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3) Histoires de vie

3.4/ Les contraintes financières

La faiblesse de la trésorerie a donc profondément marqué É. Grosdidier, puisque 50 ans plus tard, il en fait encore mention547. Il est probable que le manque de disponibilité est

propre aux jeunes entreprises, mais tant la forte activité de 1929 à 1930, que le ralentissement de 1931 à 1932, affectent l’équilibre financier de la fonderie. Sans indication, ni sur les ventes, ni sur le suivi d’encaissement, il est très aléatoire de reconstituer le compte d’exploitation de la fonderie sur la seule estimation du tonnage produit. Cependant, les retraits et les dépenses en espèces inscrits dans le journal de caisse permettent d’analyser trois postes de coûts : les frais généraux, les matières premières et les salaires. Le mois de référence utilisé est octobre 1929 car il se situe dans la phase ascendante de l’activité.

En octobre 1929, les charges totales s’élèvent à 17 124,85 francs. Le premier poste inclut les frais généraux (2 320,25 francs) et représente 13,54 % de l’ensemble répartis en frais de communication548, d’expédition, de réception, de produits consommables,

d’opérations diverses, de pourboires et gratifications549. Le second se compose de l’approvisionnement des matières premières550 (1 986,85 francs) soit 11,60 % et le troisième

des salaires (12 817,75 francs), qui avec 74,86 % du total, constitue l’essentiel des dépenses. Compte tenu de la taille et de l’apparence précaire de l’entreprise, les fournisseurs exigent le règlement des factures à la livraison, alors que les salaires sont payés chaque quinzaine. Cette situation crée des tensions de trésorerie et en 1928, l’entreprise emprunte 22 500 francs sous forme d’avances en provenance d’E. Grosdididier (2 000 francs) et J.-B. Jaquet (1 000 francs) d’obligations au profit d’A. Pierrard (11 000 francs) et de prêt accordé par Maître Gancel (8 500 francs).

D’août 1929 à avril 1932, aucune trace d’avance ou de prêt ne figure sur le journal de caisse, l’équilibre est peut-être enfin trouvé dans la structure des coûts. En effet, la fonderie artisanale est une industrie de main-d’œuvre qui représente 75 % des dépenses, d’où la nécessité de contenir les salaires et de bien adapter les effectifs à l’activité.

Sur l’ensemble de la période 1927-1933, la courbe de salaires évolue parallélement à celle du nombre d’ouvriers (à quelques exceptions près). Les salaires des gérants

547 É. GROSDIDIER, autobiographie, op. cit.

548 Timbres et télégrammes, le téléphone ne sera installé qu’en février 1931.

549 La fréquence du pourboire s’observe tout au long de la période étudiée et semble correspondre à un usage

plus relationnel que commercial. Les bénéficiaires principaux sont les employés des postes et des chemins de fer et les ouvriers pour des tâches spéciales.

n’apparaissent pas sur les livres de paye, sauf lors de la période du 12 au 25 avril 1927 expliquant le pic de cette quinzaine (1 791 francs de salaires ouvriers et 1 000 francs attribués aux gérants). À l’inverse, du 31 juillet au 13 août 1930, les mouleurs comptabilisés chôment de trois à cinq jours et pour le même nombre d’ouvriers, les payes sont réduites d’un quart. Les mois de juillet (sept jours chômés) et d’août (cinq jours) 1932 semblent au plus profond de la dépression. On remarque que depuis mai 1931, il y a un net décrochement entre le nombre d’ouvriers et les salaires versés. La masse salariale baisse car l’horaire de travail se rétrécit et à compter de janvier 1932, la tendance est amplifiée par la baisse du taux horaire de 10 %. Deux ans plus tard, il y a peu d'évolution, seuls les salaires les plus faibles ont été légèrement augmentés.

Sur toute la période étudiée, le salaire de référence qu'est celui du mouleur n'a pas évolué, en 1933 : il est identique à celui de 1928 (en gommant quelques exceptions dues au travail aux pièces)551.

Figure 27 : Salaire de référence du mouleur en francs par heure

1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933

3,75 4,50 4,75 4,75 5 4,85 4,50

Sources : Livre de paie 1927-1933, archives privées La Fonte Ardennaise.

Cette fixation du salaire des mouleurs a figé les autres salaires et seuls les plus faibles subissent une évolution favorable (particulièrement celui des femmes : 1,50 F/H en 1927 et 2,15 F/H en 1933). Dans notre précédente analyse, nous avons utilisé comme instrument de mesure de l'activité de la fonderie, la somme des salaires payés par quinzaine. Cette dernière au 31 décembre 1933 (4 111 francs pour 16 employés) est inférieure à celle du 6 décembre 1928 (4 223,15 francs pour 14 employés).

Quant aux deux gérants, ils perçoivent mensuellement, entre janvier 1931 et avril 1932, le salaire d’un mouleur552, ce qui, comparé aux premières années de l’association,

révèle, malgré la crise, une relative aisance. Si le contrôle des salaires est prépondérant, la compétence des mouleurs est tout aussi primordiale pour le succès de la fonderie. Pour contourner ces obstacles, le remède évoqué est la mécanisation du moulage qui permet de décupler les productions en confiant le soin du moulage à des bras quelconques, puisque une machine bien appropriée s’occupe de presque tout553. Mais, il faut des commandes de série et

551 Livres de paie 1927-1933, Cossardeaux et Grosdidier.

552 710 francs pour É. Cossardeaux et 790 francs pour É. Grosdidier. 553 A. LELONG et E. MAIRY, vol. 1, op. cit., p. 416.

telle est bien la limite dans la nébuleuse d’un secteur client tout aussi dispersé et éclaté que le secteur fournisseur, et dans le ralentissement de l’activité qui fractionne les séries.

Le financement de l’activité courante est un problème inhérent à toute petite entreprise. La solution pour les gérants de Cossardeaux-Grosdidier repose sur leur capacité à contrôler la masse salariale tout en gardant dans l’entreprise les meilleurs mouleurs. Dans une période de crise et de chômage, offrir du travail s’avère déterminant, et prendre des commandes indispensable à la survie de l’entreprise.

3.5/ Le secteur face aux menaces : l’entente sur