• Aucun résultat trouvé

3) Évolution et situation du secteur, 1920-1930

3.1/ Reconstruction

Les industriels ardennais s’appuyèrent sur la loi du 17 avril 1919 reconnaissant le droit individuel à la réparation des dommages causés aux biens au cours de la guerre pour se reconstruire. La loi permettait aussi de recevoir, pour répondre aux besoins les plus urgents, des avances imputables sur les futurs dommages de guerre. Le SIMA, les différents groupes de pression dont l’influente Association pour la Défense des Intérêts Ardennais, les députés et sénateurs du département intervenaient régulièrement pour faire accélérer les reconnaissances. R. Colinet indique que malgré les visites de Clémenceau, Poincaré et Millerand, le paiement

316Indices généraux du mouvement économique en France de 1901 à 1931, Statistique générale de la

traîna en longueur de 1922 à 1939317. Les réactions furent donc vives en 1920 lorsque certains

s’interrogeaient sur l’opportunité de la reconstruction devant l’avance prise par les usines métallurgiques de la France libre318, puis rassurées en 1923 (même s’il restait encore beaucoup à faire pour reconstituer tous les modèles et l’outillage spécial qui dans certaines industries étaient considérables)319, enfin indignées en 1924 par les accusations de fraude dans les Régions libérées. Au-delà des polémiques, les usines sont généralement en état de marche à compter de 1922, comme l’indique le reportage du Monde Illustré d’août de la même année. Les avances sur dommages ont donc permis la reconstruction des ateliers. Le retour de certaines machines, soit distribuées par le canal de l’Office de reconstruction industrielle, soit directement rapportées par leurs propriétaires dans leurs établissements, (H. Faure320,

L. Tillet321), compléta la mise en état. Si rechercher et réinstaller leur propre matériel emporté

en Allemagne par les occupants fut une priorité pour les industriels ardennais, il ne semble pas qu’il y ait eu, pour la majorité d’entre eux, une réelle remise en cause des procédés de fabrication.

Pourtant le SIMA alerta ses adhérents sur la nécessité de se moderniser. Les décisions de Paul Thomé et de Paul Gailly en sont des exemples concrets. Le premier applique, à Nouzon, les méthodes découvertes chez Renault pendant la guerre : la production à l’américaine, la comptabilité industrielle et une gestion rigoureuse, simple et précise322. Le

second, après un voyage en Amérique, fait approuver une augmentation de capital de 500 000 francs pour intensifier la production de fonte malléable et construire de nouveaux bâtiments et acquérir des fours et du matériel de moulage323. Sans doute les fonderies déjà

mécanisées avant-guerre tendent à l’être plus encore, d’autres le deviennent suite à l’expérience acquise par leurs dirigeants dans l’économie de guerre, mais pour le plus grand nombre, le reportage du Monde illustré est éloquent : hormis quelques machines à mouler, l’organisation de la fonderie en elle-même, avec les moules posés au sol, reste identique à celle observée à la fin du XIXe siècle.

317 R. COLINET, op. cit., p. 110.

318 Procès-verbaux du SIMA, op. cit., 12 avril 1920. 319 Procès-verbaux du SIMA, op. cit., 14 mai 1923. 320 R. COLINET, op. cit., p. 110.

321 L. BAILLY, Vrigne aux Bois, des tourbières au cubilot 1797-1957, Charleville-Mézières, SOPAIC, 2000,

p. 71.

322 R. COLINET, op. cit., p. 110.

Document 16: Les fonderies reconstruites – 1922

Fonderie Gollnisch-Jardinier fils à Vrigne aux Bois Fonderie Émile Hénon à Revin

Sources : Le Monde Illustré, 20 août 1922, p. 74 et 100.

La modernisation ne fut donc que très partielle. Il était difficile pour les petites et moyennes entreprises familiales de sortir du traumatisme immédiat de l’usine dévastée pour se projeter avec l’élévation nécessaire vers une nouvelle conception du marché et d’adopter les moyens techniques de le satisfaire. Les fondeurs ardennais, tournés vers l’avant-guerre, semblent donc ignorer la vision technique illustrée chez Peugeot par E. Mattern : l’introduction de l’esprit mécanicien dans les fonderies324. D’autre part, en retrait des

applications industrielles des constructeurs automobiles, la littérature technique reste hésitante à ce sujet et suppose que l’automaticité s’accorde mal avec la pratique de la fonderie, qu’il s’agisse de sablerie, de noyautage ou de machines à mouler325. L’urgence était d’obtenir ou de

libérer des ressources immédiates pour redémarrer vite et retenir la population ouvrière326 ; ce

qui justifia la recherche de son ancien matériel et la reconstruction à l’identique d’une organisation technique qui fonctionnait avec efficacité avant-guerre et qui permit aux bénéfices d’atteindre des sommets historiques327. La règle d’attribution des dommages de

guerre pouvait, aussi, être un frein à une amélioration de l’espace industriel. Le 30 juin 1920, le chef du sous-secteur de Charleville de l’ORI, refusa à l’administrateur délégué des Fonderies de la Forge l’Union à Nouzon, une cession de dommages de guerre car les bâtiments abritaient précédemment une activité de construction de machines agricoles et non une fonderie328.

Pour un industriel, le processus d’obtention des avances était donc simplifié par une reconstruction à l’identique car toute extension ou modification technique ne pouvait être

324 Y. COHEN, « La subordination matérielle et humaine : figures de l’interdépendance dans les pratiques de

l’acier aux Automobiles Peugeot, 1910-1920 », in MIOCHE P., WORONOFF D. (dir.), L’acier en France :

produits et marchés, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, op. cit., p. 103-118.

325 La Fonderie Moderne, 3 mars 1919, p. 55.

326 Réunion des Fondeurs sur album ardennais, 12 novembre 1918, ADA 17J51. 327 R. COLINET, op. cit., p. 98.

328 Lettre de l’Office de la Reconstitution Industrielle, 3e secteur, l’Ingénieur, Chef du Sous-Secteur de

Charleville à l’Administrateur-délégué des Fonderie de la Forge l’Union à Nouzon, 30 juin 1920, archives privées du Musée du Vieux Nouzon.

BELGIQUE MARNE AISNE NORD MEUSE BELGIQUE MARNE AISNE NORD MEUSE

financée par l’attribution de dommages de guerre mais par l’autofinancement ou l’augmentation de capital. Cependant, la demande des « Années folles »329 conduisait à la

multiplication des modifications des statuts des sociétés et même à la création de nouvelles fonderies.