinion publique. Ainsi en est-il des grandes conventions relatives aux droits de l’homme auxquelles adhérer est signe de bonne conduite et de partage des valeurs fondamentales de la société internationale374. Ces traités contiennent souvent une clause juridictionnelle organisant le

règlement des différends éventuels entre les parties375. Donner un tel engagement est donc certes

une démarche personnelle de l’Etat qui y procède, mais elle peut être le fruit d’une certaine pression sans laquelle il ne se serait pas engagé ainsi. Il en est souvent de même pour les Etats qui adhèrent à de tels traités par volonté de compenser des attitudes antérieures déplorables. Nous pensons ici par exemple à l’adhésion de la Serbie à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide après les drames des années 1990376.

Il faut cependant noter que dans ces cas, lorsque cela est possible, l’Etat en question émet souvent une réserve précisément à l’égard de la clause juridictionnelle. Tel est le cas de la Serbie dans cette convention, mais elle n’est pas la seule377. Cette influence de la pression internationale

374 Nous faisons allusion ici notamment à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948, entrée en vigueur le 12 janvier 1951.

375 L’article IX de cette convention dispose que « [l]es différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés […], seront soumis à la Cour internationale de justice, à la requête d’une partie au différend. ».

376 Il faut cependant noter que la Yougoslavie était elle-même partie à cette convention. Mais depuis sa disparition et l’apparition du nouvel Etat (la République fédérale de Yougoslavie, puis la Serbie-et-Monténégro) le 1er novembre 2000, son adhésion à cette convention est apparue comme un signe d’en finir avec les attitudes reprochées aux gouvernements précédents.

377 Ainsi l’Espagne et les Etats-Unis, par exemple, ont émis une réserve à ce même article IX de la Convention, ce qui conduit la Cour à se déclarer manifestement incompétente dans les affaires introduites à leur encontre sur cette base,

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et de la volonté de faire bonne figure auprès des autres Etats378 apparaît à l’égard de nombreux

traités et n’est pas propre à notre sujet, c’est pourquoi nous n’en traiterons pas davantage. Ce qui participe à la démonstration que l’engagement d’un Etat envers la compétence d’un juge est mutuel, et que le champ d’exercice de celui-ci est déterminé mutuellement, c’est qu’il résulte de la rencontre des consentements donnés par d’autres Etats (

A

). Il faudra également traiter du jeu de la réciprocité, déterminant de cet aspect mutuel, jusque dans les actes a priori purement

unilatéraux (

B

). L’aspect mutuel de l’engagement fait que l’auteur de cet acte ne peut pas le maîtriser entièrement. Il ne peut pas prévoir quelle dimension aura finalement le champ sur lequel le juge pourra exercer son pouvoir juridictionnel. Les calculs effectués lors de l’expression du consentement sont donc soumis à une part d’aléa qui résulte de la nature nécessairement mutuelle de l’engagement et de la détermination du champ d’exercice du pouvoir juridictionnel.

A. Un engagement juridictionnel, fruit de la rencontre des consentements

Pour qu’un juge ait compétence à l’égard d’un différend soumis, il faut qu’il dispose d’un engagement juridictionnel des deux parties au litige à ce qu’il en soit ainsi. Le consentement d’une seule d’entre elles ne peut suffire. Le choix d’un Etat de s’engager à ce que le juge exerce son pouvoir juridictionnel à son égard serait vain s’il ne rencontrait un engagement similaire de l’Etat avec lequel il s’oppose à propos d’un différend. De la rencontre de ces consentements naît un lien juridique entre ces deux Etats, leur engagement à voir le juge saisi exercer son pouvoir juridictionnel à leur égard pour trancher leur différend. Si la démarche est unilatérale, il faut nécessairement qu’elle rencontre son pendant de la part de l’Etat adversaire pour que cela aboutisse à ce que le juge connaisse du différend en l’espèce.

Le plus souvent, cette rencontre des consentements se fait au sein d’un même instrument, un traité, qu’il soit bilatéral ou multilatéral379. Mais elle peut également avoir lieu sans se

dès la phase des mesures conservatoires. Voir respectivement les affaires Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Espagne), r. g. n°112, et (Yougoslavie c. Etats-Unis d’Amérique), r. g. n°114, Demande en indication de mesures conservatoires, ordonnances du 2 juin 1999, Recueil C. I. J. 1999, p. 761 et p. 916.

378 Il s’agit souvent d’Etats nouvellement indépendants qui font des déclarations en vertu de l’article 36 § 2 du Statut. Tel est, par exemple, le cas du Cambodge (indépendance en 1953, déclaration en 1957), de l’Ouganda (indépendance en 1962, déclaration en 1963), de la Somalie (indépendance en 1960, déclaration en 1963), ou encore du Soudan (indépendance en 1956, déclaration en 1958). Il est probable qu’afficher rapidement leur volonté de se soumettre au respect du droit international, et à une juridiction obligatoire qui sanctionnerait leurs violations de ce droit les incite en ce sens, afin de s’afficher comme nouvel Etat sur la scène internationale.

379 Notons ici que le compromis est peu utilisé pour exprimer son consentement à ce qu’un juge institutionnel exerce son pouvoir juridictionnel pour trancher un différend entre deux Etats. Cela est marquant devant la Cour internationale de Justice où seules 17 affaires sur les 124 dont a connu la Cour internationale de Justice ont été introduites par compromis à ce jour (voir la liste de ces affaires supra à la note infrapaginale 191). Sans avoir fait d’étude exhaustive à ce sujet, les autres juridictions institutionnalisées voient rarement leur compétence reconnue par

127 matérialiser dans un même acte. Il s’agit alors d’un lien juridictionnel émanant de deux actes unilatéraux. Deux hypothèses sont possibles.

- La moins fréquente est la technique dite du forum prorogatum. L’Etat qui agit en justice a donné

son consentement à la compétence du juge, mais celui qu’il veut attraire devant ce juge n’a pas encore fait de même. Si celui-ci accepte pour l’espèce que le juge exerce son pouvoir juridictionnel à son égard, alors il y aura rencontre de leurs consentements à effet unique, pour ce différend. Ceci vaut que l’acceptation du défendeur soit expresse ou tacite, matérialisée alors par une participation à la procédure sans contestation de la compétence du juge. Cette hypothèse est autorisée par le Règlement de la Cour internationale de Justice380. Bien qu’elle se rencontre peu,

elle semble connaître un récent regain d’intérêt381. Nous sommes bien alors en présence d’un lien

consensuel manifesté par deux consentements unilatéraux.

- L’autre manifestation de cette rencontre, plus fréquente, est celle de deux actes unilatéraux : le mécanisme original des déclarations facultatives d’acceptation de juridiction obligatoire382. Ces

expressions particulières du consentement des Etats sont bien des actes unilatéraux. Cependant, la rencontre de deux d’entre elles établit un lien juridique consensuel entre leurs auteurs. « L’attribution de compétence résulte cette fois […] de la conjonction d’actes unilatéraux concordants de deux Etats, entre lesquels n’apparaît pas de lien juridictionnel direct. »383. Certains

ce biais. Le compromis est davantage utilisé en matière arbitral car il permet, en outre, d’organiser les règles de procédure selon les souhaits des Etats.

380 L’article 38 § 5 de ce Règlement dispose que « [l]orsque le demandeur entend fonder la compétence de la Cour sur un consentement non encore donné ou manifesté par l’Etat contre lequel la requête est formée, la requête est transmise à cet Etat. Toutefois, elle n’est pas inscrite au rôle général de la Cour et aucun acte de procédure n’est effectué tant que l’Etat contre lequel la requête est formée n’a pas accepté la compétence de la Cour aux fins de l’affaire ».

381 Voir les récentes affaires introduites contre la France : Certaines procédures pénales engagées en France (République du

Congo c. France), r. g. n°129, Demande en indication de mesures conservatoires, arrêt du 17 juin 2003, Recueil C. I. J. 2003, p. 102 (pour un commentaire, voir Philippe WECKEL (dir.), « CIJ, Ordonnance du 17 juin 2003 (mesure conservatoire) Affaire relative à certaines procédures pénales (République du Congo c. France) », R. G. D. I. P. 2003-3, pp. 741- 747) et Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), r. g. n°136, arrêt du 4 juin 2008, Recueil C. I. J. 2008, p. 177 (pour un commentaire, voir Ioannis PREZAS, « La répression nationale face au juge international : à propos de l’affaire de l’entraide judiciaire en matière pénale », A. F. D. I. 2008, pp. 237-273, spé. pp. 241-256).

382 Ce mécanisme est surtout connu au travers de la Cour internationale de Justice. Nous avons choisi de n’étudier ici que les déclarations émises envers elle, mais il faut cependant indiquer qu’un mécanisme similaire existe devant une autre juridiction internationale. En effet, l’article 62 de la Convention américaine relative aux Droits de l’Homme prévoit la possibilité de déclarations basées sur un même système d’acceptation de juridiction obligatoire a priori de tout différend, avec ou sans condition, ce qui est donc même plus large que l’article 36 § 2 du Statut de la Cour internationale où la condition de réciprocité est intégrée d’office. Ainsi, l’article 62 § 1 dispose que, « Tout Etat partie peut, au moment du dépôt de son instrument de ratification ou d'adhésion à la présente Convention, ou à tout autre moment ultérieur, déclarer qu'il reconnaît comme obligatoire, de plein droit et sans convention spéciale, la compétence de la Cour pour connaître de toutes les espèces relatives à l'interprétation ou à l'application de la Convention. », tandis que son paragraphe 2 concerne les réserves possibles : « La déclaration peut être faite inconditionnellement, ou sous condition de réciprocité, ou pour une durée déterminée ou à l'occasion d'espèces données. Elle devra être présentée au Secrétaire général de l'Organisation, lequel en donnera copie aux autres Etats membres de l'Organisation et au Greffier de la Cour. » (italiques ajoutés).

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vont jusqu’à penser que le lien juridique établi constitue « une série d’accords bilatéraux effectués par la jonction des déclarations de n’importe quelle paire d’Etats, jonction faite en vertu de la clause facultative. »384. Ils invoquent notamment le fait que les reconnaissances en question sont

faites « à l’égard de tout autre Etat acceptant la même obligation »385, et non à l’égard de

l’Organisation des Nations Unies ou de la Cour internationale de Justice elle-même386. Il

semblerait que l’approche la plus conforme de ce lien soit celle retenue par la Cour internationale à l’occasion de l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries. Elle indique alors que l’interprétation

de tels actes « a pour but d’établir si un consentement mutuel a été donné à sa compétence »387. Il

s’agit effectivement d’un consentement mutuel émanant des actes unilatéraux de deux Etats

parties, et non de traités bilatéraux388. C’est pourquoi le terme mutuel doit être préféré à celui de conventionnel pour éviter toute confusion. Une déclaration, dès lors qu’elle est faite par un Etat,

constitue « une offre permanente aux autres Etats parties au Statut n’ayant pas encore remis de déclaration d’acceptation »389. Ce mode de formation particulier du lien juridique entre deux Etats

déclarants donne ainsi à leur engagement un aspect mutuel, accru par le fait que la teneur de celui-ci est déterminée par le jeu de la réciprocité. Les calculs opérés par le consentant ne pourront s’avérer efficaces que si son engagement rencontre celui d’un autre Etat.

384 BertrandMAUS, Les réserves dans les déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice, Travaux de juridiction internationale publiés sous la direction de M. le professeur Paul Guggenheim, tome 2, Librairie Droz, Genève, 1959, 214 p., spé. p. 60.D’autres auteurs se sont exprimés en ce sens. Ainsi, répondant à une question de la Commission de l’Institut de Droit International, le greffier Ake Hammarskjöld a concédé que la clause facultative « équivaut à une série de traités bilatéraux entres les Etats signataires [… ajoutant que] la chose n’est certainement pas claire au point d’exclure qu’il puisse être raisonnablement soutenu que cette clause constitue, au contraire, un traité collectif. », AkeHAMMARSKJÖLD, « Extension de l’arbitrage obligatoire et compétence obligatoire de la Cour permanente de Justice internationale », R. D. I. L. C. 1928, vol. 9, pp. 83-99, spé. p. 86-87.

385 Voir l’article 36 § 2 du Statut de la Cour internationale de Justice.

386 C’est l’un des arguments avancés pour défendre l’idée selon laquelle le lien juridique en question est « essentiellement contractuel », BertrandMAUS, Les réserves dans les déclarations d’acceptation…, op. cit., spé. p. 60.

387Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), r. g. n°96, Compétence de la Cour, arrêt du 4 décembre 1998,

Recueil C. I. J. 1998, p. 432, spé. p. 453, par. 44 (italiques ajoutés). Elle ajoute que la déclaration facultative « constitue un acte unilatéral relevant de la souveraineté de l’Etat. En même temps elle établit un lien consensuel et ouvre la possibilité d'un rapport juridictionnel avec les autres Etats qui ont fait une déclaration en vertu du paragraphe 2 de l'article 36 du Statut, […] », ibid., spé. p. 453, par. 46.

388 Il paraît peu envisageable de traiter ces déclarations comme des traités étant donné leur mode de formation : le fait que l’autre contractant et la teneur réelle du consentement ne seront connus que lorsqu’un différend les opposera si l’un d’entre eux saisi la Cour. Sur l’identification du contenu de cet engagement, voir infra p. 127 et s., consacré à la réciprocité. La Cour internationale a pu laisser penser que telle était sa vision en déclarant que « [l]e rapport contractuel entre les Parties et la juridiction obligatoire de la Cour qui en découle sont établis « de plein droit et sans convention spéciale » du fait du dépôt de la déclaration. », Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), r. g. n°32, Exceptions préliminaires, arrêt du 26 novembre 1957, Recueil C. I. J. 1957, p. 125, spé. p. 146. Il ne nous semble pas qu’il faille en déduire une telle conclusion. La Cour veut alors marquer le fait que dès lors qu’un Etat A fait une telle déclaration, il doit s’attendre à être lié par cet engagement face à un nouvel Etat B déclarant, dès le jour où celui-ci fera une telle déclaration à son tour. C’est le jour où l’Etat B dépose sa déclaration que « le lien consensuel qui constitue la base de la disposition facultative prend naissance entre [eux] », ibid.

389Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), r. g. n°94, Exceptions préliminaires, arrêt du 11 juin 1998, Recueil C. I. J. 1998, p. 275, spé. p. 291, par. 25. Pour un commentaire, voir Homayoun BARATI, « Frontière terrestre et maritime (Cameroun c. Nigéria) Exceptions préliminaires, interprétation, intervention », A. F. D. I. 1999, pp. 371-412.

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B. Un engagement juridictionnel au contenu déterminé par réciprocité

Le principe de réciprocité est déterminant quant au contenu de l’engagement juridictionnel (

1

). Il permet également à l’un des Etats en litige d’invoquer les limites inscrites dans le consentement de son adversaire (

2

). Il doit donc être pris en compte dans les choix opérés lors de l’expression du consentement, afin d’envisager l’efficacité recherchée par un tel acte.

1. Détermination d’un contenu réciproque

Le champ de compétence du juge est délimité par les consentements des deux Etats parties au différend d’espèce. Chaque Etat étant libre de conditionner ou non son consentement, selon ses propres souhaits390, il s’ensuit que la teneur des engagements des deux parties n’est que

très rarement identique. Or, pour que le juge ait compétence autant à l’égard de l’une des parties que de l’autre, il faut déterminer l’étendue commune à leurs deux engagements. Ce n’est que si le différend d’espèce entre dans cet espace de reconnaissance, restreint mais commun, que le juge pourra le trancher. Cela permet d’assurer le principe d’égalité entre les Etats. Un Etat qui a accepté très largement la compétence du juge ne doit pas être placé dans une position moins favorable qu’un autre qui a très strictement conditionné son acceptation. Ayant accepté plus de risques lors de son consentement, il ne faut pas qu’un Etat plus timoré à l’égard de la juridiction de ce juge puisse en tirer profit contre lui. Ce serait le pire moyen pour inciter les Etats à reconnaître la juridiction obligatoire des juges internationaux préalablement à tout différend. C’est pourquoi l’examen de compétence porte sur l’engagement le plus strict des deux391. Cela vaut

autant pour les engagements conventionnels que pour les engagements résultant d’actes unilatéraux. Cette exigence de réciprocité de l’engagement n’a pas besoin d’être précisée par les Etats dans leurs consentements. Comme l’a écrit Rosenne,

« reciprocity is an element of jurisdiction of the Court as such, and not merely a peculiarity of the compulsory jurisdiction. [… It] is inherent in the system of the compulsory jurisdiction, one might infer that the inclusion of a specific reference to reciprocity or to the principle of reciprocity in an acceptance of the compulsory jurisdiction is not necessary. »392.

390 Voir supra p. 113 et s.

391 La Cour a eu l’occasion de l’affirmer à plusieurs reprises. Ainsi, dans l’affaire Anglo-iranian oil, elle considère que « [l]a déclaration de l’Iran étant de portée plus limitée que celle du Royaume-Uni, c’est sur la déclaration de l’Iran que la Cour doit se fonder. », Anglo-iranian oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), r. g. n°16,Exception préliminaire, arrêt du 22 juillet 1952, Recueil C. I. J. 1952, p. 93, spé. p. 103 (pour un commentaire de cette affaire, voir notamment A.W.FORD, The anglo-iranian oil dispute of 1951-52, A study of the role of law in the relations of States, University of California Press, Berkeley and Los Angeles, 1954, 348 p.; M.FARTACHE, « De la compétence de la Cour internationale de Justice dans l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co », R. G. D. I. P. 1953, pp. 584-612).

392 ShabtaïROSENNE, The Law and Practice of the International Court 1920-2005, Volume II. Jurisdiction, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden/Boston, 2006, 1020 p., pp. 732-737. Contra, voir la thèse développée par Enriques. Il oppose les paragraphes 2 et 3 de l’article 36 du Statut et en déduit que les Etats ont le choix entre faire des déclarations

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C’est un principe qui sera appliqué même s’il n’a pas été inscrit comme limite à l’engagement393.

C’est ainsi par exemple, que le champ de compétence du juge sera déterminé par la déclaration unilatérale la plus stricte des deux. Si elles comportent toutes deux des réserves, alors il faudra rechercher ce qui n’est pas exclu par l’une ou l’autre, et déterminer si le différend soumis entre dans ce champ résiduel de compétence. Un Etat qui consent très largement à la compétence du juge ne peut donc pour autant être certain que tout différend qui l’opposera à un Etat consentant pourra être tranché par le juge saisi. Une grande part d’inconnu existe donc au moment de l’expression du consentement, que son auteur ne peut maîtriser dans ses calculs.

2. Invocation des limites adverses

La Cour affirme clairement ce principe de la réciprocité des engagements. La meilleure illustration est qu’elle permet à un Etat d’invoquer les réserves que son adversaire procédural a inséré dans son consentement. Dans la lignée de sa devancière, la Cour internationale a ainsi permis à la Norvège, défendeur dans l’affaire des Emprunts norvégiens, de soulever une exception

préliminaire à sa compétence fondée sur une réserve émise par la France, le demandeur en l’espèce394. Elle applique ainsi pleinement le principe de réciprocité qui implique, pour reprendre

les termes de Shabtaï Rosenne, que

« purement et simplement » (paragraphe 2) ou « sous condition de réciprocité » (paragraphe 3). Il affirme que « [l]’acte, c’est l’acceptation de la juridiction obligatoire, qui peut se faire, d’après l’article 36 même, avec sou sans réciprocité », Giuliano ENRIQUES, « L’acceptation, sans réciprocité, de la juridiction obligatoire de la Cour permanente de Justice internationale », R. D. I. L. C. 1932, pp. 834-860, spé. p. 837. Pour une critique de cette thèse, reprenant de nombreux auteurs, voir EmmanuelDECAUX, La réciprocité en droit international, Bibliothèque de droit international, L. G. D. J., Paris, 1980, 374 p., spé. pp. 81 et s.

393 Voir en ce sens notamment Hudson. Il résume assez bien ce principe en considérant que « toutes les déclarations sont […] soumises à réciprocité et l’on ajoute rien à une déclaration – bien que ceci se produise fréquemment – en