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Le remplacement des moyens de production détruits et les conséquences de la nouvelle organisation du travail expérimentée dans l’économie de guerre, sont des opportunités à saisir pour les fonderies qui se nourrissent des investissements en équipements industriels. L’analyse des indices généraux de l’activité nous permet de définir les possibilités de croissance des fonderies.

Pour accompagner cette éventuelle demande, les fonderies doivent aussi se reconstruire. Dans les premières années du XXe siècle, la mécanisation et une meilleure

maîtrise technologique de la métallurgie, sont confrontées au savoir empirique des mouleurs et des fondeurs. Nous présenterons les principaux perfectionnements susceptibles d’équiper les fonderies en reconstruction et d’améliorer leur productivité.

A. Sauvy s’interroge sur les conséquences du conflit sur la France de 1918 : « réveil et rebondissement ou nouvel affaissement ? »298. Malgré un constat négatif sur l’atrophie de

l’esprit de création avant guerre, il relève des contreparties positives à la situation d’armistice dont les renouvellements et modernisations, le recouvrement de l’Alsace-Lorraine, la potentialité de l’empire colonial et le progrès technique qui, entre autres, favorisent l’expansion des années 1920299.

La croissance économique de l’après-guerre doit être mise en perspective dans un cycle plus long : celui de la Belle Époque de l’industrie qui court de 1896 à 1930300. Cette

période prolonge, en l’accentuant, l’industrialisme esquissé dans les années qui ont précédé la guerre de 1914. La croissance fut synonyme de diversification de la production et d’intensification de l’effort d’investissement301. L’origine du dynamisme de la transformation des métaux et de la multiplication des fonderies, est à rechercher dans la restructuration industrielle, réponse à la Grande dépression.

La recherche d’une meilleure productivité implique dans un premier temps, la diffusion des équipements (point de passage vers la mécanisation et la motorisation

298 A. SAUVY, Histoire économique de la France entre les deux guerres, tome I, op. cit., p. 37. 299 Ibid., p. 32.

300 D. WORONOFF, op. cit., p. 454.

généralisée)302, puis, après-guerre, la consolidation d’un nouveau schéma de consommation

né avec le siècle et fondé sur l’utilisation des biens industriels durables. D. Woronoff constate pour la période un haut niveau d’investissement industriel : 14,9 % entre 1896 et 1913, 16,1 % entre 1922 et 1938 dont 20 % en 1929-1930303. F. Caron confirme l’effort d’investissement sans précédent, centré sur l’outillage industriel, dont l’indice, d’une base 100 en 1913, atteint 184 en 1929304. La prospérité française des années 1920 se construit donc sur

l’élément essentiel de la demande : les biens d’investissement305.

L’intensification capitalistique qui en résulte et les approches d’organisation rationnelle du travail expérimentées dans l’économie de guerre modifient la structure des facteurs de production et alimentent les fonderies, car chaque mécanisation nécessite des éléments en fonte moulée. Il en est de même pour l’introduction d’une organisation fordiste de la production, établie sur le principe d’une fabrication intensive dont les différentes opérations sont réglées à la même cadence, à la même vitesse, pour éviter les stockages intermédiaires tant pour les usines de montage que pour les forges et fonderies intégrées, comme le décrit André Citroën 306. Cependant, cette vision d’une fonderie moderne est-elle

reprise par l’ensemble de ce secteur industriel, fondé sur le savoir-faire jaloux des mouleurs et des fondeurs et qui en dépit de son importance, représente une des industries où les progrès ont évolué avec le plus de lenteur307 ? Dans l’introduction au numéro consacré à la fonderie,

la rédaction du Mois industriel et scientifique souligne ainsi la récurrence du problème spécifique à la fusion du métal et à son moulage : la protection d’un savoir-faire ancien, qui contrairement aux autres secteurs industriels est encore soumis aux règles obscures de l’empirisme, ce qui ralentit tout progrès technique308.

Une démarche de progrès, selon les journalistes scientifiques, serait de sortir le savoir- faire du fondeur de sa gangue désuète et de le confier à l’œil neuf de l’industriel moderne. Cette apparente contradiction trouve sans doute une réponse dans le Traité pratique de Fonderie A. Lelong et E. Mairy, publié en 1912. Cet ouvrage devient la référence pour l’enseignement et la pratique de la fonderie et remplace le Guettier, manuel indispensable

302 D. WORONOFF, op. cit., p. 356. 303 Ibid., p. 410.

304 F. CARON, op. cit., p. 191.

305 F. CARON, J. BOUVIER, « L’industrialisation des années 1920 », in BRAUDEL F., LABROUSSE E. (dir.),

Histoire économique et sociale de la France, tome IV, op. cit., p. 646-654.

306 F. CARON, « Changement technique et culture technique », in LEVY-LEBOYER M. (dir.), Histoire de la

France industrielle, op. cit., p. 232-253.

307 « La fonderie moderne », Le Mois Scientifique et Industriel, monographie n° 10, 1905, p. 2. 308 Ibid., p. 2.

depuis 1844. La comparaison des deux traités éclaire l’évolution technique du secteur et mesure son impact dans la pratique des établissements industriels. L’écart principal entre les deux manuels réside en l’apparition de la photomicrographie et par conséquent du développement de la chimie métallurgique. Cependant, hormis pour les fonderies intégrées du secteur automobile, sa diffusion ne s’effectuera pas avant les années 1920.

Les fonderies ont néanmoins accès à ce progrès d’une façon collective auprès des laboratoires locaux de l’Association technique de fonderie. La diversité et le perfectionnement des machines à mouler sont des exemples plus concrets de la mécanisation du procédé de moulage et de l’ouverture sur une production de masse. L’introduction des machines s’est opérée avec lenteur dans la dernière décennie du XIX . Le préalable étant la précision de la construction des plaques-modèles, le mouleur est désormais privé de la pratique de son savoir-faire (la mise en chantier des modèles et la recherche et l’exécution des joints de séparation des différentes parties du moule).

Document 15: Plaques-modèles métalliques doubles entièrement usinées

Sources : Traité pratique de fonderie, A. LELONG et E. MAIRY, op. cit., p. 448, figure 259.

La machine et les plaques modèles réglées, les pièces obtenues sont rigoureusement identiques au modèle, contrairement au moulage à la main. L’avantage de l’emploi des machines à mouler, mis à part l’aspect et la précision dimensionnelle, est selon Lelong et Mairy, bien établi : le prix de revient est conséquemment réduit de la différence existant entre le haut salaire du mouleur à la main et celui du simple manœuvre attaché à la machine à mouler. La production intensive obtenue par l’emploi des machines donne lieu à une diminution des frais généraux309. Mais, sans doute le plus dangereux pour les mouleurs est

l’apparition de machines universelles sur lesquelles plusieurs changements journaliers de modèles sont possibles : la machine à mouler n’est plus uniquement réservée aux grandes séries et aux grands établissements.

Une revue « industrialiste » comme Le Monde industriel abonde dans ce sens : la régularité toute mécanique de la machine doit donner des résultats nettement supérieurs à l’irrégularité fatale et inconsciente du mouleur310, tout en regrettant que si, en usinage, le tour est considéré par tous comme indispensable, la machine à mouler est, elle, encore controversée. D’ailleurs, à contrecœur, le rédacteur de La Fonderie moderne constate que les progrès signalés ne sont pas encore entrés en application dans la plupart des usines de moyenne ou de faible importance311.

Les fonderies ardennaises qui représentent plus du quart de la capacité nationale avant 1914 peuvent être représentatives de la mécanisation du secteur avant guerre312. Selon

l’inventaire des experts allemands lors de la période d’occupation, peu d'entre elles étaient mécanisées. Dunaime, en 1907, relève des machines à mouler chez Hardy-Capitaine, la plus grosse fonderie de fonte malléable en France et chez Gustin où les ouvriers sur ces machines ne sont pas considérés comme mouleurs mais manœuvres313. René Colinet cite pour sa part la

société Deville qui, dès l’Exposition universelle de 1900, se faisait remarquer en présentant des machines à mouler à compression par membranes électriques314, et l’installation de

carrousels de moulage avec transport automatique du sable chez Porcher (1911), Aubrives (1912) et à La Macérienne (1912)315. Mais quelque soit son intensité en 1913, il ne restait plus

aucune machine dans les fonderies du département, cinq ans plus tard.

Avec l’apprentissage de la rationalité industrielle du temps de guerre, l’application de nouvelles méthodes d’organisation, et la connaissance des progrès techniques, comment s’est opérée la reconstruction des fonderies ?

Les huit années de guerre et de reconstruction ne peuvent s’extraire d’un temps économique plus long, compris entre les dépressions des années 1880 et 1930. La lecture des indices de la production industrielle nous indique une courbe ascendante pour presque tous les secteurs qui, dans leur ensemble, sont utilisateurs de pièces moulées. La comparaison entre les deux décennies (1894-1914) durant laquelle l’indice général passe de 50 à 100, et les cinq ans

310 La fonderie moderne, op. cit., p. 15. 311 A. LELONG et E. MAIRY, op. cit., p. 2.

312 R. COLINET, « Contributions statistiques et cartographiques à l’histoire industrielle ardennaise », op. cit.,

p. 137.

313 P. DUNAIME, op. cit., p. 95.

314 R. COLINET, Métallurgie Ardennaise, Epernay, Chassigny, ORCCA/Castor & Polux, 2001, p. 106. 315 Ibid., p. 107.

(1919-1924), période durant laquelle il évolue de façon identique316, nous laisse entrevoir,

compte tenu de la rapidité du recouvrement, l’intensité de la demande aux fonderies en place. Le volume mais aussi la structure de la demande sont modifiés par les secteurs clients qui utilisent l’organisation industrielle de la production. Les innovations dans la métallographie, les perfectionnements des machines à mouler, à noyauter, à sabler modifient l’offre des fonderies qui, en pratique pour les fonderies intégrées de l’automobile, en théorie pour les autres, peuvent répondre aux exigences de la production en série. La littérature technique émet cependant des réserves sur des procédés insuffisamment maîtrisés, souligne la résistance au changement des mouleurs et le trop grand nombre de petites fonderies qui freine la rationalisation de la production.

3) Évolution et situation du secteur,