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Le rôle d’InnoVia dans la production de la presqu’île

L’exploration de la production de la presqu’île par l’histoire, la sociologie, et la dimension symbolique, dessine une sphère autour d’InnoVia qui nous permet de voir où elle intervient. Nous avons montré qu’elle n’est pas un instrument vide de la production de la ville (hypothèse 1) mais bien un des éléments constitutifs de sa réussite, grâce à des logiques qui lui sont propres. Nous avons pu saisir le rôle d’InnoVia à travers deux moments du projet urbain. Premièrement, lorsqu’elle assemble les éléments élaborés par une myriade d’acteurs appartenant aux domaines scientifiques, économiques et universitaires, dans son expertise foncière préalable à la mise à l’agenda du projet urbain du polygone scientifique au conseil municipal. Le passage d’une vision conçue en dehors de l’arène politique à la proposition concrète d’un projet de requalification de ce territoire, opère à travers InnoVia. Ce geste n’est pas anodin. Comme nous l’avons développé au cours de notre analyse, le travail des techniciens de la SEM permet de présenter à la fois le problème publique – l’opportunité de développement économique – et la solution, déjà digérée par des professionnels de l’aménagement. Sa position lui permet donc non pas de créer un espace de débat et de recherche de consensus, mais d’imposer une vision verrouillée du projet urbain qui étouffe la perspective d’une élaboration politique ouverte. Notre deuxième hypothèse est donc invalidé.

Le rôle d’InnoVia intervient également au moment de la mise en œuvre du projet. Nous avons vu qu’elle travaille à la fois avec les services de la mairie, les promoteurs, les acteurs scientifiques, les entreprises qui viennent s’installer sur la ZAC, et même les habitants. Elle se montre alors garante du respect de la vision initiale du projet, et articule les contraintes issus des diffents modes d’actions interactifs du projet avec la volonté de contrôle qui le prédomine (Pinson, 2006). Ceci nous amène à notre troisième hypothèse. A l’issue de notre recherche, nous situons le rôle d’InnoVia dans l’articulation entre un méta-projet (Pinson, 2004) et la matérialisation d’un monde bâti à partir de lui. InnoVia a pris part à plusieurs reprises à la production de la Presqu’île. Dès sa création, son action cible la transformation du quartier de la Frise en un centre d’affaires international. Elle poursuit ensuite la mutation de ce territoire avec la

réalisation de nombreuses zones d’aménagement concertés sur ce territoire. En trente ans, InnoVia œuvre à convertir l’un des derniers espaces qui n’était pas encore densifié à Grenoble. Cette conversion abouti aujourd’hui à une métamorphose d’une partie de la ville, qui concentre les lieux du pouvoir scientifique local. Pensé comme un pôle Minatec augmenté, le quartier de la Presqu’île est devenu un modèle international de la version urbaine du mythe de l’innovation. Si le versant utopique de la production de la Presqu’île – qui veut créer un monde où scientifiques, chefs d’entreprises, étudiants, et habitants cohabitent en harmonie en vivant dans un environnement technologisé – ne se vérifie pas aujourd’hui, ce quartier aura été une réussite pour les membres de l’alliance GIANT.

Limites et perspectives de la recherche

Notre recherche nous a permi d’aborder d’un angle singulier la question des rapports de pouvoir dans la production de la ville. Dans le projet urbain de la Presqu’île scientifique de Grenoble sont réunis à la fois des acteurs politiques, scientifiques, et économiques. Notre approche véhicule de fait une séparation entre ces trois pouvoirs et une homogéneisation de chacun d’eux. Or plusieurs éléments nous ont montré que les acteurs de chacun de ces domaines sont loin de représenter une entité unie. Le pouvoir politique par exemple se réfère à différentes collectivités locales et à l’Etat, qui sont, bien sûr, eux-mêmes morcelés en acteurs aux logiques et intérêts propres. Du côté des scientifiques, nous avons beaucoup étudié le rôle du CEA, puisqu’il nous a paru avoir impulsé le projet et être un acteur très influent à Grenoble depuis les années 1950. Or il aurait intéressant de développer l’intérêt du projet depuis d’autres points de départ, tel que pour l’université de Grenoble, les laboratoires de la Presqu’île, ou encore les entreprises. Notre volonté de nous décaler par rapport à la question de la privatisation de la production des villes nous a amené à minorer le rôle des acteurs économiques, qui sont pourtant importants dans le projet urbain de la Presqu’île, ainsi que présents dans le conseil d’administration de la SEM pour certains (Vinci, Eiffage, Banques).

Le rôle de la SEM à la croisée des pouvoirs politiques, scientifiques et économiques mériterait d’être approfondis avec une poursuite des pistes ouvertes ici. Parmi elles, la question de la place des techniciens dans la production de la ville, depuis une analyse qui accorderait aux fonctions d’opérateurs une portée politique, dans le cadre des spécificités contemporaines du capitalisme qui, pour se maintenir, doit sans cesse gérer la crise (sociale, économique,

environnementale). Une étude de l’impact de la métropolisation sur les rapports de pouvoir dans la production de la ville à Grenoble serait aussi tout à fait pertinente à mener. La désignation d’un nouveau directeur de la SEM InnoVia par Grenoble Alpes Métropole est significatif de la montée en puissance de cet acteur, qui pourrait peut être opérer un nouveau tournant dans la fabrique de la ville.

Bibliographie