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" La Fonte ardennaise " et ses marchés : Histoire d'une PME familiale dans un secteur en déclin (1926-1999)

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HAL Id: tel-00940589

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Submitted on 2 Feb 2014

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” La Fonte ardennaise ” et ses marchés : Histoire d’une

PME familiale dans un secteur en déclin (1926-1999)

Bruno Prati

To cite this version:

Bruno Prati. ” La Fonte ardennaise ” et ses marchés : Histoire d’une PME familiale dans un secteur en déclin (1926-1999). Histoire. Université de Franche-Comté, 2013. Français. �NNT : 2013BESA1003�. �tel-00940589�

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UNIVERSITÉ DE FRANCHE-COMTÉ

ÉCOLE DOCTORALE « LANGAGES, ESPACES, TEMPS, SOCIÉTÉS »

Thèse en vue de l’obtention du titre de docteur en HISTOIRE

LA FONTE ARDENNAISE ET SES MARCHÉS

HISTOIRE D’UNE PME FAMILIALE DANS UN SECTEUR EN DÉCLIN

(1926-1999)

Présentée et soutenue publiquement par

Bruno PRATI

le 1er février 2013

sous la direction de M. le Professeur Jean-Claude DAUMAS

Membres du jury :

Xavier DAUMALIN, Professeur à l’université de Provence, Rapporteur Jean-Claude DAUMAS, Professeur à l’université de Franche-Comté

Pierre LAMARD, Professeur à l’université de technologie de Belfort-Montbéliard Philippe MIOCHE, Professeur à l’université de Provence

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UNIVERSITÉ DE FRANCHE-COMTÉ

ÉCOLE DOCTORALE « LANGAGES, ESPACES, TEMPS, SOCIÉTÉS »

Thèse en vue de l’obtention du titre de docteur en HISTOIRE

LA FONTE ARDENNAISE ET SES MARCHÉS

HISTOIRE D’UNE PME FAMILIALE DANS UN SECTEUR EN DÉCLIN

(1926-1999)

Présentée et soutenue publiquement par

Bruno PRATI

le 1er février 2013

sous la direction de M. le Professeur Jean-Claude DAUMAS

Membres du jury :

Xavier DAUMALIN, Professeur à l’université de Provence, Rapporteur Jean-Claude DAUMAS, Professeur à l’université de Franche-Comté

Pierre LAMARD, Professeur à l’université de technologie de Belfort-Montbéliard Philippe MIOCHE, Professeur à l’université de Provence

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REMERCIEMENTS

En ouverture de cette thèse, je souhaite remercier tous ceux qui m’ont soutenu, ont éclairé mon travail et facilité mes recherches.

Ma reconnaissance va d’abord à M. le professeur Jean-Claude Daumas pour sa direction vigilante, ses conseils, ses encouragements, et plus encore, pour son engagement, qui au cours de cette longue période, a de beaucoup dépassé ce qu’on attend habituellement d’un directeur de thèse.

Ma gratitude est également très grande pour M. Gérard Grosdidier dont la confiance et le soutien constant ont permis l’accès aux archives de La Fonte Ardennaise. Les nombreux entretiens qu’il a bien voulu m’accorder, sans jamais se lasser, ont été précieux et indispensables pour la compréhension des processus décisionnels de l’entreprise.

Je tiens aussi à remercier tous les membres de la famille Grosdidier qui ont accepté de répondre à mes questions ainsi que Michel Cossardeaux et Jean-Pol Creton pour les documents familiaux qu’ils ont bien voulu me confier.

Je dois aussi beaucoup à Bernard Dervin qui m’a aidé à comprendre 60 ans d’évolution technique à La Fonte Ardennaise, à Jean Hody pour sa mémoire des chiffres et à Arnaud Bernier dont les travaux ont éclairé la vie financière de l’entreprise.

Mes remerciements s’adressent également à tous ceux qui par les entretiens qu’ils m’ont accordés ou en me facilitant l’accès à des sources d’archives ont ouvert des pistes pour ma recherche, et plus particulièrement à Mlle Frédérique Laverrière et au personnel des Archives départementales des Ardennes, à Robert Jonet et Philippe Collignon, présidents du Syndicat des fondeurs des Ardennes, à Jean-Pol Delory de la Maison de la fonderie à Vrigne aux Bois, à Michel Lang de Camion Frères, à Gérard Bidot, historien de Vivier au Court et à Jean-François Mozet pour sa connaissance des fonderies locales.

Je n’aurais garde d’oublier Marie Vermonet et Véronique Guyot pour leur disponibilité et leur compétence ; sans elles cette thèse n’aurait pas été possible. Merci également à Marie Gillet qui a eu la gentillesse de m’aider à polir le texte final.

Enfin, je dédie ce livre à Constance, Armand, Arsène, Colette, Zola et Edgar dont la présence joyeuse suffit à effacer les doutes, à mes enfants toujours attentifs, et à mon épouse pour sa compréhension devant les absences qu’un si long travail m’a imposées.

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RÉSUMÉ

L’histoire de La Fonte Ardennaise est celle de la transformation d’une petite fonderie artisanale fondée dans les années 1920 en une entreprise de taille intermédiaire et d’envergure européenne au début du XXIe siècle. Sa création par un ouvrier mouleur est expliquée par

l’étude d’un secteur industriel mal connu, celui de la fonderie de seconde fusion, et de la spécificité de sa localisation dans le département des Ardennes.

La monographie de La Fonte Ardennaise est aussi celle d’une famille qui met en perspective la trajectoire de deux générations d’entrepreneurs et aide à expliquer les singularités de la croissance, du financement et du contrôle d’une PME familiale. Afin de mieux comprendre ce qui peut être considéré comme une success story, l’effort d’adaptation de l’entreprise à son environnement est mis en relation avec les mouvements du marché et le comportement de la branche.

Étrangers aux schémas mentaux des fondeurs établis, Émile, puis Gérard Grosdidier développent une approche commerciale originale qui différencie l’entreprise de la concurrence et permet une logique de croissance externe et interne, ce qui, en creux, propose des hypothèses explicatives à l’échec du modèle industriel local. Mais la cristallisation de l’organisation sur un leader charismatique rend difficile tant l’intégration de nouveaux dirigeants que la transmission du pouvoir à la troisième génération familiale.

Mots clés

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ABSTRACT

LA FONTE ARDENNAISE AND ITS MARKETS

A HISTORY OF A FAMILY-RUN SME WITHIN A DECLINING SECTOR

(1926-1999)

The history of La Fonte Ardennaise is about a small, traditional foundry founded in the 1920s that grew into a mid-sized business of European scope in the early 21st century. The company was created by a casting worker, and this can be explained by studying a little-known industrial sector, namely that of second smelting, and by the specific features of its location within the département of Ardennes.

A monograph about La Fonte Ardennaise also tells the story of a family, highlighting the path taken by two generations of entrepreneurs, and helps to understand the idiosyncrasies pertaining to the growth, funding and management of a family-run SME. In order to better appreciate what could be viewed as a success story, the efforts made by the company to adapt to its environment are juxtaposed with what was happening in the market and with the way in which the branch progressed.

Unconcerned with the mental schemes favoured by established foundries, Émile Grosdidier, and Gerard Grosdidier after him, succeeded in developing an original commercial approach that differentiated the company from the competition, fostering external and internal growth, thereby raising implied assumptions that explain the failure of the local industrial model. Yet having an organisation that is entirely focused on a charismatic leader makes it difficult to bring in new management, as well as transferring power to the family’s third generation.

Key words

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TABLE DES MATIÈRES

1) Naissance de la seconde fusion et vision d’un marché nouveau ... 33

1.1/ L’emploi industriel du coke ... 33

1.2/ Naissance du cubilot ... 34

1.3/ Le frémissement de la demande ... 37

2) Le retard continental...40

1) L’évolution technique ... 48

2) Diffusion et géographie des cubilots ... 54

3) Hommes et entreprises ... 58

1) De la métallurgie classique à la différenciation ... 69

2) Les hommes de la diffusion : une filière d’ascension sociale ... 72

3) Les ferronniers de Vrigne-Vivier ... 79

3.1/ Origine d’une spécialité ... 80

3.2/ Le développement industriel des deux communes et la formation du patronat ... 82

3-2-1/ L’influence de Jean-Nicolas Gendarme ... 82

3-2-2/ Les héritiers ... 82

3-2-3/ Le temps des experts ... 84

1) Le Syndicat des industriels métallurgistes ardennais et l’armistice ... 99

2) Une situation favorable au secteur de la fonderie ... 104

3) Évolution et situation du secteur, 1920-1930 ... 108

3.1/ Reconstruction ... 108

3.2/ Panorama des fonderies ardennaises ... 111

3-1-1/ Les quincailliers-ferronniers ... 112

3-1-2/ Les producteurs d’appareils de chauffage et sanitaires ... 116

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3-1-4/ La fonte de fer de seconde fusion ou la fonderie sur modèles ... 123 3-1-4-a/ Le quadrilatère ... 124 3-1-4-b/ Le Canton de Sedan ... 127 1) Un contexte favorable ... 133 2) L’ambition... 136 3) L’acquisition du métier ... 138 4) La fondation et le financement ... 141 4.1/ La fondation... 141 4.2/ Le financement du démarrage ... 143 5) L’activité ... 145 5.1/ Les clients ... 145

5.2/ Les résultats financiers ... 148

1) Un nouvel associé : Émile Grosdidier ... 152

1.1/ Généalogie professionnelle ... 152

1.2/ Le financement ... 154

1.3/ L’acte fondateur ... 156

2) Une prospection intensive ... 157

2.1/ L’esprit commercial ... 157

2.2/ La clientèle ... 160

3) Histoires de vie ... 162

3.1/ Espace et organisation du travail. ... 163

3.2/ Le personnel ... 166

3.3/ Les mouvements du secteur : de l’apogée à la crise ... 171

3.4/ Les contraintes financières ... 173

3.5/ Le secteur face aux menaces : l’entente sur les prix ... 175

1) Les ruptures ... 180

1.1/ La séparation ... 180

1.2/ Un nouveau partenaire ... 183

1.3/ Une brève cogérance ... 184

2) Un gérant majoritaire ... 186

2.1/ La cession des parts ... 187

2.2/ Les années d’avant-guerre ... 190

2-2-1/ Le Front populaire ... 190

2-2-2/ La stabilisation : 1er janvier 1937-10 mai 1940 ... 194

2-2-3/ Les fonderies ardennaises : un secteur figé ... 198

3) La guerre ... 203

3.1/ La situation du secteur ... 204

3.2/ Les années de guerre de La Fonte Ardennaise ... 211

1) L’effervescence entrepreneuriale 1946-1953... 233

1.1/ La création d’un client : Electrofonte ... 234

1.2/ Augmentation de capacité : développement commercial et facteurs de production 237 1-2-1/ L’évolution commerciale ... 237

1-2-2/ Les facteurs de production ... 244

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1-2-2-b/ Investissements et conditions de travail ... 248

1.3/ Bilan de l’après-guerre ... 253

1-3-1/ La productivité ... 253

1-3-2/ Les résultats financiers : une amélioration des prix de vente ... 255

1-3-3/ La recapitalisation du secteur ... 258

1.4/ Mission en Angleterre et conflit social : le changement d’état ... 260

2) De la première à la seconde génération, 1954-1967 ... 263

2.1/ Vers la mécanisation de l’entreprise : l’arrivée d’un Gad’zarts ... 264

2.2/ Une structure plus capitalistique ... 273

2-2-1/ Évolution des résultats financiers ... 273

2-2-2/ De la SARL à la SA ... 277

2-2-3/ La scission La Fonte Ardennaise-Electrofonte ... 279

2.3/ Évolution de la politique commerciale ... 281

2-3-1/ Structure de la clientèle... 281

2-3-2/ Ébauche de redéfinition de la politique commerciale ... 282

2-3-3/ Les relations commerciales ... 284

2-3-4/ Les formes de la représentation commerciale ... 289

2.4/ La relève des générations ... 291

1) La Disamatic ... 304

1.1/ Le brevet du professeur Vagn Aage Jeppesen et sa diffusion ... 305

1.2/ La Disamatic à La Fonte Ardennaise ... 309

1-2-1/ La décision ... 309

1-2-2/ La prime d’adaptation industrielle et le financement à moyen et long terme .. 311

2) Les bases de la stratégie commerciale ... 313

2.1/ Une nouvelle approche de la vente ... 313

2.2/ Une remise en cause des marchés EDF... 318

3) Le service commercial : un nouveau dynamisme ... 323

4) Le drame et ses conséquences ... 329

5) Investissement d’une seconde machine à mouler Disamatic. ... 334

6) Bilan d’une période : 1968-1974 ... 338

6.1/ Un environnement incertain ... 339

6.2/ Une nouvelle structure de la clientèle ... 341

6.3/ Les résultats économiques ... 344

1) La reprise de Ricat & Grisard ... 349

1.1/ Historique de la société ... 350

1.2/ La recherche d’espace : une double opportunité ... 356

1.3/ Le financement ... 358

1.4/ Bilan de l’intégration de Ricat-Grisard. ... 361

1-4-1/ La révolution commerciale ... 363

1-4-2/ Le bilan commercial 1974-1981... 369

1-4-3/ Bilan financier de la reprise de Ricat-Grisard ... 374

2) La sortie de Vrigne-Vivier ... 382

(15)

2.2/ Reprise des Anciens établissements Gabriel Toussaint et Cie ... 384

2-2-1/ Historique : les parcours différents de Toussaint et de La Fonte Ardennaise. . 384

2-2-2/ Une entreprise « technocentrée » : les conséquences (1973-1983) ... 388

2-2-3/ L’intervention de La Fonte Ardennaise ... 392

2.3/ Un essai de croissance verticale : NOMAR ... 395

3) 1985, une nouvelle acquisition : la fonderie Dumas à Vivier au Court... 398

3.1/ Historique des établissements Paul Dumas : de leur création à la mécanisation du moulage, 1929-1974 ... 399

3.2/ Du déclin à la liquidation de biens 1975-1984 ... 401

3.3/ Lutte pour la reprise de Dumas : un combat inégal ... 405

4) La consolidation commerciale et les résultats financiers ... 410

4.1/ Les nouvelles frontières ... 410

4.2/ Structure de la clientèle : recherche de la taille idéale ... 412

4.3/ Résultats financiers de La Fonte Ardennaise et de la SND... 414

4.4/ Structure du capital et financement... 417

4.6/ La quête de cohérence ... 422

1.1/ Périmètres et origines des clients...434

1.2/ L’obligation de nouvelles compétences ... 435

1.3/ Une réponse de l’organisation : supervision directe et collaborations informelles ... 439

1.4/ Une présentation adaptée ... 441

1.5/ État de la concurrence (années 1990) ... 442

1-5-1/ Les nouvelles frontières : exportation et partenariat ... 442

1-5-2/ La concurrence française : VALFOND et CF2M ... 446

1-5-3/ La concurrence européenne ... 451

2.1/ Évolution des investissements ... 455

2.2/ Les contraintes de l’espace industriel et les obligations administratives ... 458

2.3/ Une approche de la productivité ... 461

2.4/ Une radiographie des salariés : composition du personnel et politique salariale ... 466

2.5/ Les conséquences financières. ... 470

3.1/ Portrait de Gérard Grosdidier ... 475

3.2/ La consolidation du capitalisme familial ... 478

3.3/ La transmission ... 483

3-3-1/ La recherche d’un successeur ... 484

3-3-2/ Vers une direction bicéphale ... 489

Liste des abréviations ... 513

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Archives nationales ... 514

Archives départementales des Ardennes ... 514

État civil de diverses communes ... 516

Archives privées... 517

Témoignages (entretiens) ... 522

Sources imprimées ... 527

Annuaires, enquêtes, rapports ... 527

Presse et périodiques ... 532

Archives en ligne ... 534

Bibliographie ... 535

Méthodologie ... 535

Histoire générale de la France : économie, société, politique ... 537

Histoire des entreprises ... 543

Histoire et techniques de la fonderie ... 555

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

« Les seuls à être écoutés, mais dans le monde des affaires, sont les économistes. Évidemment, je ne crois pas qu’on obtienne du passé des réponses pratiques à des questions pratiques, même quand on a fait beaucoup d’études, mais on devrait tout de même apprendre quelque chose sur des possibilités, des avertissements plutôt que des réponses »1.

Depuis le commentaire « en l’absence d’illusion » de Moses I. Finley sur le rôle de l’historien2, l’entreprise, en quête de sens, s’est approchée de l’histoire ; il n’est pas un livre

de management qui ne montre le temps comme le meilleur allié du dirigeant d’entreprise « qui cherche à recréer une cohérence historique à partir des développements en cours »3 ou

n’analyse la formation de la culture organisationnelle pour éclairer « l’adaptation externe et la survie et l’intégration interne qui l’ont formée »4. H. Rousso évoque, avec humour, dans les années 1980, l’introduction de l’histoire appliquée et celle de l’historien thaumaturge « qui attend le chaland pour lui vendre de l’assistance technique et du supplément d’âme »5.

Trente ans plus tard, l’environnement de l’entreprise est encore plus incertain : le retournement brutal de l’automne 2008, l’année de misère 2009 et la sourde inquiétude de l’été 2011 témoignent de cycles conjoncturels chaotiques pour lesquels l’expertise des économistes est considérée voisine de celle des météorologues6. Dans les situations de survie

créées par les dépressions, la sociologie du travail et la psychosociologie des organisations appliquées dans le cadre des ressources humaines, s’effacent devant l’urgence du quotidien7 ;

quant à l’engagement à la diminution des coûts, il réduit presque à néant les interventions reposant sur une approche anthropologique et ethnologique8. Ces démarches anxiolytiques

protéiformes se réduisent ou disparaissent avec les budgets destinés à la communication, puis

1 M.-I. FINLEY, Mythe, mémoire, histoire, Paris, Flammarion, 1981, p. 265. 2 M.-I. FINLEY, op. cit., p. 265.

3 STRATEGOR, Politique générale de l’entreprise, Paris, Dunod, 1997, p. 508.

4 D. HELLRIEGEL, J.-W. SLOCUM, Management des organisations, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2006,

p. 544.

5 H. ROUSSO, « L’histoire appliquée ou les historiens thaumaturges », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 1,

janvier 1984, p. 105-122.

6 J. ATTALI, À quoi sert un économiste ? [en ligne], disponible sur :

<http://blogs.lexpress.fr/attali/2007/08/2007>.

7 J.-P. JARDEL, C. LORIDON, Les rites dans l’entreprise, Paris, Éditions d’Organisation, 2000, p. 13.

8 P. ERIKSON, « Faire de l’ethnologie dans une entreprise extractive multinationale », « Anthropologues sous

contrat ethnologie hors les murs », Journal des anthropologues, 96-97, 2004 [en ligne], disponible sur :

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renaissent, au gré de nouvelles modes : la philosophie9, les outils qualitatifs10 ou la

communication narrative11. Ces deux dernières méthodes s’établissent soit dans une optique

de développement économique de l’organisation, soit à des fins de communication et de marketing : pour la première, il s’agit d’aboutir à une information en profondeur constituée d’opinions, de croyances et d’attitudes ; pour la seconde, de rétablir le sens et la continuité de l’entreprise et des produits en « reconstruisant les schémas lisibles et prévisibles du temps long : vous vendez bien mieux en vendant une success story qu’en décrivant les caractéristiques et les avantages de votre produit »12. Il semble, cependant, qu’en 2011,

l’apport de l’histoire à la direction des entreprises ait moins pour but d’améliorer les performances que de rassurer des communautés devant la perception de menaces induites par l’imprévisibilité même du futur économique proche. Ceci vaut pour les grandes entreprises aux technostructures nourries des sciences sociales diffusées dans des écoles spécialisées en management qui, désormais, incluent l’histoire13, mais qu’en est-il de celles, PMI et toutes les

autres, qui n’ont jamais intégré l’aide extérieure de consultants en ressources humaines ? Quelles réponses leurs organisations apportent-elles à la peur de l’inconnu ?

L’accroche de l’annonce des 70 ans de La Fonte Ardennaise en 1997, « la mémoire pour la performance de demain », propose une piste de réflexion : certaines entreprises, pour conforter leurs compétences et appréhender l’incertitude, s’appuieraient sur une mémoire sélective. En dehors de la construction d’un slogan commémoratif, la simple observation du microcosme des établissements de la métallurgie ardennaise lors de la crise de 2009 permet d’identifier des stratégies récurrentes : avec les réserves qu’impose l’intensité particulière de la crise, des entreprises effectuent très rapidement des licenciements économiques alors que d’autres adoptent des mesures de chômage partiel sans diminution du personnel. Ces démarches semblent être la reproduction de décisions prises lors de dépressions passées.

À La Fonte Ardennaise, les décisions prises au cours des années 2000, dans les moments difficiles, paraissent exprimer une dépendance à l’égard du passé que seule l’histoire peut éclairer. En 2009, alors qu’elle enregistre une baisse de 30 % de son chiffre

9 Diotime, n° 40, Actes du colloque « Philosopher en entreprise : quelles méthodes pour quels apports

spécifiques ? », organisé à l’UNESCO, Paris, le 20 novembre 2008, avril 2009 [en ligne], disponible sur : <http://www.educ-revues.fr>

10 L. MORILLON, « Quelle utilisation des outils qualitatifs dans l’entreprise par les néophytes ? », Recherches

qualitatives, hors série n° 3, Actes du colloque Bilan et prospectives de la recherche qualitative, Toulouse, 2007,

p. 371-383.

11 C. SALMON, « Une machine à fabriquer les histoires », in Le monde diplomatique, novembre 2006. 12 Ibid.

13 C. DELACROIX, F. DOSSE & P. GARCIA, Les courants historiques en France, Paris, Éditions Armand

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d’affaires, l’idée même de licenciement n’est pas envisagée car la société en 82 ans d’existence ne s’est jamais séparée de son personnel pour des raisons économiques14. D’autre

part, dès l’automne 2008, sans directive explicite, en pleine crise de la demande, toutes les fonctions s’orientent « comme naturellement » vers le marché pourtant atone, si bien qu’en octobre 2009, La Fonte Ardennaise retrouve une charge de travail normale alors que d’autres entreprises du secteur restent de longs mois encore en sous-activité.

Cette interrogation s’ajoute à d’autres formulées depuis mon entrée dans la société en novembre 1977, mais dont la principale repose sur l’évolution même de l’entreprise : pourquoi la plus petite fonderie de l’agglomération de Vrigne aux Bois et de Vivier au Court des années 1950 est-elle devenue, un demi-siècle plus tard, un des premiers établissements européens qui réalise avec 1 300 personnes, à la fin de 2011, 200 millions d’euros de chiffre d’affaires, alors que toutes les autres, beaucoup plus importantes, ont disparu ? Ce sont ces questions récurrentes sur la spécificité de la trajectoire de La Fonte Ardennaise qui sont à l’origine de ma décision d’en étudier l’histoire dans un cadre universitaire, d’abord en y consacrant une maîtrise en juin 1998, puis en m’engageant en 2003 dans une thèse de doctorat.

À ce stade, il s’agit d’expliquer le choix de la méthode historique comme outil de la réflexion. Ce dernier s’organise selon trois principes. Premièrement, l’évasion : pourquoi l’histoire ? Parce qu’à la rigueur de sa méthode s’ajoute « en sa faveur qu’elle est distrayante »15. Les trois années de présidence du directoire de La Fonte Ardennaise ont été une période de grande tension : à la direction générale de l’entreprise s’additionnent une responsabilité opérationnelle selon le fonctionnement du Vorstand allemand (la stratégie et le développement commercial), de nouveaux rapports avec les partenaires sociaux dans le cadre de l’application de la loi sur les 35 heures, enfin les relations délicates avec le conseil de surveillance dans la nouvelle gouvernance de l’entreprise. Ces charges très lourdes nécessitaient une sorte de retrait thérapeutique : « le goût de l’histoire s’apparente alors à l’amour des voyages lointains ; on attend qu’elle fasse oublier les malheurs du temps, qu’elle fasse rêver »16. Deuxièmement, la formation : embauché à La Fonte Ardennaise comme

manœuvre en 1977, j’ai rapidement intégré (grâce à la maîtrise de plusieurs langues étrangères) le service commercial où j’ai été affecté en 1978 à la prospection des Pays-Bas.

14 Témoignage de l’auteur.

15 M. BLOCH, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1993, p. 71.

16 R. REMOND, « Le contemporain du contemporain », in NORA P. (dir.), Essais d’ego-histoire, Paris,

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L’évolution de ma carrière professionnelle accompagne ensuite le développement de la société : directeur export en 1986, directeur général de FONDATEX, société de commerce du groupe, en 1996, puis président du directoire de 2000 à 2002 avec pour mission la transmission intergénérationnelle de l’entreprise17. Chaque étape, pour éviter la myopie de l’autodidacte, nécessitait une formation en accompagnement ; le choix de l’enseignement universitaire s’est imposé car il me semblait offrir plus de potentialités que la formation professionnelle18. Le CTU de Besançon m’a donc accompagné du DEUG d’administration

économique et sociale à la licence puis à la maîtrise d’histoire19. Après trois ans de formation

à l’ESCP-EAP et l’obtention d’un diplôme de troisième cycle « Direction et management stratégique des entreprises » adapté aux fonctions de président du directoire, il est apparu à la fin de ce mandat que « l’aimable passe-temps »20, entrevu en licence et en maîtrise, devait être

dépassé, et la curiosité intellectuelle organisée pour « montrer le déroulement de l’intrigue, le faire comprendre »21. L’histoire semblait pouvoir éclairer un long questionnement de près de

30 ans sur la success story de l’entreprise. Enfin, les raisons « vues des coulisses »22 : en toute

humilité et en pleine conscience des réserves émises par G. Noiriel sur l’acte d’autoconsécration de la démarche autobiographique23, il convient d’appréhender brièvement

cette conversion tardive aux méthodes de la recherche historique. Sans doute trouve-t-elle son origine dans « l’angoissante fascination de la durée »24, dans l’intuition de la continuité

17 Depuis 2003, j’ai repris les fonctions de directeur général de FONDATEX et de directeur de la stratégie et du

développement commercial de La Fonte Ardennaise.

18 À une formation initiale courte (brevet d’enseignement industriel d’aide chimiste) succèdent cinq ans

d’expérience professionnelle dans l’industrie chimique puis cinq ans de voyages en Europe du Nord, Amérique centrale et Asie. Bûcheron de retour dans les Ardennes, j’entre à La Fonte Ardennaise, en 1977, suite à un accident de travail. Après 9 mois à différents postes dans la fonderie (ébroquilleur, ébarbeur, noyauteur, couleur), la prospection commerciale des Pays-Bas m’est confiée (car je parle néerlandais) après un stage de formation à la vente technique organisée par le Syndicat général des fondeurs de France. Cette expérience m’a alors convaincu des limites d’un tel apprentissage : comment se différencier alors que tous les vendeurs d’un même produit reçoivent strictement les mêmes outils pour exercer le même métier ? Lorsque G. Grosdidider, le PDG de l’entreprise est averti de ma préférence pour l’enseignement universitaire, il m’indique que cela n’entre pas dans le cadre du plan de formation de l’entreprise, mais la remise d’une prime importante après l’obtention du baccalauréat marque son soutien tacite.

19 Le choix de l’histoire comme formation a été conforté après la lecture de L’introduction aux études

historiques. Dans l’ignorance de l’évolution de l’historiographie, les thèmes de la critique interne et externe, le

doute méthodique me semblaient judicieux pour établir un jugement constructif et l’exemple parlant : « Les miniatures du Moyen Âge montrant des personnages couchés dans leur lit une couronne sur la tête : c’est le symbole de leur rang royal. Le peintre n’a pas voulu dire qu’il gardait la couronne pour dormir », C.-V. LANGLOIS, C. SEIGNEBOS, Introduction aux études historiques, Paris, Éditions Kimé, 1992, 1898, p. 130. D’autre part, alors que je me battais pour introduire les langues étrangères dans l’entreprise, je trouvai les auteurs précurseurs : « L’ignorance totale des langues est une maladie qui devient incurable avec l’âge. Il ne serait pas excessif d’exiger que tout candidat aux professions scientifiques qu’il fut au moins trilingue », C.-V. LANGLOIS, C. SEIGNEBOS, op. cit., p. 57.

20 M. BLOCH, op. cit., p. 72.

21 P. VEYNE, Comment on écrit l’histoire, Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 68.

22 M. AGULHON, « Vu des coulisses », in NORA P. (dir.), Essais d’ego-histoire, op. cit., p. 9-59. 23 G. NOIRIEL, Sur la crise de l’histoire, Paris, Éditions Belin, 2005 [1996], p. 237.

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historique et l’insatisfaction de la fragmentation proposée par les sciences de gestion. La Fonte Ardennaise apparaît alors comme un objet d’étude presque incontournable avec la curiosité « de situer ses problèmes d’aujourd’hui dans la longue perspective de ses problèmes d’hier »25.

Pour un salarié, l’étude de son entreprise se révèle être un sujet attirant et motivant, mais aussi inquiétant parce qu’il doit être traité à travers la mémoire déformante des hommes dont celle de l’auteur, et suppose la distanciation inévitable qu’il faut assumer. J. Le Goff souligne que l’impartialité ne requiert que de l’honnêteté mais que l’objectivité suppose davantage26. Il convient donc de s’interroger sur l’intérêt personnel ou collectif à écrire une

histoire de La Fonte Ardennaise : existe-t-il un enjeu de pouvoir ? Est-ce une commande destinée à une justification a posteriori ? Dans le cas présent, l’enjeu de pouvoir ne correspond pas à ma situation : neuf ans après avoir quitté la présidence du directoire, mon rôle dans l’entreprise s’écarte désormais de la ligne hiérarchique pour être de l’ordre du conseil. Ce n’est pas non plus une commande de l’entreprise, qui, pour l’heure, soutient le travail de recherche, mais ignore son contenu et ne souhaite pas en faire un instrument de communication ou de promotion. Les réserves se posent donc sur les éventuelles distorsions mnésiques et sur les engagements émotionnels vécus dans la communauté, au moins s’agit-il de le savoir et de les accepter car « l’objectivité ne s’atteint pas par le détachement, mais par un contrôle des réactions irrationnelles, consciemment repérées et sans perte d’affect »27.

Au-delà de la volonté de comprendre l’évolution de son entreprise, quel intérêt représente pour la connaissance, la monographie d’une fonderie familiale ardennaise ? Elle permet d’aborder une double question historiographique : la mise en perspective du métier, la fonderie, par l’analyse de la trajectoire de l’entreprise dans l’industrie ardennaise, et l’éclairage des spécificités d’une PME familiale.

Comprendre la fonderie par la trajectoire de l’entreprise dans l’industrie ardennaise

La plupart des travaux sur le travail du fer ignorent la fonderie de deuxième fusion à l’instar de B. Gilles qui y voit « un certain nombre de fabrications spéciales sur lesquelles

25 J. BOUVIER, « Avant-propos », in. DAVIET J.-P., Un destin international, la compagnie de Saint-Gobain

de 1830 à 1939, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 1988, p. VII-X.

26 J. LE GOFF, Histoire et mémoire, Paris, Gallimard, 1988, p. 198.

27 A. BESANCON, « Vers une histoire psychanalytique (II) », Annales, Économies, Sociétés, Civilisations,

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nous ne nous étendrons pas »28, ou l’identifie à la sidérurgie comme P. Léon lorsqu’il étudie

l’évolution de la production de fonte de 1847 à 188029. Cherchant à définir les différentes

activités métallurgiques, L’Histoire de la France industrielle dirigée par M. Lévy-Leboyer évoque « la métallurgie de transformation, qui se positionne comme une activité carrefour entre d’une part, la métallurgie de fusion et de première finition et d’autre part, la fabrication de produits variés »30. Quant à D. Woronoff, il aborde brièvement dans L’industrie

sidérurgique en France pendant la Révolution et l’Empire31 et l’Histoire de l’industrie en

France32, les marchés de la première fusion et la naissance des fonderies lors de la

mécanisation de l’industrie. Les Cahiers de l’inventaire offrent différents éclairages dont une étude détaillée d’Évelyne Robineau sur le passage de la première à la seconde fusion dans l’ancienne province du Maine et l’évolution des fonderies dans la Sarthe et la Mayenne jusqu’à la fin du XXe siècle33. Louis André, pour la Haute-Marne, cite les grandes fonderies

orientées vers les marchés urbains de distribution d’eau ou d’éclairage mais aussi dans les fontes d’art monumentales ou de jardin34 et dresse l’état des fonderies haut-marnaises en

199335. À propos de la métallurgie comtoise, J.-F. Belhoste36 évoque l’expansion de la fonte

moulée du cubilot à la Wilkinson et la tendance de la fonte à supplanter le cuivre. Concernant la région Rhône-Alpes, dans un ouvrage tourné vers les hauts-fourneaux, il ne retient que la fonderie de canons à Saint-Gervais, et les aciéries37. Hormis quelques monographies centrées sur une entreprise ou une région, il ne semble pas que d’autres recherches aient été menées. En revanche, le secteur de la fonderie dans les Ardennes a été abordé par différentes études

28 B. GILLE, « L’évolution de la métallurgie », in DAUMAS M. (dir.), Histoire générale des techniques, tome

III, L’expansion du machinisme 1725-1860, Paris, PUF, 1996, p. 585-616.

29 P. LEON, « La percée de la sidérurgie française », in BRAUDEL F., LABROUSSE E., Histoire économique

de la France, tome III, Paris, PUF, 1993, p. 563-570.

30E. BUSSIERE, E. CHADEAU, « Sidérurgie et métallurgie lourde : aléas et structures », in LEVY-LEBOYER M. (dir.), La

France industrielle, Paris, Larousse, 1996, p. 320-334.

31 D. WORONOFF, L’industrie sidérurgique en France pendant la Révolution et L’Empire, Paris, Ecole des

Hautes Études en Sciences sociales, 1984.

32 D. WORONOFF, Histoire de l’industrie en France, Paris, Éditions du Seuil, 1998 [1994].

33 É. ROBINEAU, « Le Choix de la fonte moulée (milieu XIXe-XXe siècles) », in BELHOSTE J.-F.,

ROBINEAU É., La métallurgie du Maine, de l’âge du fer au milieu du XXe siècle, Paris, Éditions du patrimoine,

2003, p. 291-345.

34 L. ANDRÉ, « L’industrie métallurgique en Haute-Marne au XIXe siècle », in La métallurgie de la

Haute-Marne du Moyen Âge au XXe siècle, Châlons sur Marne, Service régional de l’Inventaire de Champagne

Ardenne, 1997, p. 61-78 ; C. CHEVILLOT, « Sculpture et fonte de fer » et I. ISNARD, « La fonte d’art en Haute-Marne : une recherche en cours », in La métallurgie de la Haute-Marne du Moyen Âge au XXe siècle, op.

cit., p. 207-222 et p. 223-230.

35 E. ROBERT-DEHAULT, D. PERCHET, « La métallurgie haut-marnaise à la fin du XXe siècle », in La

métallurgie de la Haute-Marne du Moyen Âge au XXe siècle, op. cit., p. 231-240

36 J.-F. BELHOSTE, « Techniques et installation nouvelles. Revers et succès des années 1820 », in

MARY M.-C., La métallurgie comtoise XVe-XIXe siècles, Besançon, Besançon, ASPRODIC, 1994, p. 265-275.

37 J.-F. BELHOSTE, Fonte, fer, acier, Rhône-Alpes XVe-début du XXe siècle, Lyon, Association pour le

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universitaires déjà anciennes : celle de C. Précheur, sur La métallurgie dans les vallées ardennaises et sous ardennaises38, dans une période principalement située dans la première

moitié du XXe siècle ; celle de D. Convert, L’évolution récente de la fonderie de la vallée de la Meuse Ardennaise39 limitée à cette zone géographique ; la thèse de L. Courtot qui évoque

la fonderie dans une problématique plus générale40 ; l’article de Louis André sur la reconversion de la première fusion vers la seconde41 ; et enfin, l’ensemble des travaux sur la

métallurgie départementale de l’historien de l’Ardenne du Nord, René Colinet42.

Le faible intérêt pour le secteur de la fonderie est vraisemblablement lié à son importance relative dans l’économie nationale : au lendemain de la Grande Guerre, le Syndicat général des fondeurs de France regroupe 1 020 établissements et 80 000 salariés43,

alors qu’en 1992, il n’en représentait respectivement plus 511 et 53 000. En 1999, le seul secteur de la fonderie de fonte mobilisait seulement 12 599 salariés44. En revanche, la

fonderie marque particulièrement l’industrie ardennaise puisque, dès 1906, le secteur emploie 10 634 personnes, soit 36,44 % des actifs45. De 1938 à 1970, le nombre de salariés s’élève de

7 000 à 9 000 avant de tomber à 5 000 à la fin des années 1980, puis à 4 000 environ en 1999. Ce déclin correspond à celui de l’ensemble de la métallurgie ardennaise. L’étude de La Fonte Ardennaise, au-delà de sa singularité, peut aider à faire progresser la connaissance du secteur de la fonderie « parce qu’il existe une dynamique de la branche qui repose sur des caractéristiques communes relatives aux techniques mises en œuvre et aux marchés visés »46.

Et parce que l’histoire de La Fonte Ardennaise plonge ses racines dans la reconstruction qui suit l’armistice de 1918, elle permet, non seulement de dépasser le cadre de la monographie d’entreprise, mais aussi celui de la branche industrielle régionale pour éclairer sur trois quarts

38 C. PRECHEUR, La métallurgie dans les vallées ardennaises et sous-ardennaises, DESS de géographie, Paris,

Faculté de lettres et de sciences humaines, 1949.

39 D. CONVERT, L’évolution récente de la fonderie de la vallée de la Meuse ardennaise, DESS de géographie,

Paris, Faculté de lettres et de sciences humaines, 1966.

40 L. COURTOT, L’organisation des espaces industriels et urbains. Héritages et problématiques d’évolution

d’une région frontalière : les Ardennes, Thèse de 3e cycle, Paris, Institut d’urbanisme, 1984.

41 L. ANDRÉ, « De la métallurgie classique à la seconde fusion : expansions et innovations dans la moitié du

XIXe siècle », in Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, La métallurgie du

fer dans les Ardennes (XVIe-XIXe), Châlons sur Marne, conservation régionale de l’Inventaire,

Champagne-Ardennes, 1988, p. 36-48.

42R. COLINET, « Un site industriel : Nouzonville », Une dynastie industrielle de la métallurgie ardennaise : les

Thomé, Maîtrise d’histoire, Université de Nancy II, 1979 ; La métallurgie ardennaise, Langres, Guéniot, 1983 ; Métallurgie ardennaise, Epernay, ORCCA/Castor & Pollux, 2001.

43 Liste des adhérents au SGFF, 1923, archives privées SGFF. 44 SESSI, Résultats détaillés de l’EAE 1999, tome III, p. 79.

45 R. COLINET, « Contributions statistiques et cartographiques à l’histoire industrielle ardennaise », RHA,

Tome XXIII, 1988, p. 105-149.

46 J.-C. DAUMAS, L’amour du drap, Blin & Blin Elbeuf, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté,

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de siècle l’évolution des enjeux de l’industrie ardennaise et de la fonderie française. Ainsi, en 1896, les Ardennes sont le premier département producteur de cinq familles de produits métallurgiques47 ; cent ans plus tard, quatre ont disparu et il ne reste que la fonderie de deuxième fusion, dont La Fonte Ardennaise est l’un des principaux acteurs.

L’histoire de La Fonte Ardennaise est l’histoire d’un succès dans un environnement qui ne cesse de s’interroger sur son déclin. Depuis la fin du XIXe siècle, les industriels

ardennais importants, dirigent une fonderie : de 1894 à 1971, hormis un minotier (1927-1930) et un forgeron (1945-1952), tous les présidents de la CCI de Charleville se déclarent fondeurs et l’affaiblissement inéluctable du secteur est vécu comme un traumatisme48. En 1987, le

docteur J.-C. Hureaux, dans son mémoire de psychiatrie évoque un article qui s’étonne « de la répartition de certains tableaux cliniques concernant les patients ardennais qui expriment leur souffrance psychique en se cantonnant dans un retrait massif »49, et il relève que dans les

Ardennes, « on voit se transformer des régions dont l’économie engageait à des modes relationnels vivants et ouverts à l’avenir, en désert improductif marqué par l’exode des jeunes qualifiés, l’invalidation, la dépendance ou l’isolement abandonnique de ceux qui demeurent »50. Trente-cinq ans plus tard, les tensions sont plus que jamais présentes, et la

chronique du quotidien L’Ardennais datée du 7 janvier 2012, « Le fantasme des Ardennes vertes »51, sur les conséquences de la désindustrialisation provoque de vives réactions : pour

de nombreux lecteurs, la responsabilité de la mort des usines incombe à l’inertie du patronat local alors que d’autres accusent les ouvriers et les syndicats52. Une analyse critique de la

réussite de La Fonte Ardennaise éclairerait alors l’échec d’un modèle industriel. En effet, la croissance externe de la petite fonderie de Vivier au Court se bâtit sur les difficultés des autres et la reprise de trois établissements en faillite permet d’appréhender la cause de leur échec et nous renseigne sur le jeu des contraintes et des stratégies des perdants53.

47 R. COLINET, « Contributions statistiques et cartographiques à l’histoire industrielle ardennaise, op. cit.,

p. 137. Les secteurs concernés sont : « les écrous, boulons, rivets », « la ferronnerie », « la clouterie », « la bouclerie » et « la fonderie de fer de 2e fusion ».

48 Quatre fondeurs sur album : A. Deville, H. et L. Faure (chauffage) et G. Camion (quincaillerie) ; trois fondeurs

de malléable : P. et R. Gailly et C. Cury ; un fondeur sur modèle : R. Lebeau.

49 J.-C. HUREAUX, Mise en place d’une structure intermédiaire dans les Ardennes, mémoire pour le certificat

d’études spécialisé de psychiatrie, Université de Reims Champagne-Ardenne, 1987, p 17.

50 Ibid.

51 L’Ardennais, 7 janvier 2012. 52 L’Ardennais, 14 janvier 2012.

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Éclairer les spécificités d’une PME familiale

« Et ici dans les Ardennes, la charge du passé apparaît considérable, c’est toujours la même trame de désastre. L’industrialisation est histoire locale ou de famille, le patron lui-même est un ancien ouvrier. La crise, lorsqu’elle surgit est rapidement dramatique. Elle perturbe tout, y compris la structure familiale. Ceux-ci revivent l’irrémédiable. Ils s’isolent de plus en plus, grossissent le rang des chômeurs, des assistés. Pis encore, ils s’installent dans l’échec, dans la honte. Les personnes âgées, inquiètes des jours à venir, rendent responsables ceux qui ont le pouvoir et n’ont pas su les protéger. Comme toujours, comme en 1914, comme en 1940 »54. Les observations du docteur Hureaux situent le contexte ardennais : le

mythe de l’ascension sociale du patron ouvrier qui fonde une dynastie ; la proximité des salariés et de l’usine qui favorise le paternalisme des chefs d’entreprise, et le syndrome de l’abandon à l’envahisseur. En effet, l’industrie ardennaise est sur le temps long formée d’entreprises familiales qui promeuvent les patrons comme autant de grands hommes en leur fief55. Au début des années 1980, à la demande de la direction régionale de l’équipement,

F. Ginsbourger du cabinet de consultants ACT a effectué un audit sur l’activité du département et noté le particularisme des patrons ardennais qui répugnent à licencier leur personnel et se sentent dans l’obligation morale d’assurer l’existence de leurs ouvriers par une quelconque occupation au sein de l’usine56. Dans les Ardennes, depuis un siècle, le

paternalisme côtoie le syndicalisme révolutionnaire, alors que des ouvriers tentent déchapper à ces relations conflictuelles en créant leur propre fonderie avant 1914. Et aux quelques dynasties de notables industriels57 se mêlent des entreprises éponymes de transformation

métallurgique de toute taille et de tous âges avec la réserve que déjà, à la Belle époque, il y a bien longtemps que l’on ne s’évadait plus de la condition prolétarienne58.

La Fonte Ardennaise, malgré son nom générique, est une affaire de famille dont la monographie met en perspective la trajectoire entrepreneuriale des fondateurs et apporte des éléments de réponse aux grandes questions soulevées sur le capitalisme familial à propos des singularités de sa croissance, du financement de ses investissements, de son contrôle et de sa

54 J.-C. HUREAUX, op. cit., p. 14

55 P. HAMMAM, « Du paternalisme à la notabilité industrielle », Revue des sciences sociales, n° 33, 2005,

p. 136-143.

56 F. GINSBOURGER, Etude des tissus industriels anciens : le cas de la fonderie ardennaise, Boulogne, ACT,

1983, p. 75.

57 Principalement dans la fonderie sur album : les Faure, Martin, Deville, Camion.

58 Y. LEQUIN, « Le monde des travailleurs manuels », in DUBY G. (dir.) Histoire de la France urbaine. La

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direction59. L’originalité de l’étude de La Fonte Ardennaise est qu’elle ne s’identifie pas à

celles des barons de l’industrie ou des sagas du capitalisme. Sur une durée de trois quarts de siècle, elle permet de reconstituer la vie quotidienne de la fonderie – de l’âpre bataille de l’artisan pour obtenir une commande à la stratégie commerciale de la moyenne entreprise patrimoniale – afin de saisir l’adaptation de l’entreprise à son environnement et de dégager sa spécificité.

Méthode et plan de la recherche

« La fonderie étant un métier difficile à apprendre, ce n’est que par une longue pratique, doublée d’un grand esprit d’observation que l’on peut faire un ouvrier habile ; cela en raison de la diversité des phénomènes physiques et chimiques que le fondeur rencontre constamment dans son travail »60. Cette introduction d’un manuel d’application du début du

XXe siècle, rejoint tous les manuels édités sur « le fer fondu » depuis le milieu du XVIIIe. Malgré les impasses de la chimie métallurgique décrite par E. Truffaut et contrairement à l’acier moulé, la fonte est coulée depuis le XVe siècle par les hauts-fourneaux dans un

environnement professionnel clos61. Pour comprendre la généalogie des fondeurs, il est

indispensable d’analyser l’ouverture aux simples artisans des techniques de la fusion et la lente diffusion des objets en fonte moulée au détriment de ceux en fer battu et en cuivre, car dans le jeu de l’offre et de la demande, la médiation vient des marchés et pour répondre à leurs attentes, des innovations empiriques conduisent à la fonderie de deuxième fusion62. Dès

lors, il semble nécessaire de dresser une sorte de portrait du milieu professionnel qui s’approprie le savoir-faire nécessaire. La miniaturisation du haut-fourneau donne naissance au cubilot, les innovations de la révolution industrielle lui confèrent la mobilité géographique et le chemin de fer assure sa diffusion en donnant une chance d’ascension sociale à celui qui le construit et le conduit. Les conséquences, pour les hommes du fer, de cette nouvelle possibilité de transformation du métal sont à évaluer comme doivent être appréciées les zones de cristallisation de la nouvelle technologie et les raisons de son succès particulier dans les Ardennes. Enfin, l’étude du cas des ferronniers de Vrigne aux Bois et Vivier au Court nous éclaire sur les conditions locales du développement d’une « endotechnie » et son influence sur les schémas mentaux des fondateurs de La Fonte Ardennaise. La première partie a pour

59 J.-C. DAUMAS, « À propos du capitalisme familial », in DAUMAS J.-C. (dir.), Le capitalisme familial :

logiques et trajectoires, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2003, p. 1-36.

60 L. GOUJON, Précis de fonderie, Paris et Liège, C. Béranger, 1909, p. 2.

61 E. TRUFFAUT, « De Lavoisier à Le Chatelier, de quel acier parle-t-on ? », in MIOCHE P., WORONOFF D.

(dir.), L’acier en France : produits et marchés, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Dijon, Éditions

universitaires de Dijon, 2006, p. 9-20.

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objectif de situer la création de la fonderie artisanale d’Émile Cossardeaux dans l’histoire de l’élaboration progressive de la seconde fusion. Le développement empirique de la nouvelle technologie, la demande intense de pièces moulées nécessaire à la croissance industrielle, l’accès peu onéreux aux moyens de fabrication et l’apparence de profits rapides façonnent une représentation de la fonderie qui est favorable aux hommes de métier et les encourage à entreprendre. Le panorama de l’histoire du secteur avant 1914 met à jour et éclaire le paradoxe de la fondation de la boutique, qui repose dans les années 1920 sur un cadre de référence désuet et des représentations propres au XIXe siècle en décalage avec le système

d’entreprise dominant dans la fonderie à cette époque.

La seconde et la troisième parties correspondent à l’histoire proprement dite de l’entreprise présentée selon un plan chronologique : le règne du fondateur pendant 40 ans (1927-1967) puis l’exercice du pouvoir par la seconde génération durant 31 ans (1968-1999), mais les périodes ne sont pas monolithiques et les ruptures justifient le choix de l’analyse chronologique. Pour décrire la trajectoire de La Fonte Ardennaise et le travail d’adaptation à son environnement, nous avons analysé l’entreprise comme une configuration structurée par les quatre dimensions que sont le capital, le marché, l’outil de production et le travail63. Ces

quatre variables n’évoluent pas avec la même intensité. Dans la seconde partie qui présente le contexte de la fondation de la société et l’étude de l’entrepreneur (1918-1926), le temps des associations (1927-1936), les turbulences de la guerre (1937-1945) et la croissance de l’après-guerre (1946-1967), le personnel reste inférieur à 20 salariés jusqu’en 1946 alors que l’organisation et l’outil de travail ne connaissent que des changements insignifiants. Certes, les structures de la propriété se modifient dans l’instabilité des premières années de l’entreprise, mais dès 1934, le capital social est figé. Le marché demeure alors le paramètre fondamental à étudier puisque son développement oriente la trajectoire de l’entreprise et établit les conditions de sa survie. Cette seconde partie est surtout celle de la fondation qui s’inscrit dans la longue durée des formes de l’entrepreneuriat : François Caron décrit la particularité ardennaise de la création, autour de 1850, d’entreprises d’origine purement ouvrières et artisanales qui devinrent par la suite des entreprises d’envergure64. Du reste, lors

de l’enquête industrielle de 1871, Auguste Hardy, patron de la première fonderie française de malléable déclarait : « tous les patrons et chefs d’entreprises de nos contrées ont été des ouvriers »65. Si la mémoire collective ouvrière conserve la trace de l’ascension par le métier,

63 J.-C. DAUMAS, L’amour du drap, op. cit., p. 14.

64 F. CARON, Histoire économique de la France, XIXe-XXe siècles, Paris, Armand Colin, 1995, p. 43.

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la création de la fonderie qui deviendra La Fonte Ardennaise semble anachronique puisqu’elle reproduit le même schéma dans les années 1920. La figure de l’entrepreneur prend alors toute son importance et la compréhension de son action exige une étude multidimensionnelle et la reconstitution « dans toute son épaisseur » de sa culture, de son outillage mental et du processus de son engagement66. Les dix premières années sont marquées par la direction de différentes cogérances avec cependant la prégnance du comportement commercial d’Émile Grosdidier, qui, seul aux commandes à partir de 1936, sous la marque-caution de La Fonte Ardennaise, impulse une trajectoire qui distingue la fonderie des autres entreprises du secteur67. Désormais, la performance repose sur la combinaison de la rationalité propre à

l’entreprise et du tempérament et des valeurs d’É. Grosdidier focalisées sur les besoins des clients.

Sous la direction d’un PDG autodidacte, l’orientation stratégique émerge de l’action et l’entreprise se développe dans une perspective de durée qui conduit à la transmission de la première à la seconde génération familiale. L’analyse de la succession ouvre sur la troisième partie qui aborde, d’une part, une double rupture (1968-1974) : technologique avec l’achat d’une machine à mouler révolutionnaire qui rompt avec l’environnement technique du fondateur et fait évoluer l’entreprise dans une autre dimension financière et commerciale ; dramatique, par le décès accidentel du jeune PDG, remplacé par son frère cadet qui modifie structurellement l’organisation et les ambitions professionnelles. D’autre part elle évoque la succession des opérations de croissance externe qui conduit La Fonte Ardennaise à la taille d’une entreprise européenne (1975-1999) et pose le problème du changement d’échelle pour la nouvelle génération qui prend le relais.

Si la première période de l’entreprise est marquée par l’action d’Émile Grosdidier, la seconde repose sur le comportement entrepreneurial de son fils cadet Gérard, même si la rupture technologique est initiée par le successeur direct d’Émile, Martial, dont la disparition remodèle l’organisation de la fonderie. Afin d’échapper au hasard de la monographie68,

l’effort d’adaptation de La Fonte Ardennaise à son environnement devait être perçu grâce à l’analyse des différentes combinaisons des systèmes technique, financier et organisationnel en relation avec les mouvements du marché et les comportements de la branche. Pour essayer de positionner l’histoire de La Fonte Ardennaise dans une approche plus globale des diverses

66 J.-C. DAUMAS, L’amour du drap, op. cit., p. 15.

67 La marque-caution, en termes de notoriété, rassure et informe sur l’origine du produit.

68 J. MARSEILLE, Les performances des entreprises françaises au XXe siècle, Paris, Le Monde Éditions, 1995,

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cohérences industrielles, un mouvement de va-et-vient entre une analyse précise des performances de l’entreprise et une réflexion plus générale sur les dynamiques industrielles au travers desquelles s’opèrent les processus de différenciation est nécessaire69. En effet, la singularité de la stratégie de La Fonte Ardennaise semble l’extraire du fonctionnement collectif du secteur70.

La variation d’échelle d’analyse entre l’entreprise et le secteur permet de s’interroger sur la convergence comportementale des entreprises en place et la spécificité du mode de pensée et d’action d’Émile Grosdidier qui n’a pas d’héritage cognitif à assumer. L’étude comparée de la perception de l’environnement des fondeurs dont la réponse aux menaces de 1920 à 1970 repose uniquement sur la régulation industrielle, pour éviter la concurrence par le marché et la stratégie instinctive d’un acteur invisible (par sa taille) éclaire l’espace concurrentiel et les conséquences de ses enjeux sur l’évolution des structures et les performances des entreprises. Il convient donc de mettre en évidence la spécificité de ces stratégies de croissance successives et de les mettre en relation avec le profil des dirigeants.

Cette tentative de situer la monographie de La Fonte Ardennaise dans l’histoire du sous-système industriel ne pouvait être appréhendée sans, non seulement, les archives de l’entreprise, mais aussi celles du secteur. La confiance accordée du fait de ma fonction dans l’entreprise, tant par la famille Grosdidier que les présidents successifs du syndicat des fondeurs des Ardennes71, m’a permis d’accèder à des sources qui autrement me seraient

restées fermées. À l’exception des années 1934-1936, elles couvrent l’ensemble de l’histoire de La Fonte Ardennaise (1926-1999). Les archives sont cependant lacunaires et de valeur inégale, mais que peut-on attendre des traces administratives d’une fonderie artisanale d’une dizaine de personnes ? Néanmoins, le grand-livre de la fonderie-ferronnerie Cossardeaux et le brouillon du journal de caisse de la fonderie Cossardeaux & Gosdidier permettent d’étudier les premières années de l’entreprise ; avec les relevés des salaires, elles constituent les sources principales pour la période 1926-1934. Les actes notariés, conservés en leur totalité, témoignent des modifications statutaires et de l’évolution du capital social de 1926 à 1999 ; ils sont précieux pour la compréhension de la genèse de l’entreprise, de la construction de la fonderie à la naissance de La Fonte Ardennaise, puis à la participation majoritaire d’Émile Grosdidier (1927-1936).

69 J. DE BANDT, « Approche méso-économique de la dynamique industrielle », Revue d’économie industrielle,

volume 49, 3e trimestre 1989, p. 1-18.

70 C. CHARBIT, J.-P. DAVIET, D. FORAY, R. SALAIS, « Chronique interdisciplinaire : Économie industrielle

et histoire », Revue d’économie industrielle, volume 58, 4e trimestre 1991, p. 133-152. 71 Robert Jonet, Roger Barde et Philippe Collignon.

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Le classement effectué en 1999 rassemble sur plus de 100 mètres linéaires les archives de toute nature produites par l’entreprise depuis les années trente et distingue les archives de la direction et les documents comptables, techniques, relatifs au personnel et commerciaux. Les archives de la direction sont constituées pour l’essentiel des courriers du PDG (1972-1999) et des comptes rendus des conseils d’administration et des assemblées générales (1958-1999), car les sources concernant la direction d’Émile Grosdidier sont quasi inexistantes, à l’exception d’un dossier complet sur la grève de 1953. En revanche, les archives comptables comprennent des séries complètes de bilans (1939-1999), de comptes d’exploitation et de journaux des achats (1945-1999), ainsi que les plans de financement de tous les investissements effectués de 1955 à 1999. Les archives techniques ne contiennent que les plans des bâtiments et des installations de production (1956-1999), les études de rebuts lors du changement de technique de moulage (1969-1976) et le relevé du tonnage produit (1950-1999). Les archives du personnel permettent de reconstituer l’organisation du travail sur la presque totalité de la période étudiée grâce aux journaux de paye (1936-1999) et au classement des salariés par coefficient à partir de 1990. Les archives commerciales sont composées des livres de vente de 1939 à 1999 (hormis pour les années 1947 et 1948) ; elles sont complétées par le classement des clients par chiffre d’affaires (1962-1999), mais leur principale richesse réside dans les dossiers commerciaux conservés pour chaque client de 1968 à 1999 et un échantillon de clients pour la période de 1954 à 1967. L’analyse des relations avec la clientèle constitue le fil conducteur de notre recherche car la mise en valeur des sources commerciales a permis d’y porter un double regard. Le premier est centré sur le fonctionnement de l’entreprise, car le contenu des dossiers commerciaux comble, en partie, les lacunes des archives de direction (lettres, comptes rendus de visites, annotations du PDG) et des archives techniques (rapports qualité, difficultés de fabrication, échanges entre bureaux d’études). Le second se focalise sur les modes d’adaptation de l’entreprise aux tensions du marché et son évolution dans le sous-ensemble industriel. D’autre part, les comptes rendus des réunions du comité de direction et des assemblées générales du Syndicat des fondeurs des Ardennes complètent, de 1933 à 1996, le suivi des comportements de la branche avec le marché et permettent d’affiner la comparaison avec l’attitude de La Fonte Ardennaise. L’étude de la branche ne se limite pas à l’exploitation des archives du syndicat professionnel local et celles du SGFF détenues par le SFMA ; elle a été complétée par la consultation des actes de sociétés et des archives des tribunaux de commerce de Charleville et de Sedan auxquelles s’ajoutent ceux du tribunal d’instance de Rocroi. Cette approche apporte un éclairage différent sur le tissu industriel ardennais. L’enquête est limitée par les destructions

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survenues lors de la Seconde Guerre mondiale dans le ressort du tribunal de Sedan, et lors de la Première dans celui de Rocroi, mais en croisant ces résultats avec la consultation des archives privées notariales, nous sommes en mesure d’établir une cartographie évolutive du capital social dans la branche et de percevoir les caractéristiques des acteurs. L’étude de La Fonte Ardennaise peut ainsi s’inscrire dans une perspective de démographie des sociétés de la branche et éclairer la problématique de la durée de vie des entreprises car l’indépendance conférée par le mode de contrôle familial permet de poursuivre des objectifs de pérennité éloignés de ceux du marché financier. Cette volonté de pérennité, même si elle n’est pas explicitée dans la stratégie de l’entreprise, dessine implicitement un horizon qui dépasse le cadre de la vie du dirigeant et pose le défi du succès de la succession72. Comparer la diversité

des deux successions managériales (1967 et 1999) en identifiant les différences entre les parties prenantes et les identités de l’entreprise devient alors nécessaire.

Naturellement, mon emploi à La Fonte Ardennaise a facilité le recueil de témoignages oraux, souvent informations complémentaires concises ou précisions techniques, quelquefois récits de vie. La collecte des témoignages s’étend de 1995 à 2012 ; ce sont donc des regards multiples qui se portent sur l’entreprise tout au long de la période étudiée. L’inscription dans le récit historique de ces perceptions ressenties à tous les niveaux de La Fonte Ardennaise et de son environnement participe à l’effort pour reconstituer d’une manière vivante tous les processus et la culture de l’entreprise.

72 S. MIGNON, « La pérennité des entreprises familiales : un modèle alternatif à la création de valeur pour

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PREMIÈRE PARTIE :

Du martelage au moulage de la

fonte de seconde fusion : une

adaptation technique à un

marché nouveau

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INTRODUCTION

Dans la logique mentale des hommes de la métallurgie directe, l’enjeu, pour la production du fer, était l’obtention d’une loupe pâteuse73, si bien que l’apparition de métal

liquide fut probablement considérée comme une infortune. La fonte moulée trouve son premier débouché dans l’artillerie, avant de permettre l’utilisation du minerai phosphoreux pour la réalisation de « fonte marchande » utilisée en particulier pour la poterie culinaire. Il s’agit surtout de ne pas produire un fer médiocre car la filière majeure est bien celle qui va du minerai au fer du commerce74 : la sidérurgie à deux temps fournit le fer en barre qui fendu,

étiré, ou aplati est livré aux artisans pour une ultime transformation. D. Woronoff souligne, pour les années 1770, l’insuffisance de la production de fer nationale pour répondre à la demande, qui conduit à importer non seulement du fer brut mais aussi des produits à forte valeur ajoutée comme ceux ouvrés en acier et en fer-blanc, et la quincaillerie75.

En France, Réaumur réfléchit sur la substitution du fer forgé par la fonte moulée pour la production d’objets en série, mais c’est en Angleterre qu’une succession d’adaptations techniques des moyens de fusion et de transferts de technologie du moulage du cuivre distingue la fonderie de fer de la sidérurgie traditionnelle. La possibilité de traiter les gueuses produites au coke est désormais double : l’affinage qui conduit au fer forgé, et une nouvelle fusion dans les fours à réverbère ou dans les cubilots qui permet la maîtrise du moulage de la fonte. Les deux techniques se séparent car il n’est plus nécessaire qu’elles soient intégrées à la même unité de production que celle du haut-fourneau ni même proches spatialement76. Nous

présenterons dans un premier chapitre la démarche qui mène à ce nouveau système de production et son développement qui accompagne la demande de la mécanisation de l’industrie. L’essor de la fonderie de seconde fusion structure, en effet, une nouvelle organisation productive qui tarde à pénétrer en France ; nous analyserons ce retard ainsi que la diffusion de cette technique sur le territoire national dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Si la sidérurgie classique est animée par des maîtres de forge, notables d’origine nobiliaire, des fermiers négociants ou banquiers, et une petite aristocratie ouvrière de fondeurs

73 Bloc d’aspect spongieux que l’on martelait pour le débarrasser de ses impuretés. 74 D. WORONOFF, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 126.

75 Ibid., p. 135.

76 R. FREMDLING, « Transfer pattern of British technology to the continent: the case of the iron industry »,

Figure

Figure 1 : Production de la fonte moulée de 2 e  fusion en 1826
Figure 2 : Évolution de la production de 2 e  fusion et du prix à la tonne
Figure 3 : Production de la fonte moulée de 2 e  fusion en 1835, 1853 et 1860
Figure 4: Évolution du nombre de cubilots
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