• Aucun résultat trouvé

Unité d’action plurielle

Dans le document De l'urgence ou le mouvement de la rencontre (Page 175-192)

163 Parfois, dans un recoin, du matériel entreposé comme dans un hall d’exposition semble aussi attendre : des brancards alignés prêts à être utilisés recouverts de draps, des chaises roulantes toutes orientées dans le même sens n’attendant plus qu’un signal de départ. Et les téléphones qui, sans cesse, tintinnabulent, rappelant qu’en dehors de cet espace aveugle existe un extérieur, en demande d’informations, de nouvelles.

Ainsi les Urgences sont-elles un lieu particulier de géographie mystérieuse, aux frontières spécifiques, bien que floues. Situées à la fois en dehors du dehors, à savoir la ville, et en dehors du dedans, l’hôpital à proprement parler, le service des urgences ressemble à une enclave ou un ilôt. Cet univers, stigmatisé comme la vitrine de l’hôpital

et où l’accueil devrait être privilégié, ne semble malheureusement pas toujours très hospitalier.

Unité d’action plurielle

3.1.3.1 Panorama général

« A force de sacrifier l’urgence à l’essentiel, on finit par oublier l’essentiel de l’urgence. »

E. Morin, Ethique, La méthode, Tome 4, Seuil, 2004

.

La médecine d’urgence, la médecine en urgence, est souvent définie par le mouvement, l’action. Plusieurs raisons à cette perception : le visuel, l’auditif, le mouvement.

En premier lieu, la médecine d’urgence est perçue comme voyante et bruyante, parfois même sensationnelle. En milieu extrahospitalier, les véhicules sont repérables, spécifiques, sonores et donc localisables, reconnaissables. Pour être identifiés, pour se signaler, être prioritaires et pouvoir aller au plus vite sur les lieux où les secours sont requis. Souvent, les passants s’arrêtent ou, au moins, regardent ce qui se passe, ne serait-ce que quelques instants. Sorte de théâtre à ciel ouvert, la pièce qui se déroule relève, au moins dans les esprits des spectateurs, de la tragédie, potentielle ou réelle, supposée ou véritable : accident de voiture, drame au sein d’un appartement, arrêt cardiaque sur un quai de métro ou interrogations en tout genre quand les équipes

164 s’engouffrent hâtivement dans un domicile... Fébrilité, fragilité de la vie dont le néophyte ne saura pas ce qui s’est réellement passé mais aura perçu une tonalité grave.

En intra hospitalier, le service des urgences n’est pas connu pour son calme, sa tranquillité. Bien au contraire, le rythme bruissant pour ne pas dire incessant, bien qu’éminemment variable, participe à sa réputation. Chacun comprend, perçoit d’emblée que l’effervescence est une composante du fonctionnement de ce service, une sorte de pulsation interne. « Ça bouge tout le temps. », « Ça ne s’arrête jamais, même la nuit. ». Les soignants qui n’y travaillent pas, sont parfois désarçonnés par cette ambiance. L’organisation n’est pas lisible et semble au contraire n’être qu’approximation, voire improvisation permanente. Ballet continu, la moindre pause ou diminution d’activité est très souvent repérée par les personnes, malades, à l’affût de cette véritable chorégraphie. Lorsque le rythme s’apaise, les soignants le perçoivent immédiatement, et disent que « C’est calme…». Mais la simple évocation d’un

ralentissement du rythme revêt les atours de la superstition, celle de déclencher la reprise d’activité : « Il ne faut jamais dire ça, ça porte la poisse ! ». Alors, certains ont des parades langagières « C’est bien, on peut prendre son temps avec les malades. ».

Pourtant, si l’accalmie s’installe sur quelques jours d’affilée, les soignants s’ennuient presque, ou tout du moins s’en étonnent, voire s’en inquiètent : « C’est pas bon, ça va

repartir de plus belle. On va prendre cher… ». Les plus jeunes ne comprennent pas

mais intègrent vite que ce service a un battement de base spécifique, sorte de rythme interne, dont les variations sont sources de conjectures entre initiés. Dénominateur commun entre l’intra et l’extrahospitalier, pas de rythme feutré, la scansion est omniprésente devenant presque définition de la médecine de l’urgence, dans l’urgence.

Un jeune homme est amené aux Urgences par la police. Déficient intellectuel, il s’est agité au domicile et s’est montré agressif envers sa mère. Appelés, les policiers ont maîtrisé le jeune homme et l’ont amené aux Urgences. A leur arrivée, ayant peur qu’il ne s’agite de façon incontrôlable, les policiers demandent à l’urgentiste de venir l’évaluer. L’urgentiste se dirige vers le camion de police, ce qui l’oblige à passer devant la salle d’attente. Les personnes présentes, comprenant qu’il se passe quelque chose, se lèvent et observent, osant même faire quelques pas en direction du camion pour mieux voir. Monté dans le camion, l’urgentiste découvre un jeune homme menotté, en larmes, fermement maintenu face au sol par trois policiers. En sueur, le jeune homme n’arrive plus à parler.

165

- « Lâchez-le » demande l’urgentiste

- « Il va s’agiter, vous ne l’avez pas vu tout à l’heure, c’était une furie. Nous n’étions pas trop de quatre pour le maintenir. » répond un policier.

- « Lâchez-le, je suis là. » réitère calmement l’urgentiste. Et les policiers accèdent à cette demande.

Alors le jeune homme aidé de l’urgentiste et d’un policier se met sur le dos puis s’assoit. La salle d’attente n’en perd pas une miette. L’urgentiste parle doucement, cherchant le regard du jeune homme qui semble s’apaiser.

- « Vous allez venir avec moi, calmement. Si vous vous énervez, les policiers seront obligés de vous maintenir comme tout à l’heure. Vous devez donc rester tranquille. Avez-vous compris ce que je viens de vous dire ? ». Même si le jeune homme ne répond pas, il semble qu’il ait compris. Alors, l’urgentiste l’aide à se mettre debout, et ce dernier accepte d’entrer dans le service. Dans un silence scrutateur, le passage du camion au service est suivi du regard par l’ensemble des personnes présentes dans la salle d’attente. Finalement, le jeune homme expliquera, en larmes, sa colère contre sa mère qui ne voulait pas donner du lait au petit chat. Cet accès de violence n’est pas le premier épisode, le recours à une hospitalisation pour introduire un traitement adapté est indispensable.

Dans cet exemple, aucun geste technique mais une action continue, fine, qui se donne à voir sans intentionnalité, et qui procède à part entière du soin. Les soins ne sont pas uniquement technique mais un continuum soutenu d’une action générale composée d’actions parcellaires, plus ou moins significatives, signifiantes. Cette élaboration vaut pour chaque personne, malade, et s’inscrit dans une action collective, constellation de ces actions à échelon individuel.

3.1.3.2 L’omniprésence de l’action

« Agir, c’est connaître le repos. » F. Pessoa, Le livre de l’intranquillité, Christian Bourgeois éditeur, 2011, p.138.

166 Héros des Thibault, Antoine, médecin, porte secours à une jeune fille renversée par une voiture. Pareille situation nécessite des soins urgents. « Antoine mordait sa lèvre,

et, tout en envisageant l’opportunité d’une discussion, il retirait déjà sa veste, et roulait ses manches de chemise au-dessus des coudes ; puis il vint s’agenouiller au bord du lit. Il ne réfléchissait presque jamais sans commencer en même temps à agir, tant il était inapte à soupeser longuement les données d’un problème, tant il était impatient d’avoir pris un parti. Il lui importait moins de ne pas s’être trompé que d’être intervenu avec célérité et audace : penser n’était pour lui qu’un moyen de déclencher l’acte, fut-ce prématurément. »388. A dessein, l’action est ici décrite de façon nette, séquencée afin de percevoir l’intensité de la situation et l’implication du personnage, ses (ré)actions. L’intervention rapide avec célérité et audace, le fait de prendre un parti sont autant d’éléments dominants, la réflexion paraissant minimale au risque de l’erreur. Sous l’emprise d’une forme d’impatience, Antoine pourrait sembler confondre, selon l’adage populaire, vitesse et précipitation, mais il n’en est rien. Son action semble au contraire précise, dirigée sans hésitation aucune. Intervient alors le geste, conséquent, visible, sorte d’acmé de l’action elle-même. « En un clin d’œil, il se débarrassa de son

gilet, détacha ses bretelles, les rompit d’un coup sec et, s’agenouillant de nouveau, en fit un garrot qu’il noua serré à la naissance de la cuisse. »389. Le geste du garrot clôt l’action comme un trait symbolique, définitif, sur l’intervention d’Antoine. Ce passage, certes romanesque, illustre à la fois l’urgence vraie mais aussi la réaction de celui qui y fait face, mélange de réflexion et de gestes, en temps successifs scandés.

Mais qu’est-ce qu’une action ? L’action ne serait-elle seulement qu’un résultat visible ?

Mot dérivé du latin agere signifiant agir, l’action est par définition « l’opération ;

l’œuvre d’un agent quelconque manifesté par son effet. »390. L’intervention de cet agent engendre une rupture du temps constituant une forme de commencement391 entre un avant et un après, une sorte d’entre deux. La définition complémentaire est « l’exercice

du pouvoir, de la faculté d’agir »392. Ainsi l’action ne pourrait-elle être désignée et

388 R. Martin du Gard, Op. cit., Folio, 1984, p.332.

389 Ibid., p.333.

390 Le Robert, Op. cit.

391 B. Saint Sernin, Précis de l’action, Paris, Cerf, Collection Passages, 2012, p.9.

167 reconnue uniquement par un effet objectivable, issu de sa réalisation, telle une forme concrète, tangible authentifiant la capacité de l’agent à faire. «Une action est donc une

manière de transformer des circonstances en conséquences évaluables. »393. Cependant, réduire l’action à son seul résultat reviendrait à en éliminer tout un pan pourtant constitutif. En effet, l’action comporte plusieurs phases : l’intention, plus ou moins consciente394, la délibération, la volition et l’exécution395.

Sorte d’étincelle à l’action, l’intention « est activée avant même l’action, même si

elle lance l’action »396. Certains auteurs dont John Searle ont distingué l’intention préalable, consciente, précédant l’action et l’intention en action ayant cours au moment de la réalisation de l’action397. Indépendamment des variations théoriques, l’intention correspond aux motivations amenant à envisager une action. Cette intention peut subir certaines modifications selon les capacités de l’individu à pouvoir pratiquement, concrètement, réaliser l’action. « L’intention d’un homme est ce qu’il vise ou ce qu’il

choisit ; son motif est ce qui détermine son but ou son choix… »398. Dès lors, toute intention n’est pas inéluctablement suivie d’action, la réalité des capacités et/ou possibilités pouvant faire renoncer à donner suite à l’intention. Secondairement, intervient la délibération, dénommée sagacité selon Aristote399, c’est-à-dire « un état

vrai, accompagné de raison, qui porte à l’action quand sont en jeu les choses bonnes ou mauvaises pour l’homme. »400. La phase de délibération est donc déterminante car elle est le siège de la raison. Devant prendre en compte le maximum de paramètres de la situation, la délibération peut être plus ou moins longue, selon les circonstances et peut, là encore, faire récuser l’action. Selon Descartes, le virage de l’action serait la volonté du fait de ses caractéristiques : « Car elle[la volonté] consiste seulement en

ce que nous pouvons faire une chose ou ne la faire pas, c'est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir, ou plutôt en ce que pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l'entendement nous propose, nous ne sentons point qu'aucune force extérieure nous y contraigne. »401. La volonté pourrait être assimilée à l’intention et à la

393 P. Livet, Qu’est-ce qu’une action ?, Paris, Vrin, Chemins philosophiques, 2005, p.13.

394 Ibid., p.16.

395 Ibid., p.14.

396 Ibid., p.21.

397 Vanderveken D., Présentation, Association Revue internationale de philosophie, 2001/2 n°216, p165-172.

398 G.E.M. Anscombe, L’intention, Paris, nrf Gallimard, Bibliothèque de philosophie, 2014, p.54.

399 Aristote, Ethique à Nicomaque, Op. cit., livre VI, chapitre 4 [1140 a 28-b6].

400 Ibid., livre VI, chapitre 4 [1140 a 28-b6].

168 délibération mêlées. Toutefois, la volonté est le moment où l’individu va dire oui ou non (« affirmer ou nier ») à l’action, aux termes de l’intention puis de la délibération. L’intention aura pu le conduire à envisager une action, la délibération confirmer la nécessité de la réaliser, la volonté permettre, à ce moment précis, d’accepter ou d’en refuser l’exécution. Afin d’aboutir, la volonté se doit d’être solide car elle régule le mouvement d’ensemble de l’action. « Ce qui importe en l’homme, c’est le caractère de

la volonté de l’homme. Si elle est déréglée, ses mouvements seront déréglés ; si elle est droite, ils seront non seulement irréprochables mais encore dignes d’éloge.»402. L’enjeu est donc non négligeable à chacune de ces étapes.

Ainsi ces trois phases liminaires (intention, délibération, volonté) n’aboutissent pas forcément à l’action, chacune d’entre elles pouvant être limitante. Si au contraire, aucune des étapes n’a invalidé l’action envisagée, alors intervient l’exécution, projetant véritablement l’individu dans le cœur de la dite action. « Celui qui se lance dans une

action largue les amarres non seulement par sa décision, mais surtout par ce qu’introduit d’irréversible et de singulier le déclenchement de l’exécution. »403. Mener une action, c’est déclencher et enclencher à la fois un processus qui, par ses conséquences, peut possiblement et involontairement échapper à l’auteur sans forcément de retour en arrière possible. « Ainsi, il n’est absolument pas certain que la pureté des moyens aboutisse aux fins souhaitées, ni que leur impureté soit inévitablement néfaste. »404. C’est la différence entre l’intention initiale guidée par la bienveillance mais appartenant à la projection de l’action, et la réalité secondaire, patente constatant le résultat concret, réel pouvant être supérieur ou inférieur aux projections préalables. Présager d’un résultat néfaste alors que l’intention initiale est juste (au sens d’adéquate) serait hypothéquer l’action et aboutirait, in fine, au non-agir.

L’action est au hasard dans le sens où sa résultante s’avère plus ou moins hypothétique, placée sous le sceau du (des) risque(s), de l’insuccès, voire de l’échec. Le succès n’est pas inféodé à une action pourtant bien menée, le retour en arrière étant alors, surtout en médecine d’urgence, illusoire. Dans l’urgence, plus la situation est aiguë, plus l’action est impérative mais son résultat incertain en termes de réussite. Nonobstant, le passage à l’action permet de repousser l’appréhension concomitante :

402 Saint Augustin, La cité de Dieu, Livre XIV, chapitre VI, Paris, Points, Sagesses, 1994, p. 153.

403 B. Saint Sernin, Op. cit., p.10.

169 « […] L’action guérit cette sorte d’humeur, que nous appelons, selon les cas,

impatience, timidité ou peur. »405. A contrario, ne pas agir signifie implicitement une

éventuelle difficulté future à s’autoriser à agir, à réagir, telle une retenue qui, en situation d’urgence, pourrait s’avérer périlleuse. « L’action elle-même constitue le plus puissant

des appels à l’action et le stimulant le plus irrésistible. »406. Agir initie l’action actuelle, mais aussi celles à venir, dans une sorte de continuum venant constituer, au fur et à mesure, l’expérience. « En suite de quoi, me regardant de plus près, et considérant

quelles sont mes erreurs (lesquelles seules témoignent qu’il y a en moi de l’imperfection), je trouve qu’elles dépendent du concours de deux causes, à savoir, de la puissance de connaître qui est en moi, et de la puissance d’élire, ou bien de mon libre arbitre : c’est-à-dire, de mon entendement, et ensemble de ma volonté. »407. Le sujet régit ses actions à venir par l’analyse de celles passées.

Si l’action peut se dire au passé, elle ne se conjugue, ne se fabrique qu’une seule fois, au présent, hic et nunc. Les lectures de l’action, prospective et plus encore rétrospective, participeront à l’expérience, à l’acquisition de connaissances en vue de mieux maîtriser l’action à venir dans son anticipation, la capacité à l’appréhender. Analyser l’action et chercher les erreurs, ses erreurs, relève de l’apprentissage mais aussi de l’introspection, telle que précédemment énoncé par Descartes « connaître qui

est en moi ». Car l’action a une résultante double : un effet « direct » sur l’objet de l’action, mais aussi l’impact, plus ou moins perceptible, sur son auteur surtout en cas d’échec ; l’interrogation sur le bien-fondé étant alors incontournable. Analyser l’action permet aussi de comprendre l’auteur : « Il y a plusieurs façons de saisir le moi. D’abord

par l’action. »408. Si ce questionnement ultérieur n’appartient pas à proprement parler à l’action, il n’est du moins pas étranger aux actions subséquentes. « Le médecin, qui soigne un malade, ne guérit pas l'homme, si ce n'est d'une façon détournée ; […]. II s'ensuit que, si le médecin ne possédait que la notion rationnelle, sans posséder aussi l'expérience, et qu'il connût l'universel sans connaître également le particulier dans le général, il courrait bien des fois le risque de se méprendre dans sa médication, puisque, pour lui, c'est le particulier, l'individuel, qu'avant tout il s'agit de guérir. Néanmoins savoir les choses et les comprendre est à nos yeux le privilège de l'art bien plus encore

405 Alain, Les aventures du cœur, Paris, Paul Hartmann, 1957, p.57.

406 S. Weil, Ecrits de Londres, Paris, Gallimard, 1957, p.114.

407 R. Descartes, Médiations métaphysiques, IV, Paris, Flammarion, Le monde de la philosophie, 2008, p.197.

170 que celui de l'expérience ; et nous supposons que ceux qui se conduisent par les règles de l'art sont plus éclairés et plus sages que ceux qui ne suivent que l'expérience seule, parce que toujours la sagesse nous semble bien davantage devoir être la conséquence naturelle du savoir. »409. Graduellement, l’expérience accumulée peut conférer aux actes médicaux un fin discernement leur consacrant l’appellation d’art, c’est-à-dire d’une maîtrise absolue, laquelle ne pourrait cependant se passer de solides connaissances. L’expérience résume et contient plusieurs savoirs : le savoir théorique, le savoir-faire, le savoir penser et, in fine, le savoir être.

Au cours des différentes phases de l’action, prédomine le mouvement. Mouvement invisible ou du moins intérieur, cognitif lors de l’intention, la délibération puis la volition, ou visible quand intervient l’exécution. Ces mouvements, plus ou moins discernables, tous inscrits dans un même ensemble, ont une finalité unique en vue d’aboutir à la réussite de l’action. La notion de mouvement est d’ailleurs contenue dans la définition du mot acte : « mouvement adapté à une certaine fin, chez l’être vivant. »410. Mouvement visible lorsque l’action a lieu ne pouvant cependant à lui seul résumer cette dernière.

La distinction entre action et acte est désormais capitale. L’action est aiguë, ponctuelle car « opération », l’acte est plus lent car « adapté », s’inscrivant dans la durée. Ainsi l’action est-elle une partie de l’acte, et non l’inverse. La prise en charge aux Urgences est un acte, le geste spécifique, une action.

3.1.3.3 Liens entre urgence et technique

« Si je me demande à quoi juger que telle question est plus pressante que telle autre,

je réponds que c’est aux actions qu’elle engage. »

Albert CAMUS, Le mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, Folio, 2008, p. 17.

« […] c’est par l’action que l’homme sort de l’univers répétitif du quotidien

où tout le monde ressemble à tout le monde, c’est par l’action

409 Aristote, Métaphysique, A, 981 a 9-11, trad. Barthélémy Saint Hilaire, Paris, Librairie Germer-Baillère, 1879.

171

qu’il se distingue des autres et qu’il devient individu.».

Milan KUNDERA, L’art du roman, Paris, Gallimard, Folio, 2002, p.36.

Passer à l’action, agir, est donc le moment où l’on fait concrètement quelque chose

et où l’on est, précisément, occupé à exercer son métier411. L’une des caractéristiques du métier d’urgentiste est d’avoir à (ré)agir vite et d’escompter un effet, un résultat qui, parfois, pourra ne pas être tel qu’attendu. Cet état de fait n’est certes pas l’apanage de la médecine d’urgence mais l’action en médecine d’urgence est palpable, car aiguë et d’autant plus visible que cette action se joue dans un espace frontière, limitrophe entre ville et hôpital.

Un homme d’une quarantaine d’années s’approche doucement du guichet. Pâle, il désigne sa poitrine à l’agent

- Que vous arrive-t-il monsieur ?

- Je ne me sens pas bien depuis hier soir.

- Je vais vous allonger et vous faire entrer dans le service.

L’agent s’apprête à aller chercher un brancard quand le monsieur s’écroule, inanimé. Les « choses » s’enchaînent à vive allure, non sans bruit, car il faut appeler

Dans le document De l'urgence ou le mouvement de la rencontre (Page 175-192)