• Aucun résultat trouvé

Comment va se reconfigurer la production de la ville sous la maîtrise de Grenoble Alpes Métropole ? Le chargé de développement de la SEM InnoVia a évoqué ce transfert : « c’est vrai qu’avec la loi MAPTAM et le transfert des compétences à la Métro, ces services ont été quand même assez vidés de leur substance. Il y a moins de suivi ». Nous verrons dans le chapitre 5 que le projet de la Presqu’île a connu deux phases, avant et après 2014, avec un niveau de suivi

différent de la part de la municipalité. Selon lui, la baisse de suivi du projet Presqu’île à partir de 2014 est liée, entre autre, au transfert des compétences urbanisme et économie à la Métro. Pourtant, il nous explique plus loin dans l’entretien que le directeur général adjoint (DGA)29 à

l’économie à la municipalité sous les mandats de Michel Destot, est aujourd’hui DGA Economie à la Métro. Bien qu’il soit trop tôt pour évaluer l’impact du transfert de la compétence du développement à la Métro, cette question relève pour nous piste pertinente.

Depuis 2014, la Métro a aussi pris en main la société publique locale d’aménagement (SPLA) de Grenoble, dite SPLA Sagès, qui aménage des quartier au sud de la ville. La SPLA Sagès et la SEM InnoVia ne sont pas les mêmes structures juridiques, mais elles mutualisent la même équipe opérationnelle. Onze personnes travaillent donc à la fois pour les opérations menées par InnoVia, et à la fois pour celles menées par Sagès, dans des locaux qui reprennent la communication des deux sociétés. La Métro devient ainsi actionnaire majoritaire de la SPLA, et actionnaire minoritaire de la SEM. Ainsi, en 2018, la Métro devient la collectivité dominante dans le service technique de ces sociétés. Elle opère donc un changement du poste de directeur, qui est à la fois le directeur de la SEM, et le directeur de la SPLA. Pierre Kermen, qui avait été nommé directeur en 2014 par Eric Piolle, est donc remplacé très récemment par Bernard Lachana, choisi par la Métro.

Conclusion de la première partie

Depuis leur ouverture au champ de l’aménagement dans les années 1950, les sociétés d’économie mixte locales d’aménagement ont accompagné les bifurcations historiques de la production de la ville. D’abord aux mains de l’Etat, les SEM appliquent les programmes de la reconstruction d’après guerre sous le contrôle de la SCET. Les outils de développement urbain circulent alors au niveau local, malgré l’absence de prérogative des élus. Les années 1980 opèrent alors un tournant radical, avec les lois de décentralisation, et l’intensification d’une nouvelle phase du capitalisme dans les sociétés d’europe de l’ouest. Les SEM deviennent alors les acteurs opérationnels de la compétence urbaine des élus locaux, nouveaux maîtres de la production de la ville. La SEM Grenoble 2000 est créée en 1987 pour aménager l’opération Europole, au nord- ouest de la ville de Grenoble. Son travail poursuit par la suite la production de cette partie du territoire de Grenoble, de l’ouest de la gare jusqu’à la pointe de la confluence entre le Drac et l’Isère. Le polygone d’artillerie, occupé par le CEA et ses filiales depuis les années 1950, devient progressivement « polygone scientifique », puis « presqu’île scientifique ». A l’exception du pôle Minatec, toutes les opérations publiques urbaines qui visent à faire sortir de terre des bâtiments sur la presqu’île sont pilotées par la SEM, qui devient InnoVia en 2008.

Acteurs clé de la production de la ville, les SEM n’apparaissent pas être des outils creux au service des décideurs politiques. D’abord, parce qu’elles représentent une continuité entre les mandats politiques. Dans leur conseil d’adminitration, puisque, si les administrateurs de la collectivité locale changent régulièrement, ceux des autres actionnaires persistent. Le conseiller municipal que nous avons interrogé, qui a été administrateur de la SEM de 1995 à 2001, nous dit à ce propos que « cinq personnes sont dans la SEM depuis vingt ans, trente ans ». Ains, ce sont pour lui les actionnaires qui « assurent la continuité politique ». Mais la continuité se fait aussi dans le service technique de la SEM. Les professionnels de l’aménagement employés par la SEM pour réaliser ses missions conservent pour la plupart leur poste d’un mandat à l’autre, à l’exception des directeurs. Ensuite, parce que les SEM sont associées à la production de la ville au-dela de leur seule mission d’aménagement. Dès les années 1990, la façon de justifier une nouvelle opération urbaine au conseil municipal de Grenoble est de faire référence à l’expertise de la SEM : « toutes les réflexions et constatations conduites, tant par la Ville que par les

responsables de la SEM Grenoble 2000, depuis la mise en oeuvre de cette opération, ont montré que (…) Aussi, il nous a paru indispensable de développer l’opération Europole »30. Enfin, parce que, dans le cas de Grenoble, il y a une continuité dans l’importance du développement scientifique dans la production de la ville, et ce quel que soit le parti au pouvoir. La production de la ville apparaît être une adaptation de l’urbanisme à la production industrielle de l’époque, que ce soit autour de l’hydroéléctricité, la microéléctronique, ou aujourd’hui les micro et nanotechnologies.

Si la SEM de Grenoble n’est pas un simple instrument qui reflète la production de la ville par les élus locaux, elle est indéniablement au cœur des liens entre le pouvoir politique, scientifique, et industriel. Nous avons vu que l’histoire de ces liens remonte au moins jusqu’à la fin du XIXème siècle. La SEM est donc créée dans un contexte politique local qui est déjà fortement impreigné par les mondes scientifique, industriel, et universitaire. « Pendant plus d’un

demi-siècle, le milieu scientifique et technique, qui a été à l’origine de l’installation du Centre d’Etudes Nucléaires (1956), de la création du campus universitaire (1959-1962), puis de la ZIRST (1973) et enfin de MINATEC (2006), a toujours confiné les collectivités locales dans un rôle d’accompagnement des décisions dont l’initiative lui revenait » (Novarina, 2010, p.24). Or

nous avons vu que depuis les années 2000 cette production de la ville associée au milieu scientifique et technique se modifie quelque peu.

Le projet urbain de la Presqu’île scientifique (2009) associe désormais publiquement les acteurs scientifiques, universitaires, et économiques à la production de la ville. Si ceux-ci ont, comme nous l’avons développé tout au long de cette partie, toujours été impliqués dans l’action publique locale, la Presqu’île scientifique ne répond pas du même modèle d’implication. Aujourd’hui, le territoire du tryptique recherche, formation et industrie, est pensé de façon intégré à la ville, avec des discours qui valorisent la production scientifique (« l’innovation ») comme un nouvel horizon de développement. Dans le cas précis du projet urbain de la Presqu’île scientifique, comment s’imbriquent les pouvoirs politique, scientifique, et économique, dans leur co-production de ce morceau de ville ? Notre question de recherche fait de la position nodale de la SEM notre entrée dans l’analyse. Dès lors qu’elle n’est pas un satellite opérateur du pouvoir

municipal (hypothèse 1), quel rôle lui confère sa position nodale dans le projet urbain de la Presqu’île ? Est-elle un acteur clé des négociations, un lieu de délibération qui permet de créer du consensus malgré la grande diversité d’acteurs associés au projet ? (hypothèse 2) Nous tenterons de répondre à ces questions dans la poursuite de notre analyse, à travers l’étude de l’élaboration et la mise sur agenda du projet urbain.

Partie 2 : Le rôle de la SEM dans l’élaboration du projet urbain de

la Presqu’île

Introduction de la deuxième partie

Afin de saisir les effets de la position nodale d’InnoVia dans la production de la Presqu’île scientifique il nous faut comprendre ce qu’est le projet urbain de la Presqu’île. Avant lui, le territoire concerné était relativement peu densifié. En 2006, on retrouve à la pointe de la presqu’île des bâtiments de la recherche scientifique, (en électronique, énergies nouvelles, micro et nanotechnologies, en physique et biologie), des grands instruments (notamment le synchrotron), des entreprises spécialisées dans la commercialisation des produits scientifiques élaborés par ces centres de recherche (BioMérieux, Bioprofile, Schneider, STMicroélectronic), ainsi que, entre l’Isère et le chemin de fer, la cité Jean Macé, quartier ouvrier datant des années 1930. Pour rejoindre le monde des scientifiques, universitaires, et entreprises, il faut emprunter l’avenue des martyrs et traverser un espace en partie déserté, sur lequel il est par ailleurs interdit de construire des logements, commerces ou équipements publics, à cause du zonage propre à la proximité d’installation nucléaire. Comment un territoire occupé depuis cinquante ans par les scientifiques, dont le sol est hostile au vivant, s’est-il retrouvé à être aujourd’hui au centre d’un gigantesque projet urbain, projetant d’accueillir des étudiants du monde entier, des habitants, et tout un pôle de compétition économique basé sur la recherche, relié à la ville ?

Pour comprendre cela, nous reviendrons dans cette partie sur les trois premières séquences du modèle de Jones (1970). Cette approche nous permettra d’identifier la construction du problème public, la façon dont il a été mis sur l’agenda politique, comment les décisions ont été formulées et comment le processus de décision a abouti à la création de la ZAC Presqu’île. Nous chercherons à l’intérieur de ces séquences à dégager la constellation du pouvoir entre les mondes scientifiques, politiques, et économique, ainsi que les moments où la SEM intervient dans les séquences, et ce qu’elle permet par son intervention. De 2006 à 2009, nous regarderons comment s’est élaboré le projet, à partir des outils de l’analyse des politiques publiques et de la sociologie de l’action publique. Ce cadre d’analyse nous amène à orienter notre questionnement ainsi : Comment a été mise sur l’agenda politique la ZAC Presqu’île ? De quel(s) problème(s) public est-elle la réponse ? Quel a été le rôle de la SEM dans sa mise sur agenda et son élaboration ?

pouvoir politique local d’abord (chap.3), où nous partirons des comptes rendus des délibérations municipales et de documents techniques pour comprendre le rôle d’InnoVia dans l’élaboration du projet ; et le pouvoir scientifique ensuite, dans son articulation avec le pouvoir politique (chap.4). Nous pensons que cette approche nous permettra de saisir la constellation du pouvoir, sans présupposer qui du pouvoir politique ou du pouvoir scientifique est à l’origine du projet. De plus, nous situerons ainsi les moments d’interventions de la SEM dans deux sphères distinctes, qui nous permettrons de prendre du recul sur son rôle dans l’élaboration et la mise sur agenda du projet, en croisant les informations.

Chapitre 3 : La SEM au cœur de la révélation progressive d’un

projet urbain de grande ampleur dans l’arène municipale

Nous verrons dans ce chapitre comment est survenu le projet urbain de la Presqu’île dans les conseils municipaux. Nous sommes à ce moment là au deuxième et troisième mandat de Michel Destot. Jusqu’en 2008, la majorité municipale est composée du parti socialiste (PS), parti communiste (PC), divers gauche, GO Citoyenneté, et le groupe des « élu-e-s écologistes » (ADES, pour Association Démocratie Ecologie Solidarité, les Verts, et alternatifs). A partir de 2008, la majorité municipale ne fait plus alliance avec les écologistes mais avec le Modem, ainsi que le PC et une liste divers gauche. A partir de l’étude de l’émergence du projet en conseil municipal, nous examinerons notre seconde hypothèse : la SEM est-elle un acteur clé des négociations, lieu de délibération qui permet de créer du consensus malgré la grande diversité d’acteurs associés au projet ?

Présenté pour la première fois en octobre 2007 suite à des résultats d’études d’impact foncières menées par la SEM Grenoble 2000, le projet est d’abord celui d’une requalification urbaine du polygone scientifique. Nous verrons que ces études ont été commandées suite aux travaux de prolongation d’une ligne de tramway sur ce territoire à la fin de l’année 2006. Jusqu’en 2008, le projet urbain ne connaîtra pas de modifications structurelles : l’étude de son émergence dans les conseils municipaux montre plutôt qu’il se révèle progressivement, et que son élaboration paraît être déjà abouti au moment de sa mise à l’agenda municipal.

Chargée de mener les études d’impact foncier, la SEM Grenoble 2000 apparaît comme un acteur expert extérieur au débat démocratique. Nous verrons cependant qu’elle travaille de façon rapprochée avec les acteurs qui paraissent dominer l’élaboration du projet. La SEM est aussi l’entreprise chargée de piloter l’aménagement de la ZAC, dont la création abouti en 2009.

1. Octobre 2007 : mise à l’agenda du projet du polygone scientifique suite à

des études foncières réalisées par la SEM