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Les sociétés d'économies mixtes locales d'aménagement dans la production de la ville : analyse à partir du cas du rôle de la SEM Innovia Grenoble Durablement, dans le projet urbain de la Presqu’île à Grenoble

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Les sociétés d’économies mixtes locales d’aménagement

dans la production de la ville : analyse à partir du cas du

rôle de la SEM Innovia Grenoble Durablement, dans le

projet urbain de la Presqu’île à Grenoble

Romane Rolion

To cite this version:

Romane Rolion. Les sociétés d’économies mixtes locales d’aménagement dans la production de la ville : analyse à partir du cas du rôle de la SEM Innovia Grenoble Durablement, dans le projet urbain de la Presqu’île à Grenoble. Science politique. 2018. �dumas-02954605�

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Les sociétés d’économies mixtes locales d’aménagement dans la

production de la ville

Analyse à partir du cas du rôle de la SEM Innovia Grenoble Durablement, dans le projet urbain de la Presqu’île à Grenoble

Par Romane ROLION

Mémoire de recherche, parcours « Villes, territoires, solidarités » Septembre 2018

Sous la direction de Claire Dupuy

Institut d’Etudes Politiques de Grenoble Parcours « Villes, Territoires, Solidarités »

Sous la direction de Dominique MANSANTI et Elsa GUILLALOT Année Universitaire 2017/2018

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« L’espace est politique et l’espace est vivant, parce que l’espace est peuplé, peuplé de nos corps qui le transforment par le simple fait qu’il les contient. Et c’est pour cela qu’il est surveillé, et c’est pour cela qu’il est fermé. Le local est politique parce qu’il est le lieu de l’affrontement présent. »1

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SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE 6

PARTIE 1 : TRESSE HISTORIQUE SUR LE ROLE DES SEM DANS LA PRODUCTION DES VILLES ET LE CONTEXTE D’EMERGENCE DE LA SEM DE GRENOBLE EN LIEN AVEC LE POUVOIR POLITIQUE,

SCIENTIFIQUE, ET ECONOMIQUE 19

Chapitre 1 : 1950 – 1980 Naissance des SEM locales d’aménagement et relations entre pouvoir

scientifique, économique et politique à Grenoble 22

1. Les SEM, opératrices de la reconstruction au service de l’État et porteuses d’autonomie pour les

collectivités locales 22

2. L’implantation du CEA à Grenoble dans le milieu local scientifique, politique, et industriel 25

3. Le tournant technopolitain des années 1960-1970 30

Chapitre 2 : 1980 – 2018 Les SEM aux mains du pouvoir local, et la production du nord-ouest de la ville de Grenoble sous différents mandats 36

1. Les SEM aux mains du pouvoir local 36

2. La production de la Presqu’île de Grenoble au début des années 2000 41

3. Perspectives de la production de la ville à Grenoble depuis 2014 45

PARTIE 2 : LE ROLE DE LA SEM DANS L’ELABORATION DU PROJET URBAIN DE LA PRESQU’ILE 53

Chapitre 3 : La SEM au cœur de la révélation progressive d’un projet urbain de grande ampleur dans

l’arène municipale 56

1. Octobre 2007 : mise à l’agenda du projet du polygone scientifique suite à des études foncières réalisées

par la SEM 57

2. Décembre 2006, la convention des études d’impact foncier contient déjà les grandes lignes du futur

projet de la Presqu’île 60

3. De 2008 à 2009, du Polygone à la Presqu’île scientifique 64

Chapitre 4 : La ZAC Presqu’île, un dessein scientifique dans un projet urbain 72

1. L’ouverture d’une fenêtre d’opportunité 72

2. Les acteurs de la conquête 78

3. Les rouages de la conquête, ou le processus collectif de mise sur agenda 85

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Chapitre 5 : La Presqu’île, dimension urbaine du mythe de l’innovation 97

1. Recourir au mythe, entre stratégie de communication et « fonction compensatrice » 99

2. Etude de la mise en oeuvre du projet à partir du rôle de la SEM 103

3. Ce que les constructions matérialisent 109

CONCLUSION GENERALE 117

BIBLIOGRAPHIE 120

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Introduction générale

1/ La production de la ville, un enjeu politique

S’intéresser à l’espace des villes et aux rouages de son organisation relève d’un intérêt politique, d’une volonté de comprendre par quels procédés l’espace est contrôlé et ce que sa production pourrait nous dire de l’époque que l’on habite. Les villes sont traversées par le fourmillement de la vie sociale, qui s’intensifie avec leur accroissement, qui est tel qu’aujourd’hui plus de la moitié de la population mondiale vivrait dans un environnement urbain (Marchal et Stébé, 2009), réduisant par ce même mouvement l’espace des terres non urbanisées, agricoles ou sauvages. Indissociables des rapports sociaux régis par l’organisation économique de la société, les villes structurent et sont structurées par les besoins du capitalisme (Harvey, 2001). Au départ lieux des échanges marchands, elles se sont d’abord constituées autour des centres historiques, contenus dans des remparts afin de protéger les biens et les lieux de pouvoir, religieux et civil. Au temps de l’industrialisation en Europe, des usines ont ensuite été construites en bordure des centres villes, amenant avec elles leurs mains d’œuvre importées des campagnes ou de contrées étrangères. Celles-ci se sont mises à habiter là où leur patron leur construisait des logements à proximité de leur lieu de travail. Ces lieux de vie se transforment en ce qu’on nommera faubourgs ouvriers : quartiers hors des villes, où la vie sociale populaire se déploie, à partir des logements, des cafés, commerces, places, et des lieux d’organisation politique.

Hauts lieux de révoltes, ainsi que de massacres de ces sursauts d’émancipation, les villes sont le lieu où le pouvoir se prend et se perd, nous dit Rosière (2008). Leur contrôle est ainsi au centre des enjeux de pouvoir. De nombreux exemples peuvent illustrer la façon dont il s’est opéré. Parmi eux, la construction des grands boulevards au XIXème siècle par le préfet Haussmann, qui par ce geste met la transformation urbaine au service des ambitions politiques du Second Empire. En voulant incarner la modernité, Haussmann transforma Paris contre le peuple (Harvey, 2003). Dominer la circulation des corps est une manière de contrôler l’espace, maîtriser les conditions matérielles de la vie en ville en est une autre. Ainsi, laisser libre court à la hausse du prix des loyers a pour effet de conduire une politique de remplacement de la population. Ceux et celles qui peuvent se permettre de vivre en ville aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’au siècle

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dernier. Le prix des nouveaux logements et la hausse des anciens, suite notamment aux opérations de réhabilitation de l’habitat ou de rénovation reconstruction, contraint en effet les habitants historiques à céder leur place à des ménages plus aisés (Clerval, 2013). Chercher à comprendre comment sont fabriquées les villes et quel monde social cette fabrique tente d’incarner est une recherche intellectuelle incontournable pour saisir les enjeux de pouvoir de notre époque.

2/ La position nodale des sociétés d’économie mixte d’aménagement

Cet intérêt pour la production contemporaine des villes nous a amené à nous intéresser aux sociétés d’économie mixte locales d’aménagement (SEM) car elles sont, paradoxalement, à la fois omniprésentes dans les multiples opérations par lesquelles les villes sont fabriquées, et peu étudiées d’un point de vue politique. Depuis leur ouverture au champ de l’aménagement dans les années 1950, les SEM sont les acteurs qui produisent concrètement l’espace des villes, d’abord sous la commande de l’État, puis des collectivités locales à partir des années 1980, aux côtés de sociétés de construction, de banques, et de divers partenaires locaux ou nationaux, privés ou publics. Ce sont elles qui pilotent les programmes d’aménagement et opèrent la jonction entre tous les acteurs concernés par la construction afin de faire sortir de terre ce qui a été planifié. Sociétés privées au capital public, les SEM d’aménagement sont parfois qualifiées de

médiatrice[s], pouvant faire converger les divers points de vue sur la ville (Bourdin, 1996), ou

encore de lieu neutre de réunion des différents acteurs du projet2. À l’inverse, certains les associent à une privatisation croissante de la production de la ville (Lorrain et Stoker 1995) ou à un instrument allant jusqu’à permettre aux élus de s’affranchir de certaines règles, ou tout du moins de négocier l’action publique locale (Caillosse, Le Galès, Loncle-Moriceau, 1997).

Si la spécificité juridique des SEM, entre le droit des collectivités et le droit des entreprises, a longtemps éveillé l’intérêt de chercheurs en droit, la science politique n’a pas connu le même engouement pour cet objet. A la fin des années 1990, Jacques Caillosse, Patrick Le

2 Citation de Patrick Le Bihan extraite de la Synthèse de la conférence annuelle du réseau des

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Galès et Patricia Loncle-Moriceau écrivent ainsi que Les sociétés d’économie mixtes locales

participent en France depuis fort longtemps au gouvernement des villes. Malheureusement, en dehors de la thèse de François d’Arcy (1967) et d’imposants travaux juridiques (Devès, Bizet, 1991 ; Durand, 1998), les SEM ont peu retenu l’attention des chercheurs (1997, p.25). Depuis,

celles-ci ont été évoquées dans des travaux sur le pilotage de projets d’aménagement urbain, en urbanisme, géographie, ou sociologie politique (Arab, 2004 ; Idt, 2009). Or les SEM sont surtout perçues comme des satellites du pouvoir municipal, une sorte de bras opérateur du développement urbain. La plupart de ces études s’intéresse d’ailleurs plus aux partenariats publics-privés qu’aux SEM elles-mêmes (Menez, 2008 ; Da Rold, 2008 ; Citron, 2016). Tout en prenant en compte ces travaux, nous orienterons notre questionnement différemment. En effet, notre point de départ n’est pas la question spécifique de la privatisation de la production de la ville, mais la façon dont les villes sont produites aujourd’hui au regard des rapports entre les différentes sphères du pouvoir : à la tension entre les pouvoirs public et privé, nous ajouterons celle entre les sphères scientifique et politique (centrale, comme nous le verrons, dans notre cas d’étude) et celle entre les objets urbains bâtis et les représentations mobilisées pour les construire. Nous ne nous intéressons donc pas aux SEM comme organismes satellites de la ville aux mains des élus ou des acteurs privés, mais pour ce qu’elles sont : une pièce centrale, peut-être une clé, pour analyser le processus de la fabrique des villes. Ce travail aborde donc un champ encore peu étudié, qui pourrait être mené dans d’autres villes.

3/ Notre positionnement dans les débats analytiques A. L’influence de la géographie radicale

Notre intérêt pour la production des villes et ce que celle-ci matérialise comme monde social poursuit les questionnements de la géographie radicale du début des années 1970 qui replace l’analyse de la fabrique des villes à un niveau macro et notamment en relation avec les évolutions du capitalisme et les rapports de pouvoir entre classes sociales qui en découlent (Harvey, 1973 ; Castells, 1972 ; Lefebvre 1973). Les années 1970 correspondent à une période de forte transformation sociale et économique, dont la qualification amène de nombreux débats dans les sciences humaines et sociales. Certains philosophes parlent de postmodernité (Lyotard, 1979)

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pour qualifier le dépassement de l’ère moderne, basée sur l’héritage des lumières et une valorisation de la rationalité et de la science comme maîtrise de la nature. Dix ans plus tard, David Harvey (1989) transpose ce terme dans une perspective géographique et donc spatiale, mettant en relation les transformations du capitalisme avec celles de l’action publique urbaine. Pour lui, les conditions de la postmodernité dans la production de la ville correspondent à la fin de l’approche keynesienne redistributive de la planification urbaine, pour aller vers une production qui devient elle-même un moyen d’accumulation du capital et un investissement porteur.

Nous tirons de ces analyses notre questionnement sur les rapports de force dans la production du territoire urbain, qui ne peuvent être dissociés d’enjeux politiques encastrés dans la structure socio-économique générée par le capitalisme contemporain. Cependant, notre enquête porte sur un cas situé, et non un temps long de la production des villes ouest européennes. Nous mobiliserons donc ces analyses lorsqu’il s’agira d’agrandir la focale sur notre étude empirique et interpréter les résultats de l’enquête au regard de la question des spécificités contemporaines de la production capitaliste des villes.

B. Un gouvernement urbain fragmenté

De par notre objet de recherche, nous poursuivons les analyses de sociologie politique cherchant à comprendre la fabrique des villes aujourd’hui. Les sciences humaines et sociales ont pendant longtemps analysé le pouvoir que depuis l’échelle de l’État, les villes et leur organisation étant considérées comme des périphéries où s’appliquaient automatiquement les décisions prises par le gouvernement. Considérant que les années 1980 sont un tournant majeur dans l’action publique française et spécifiquement dans la production des villes (Pinson, 2005), avec la décentralisation du pouvoir, mais aussi l’intensification de la libéralisation de l’économie, nous nous intéressons aux analyses postérieures à ces années là. De nombreuses études ont tenté de qualifier ces transformations, parmi elles l’ouvrage phare de Patrick Le Galès qui annonce l’ère de la gouvernance urbaine (1995) comme celle d’un processus de coordination d’acteurs, de

groupes sociaux, d’institutions pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés, incertains (p.225). Sans entrer dans les débats relatifs à la

justesse ou non de la notion de gouvernance, qui renvoie à la question précise du rôle des acteurs publics dans le gouvernement des villes aujourd’hui, nous retenons de cette étude l’idée de

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fragmentation du gouvernement urbain, qui génère de fait une multiplicité d’acteurs dans la production de la ville. Avec l’ouverture de l’aménagement au marché, de nouveaux acteurs deviennent en quelque sorte coproducteurs de la ville (Lorrain 1994, Arab 2004, Menez 2008). La montée en puissance de ces acteurs fait l’objet de multiples travaux, que ce soit concernant les grandes entreprises (Le Galès, 1995), les grands groupes privés (Lorrain, Stoker, 1995), ou encore les grands groupes de construction (Campagnac, 1992).

Si ces approches montrent que la production de la ville à partir des années 1980 ne peux plus être considérée comme l’application d’une décision prise dans les arènes politiques ayant pour but la recherche de l’intérêt général, mais comme le fruit de négociations entre différentes stratégies, elles tendent cependant à orienter la question de la production de la ville vers la seule privatisation des villes, qu’elle soit perçue comme complète ou limitée. Par notre approche nous souhaitons opérer un décalage par rapport à ces études, afin de sortir de la question de la privatisation de la production de la ville, pour nous intéresser à d’autres sphères du pouvoir, notamment celles du pouvoir scientifique et politique, mais aussi à la relation entre le bâti et les représentations mobilisées pour le construire.

C. Une analyse centrée sur certains acteurs de l’action publique

Ne considérant pas les individus et les groupes impliqués dans la production de la ville comme des acteurs rationnels et conscients de leurs ressources et intérêts, comme ce peut être le cas dans l’approche des policy sciences (Lerner, Lasswell, 1951), nous les aborderons plutôt à la manière de Patrick Hassenteufel (2011) en cherchant à saisir de quelles ressources ils disposent, à quels systèmes de représentations ils adhèrent, et quels intérêts ils poursuivent. Notre position se place donc bien du côté d’une sociologie de l’action publique qui part des acteurs. Pour autant, nous adopterons un point d’entrée original dans cette recherche, puisque nous ne chercherons pas à cartographier et étudier les configurations d’acteurs en général, politiques, privés, et scientifiques, dans la production de la ville, mais bien à partir d’un acteur particulier, les SEM. Ainsi nous ne poursuivrons pas les modèles d’analyse de l’action publique, pour qui l’étude des alliances et des stratégies d’acteurs est au cœur de la production de la ville (Le Galès et Thatcher, 1995 ; Sabatier, Jenkins-Smith, 1999). Ceux-ci tendent selon nous à orienter le regard sur la recherche de groupes d’acteurs organisés, laissant de côté la possibilité d’une action publique urbaine locale dont les outputs ne seraient pas sous le contrôle de l’un ou l’autre groupe. Nous

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resterons cependant attentifs aux potentielles coalitions d’acteurs et la façon dont elles entrent en conflit ou trouvent du consensus dans la production de la ville, mais privilégierons plutôt le terme de constellation du pouvoir, qui ne se réfère pas à un modèle en particulier, pour étudier les configurations d’acteurs.

D. Partir d’un projet urbain complexe pour analyser la production des villes

À la fragmentation du gouvernement des villes que nous avons évoquée précédemment s’ajoute dans les années 1980 le constat du passage de la planification centralisée du développement urbain aux projets urbains et, de façon générale, à une gestion par projet de la ville. La notion de projet urbain s’est imposée à la fois contre le fond et la forme que prenait la production des villes au temps de la reconstruction d'après-guerre et jusqu’aux années 1970 (Pinson, 2005) : soit une production par grands plans directeurs, pensés depuis des ministères ou administrations nationales, qui fait table rase du passé et construit des quartiers entiers sans prendre en compte l’environnement social préexistant. Le projet urbain a alors été promu comme une réponse à ces deux problèmes, permettant à la fois de concevoir la ville depuis l’échelle locale et en lien avec son environnement, et de rendre son élaboration coproduite et négociable. Cet instrument d’action publique se serait donc imposé pour gouverner la situation de fragmentation et de multiplicité d’acteurs dans la production des villes (Pinson, 2005) présentée précédemment. Il nous paraît dès lors intéressant de partir d’un projet urbain pour étudier la fabrique des villes, puisqu’il se jouerait dans les projets urbains de nouvelles formes de contrôle de l’espace adaptées à une situation contemporaine. C’est pour cela que nous avons choisi pour notre recherche de partir d’un projet urbain complexe (Ingalina, 2003), soit une opération d’aménagement urbain sur tout un morceau de ville, qui nous permettra d’analyser ce qui se joue dans la production de la ville délimitée par une temporalité, un territoire, et des acteurs spécifiques.

Nous appliquerons à notre recherche la notion de projet selon la définition de Gilles Pinson, à savoir qu’elle est traversée par une tension forte entre volonté de contrôle et

d’affirmation d’un sujet politique, d’une part, et mise en œuvre de modes d’actions interactifs, itératifs et incrémentaux, d’autre part (2005, p.217). C’est à dire que deux logiques opèrent dans

le projet urbain, d’un côté l’affirmation d’une volonté politique autoritaire qui fixe un cap sur les grandes orientations de la production de la ville, et de l’autre une rationalité interactionniste

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régulée par les échanges d’interactions dont les outputs sont imprévisibles puisque produits par ces interactions. Dans cette définition, la production de la ville nécessite des institutions

permanentes qui encadrent les processus d’intégration (2005, p.226). De par leur position

nodale, les SEM paraissent être intrinsèquement liés à cet encadrement. L’approche par les instruments du projet urbain de Gilles Pinson (2005) nous paraît donc être tout à fait adaptée à notre recherche, puisqu’elle s’intéresse au projet en prenant de façon processuelle en compte ce qu’il produit et non seulement ce qu’il contient. De même, nous appliquerons cette approche aux SEM, qui, comme nous l’avons vu, sont souvent perçues comme des outils opérateurs creux. Nous étudierons les SEM comme des entités propres, qui peut-être influencent de façon autonome l’aménagement de la partie de la ville dont elles ont la charge, justement parce qu’elles sont en mesure d’encadrer le mode d’action qu’est le projet urbain. Si elles sont cet élément central qui permet de réguler l’élaboration de la production de la ville, il nous reste cependant à savoir où elles se situent dans l’ambiguïté soulevée par Gilles Pinson, entre l’horizon figé défini par une vision volontariste, et le niveau des interactions dans la matérialisation du projet urbain, dont les effets sont issus des allers-retours incrémentaux entre les différents acteurs.

E. Lier la dimension matérielle et normative de la production de la ville

Pour comprendre ces intentions, nous souhaitons aussi étayer notre analyse des dimensions cognitives et discursives de la production du morceau de ville évaluée à partir d’un projet urbain. Nous avons vu que pour nous la production de la ville est une fenêtre pertinente pour comprendre les enjeux de pouvoir aujourd’hui et la construction du monde social du capitalisme contemporain. En sociologie politique française, l’étude des idées des acteurs, leurs croyances et représentations a produit des analyses cognitives des politiques publiques. Parmi elles nous retiendrons les apports de Pierre Muller et Bruno Jobert (1987) qui considèrent les politiques publiques non pas comme des objets techniques mais politiques, contribuant à une certaine vision et à un certain ordre social. Ce ne sont donc pas l’étude des conditions cognitives dans lesquelles sont produites les politiques publiques (Padioleau, 1982) qui nous intéressent pour notre recherche mais bien le champ symbolique de la production d’un monde, matérialisé par la requalification urbaine d’un territoire. Nous nous intéressons donc de manière générale à certains éléments cognitifs inclus dans l’action publique.

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construction de l'espace par les objets bâtis. Ces discours, et les représentations qu’ils mobilisent, seront mis en parallèle avec ce que nous constatons être le résultat de la mise en œuvre du projet urbain étudié. Nous poursuivrons ainsi également l’objet du « tournant argumentatif » des politiques publiques (Fischer, Forrester, 1993) en nous efforçant de comprendre la relation qui se

noue entre l’empirique et le normatif (Fisher, 2013, p.3)4 au sein de la production du morceau de

ville étudié.

3/ Question de recherche

Nous souhaitons sortir de la question de qui gouverne la ville ? pour nous intéresser, comme le propose Alan Harding, aux facteurs qui contribuent à l’élaboration d’une stratégie

donnée, ou d’un ensemble de stratégies, de développement de la ville, et à ses répercussions

(1994, p.449). C’est donc plus le comment que le pourquoi qui nous intéresse, c’est à dire tout ce qui contribue à faire exister un projet urbain et à orienter la production d’un morceau de ville. Afin d’apporter un angle de vue différent dans l’état de la recherche actuelle sur ce sujet, nous partirons de la position nodale d’une SEM dans la production d’un morceau de ville en cherchant à répondre à la question suivante :

Quel(s) rôle(s) a une SEM X dans la production d’une ville X au regard des enjeux de pouvoir entre les pouvoirs politique, scientifique, et économique, et la tension entre dimension symbolique et monde matérialisé ?

4/ Choix du cas

Nous avons choisi de travailler sur la ville de Grenoble et sa SEM, InnoVia Grenoble Durablement (InnoVia). Créée en 1987, alors sous le nom de Grenoble 2000, cette SEM a exclusivement aménagé des quartiers situés au nord-ouest de la commune. Six opérations urbaines, toutes zones d’aménagement concerté (ZAC), lui ont été confiées : l’opération Europole 1 (1987) étendue à l’opération Europole 2 (1988), l’opération de la ZAC des Berges (1999), l’opération Minatec (2002), puis Bouchayet-Viallet (2004) et enfin l’opération Presqu’île Scientifique (2009). Nous avons sélectionné la dernière opération, soit la requalification urbaine

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de 250 hectares situés à la pointe nord-ouest de la ville, à la confluence de l’Isère et du Drac. Initié entre 2007 et 2009, le projet de ZAC Presqu’île est un vaste programme de construction sur vingt-cinq ans, comprenant au total 830 000 m2 de bâtiments. Un quart de cette production concerne des locaux de laboratoires de recherche, un autre quart des locaux d’immobilier tertiaire complémentaire, et la moitié restante est partagée entre des locaux d’enseignement supérieur (100 000 m2), des locaux de commerces et de service, dont l’hôtellerie (25 000 m2), des locaux d’équipements collectifs et de loisirs (25 000 m2), des logements pour étudiants et jeunes chercheurs (2700 à 3300 m2), et enfin des logements familiaux (1800 à 2200 m2). Pensé dès le départ en collaboration avec des acteurs politiques, scientifiques, et économiques, ce programme relève à la fois d’un projet scientifique - de construction de laboratoires, centres de recherche, campus - , et d’un projet urbain de création de nouveaux quartiers, d’infrastructures, et de liaison avec le reste de la ville. Cette tension entre deux mondes, celui des scientifiques, et celui des habitants, se retrouve tout le long de l’avancée du projet, et encore aujourd’hui, dix ans après le début de l’opération.

Le choix de ce cas est fondé sur la particularité de ce projet, qui rassemble de façon inédite des acteurs politiques, de l’économie, de l’enseignement supérieur, et de la recherche, dans le pilotage du projet. Puisque nous nous intéressons à la position nodale de la SEM et ce que celle-ci lui confère comme rôle dans la production de la ville, nous avons privilégié un projet urbain d’exception à d’autres opérations plus classiques. Nous chercherons donc à répondre à notre question par un cas très spécifique où une SEM se retrouve à la croisée de mondes différents, a priori peu habitués à produire de l’urbain en collaboration avec les acteurs classiques (pouvoirs publics, promoteurs, etc). Le choix de notre cas permettant ainsi d’avoir une sorte de loupe grossissante sur la position nodale de la SEM.

5/ Hypothèses

L’étude de la littérature et les données récoltées pendant la recherche nous ont porté à formuler trois hypothèses quant au rôle de la SEM InnoVia dans la production de la ville.

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SEM est un outil creux, au service de la municipalité ou d’autres acteurs, et ne tire pas de place particulière de sa position nodale. Cela signifierait qu’elle ne serait pas un acteur comme les autres, aux ressources, systèmes de représentations et intérêts propres. Cette hypothèse constitue notre hypothèse nulle.

2. Notre seconde hypothèse est que sa position lui confère au contraire une qualité de lieu de délibération politique entre les différents mondes avec lesquelles elle est en contact, et que c’est par elle que le consensus autour du projet de la Presqu’île se produit. Dans un contexte de fragmentation de l’urbain et de multiplicité des acteurs (Le Galès, 1995), puisque les villes ne sont plus produites dans la seule arène municipale, nous pourrions nous demander si les SEM ne serait pas un acteur clé des négociations, dont le contact avec tous les acteurs du projet urbain permettrait de réguler l’éclatement décisionnel. 3. Enfin, notre troisième hypothèse est que la SEM n’est ni ce lieu de délibération politique, ni un

simple opérateur neutre, mais que son rôle dans la constellation du pouvoir s’exprime justement par sa position, Dans la définition du projet urbain de Pinson (2005), le SEM serait alors l’institution permanente qui articule la volonté de contrôle de la production de la ville et la mise en œuvre de modes d’actions interactifs propre au projet urbain. Et ainsi qui articule une vision symbolique avec la matérialisation concrète d’un monde social bâti.

6/ Description du travail d’enquête

J’ai mené cette recherche sur une durée de quatre mois, de mai à septembre 2018. Quatre matériaux ont constitué mes données empiriques : les entretiens (4), les documents d’archives et données techniques sur le projet de la Presqu’île, les éléments de communication sur le projet (presse, film, prospectus, sites internet), et les articles et thèses scientifiques. Mon terrain s’est précisé environ un mois après le début de mes recherches. Cette première phase correspond à une recherche exploratoire, où je me suis familiarisée avec l’objet SEM, l’histoire de la SEM de Grenoble, et l’histoire de la ville en elle-même. J’ai souhaité dès le départ historiciser mon objet afin d’être en mesure de comprendre ce qui pourrait distinguer le rôle de la SEM dans la production de la ville aujourd’hui d’autres époques.

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Mes premiers contacts ont été des demandes de références bibliographiques, car il m’était difficile de trouver des sources académiques en lien direct avec mon sujet. J’ai ainsi demandé au chercheur de PACTE Charles Ambrosino, à Alain Faure, à la chargée du pôle appui documentaire à la recherche de l’IEP de Grenoble, ainsi qu’à la géographie Anne Clerval qui a travaillé sur les questions de production de la ville. Les réponses obtenues ne m’ont pas fourni beaucoup plus d’éléments, mais j’ai continué mes recherches en abordant mon objet autrement, c’est à dire sans chercher directement des travaux sur les SEM dans la production de la ville.

Grâce à une connaissance commune qui m’a mis en contact, j’ai rapidement effectué mon premier entretien, avant même d’avoir arrêté mon cas. Cet entretien n°1 s’est déroulé avec un élu municipal (ADES) qui a participé à toutes les municipalités successives depuis 1995, et a également été administrateur de la SEM de 1995 à 2001. Les conditions de mes entretiens sont décrites à la suite de ma bibliographie.

J’ai ensuite contacté le directeur de la SEM InnoVia duquel j’ai rapidement obtenu un rendez-vous. En parallèle, j’ai demandé à Hélène Clot (Métro) de me conseiller des personnes à la Métro qui auraient travaillé sur le projet de la Presqu’île, et j’ai poursuivi mes demandes d’entretien. Voici les personnes que j’ai contacté : l’ancienne attachée de Geneviève Fioraso (première adjointe à l’économie en charge du projet Presqu’île), Jerôme Soldeville (conseiller municipal et administrateur de la SEM), Laurent Gaillard (directeur à l’urbanisme lors du lancement du projet Presqu’île), Catherine Rives (administratrice de la SEM pour la Caisse des Dépots et Consignations), Yves Maréchal (directeur de l’Institut Polytechnique de Grenoble), Patrice Coindet (Métro), Franck Izoard (directeur de projets à la SEM), le chargé de développement de la SEM, le directeur de la Maison des habitants du Secteur 1, Julie Falcot (chef de projet Presqu’île-Innovation à la direction Economie de la ville de Grenoble il y a cinq ans), Agathe Congiot (chargée de développement économique à la Métro travaillant sur le projet Presqu’île), Anne Delaune (directrice du projet Presqu’île pour la ville de Grenoble il y a cinq ans).

Outre les refus (Jérôme Soldeville, Julie Falcot, Agathe Congiot, Anne Delaune), je n’ai pas beaucoup obtenu de réponse. L’accès aux entretiens a été un point difficile dans ma recherche, car il ne m’a pas été possible de rassembler un échantillon suffisament diversifié pour étoffer mes analyses. Je regrette ne pas avoir pu rencontrer une personne de la Mairie ou de la

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Métro qui ait travaillé sur le dossier de la Presqu’île au moment de son lancement. En plus de l’élu de l’ADES et du directeur de la SEM (entretien n°2), j’ai néanmoins pu effectuer un entretien avec le chargé de développement de la SEM (entretien n°3), et le directeur de la Maison des habitants du secteur 1 (entretien n°4).

Aux données chaudes récoltées durant les entretien s’ajoutent de nombreuses données issues de documents administratifs. La consultation de plus de cinquante comptes-rendus d’assemblées de collectivités publiques (conseils municipaux, conseils généraux, conseils départementaux, conseil de Grenoble Alpes Métropole), recueillis via les archives en ligne, m’a apporté beaucoup d’information sur la chronologie du projet, que j’ai beaucoup mobilisé pour étudier sa mise sur agenda. Je me suis aussi rendue aux archives municipales à plusieurs reprises pour essayer de trouver des documents internes à l’élaboration du projet de la Presqu’île. Parmis les dossiers consultés, ce sont surtout les comptes rendus de comités de pilotage, ainsi que les mails envoyés par les acteurs du projet qui m’ont permis d’entrer dans les détails internes de l’élaboration du projet. Enfin, j’ai eu la chance de pouvoir consulter des documents inédits (procés verbaux des conseils d’administration de la SEM).

Les éléments de communication des collectivités locales et des acteurs scientifiques ont aussi servi à mon analyse, ainsi que certains articles journalistiques. Enfin, je me suis beaucoup référée à des thèses traitant de sujets corrolaires, notamment en ce qui concerne l’aménagement urbain, et aux rapports de la plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines rédigés par des chercheurs de Grenoble sur deux thématiques : l’économie de la connaissance à Grenoble (Ambrosino et al., 2013), et le développement urbain durable de Grenoble (Novarina et Seigneuret, 2013).

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Nous commencerons notre travail en faisant une recherche sur l’histoire d’InnoVia dans les opérations urbaines qu’elle a aménagé, des SEM dans l’action publique française, et de la coopération entre le pouvoir scientifique, politique, et économique dans la production de la ville de Grenoble (partie 1). Cette première étape apportera de la profondeur à notre objet, puisque nous tresserons une histoire à trois fils qui nous permettra de distinguer deux bifurcations : la première des années 1950 aux années 1980 (chap.1), la seconde des années 1980 à aujourd’hui (chap.2).

Nous étudierons ensuite en détail l’élaboration du projet urbain de la Presqu’île, de 2006 à 2009, avec les outils de la sociologie de l’action publique urbaine et de l’analyse des politiques publiques (partie 2). Nous étudierons le rôle d’InnoVia dans l’arène politique à partir des délibérations municipales et de documents techniques (chap.3) puis dans l’arène scientifique (chap.4) avant d’assembler les éléments dégagés par ces deux analyses avec les entretiens d’acteurs pour être en mesure de dire si la SEM semble avoir été une arène de délibération dans la constitution du projet, soit notre hypothèse n°2.

Enfin, nous élargirons notre focale dans une troisième partie, nourrie des apports de l’histoire et de la sociologie de l’action publique appliquées à notre objet, pour nous intéresser à la tension entre monde symbolique et matérialité dans la production de la presqu’île (partie 3). Nous étudierons ainsi les discours sur la ville-Presqu’île au moment de la création de la ZAC et le pilotage de la mise en œuvre du projet depuis 2009 (chap.5). Nous terminerons notre mémoire de recherche par une conclusion de nos résultats et les perspectives qu’ils ouvrent.

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Partie 1 : Tresse historique sur le rôle des SEM dans la production

des villes et le contexte d’émergence de la SEM de Grenoble en lien

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Introduction de la première partie

Pour comprendre quel rôle confère la position nodale de la SEM dans la production de la Presqu’île nous souhaitons tirer les fils de trois histoires : ce que le rôle des SEM a été dans l’action publique urbaine depuis leur ouverture au champ de l’aménagement dans les années 1950 ; ce qu’a été le rôle de la SEM de Grenoble, depuis sa création en 1987, dans la production des opérations urbaines qu’elle a aménagé ; et la teneur des liens entre le pouvoir scientifique, politique, et économique dans la production de la ville à Grenoble. Par pouvoir scientifique, nous entendons le domaine des chercheurs dont le but est de produire du progrès, une invention qui poursuivent les avancées de la science. Par pouvoir politique, nous entendons le domaine des élus dont le but est d’organiser la vie sociale, à partir de l’exécution de programmes. Par pouvoir économique, nous entendons le domaine des marchands, dont le but est de faire fructifier leur capital. Commencer par l’histoire ne relève pas d’un besoin de contextualiser notre recherche : cette première partie est une des dimensions de notre recherche, et donc déjà une entrée dans l’analyse.

Au cours de la tresse historique, que nous nouerons à partir des trois histoires précédemment citées, nous chercherons à savoir si la SEM est un outil creux, qui produit ce que ceux et celles qui sont aux rênes de la ville veulent produire (hypothèse 1). L’objectif de cette première partie, outre de tester notre première hypothèse, est de donner de la consistance à notre objet empirique, en mettant en lumière les histoires qui le traversent. Aussi, cette première partie sera l’occasion de défricher la question des rapports de pouvoir entre le pouvoir scientifique, politique, et économique, dans la production de la ville de Grenoble. Notre analyse du rôle de la SEM dans l’élaboration et la mise sur agenda du projet (partie 2), et dans la tension entre mythe et matérialité (partie 3) à la croisée des jeux de pouvoirs, pourra ainsi s’ancrer dans des comparaisons avec d’autres situations produites dans l’histoire.

Nous procéderons par périodes de bifurcations, en décrivant chronologiquement les moments qui nous paraissent impacter les trois fils tressés de l’histoire. Dans le chapitre 1 nous étudierons la naissance des SEM locales d’aménagement et leur rôle dans la production des villes jusqu’aux années 1980 ; l’impact de l’implantation du CEA à Grenoble dans les relations entre le

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pouvoir scientifique, économique, et politique ; ainsi que le « tournant technopolitain » des années 1970 à Grenoble. Dans le chapitre 2 nous partirons des années 1980 jusqu’à aujourd’hui, en analysant le passage des SEM aux mains des élus locaux dans le mouvement de décentralisation de la production des villes ; puis la poursuite de la production de la partie nord-ouest de Grenoble avec le projet de la Presqu’île et la façon dont il fait écho aux transformations politiques et économiques du début du XXIème siècle ; et enfin, les perspectives ouvertes par le processus de métropolisation dans le rôle des SEM dans la production des villes et la situation présente d’une liste écologiste à la municipalité de Grenoble.

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Chapitre 1 : 1950 – 1980 Naissance des SEM locales d’aménagement

et relations entre pouvoir scientifique, économique et politique à

Grenoble

1. Les SEM, opératrices de la reconstruction au service de l’État et porteuses

d’autonomie pour les collectivités locales

A. L’ouverture des SEM à l’aménagement en 1955 pour assurer la reconstruction Le droit des sociétés d’économies mixtes (SEM) est fixé par les décrets-lois Poincaré du 26 novembre et 28 décembre 1926, qui « autorisent l’intervention économique des communes

dans des sociétés commerciales » dans le secteur de la construction de logements et des services

publics urbains de transports et d’énergie (Da Rold, 2008, p.21). Les municipalités s’impliquent alors financièrement dans la construction de logements sociaux, peu pris en charge par le marché. Mais c’est en 1955 que les sociétés d’économies mixtes locales prennent une véritable place dans la production des villes, avec le décret n°55-579 du 20 mai 19553 qui transforme le droit de l’interventionnisme économique local. Il est alors rendu possible de créer des entreprises locales avec une participation publique de collectivités locales d’au maximum quarante pour cent du capital.

Cette ouverture des SEM locales à l’aménagement du territoire apparaît dans le contexte de la reconstruction de la France et la relance de son économie après la seconde guerre mondiale. Ce double objectif, reconstruire les villes et relancer l’économie, engendre ainsi une adaptation du droit pour doter l’État d’outils appropriés. Dans un contexte de crise du logement, à la fois fortement médiatisé par l’Abbé Pierre et réellement problématique en terme de logement des populations et notamment des travailleurs venus des campagnes ou des anciennes colonies pour reconstruire le pays, la construction ne peut plus être laissée à l’initiative privée, qui ne prend pas la mesure de la demande de logement. Le juriste et ancien maire d’Issy-Les-Moulineaux André

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Santini explique ainsi que « c'est ce nouveau souci de l'aménagement, combiné avec le relatif

désintérêt du secteur privé pour prendre en charge des opérations aux aléas financiers importants, qui ont conduit l’État à promouvoir de nouvelles structures plus légères que l'administration : les SEM. (…)Aux SEM nationales revient l'aménagement du territoire; aux SEM locales revient l'aménagement urbain. Cette évolution du rôle des collectivités locales dans le développement du pays a rendu nécessaire une nouvelle réglementation » (1998, p.13-14).

Cette nouvelle règle est celle du décret du 20 mai 1995, impulsé par le ministre Pierre Phlimin et le directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) François Bloche-Lainé. L’économie mixte devient à ce moment là le régime juridique privilégié par l’État pour mettre en œuvre sa politique d’équipement et d’aménagement du territoire. Filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), la Société centrale pour l’équipement du territoire (SCET) est créée de façon concomitante, la même année, afin de piloter les sociétés d’économie mixte. Acteur national de référence, la SCET accompagne jusqu’aux années 1980 les collectivités locales qui appliquent, à travers les SEM, la politique d’aménagement de l’État, des ministères, puis de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR). Celles-ci sont conçues comme étant « une troisième voie entre la domination du marché et celle de la

planification », inspirant « une idée de modération et de synthèse entre deux systèmes extrêmes dont on ne prendrait que la meilleure part » (Durand, 2002, p.9). Dans une période de

rationalisation de l’action publique, l’ouverture des SEM à l’aménagement devait permettre une meilleure production des villes. À la fois sous le contrôle de l’État, et liées aux collectivités locales, les SEM locales d’aménagement « représentent une opportunité et donnent des outils aux

collectivités locales de contrôler leur développement urbain, même si cette maîtrise est relative. Néanmoins, il apparaît que les collectivités locales ont appris leur métier d’aménageur auprès de ces S.E.M. » (Menez, 2008, p.260).

B. La SCET, un pont entre deux mondes et une opportunité de montée en puissance des collectivités locales sur la production de la ville

Durant trente ans, ce sont donc les SEM qui produisent concrètement les villes, production dirigée par ingénierie de la SCET, qui n’est pas à proprement parler un acteur politique mais bien opérationnel. La SCET est dotée d’experts et d’outils d’aménagement qui lui permettent de mettre en œuvre les programmes avec une relative autonomie. Ces experts, par les

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SEM, entrent en contact avec les élus locaux, qui suivent de très près, de par leur participation financière, les opérations des SEM dans leur ville. Progressivement s’installe une initiation au domaine de la conception urbaine pour les collectivités locales, dont certaines vont particulièrement profiter de l’opportunité de cet accès à l’expertise urbaine.

En effet, certains élus s’en saisissent, comme ce fut le cas à Bordeaux, à Strasbourg ou à Marseille, se servant de leur SEM locale comme « d’instance de négociation, d’ajustement des

projets décidés à Paris » (Caillosse, Le Galès, Loncle-Moriceau, 1997, p.31). Au départ

maîtrisées par l’État via la SCET, les SEM locales se sont progressivement renforcées grâce au

« transfert de ressources et d’expertise de la part de la SCET, tandis que s’affaiblit le poids politique du siège parisien de la holding CDC » (Ibid, p.33). Ainsi, avant même les lois de

décentralisation, l’outil que représente les SEM locales d’aménagement transforme l’action publique urbaine locale, en faisant naître les conditions d’un « urbanisme de médiation où

l’expertise et la négociation deviennent les enjeux centraux » (Menez, 2008, p.261).

À cette transmission d’outils en faveur d’une montée en puissance des élus locaux s’ajoute la formalisation de l’ouverture du monde politique local au monde industriel, qui se côtoient et travaillent ensemble dans les conseils d’administration des SEM locales. La géographe Florence Menez explique en effet dans sa thèse sur « Le partenariat public privé en

aménagement urbain : évolution et métamorphose de la maîtrise d'ouvrage urbaine des années 1960 à nos jours » que le réseau SCET a contribué, de 1955 à 1976, « à un renouvellement des pratiques et des pensées sur la ville. En effet, le système « S.C.E.T. » consiste à décloisonner deux mondes, traditionnellement opposés, avec leurs propres logiques et stratégies. Ce secteur ne cessera ainsi de se développer, pour tenir au milieu des années 1970, une position majeure y compris dans le monde industriel. Une étape importante dans l’aménagement urbain, mais aussi sur la formulation et l’exécution des politiques publiques est franchie » (2008, p.157).

C. Les dérives de la flexibilité dans les années 1970

L’opportunité que les SEM conférait aux élites locales a connu dans les années 1970 des dérives qui ont éclaté dans les médias. Des « affaires » de conflits d’intérêts et de détournements de fonds à travers les SEM ont renversé la flexibilité valorisée du système de la production mixte des villes, en un risque de perte de contrôle du secteur public. En 1976 et 1977, ce système entre

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en crise, selon l’économiste Sylvie Bazin-Benoît, « à cause de la tutelle étatique aux effets

paralysants et à un partage trop lourd des risques financiers par les collectivités locales » (1996,

p.87). Par ailleurs, les difficultés économiques que rencontrent les collectivités locales et leur familiarisation avec le développement urbain dû à vingt ans de de travail avec les SEM les amènent à prendre beaucoup plus de place dans la production des villes.

Un mouvement d’émancipation prend forme dans certaines villes où les maires ont mené de véritables politiques urbaines locales, tel que ce fut le cas à Grenoble avec le « Groupe d’Action Municipale » créé par Hubert Dubedout en 1964. En France, les élections municipales de 1971, puis celles de 1977, font place à des maires qui tentent de se défaire de la tutelle de l’État. Avant d’être léguée aux collectivités locales dans les années 1980, la planification urbaine par les SEM ouvre donc déjà des failles dans le pouvoir centralisateur. Mais elle fut aussi parfois l’occasion de tirer profit du décloisonnement entre deux mondes, faisant « de la municipalité un

partenaire à part entière de la bourgeoisie », dans le cadre de Marseille, comme l’observe Alèssi

Dell’Umbria, auteur de L’Histoire universelle de Marseille : de l'an mil à l'an deux

mille (2006), : « Avant guerre, cette dernière [la bourgeoisie marseillaise] n’avait avec la municipalité qu’une relation d’ordre fiscal. Le defferrisme changea la donne dans la mesure où les uns comme les autres se retrouvaient solidaires pour faire « main basse sur la ville » : à elle seule, la passation des marchés à l’occasion de grands chantiers d’urbanisme créait des liens étroits entre les milieux d’affaires marseillais et l’appareil socialiste local » (Dell’Umbria,

2008). Nous pouvons donc penser que les SEM, par leur caractéristiques, favorisent une production des villes faite de l’influence de plusieurs pouvoirs.

2. L’implantation du CEA à Grenoble dans le milieu local scientifique,

politique, et industriel

Le deuxième brin de notre tresse historique nous emmène à Grenoble, un an après le décret du 20 mai 1955, à une bifurcation qui, elle aussi, impactera fortement notre objet d’étude. L’implantation d’un centre d’études nucléaire à l’extrémité de la presqu’île de Grenoble en 1956 est notre second point de départ pour la période des années 1950 aux années 1980. Il correspond à une nouvelle bifurcation dans l’histoire de l’accaparement de l’eau à des fins de production

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industrielle : le trio recherche-industrie-université se spécialise à partir du milieu du XXième siècle autour de l’énergie atomique et la micro-électronique, accompagné par le pouvoir politique depuis longtemps issu de l’industrie locale. Nous reviendrons dans cette section sur des événements en amont de l’arrivée du CEA, afin de bien saisir la teneur de cette bifurcation.

A. L’histoire locale de l’accaparement de l’eau à des fins de production industrielle Pour Grenoble Alpes Métropole l’origine du « dynamisme grenoblois » se raconte ainsi : « La réussite de la région grenobloise est née dans les torrents des montagnes. Passée dans les

conduites forcées, brassée par les turbines, démultipliée par l’électricité, améliorée dans les facs et les labos de recherche… Tout ce qui caractérise le dynamisme actuel du modèle économique grenoblois - l’innovation, la performance de la recherche, le rayonnement de l’université - est né des ressources procurées par la montagne »4. Si nous ne partageons pas la croyance en un mythe

de l’innovation à Grenoble, sur lequel nous reviendrons dans le chapitre 5, il est évident que le développement économique de la ville a un lien avec les torrents des montagnes. Ce lien est néanmoins pour nous plus issu d’un accaparement de la ressource en eau par l’industrie, plutôt que d’une conséquence de la progression « naturelle » de la ville de Grenoble. Afin de saisir comment se poursuit cette conquête à l’arrivée du CEA en 1956, il nous faut faire un détour un siècle auparavant.

À la fin du XIXème siècle, l’ingénieur et patron de manufacture de papeterie Aristide Bergès installe plusieurs conduites forcées à la suite des nombreuses chutes d’eau proches de son usine à Lancey, afin de faire fonctionner ses machines. Lors de l’exposition universelle de 1889, il présente au monde la technique de l’hydroélectricité et transforme l’eau en or par la formule de la « houille blanche », nom, qui viendrait selon lui « naturellement » pour « baptiser ces

richesses » (Sylvestre, 1925, p.75). Ce que ce baptême ritualise est une nouvelle forme

d’industrialisation dans la cuvette grenobloise. La production des usines, mais aussi du monde

4 Grenoble Alpes Métropole, « Aux racines du dynamisme Grenoblois » [En ligne]

https://www.lametro.fr/458-aux-racines-du-dynamisme-grenoblois.htm [Consulté le 13 août 2018]

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agricole et de l’artisanat, se retrouve au tournant du XXème siècle dopée par la hausse de rendement que permet l’installation de turbines, conduites forcées, et lignes électriques, sur les montagnes et les vallées du territoire grenoblois. Pour opérer ce passage à l’énergie hydraulique, l’industrie a besoin de main d’œuvre : de nombreux paysans français et italiens affluent des campagnes environnantes ou des alpes pour travailler à dégager des richesses par cette technique. Les paysannes participeront aussi à cet effort à partir de 1914. La colonisation du territoire par l’hydro-électricité et les industries manufacturières battra son plein jusqu’à la deuxième moitié du XXème siècle, où le modèle de production fordiste des sociétés d’Europe de l’ouest connaîtra un déclin dans les années 1960 et 1970.

À partir du milieu du XXe, les industriels de la « houille blanche » font progressivement place à ceux du nucléaire et de l’informatique, puis de la micro-électronique, jusqu’à aujourd’hui se spécialiser dans les micro et nanotechnologies et les technologies du vivant (chap.3). À partir des années 1950 sont construits trois réacteurs nucléaires à Grenoble, qui ont besoin d’une grande quantité d’eau pour se refroidir. La filière du silicium (matière des panneaux photovoltaïques et des puces électroniques) se développera aussi à partir de l’utilisation de grandes quantités d’eau particulièrement pure pour laver les solvants. Ce n’est pas pour son esprit qui serait intrinsèquement innovant que Grenoble attire les investisseurs, mais bien pour l’eau pure et abondante de ses montagnes, ainsi que pour la qualité du lien entretenu entre la recherche, l’industrie, l’université, et les pouvoirs publics.

B. Le triptyque local recherche, industrie, et université

Dès la fin du XIXème siècle, l’essor de l’enseignement supérieur à Grenoble se fait « en

relation directe avec le développement industriel consécutif à la découverte de l’hydroélectricité », nous dit Gilles Novarina dans son article Ville et innovation scientifique: Le cas de l’aire métropolitaine de Grenoble (2010, p.4). Le patronat local, ayant besoin de

nombreux ingénieurs et techniciens pour faire tourner ses usines, finance lui-même les nouveaux laboratoires et écoles spécialisées5. La recherche développée est à la fois fondamentale et

5 Ecole de Papeterie, Institut de Métallurgie, Ecole d’Hydraulique, Institut d’Electrochimie,

Institut d’Electronique, Institut Fourier pour les mathématiques et la physique (Novarina, 2010, p.4)

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appliquée, avec une proximité entre chercheurs et industriels, qui utilisent eux aussi « les

laboratoires, pour mettre au point de nouveaux procédés de fabrication ou pour tester de nouveaux produits » (Novarina, 2010, p.4). C’est dans cette lancée que sera créé l’Institut

national polytechnique de Grenoble (INPG), en 1939.

Universitaires, chercheurs, et industriels œuvrent donc ensemble au développement économique depuis la fin du XIXème siècle, les uns formant les autres, qui inventent de nouveaux produits, vendus par les derniers ou appliqués à l’amélioration de leur production. Tout ce milieu se fréquente, toujours selon Gilles Novarina, « dans une série d’amicales et de sociétés

qui œuvrent en faveur du rayonnement économique de la ville » (2010, p.5). Les rapports de

pouvoirs se jouent alors entre les départements de recherche nationaux et le Ministère du commerce et de l’industrie, et les pôles locaux créés à Grenoble. L’association de l’industriel Joeseph Bouchayer producteur de turbines électrique, et du géographe Raoul Blanchard, fondateur de l’Institut de Géographie Alpine, pour reprendre la Société de statistique de l’Isère dans les années 1920, est un exemple de la porosité entre l’université et l’industrie au début du siècle dernier : « Il faut parler d’une véritable action concertée de Blanchard et Bouchayer pour

prendre le contrôle de la Société afin qu’elle devienne l’instance où les acteurs de la vie économique et les acteurs du monde scientifique institutionnalisent leur collaboration pour la rendre plus étroite et plus durable » (Veitl, 1993, p.278). En 1919, Joseph Bouchayer dit vouloir

instaurer « une collaboration fraternelle, intime, efficace (…) entre les hommes de pensée et les

hommes de production (…) pour le plus grand bien de notre chère région des Alpes »

(Bouchayer, 1919, p.36).

L’arrivée du CEA en 1956 polarise le développement de la recherche, l’université, et l’industrie vers les nouveaux domaines porteurs : la micro-électronique et l’énergie atomique. Louis Néel, qui devient à la fois directeur de l’INP, du CEA et de la délégation locale du CNRS, utilise ses nombreuses ressources positionnelles et économiques pour créer à Grenoble un milieu tourné vers ces nouveaux moteurs. Le CEA s’installe sur un territoire pratiquement désert : l’ancien polygone d’artillerie. A ce moment là, la presqu’île entre le Drac et l’Isère ne comporte que les usines Merlin Guérin, un cimetière, la Cité des abattoirs, et la gare. Des années 1950 aux années 1980 sont inaugurées de nouvelles institutions publiques de recherche et de formation supérieure, avec la participation de patrons locaux, tel que Louis Merlin, qui règne sur une

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entreprise de construction électrique implantée dans l’ancien polygone d’artillerie, qui sera par la suite rachetée par le groupe Schneider Electric.

Comme dans les périodes précédentes, ce nouveau milieu de production scientifique, industrielle et universitaire, tourné vers la micro-électronique et l’énergie atomique, se retrouve dans des sociétés, associations, et réseaux informels : l’association des Amis de l’université, le conseil scientifique du CEA, le réseau des anciens élèves de l’Institut Polytechnique, la participation au conseil d’administration d’écoles d’ingénieurs de chefs d’entreprises, etc. « Les

relations entre scientifiques et industriels sont nombreuses, mais elles sont de nature informelle plutôt qu'elles empruntent des formes institutionnalisées. Elles concernent de manière privilégiée les patrons des laboratoires et les cadres dirigeants des plus grandes entreprises. (…) L’ensemble de ces relations constitue pour les acteurs du milieu scientifique et technique un véritable capital social qui leur permet de mobiliser des ressources (subventions, contrats de recherche, échange d’information ou de savoir-faire) aux niveaux local et national » (Novarina,

2010, p.12).

C. Le pouvoir politique entre accompagnement et structuration

Le pouvoir politique local se trouve aussi être investi par des maires ou adjoints issus du triptyque recherche, industrie et université. L’industriel de l’hydroélectricité Félix Viallet, partenaire de Joseph Bouchayer, est maire de Grenoble de 1908 à 1910 après avoir été adjoint au maire pendant dix ans. C’est sous son court mandat qu’est achevée l’installation d’un réseau électrique dans la ville. Après lui, l’industriel cimentier Nestor Cornier prend la tête de la mairie (1910-1919), puis Paul Mistral, dont l’adjoint est le doyen de la Faculté des Sciences, René Gosse (Néel, 1991). Dans son ouvrage biographique sur le Doyen Gosse, Lucienne Gosse écrit que « cette élection fut un heureux coup de chance pour l’Université de Grenoble car toutes

les initiatives du doyen Gosse, défendues au sein du conseil municipal, furent généreusement soutenues par la Ville et ce concours officiel décida de tous les autres » (1962). Sous la

municipalité de Paul Mistral sont construit de nouveaux lieux scientifiques grenoblois, tels que l’Institut Fourier de mathématique et physique (1934), l’Institut de chimie, ou l’Institut Polytechnique (1939). A propos des grands patrons qui travaillaient avec son mari René Gosse, Lucienne Gosse explique qu’: « ils cherchaient seulement à mener leurs entreprises. Sans

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département ou de la ville des représentants assez bien placés auprès du gouvernement pour y soutenir les intérêts de leurs industries et de leur région » (1962).

Les maires ou leurs adjoints se recrutent donc dans le milieu scientifique, universitaire, ou industriel depuis longtemps à Grenoble. La municipalité accompagne ainsi le développement économique et construit la ville autour de ses besoins. Mais le pouvoir politique ne joue pas seulement un rôle d’accompagnement et de légitimation, il commande aussi des recherches scientifiques. Militaires, d’abord : les scientifiques, universitaires et industriels de Grenoble ont toujours participé à la production militaire, que ce soit dans l’armement (obus, fourgons militaires, chlore, produits azotés, etc.) ou la recherche (physiciens travaillant aux armes nouvelles). Mais l’État finance aussi des recherches qui visent à maintenir l’économie du pays. L’historien des sciences Dominique Pestre explique ainsi comment l’investissement dans les sciences a été porté par l’État au sortir de la seconde guerre mondiale : « Ce que montrent la

plupart des études, c’est qu’un véritable complexe de recherche développement existe alors dans le pays, que la période gaullienne est celle de l’enchantement pour une science fondamentale devant féconder directement l’économie nationale, qu’elle est celle des grands programmes pilotés par l’État et qui visent à combler le « fossé scientifique et technologique » qui sépare l’Europe des États-Unis. L’idée est d’investir les domaines essentiels à l’affirmation de la puissance (nucléaire, espace, électronique, informatique) car ils sont ceux de la modernité, et, car les « retombées » seront de toute façon bonnes pour l’industrie civile dans son ensemble. Le financement public est donc très concentré et destiné à des secteurs à marché protégé dans lesquels le poids des commandes militaires est essentiel. » (Pestre, 1990).

3. Le tournant technopolitain des années 1960-1970

Maintenant que nous avons étudié la tradition locale d’une coopération étroite entre le milieu industriel, scientifique, et politique à Grenoble, nous poursuivons avec une nouvelle section sur le tournant des années 1960 et 1970. Nous verrons qu’à cette période opèrent des mutations sociologiques importantes, ainsi qu’une technicisation de l’action publique locale, qui impulse des politiques urbaines avant les lois de décentralisation, et donne forme à la première zone « pour l’innovation et les réalisations scientifiques » (ZIRST) de France.

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A. Mutations sociologiques et de l’action publique locale dans les années 1970 à Grenoble

Nous avons vu que les liens entre le milieu scientifique et politique sont étroits à Grenoble, et les frontières entre les deux souvent poreuses. Lorsque Louis Néel devient directeur du centre d’étude nucléaire de Grenoble (CENG) en 1956, il nomme comme adjoint Bernard Delapalme, ingénieur de la Marine. Celui-ci fera venir à Grenoble des collègues ingénieurs ou marins, qui créeront de nouveaux laboratoires6, et dont l’un d’eux sera élu maire de Grenoble de 1965 à 1983. Hubert Dubedout arrive en effet à Grenoble en 1958 par le recrutement de Bernard Delapalme, au poste de directeur des relations extérieures, comme le témoigne Louis Néel dans un entretien réalisé par Jean-François Picard et Elisabeth Pradoura le 4 juin 1986 : « On a

continué de bénéficier de l’excellent environnement local en particulier du soutien du maire de Grenoble, Hubert Dubedout, un ancien sousmarinier, directeur des relations extérieures du CEA que j’avais fait venir au CENG. Il s’est préoccupé des problèmes d’adduction d’eau à Grenoble, ce qui l’a mené à la carrière politique que l’on sait » (Picard et Pradoura, 1986).

L’arrivée d’Hubert Dubedout en 1965 n’est pas en soi un vecteur de transformation, puisqu’elle ne rompt pas avec l’histoire locale de Grenoble qui a pratiquement toujours eu des équipes municipales issues du milieu industriel ou scientifique. Néanmoins, dans les années 1970, la situation économique change pour les sociétés d’Europe de l’ouest. Le régime d’accumulation fordiste s’essouffle, suite, entre autre, à l’internationalisation du processus de production qui rebat les cartes de l’organisation du travail. Les sociétés européennes de l’ouest s’orientent davantage vers une spécialisation tertiaire plutôt qu’industrielle, au moment où l’économie occidentale se tourne vers un nouveau régime d’accumulation, celui de l’information, et de la recherche et développement. Si l’économie s’internationalise, l’échelle locale n’est pas pour autant abandonnée. Au contraire, dans les années 1970 opère une reterritorialisation, avec une revalorisation du développement local et du cadre de vie. L’opération urbaine des Villeneuves sera, sous le mandat de Dubedout, l’un des exemples nationaux de l’ébulition politique autour de la production des villes à cette époque, avec le souhait de matérialiser l’utopie d’une une nouvelle ville.

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Dans cette période, et sous la municipalité d’Hubert Dubedout, des mutations sociologiques opèrent à Grenoble. L’historien de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble Pierre Bolle explique en effet que « ce changement de municipalité reflète, au niveau politique, les

mutations sociologiques que la Ville a connues avec l'arrivée du Centre d'études nucléaires, dont Hubert Dubedout est l'un des dirigeants, puis du CNRS. Le nombre de cadres et d'intellectuels a considérablement augmenté. Ce sont eux, avec d'autres, qui s'installent à la mairie. Ils veulent conduire à Grenoble une autre politique avec l'ambition de donner une nouvelle impulsion à la démocratie à partir de l'expérience communale. Pour cela, ils remettent en cause les rapports traditionnels de la ville et de l’État en cherchant à déplacer des champs de compétence de celui-ci vers celle- là, explorant déjà les pistes de ce qui deviendra la décentralisation. Ils sont également très préoccupés par les problèmes d'urbanisme et de production de la ville. (…). Le "laboratoire urbain" repose donc fondamentalement sur cette idée que, situé au carrefour du technique et du politique, l'urbanisme est l'un des facteurs constitutifs du cadre de vie. Par conséquent, il exerce une influence sur les rapports sociaux. Ce sera la base de la philosophie de la conception de la Villeneuve » (Bolle, 1998, p.37).

B. La SEM SADI au cœur de la montée en puissance de la municipalité Hubert Dubedout

Dans notre première section, nous avons évoqué l’émergence de municipalités défiantes vis à vis de la tutelle de l’État dans les années 1970. Grenoble en fait partie, puisque la municipalité d’Hubert Dubedout met en place une gestion municipale des services publics qui modifie considérablement les prérogatives urbaines et sociales octroyées aux collectivités locales. Jacques Da Rold, ancien ingénieur ayant travaillé dans différentes SEM, écrit à ce propos dans sa thèse qu’à Grenoble Hubert Dubedout a utilisé la SEM locale d’aménagement, alors société d’aménagement du département de l’Isère (SADI) comme levier opérationnel pour mettre en œuvre sa politique et gagner en puissance face aux administrations nationales. Il explique ainsi que le maire de Grenoble opère à ce moment là une « rupture » en prenant en main la SADI pour réaliser la Villeneuve (Da Rold, 2008, p.157) et cite l’ingénieur et urbaniste Jean-François Parent à propos de l’aventure Villeneuve :

« La ville a alors constitué "son" équipe qui deviendra un peu plus tard "l'équipe

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toutefois qu'il y ait adhésion des uns et des autres à des structures politiques communes. Dans ce cadre, ce sont évidemment les élus qui déterminent les objectifs et, in fine qui décident, mais les techniciens nourrissent les débats et proposent les traductions concrètes des choix arrêtés. Vis-à-vis des organismes extérieurs de la Ville, Caisse des Dépôts, SCET, la promotion immobilière et l’Éducation Nationale (…), celle-ci s'appuie sur la capacité de proposition de l'équipe (dont l'Agence d'Urbanisme et la SADI) pour faire poids ou contre poids à leurs plans ou propositions. » (Joly, 1998, p.80). Ainsi, les élus et les techniciens fabriquent la ville main dans

la main, dans une « idéologie partagée », qui leur permet de s’émanciper du poids des organismes extérieurs et nationaux, en produisant leurs propres expertises. C’est la SADI qui aménage la première zone « pour l’innovation et les réalisations scientifiques » (ZIRST) de France, dans la commune de Meylan mais soutenue par la ville de Grenoble, en 1971.

La présence de la SEM SADI à Grenoble ne modifie pas pour autant structurellement les formes d’organisation entre le pouvoir politique, scientifique, et industriel, qui restent informelles. Le sociologue Henri Going considère en effet que si la ville est à ce moment là « au

pouvoir des militants technocratiques d’une part, d’autre part au pouvoir des industries parisiennes, représentées par des cadres délégués », ceux-ci n’ont « pas intérêt à modifier l’actuelle répartition des tâches ». Participer formellement aux institutions politiques, même

celles qui émergent à cette époque, ne serait pas intéressant pour les scientifiques et industriels locaux, qui préfèrent éviter d’ « opérer de délicats arbitrage à l’intérieur du patronat », ou de « prendre en charge la solution des contradictions entre court terme et long terme ». Dans ce cadre, nous dit Henri Coing, « Collaborer davantage avec la SADI n’est pas plus nécessaire,

puisque celle-ci se guide déjà sur le marché, c’est-à-dire sur la demande des industriels ». Avant

de conclure qu’en « bref, les entreprises dominantes ont peu d’intérêt à se préoccuper davantage

d’aménagement » (Coing, 1976, p.90).

C. La ZIRST de Meylan, « grain de technopole » ?

Au début des années 1970 est créée la ZIRST de Meylan, recommandée par le Livre Blanc de l’Agence d’urbanisme de l’agglomération grenobloise en 1969. La ZIRST est ainsi proposée par les chargés d’étude de l’AURG comme « concrétisation sur le sol de cette liaison

souhaitée » entre « les branches industrielles et leurs organismes de recherche d’une part, et l’Université dans son ensemble d’autre part » (AURG, 1969, p.71). Concrètement, c’est la

Figure

Figure 1 Secteurs de la Presqu'île (URL : http://www.grenoble.fr/545-presqu-ile.htm)

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