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Ce projet rencontre des besoins mais aussi des mesures et des financements. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, nous sommes au tournant des années 2000 dans un nouvel essor économique, avec l’objectif pour l’Europe de devenir « l’économie de la connaissance la plus

compétitive et la plus dynamique au monde »51. La recherche et le développement est alors un marché porteur, et la filière des nouvelles technologies l’est encore plus. Le programme Horizon 2020 de l’Union européenne recentre les financements sur trois priorités : l’ « excellence

scientifique » (« élever le niveau scientifique de l’Europe pour la rendre attrayante aux meilleurs chercheurs du monde »), la « primauté industrielle » (« technologies industrielles clés pour la compétitivité des entreprises européennes »), et l’orientation de la recherche vers la réponse aux

« grands défis sociétaux » que sont la santé, les technologies de l’information et l’énergie52. Les

lois sur l’urbanisme influencent elles aussi la production de la ville, avec notamment la loi solidarité et renouvellement urbain 53 qui transforme les politiques urbaines en zone métropolitaine en privilégiant la densification et la construction de la ville sur la ville ; ainsi que les lois « Grenelle » qui « mettent elles les questions énergétiques à l’agenda politique » (Citron, 2016, p.22). La ville produite doit désormais être durable, et les solutions aux dégâts sociaux et environnementaux du capitalisme innovantes, c’est à dire répondre aux défis techniques.

En 2009 et 2010, d’autres mesures d’action publique renforceront l’opportunité du projet GIANT : les investissements d’avenir du grand emprunt, le treizième contrat de projet État- Région, et les nombreux appels à projets de l’État pour construire des pôles de recherche54. Pour

51 Extrait de la stratégie de Lisbonne

52 Ministère de l’enseignement supérieur, de l’innovation, et de la recherche, « Description du

programme Horizon 2020 », [En ligne] URL : www.horizon2020.gouv.fr/cid73300/comprendre- horizon-2020.html [Consulté le 01/08/2018]

53 La loi no 2000-1208 du 13 décembre 2000

54 Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur, puis Institut de Recherche Technologique, et

le chargé de développement de la SEM, le projet Presqu’île a été une opportunité financière pour le CEA : « Il y a eu une grosse grosse dynamique constructive au CEA, qui a profité de l’argent

public, sous l’époque Sarkozy où on relançait l’économie, avec ses projets immobiliers ». Cette

opportunité n’est manifestement pas uniquement celle du CEA, sans quoi le projet urbain de la Presqu’île n’aurait probablement pas eu lieu. Le contexte de difficulté économique des collectivités et de concurrence entre les villes fait des appels à projet de l’État une source financière incontournable pour le développement des villes. Un autre rapport remis au PUCA à propos du développement durable, entre stratégies et projet à Grenoble, explique que la ville « a

compris que l’État fonctionne sur la base des appels à projet et de la compétition, et que le projet Presqu’île très avancé constituait une carte maîtresse à jouer » (Novarina et Seigneuret, 2013,

p.81).

En effet, le projet GIANT trouve un écho favorable auprès de toutes les collectivités locales. « C’était une époque », nous explique le chargé de développement de la SEM, « où

toutes les collectivités du département étaient un peu en phase pour développer ce type de projet. C’est à dire que le Département, la Métro, la Ville, étaient vraiment en phase pour faire avancer le projet. Le Département a financé Minatec, chacun dans ses prérogatives était assez persuadé de l’intérêt du projet. J’allais dire il y avait vraiment une convergence entre à la fois le monde politique grenoblois au sens large, y compris au Département, et le monde scientifique. A l’époque il y avait une vraie fluidité, perméabilité entre toutes les structures, qui fait que tout le monde portait ce projet commun ».

A quoi cela est-il dû ? Deux facteurs nous paraissent prédominants. D’abord, toutes les collectivités locales se trouvent être à ce moment là à la même couleur politique : la ville de Grenoble, la Métro, le Département et la Région sont tous au parti socialiste (PS). A cette conjoncture s’ajoute le fait que les principaux élus municipaux sont issus du CEA, et que la classe politique locale a adopté la culture des nouvelles technologies depuis cinquante ans, comme nous l’avons démontré dans les deux premiers chapitres. Le développement et l’ancrage territorial de la recherche technologique est majoritairement perçu de façon positive par les élus locaux, voire de façon évidente. Dans un article du Monde de 2002, le député-maire PS de la commune de Crolles va jusqu’à dire qu’ « ici les élus ont été vaccinés à la high tech. Cela permet d'avancer plus vite et d'éviter de se poser des questions métaphysiques » (Cabret, 2002).

Selon le modèle de Kingdon, la rencontre des courants est une condition de l’ouverture de la fenêtre d’opportunités, mais une politique publique n’est réellement mise sur l’agenda que si des « entrepreneurs politiques » profitent de cette conjonction pour créer une situation où le projet urbain s’impose comme nécessaire et légitime. Il nous faut donc désormais nous intéresser aux acteurs entrepreneurs du projet, et à leurs stratégies.

2. Les acteurs de la conquête

Les entrepreneurs politiques du projet GIANT sont facilement repérables puisqu’ils portent le projet sur le devant de la scène. Ils ont tous des ressources importantes et une continuité dans l’établissement du projet. Nous pouvons considérer qu’ils sont au nombre de quatre : Jean Therme, figure phare du CEA, Geneviève Fioraso, première adjointe au maire de Grenoble, Michel Destot, maire de Grenoble, et Stéphane Siebert, directeur des services techniques de la ville de Grenoble puis adjoint au développement durable. Nous avons choisi de les nommer par leurs noms et non simplement leur fonction parce que nous n’avons pas fait d’entretien avec l’un d’eux, et que leurs fonctions ont pour la plupart évoluées au fil du temps. Les nommer par leurs noms permettra en outre de personnaliser leur rattachement au projet, qui, nous le verrons, est spécifique pour chacun.