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1) Les ruptures

1.1/ La séparation

Lors de l’assemblée générale du SIMA du 16 mai 1935, les commentaires sur l’année 1934 indiquent des conditions économiques toujours difficiles, avec l’apparition d’une nouvelle dépression malgré la légère amélioration constatée au cours de 1933567. D’autre part, une note anonyme de la CCI de Charleville sur la situation des fonderies ardennaises en 1934 confirme des perspectives d’avenir fort incertaines : par rapport à 1930, la diminution de production début 1934 varie selon les établissements de 40 à 80 % ; la concurrence est extrêmement âpre ; les constructeurs imposent leurs prix entraînant une véritable anarchie sur le marché. La plupart des fonderies travaillent à perte568.

567 Procès-verbaux des assemblées générales du SIMA, 16 mai 1935, op. cit., p. 471. 568 CCI de Charleville, rapport sur la situation des fonderies ardennaises, ADA 12M263.

En l’absence d’archives d’entreprise pour la période de 1934 à 1937, il est difficile d’évaluer l’activité de la fonderie. Le nombre élevé de nouveaux clients en 1931 et au premier trimestre 1932 ne présume en rien de l’enregistrement des commandes en 1934, et si selon le personnel présent dans l’atelier, la charge de travail semble stable en 1933, aucune indication n’est fournie sur la trésorerie et sur la rentabilité de l’entreprise. Les événements qui surviennent dans la semaine du 23 au 30 juin 1934 laissent supposer des difficultés si graves au sein de la société qu’elles altérent les rapports entre les deux beaux-frères et incitent Émile Cossardeaux à se retirer.

Le 23 juin 1934, É. Cossardeaux cède 29 de ses 30 parts à É. Grosdidier pour une somme de 14 500 francs, soit la moitié de leur valeur nominale de 1927569. Les statuts de la

SARL se modifient : É. Grosdidier devient seul gérant et la raison sociale privilégie une dénomination anonyme au détriment de son patronyme familial. La société devient La Fonte Ardennaise de Vivier au Court. Si le nom Cossardeaux disparaît logiquement avec le retrait du fondateur de la société, Émile Grosdidier ne fournit aucune explication sur ce choix et aucun éclaircissement n’est apporté par les souvenirs familiaux. Gérard Grosdidier suppose que son père a voulu affirmer sa fibre ardennaise. Vraisemblablement, ce choix n’est pas le fruit du hasard et semble suivre une démarche mercatique. Il est en effet habile de passer outre la tradition des fondeurs-ferronniers vrignois et vivarois consistant à inscrire son patronyme dans la raison sociale de l’entreprise. Il s’agit d’un dépassement judicieux d’une vaine forme d’égocentrisme en faveur de l’acquisition d’un label comme raison sociale. Lors de l’exposition internationale de fonderie de 1932, le président du SFMA ne vante-t-il pas ces fontes ardennaises qui rendent service à l’industrie française570 ? L’amalgame et la confusion

sont proches ; la fonderie ardennaise est incontournable par sa capacité et sa diversité, la fonderie Grosdidier serait peu évocateur, alors que La Fonte Ardennaise a déjà une image de notoriété.

Outre l’aspect commercial, la nouvelle raison sociale permet sans difficulté d’intégrer de nouveaux associés dans un concept identitaire commun qui éloigne les éventuelles susceptibilités de préséance. Les nouveaux statuts autorisent exceptionnellement É. Grosdidier à céder sans le concours d’É. Cossardeaux, 40 parts sociales. Cette condition est nécessaire à la survie de l’entreprise car elle ouvre la voie à un éventuel nouveau partenaire en évitant la dissolution de la société (hypothèse retenue dans un premier temps par

569 Acte du 30 juin 1934, Maître Gancel à Donchery, archives privées Maître Raimbaux. 570 Plaquette de présentation de la fonderie ardennaise pour l’exposition de 1932, op. cit.

É. Cossardeaux). En effet, dans un courrier du 26 juin 1934571, É. Grosdidier met en garde son

beau-frère contre les conséquences d’une telle issue : le remboursement des comptes particuliers (100 000 francs), les frais de liquidation par voie judiciaire (18 000 francs) et surtout l’obligation pour Émile Cossardeaux de rembourser au liquidateur son compte débiteur inscrit dans les livres de la société (27-28 000 francs). Inquiet par les conséquences financières annoncées, Émile Cossardeaux renonce à la dissolution et cède à É. Grosdidier le terrain, un baraquement construit en brique et couvert de tuiles et de tôles, un cubilot, un ventilateur, un broyeur, une perceuse, des châssis, une machine à mouler et un moteur électrique de six chevaux, soit l’ensemble du matériel installé en 1925572.

En transférant l’outil de travail et le bâtiment de la fonderie, presque neuf années après en avoir élevé les premiers murs, É. Cossardeaux abandonne huit ans d’illusions de patron fondeur. Le bâtiment et le gros matériel de production, estimés à 21 000 francs sont cédés pour la somme de 7 000 francs, alors que la cession des parts s’est effectuée à la moitié de sa valeur nominale. É. Cossardeaux quitte en juin 1934 la société qu’il a fondée huit ans plus tôt avec 21 500 francs, soit 70 % de son apport de 1927. Si Émile Cossardeaux renonce car « ce n’était pas le genre à tout écraser pour y arriver »573, Émile Grosdidier persévère. Sans source

écrite, la compréhension de cette différence d’attitude entre les deux associés ne repose que sur les souvenirs familiaux sélectionnés. Nous retiendrons cependant le témoignage de Gilbert Viot : « à la boutique, Émile, c’était un tenace »574, évidence de la volonté forcenée de réussir,

et celui de Marcel Rousseau qui souligne que cette volonté allait jusqu’au combat physique575.

É. Grosdidier, fier de son passé sportif, pratique la gymnastique et possède une tonicité physique utile pour supporter les épreuves576. C’est dans ce milieu qu’il rencontre son nouvel

associé, Jean Goulard : « M. Grosdidier, camarade de sport de Jean Goulard, gérait avec M. Cossardeaux et plutôt avec des difficultés financières une petite fonderie. Connaissant la réputation de mes père et grand-père et comprenant tout l’intérêt de les intégrer, il présenta à papa combien serait bénéfique une association de leurs mutuelles capacités »577.

571 Lettre d’É. Grosdidier à É. Cossardeaux du 23 juin 1934, archives privées Michel Cossardeaux. 572 Acte du 30 juin 1934, Maître Gancel à Donchery, archives privées Maître Raimbaux.

573 Entretien de l’auteur avec Michel Cossardeaux (2011). 574 Entretien de l’auteur avec Gilbert Viot (1997). 575 Entretien de l’auteur avec Marcel Rousseau (1996). 576 Autobiographie É. Grosdidier, op. cit.