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Partie 3 : Mythe et matérialité dans la production de la Presqu’île

B. A partir de 2014, le projet devient autoporteur

« En 2014, 2015, on a senti qu’on est rentré dans une phase vraiment opérationnelle, de

dynamique du projet. Le projet est quasiment autoporteur aujourd’hui ». Selon le chargé de

développement, depuis quatre ans la SEM est plus libre dans ses prérogatives : « On est beaucoup

plus libre de nos choix. On a beaucoup plus de contact en direct avec les grandes entreprises qui veulent s’installer, alors qu’avant ça passait par la Ville ». Est-ce lié au changement de mandat,

qui ne reconduit pas la municipalité de Destot en 2014 ? Pour notre interlocuteur, le projet était déjà arrivé à maturation : « Au moment du changement de mandat, c’est là où le projet a pris sa

vitesse de croisière et a commencé à avoir une grosse attractivité, et sur le logement, et sur le volet tertiaire. On a réussi à faire venir Schneider, projet X pole 27 000 mètres carrés, le Crédit Agricole, BHTD, enfin bon. Il y a eu une grosse grosse dynamique, aujourd’hui tout le monde y croit à ce projet, du coup j’allais dire il a plus besoin du portage politique qu’il y avait à une époque pour intéresser, avancer et faire venir. » A en croire son témoignage, la synergie du

projet est lancée et la SEM n’a plus qu’à accompagner ce mouvement : « là on est plus dans une

posture d’accompagner le mouvement que de l’impulser, parce que l’impulsion elle est donnée par l’alliance GIANT, le CEA, les grands équipements, etc ». Pour le directeur de la Maison des

habitants du secteur 1, le projet Presqu’île est un projet de Michel Destot, dont la nouvelle municipalité hérite. Selon lui, « l’équipe de Piolle » n’est pas centrée sur la Presqu’île, et considère que c’est « le temps de l’aménageur ». Pour mesurer l’impact du changement de mandat, il nous faudrait nous entretenir avec plus de personnes.

Les scientifiques construisent GIANT en autonomie, et la SEM créé la vie urbaine autour tout en accompagnant la « phase scientifique et universitaire, industrielle » : « ils viennent nous

voir, parce qu’ils ont tout compris l’intérêt de jouer le jeu du projet urbain, ils viennent nous voir avec leur programme, on leur fait un cahier des charges architectural (qui définit le gabarit d’un bâtiment) ». Lorsque nous lui demandons de préciser sur quels éléments les assistants à maîtrise

d’ouvrage du CEA ont besoin de la SEM, il nous explique que c’est à propos des « questions de

respect des intentions urbaines du projet », la trame urbaine définie par l’urbaniste-architecte en

Ces échanges se font de technicien à technicien, en dehors des comités de pilotage. Ces derniers se réunissent tous les ans « Avec tout le monde, alors vraiment tout le monde : CEA,

Synchrotron, ILL, STMicro, Schneider, la Ville, la Métro, le Département, le Préfet. Après c’est tellement grand, que c’est pas là que les décisions se prennent parce que c’est compliqué de décider avec cinquante personnes dans la salle. C’est plus des lieux d’échanges d’info, où éventuellement on fait remonter quelques problèmes, mais c’est pas là où se prennent les décisions. Les réunions se prennent plutôt sur des échanges bilatéraux entre le maire et Stéphane Siebert, la Métro et Stéphane Siebert, etc. On va dire que c’est plutôt des réunions adhoc qui permettent de prendre des grandes décisions. Mais il y a quand même l’accompagnement des collectivités de ce projet qui est un projet d’envergure. Même si c’est le projet de l’ancien mandat. » Ainsi, InnoVia à partir de 2014 vend le projet aux promoteurs de façon autonome,

garantit que les scientifiques respectent la charte urbaine mais n’interfère pas dans leur gestion. L’entretien avec le directeur de la SEM nous donne quelques informations supplémentaires sur le rôle d’InnoVia dans la mise en œuvre du projet. Pour lui, la SEM a un rôle de « mise en musique » : à partir des décisions du concédant qu’est la Ville de Grenoble, elle module les opérations, associe les promoteurs dans des « coordinations opérationnelles », et fixe le cahier des charges. La marge de manœuvre de la SEM réside précisément dans ce cahier des charges, qui doit respecter les grandes lignes du projet, mais qui n’est pas élaboré avec les décideurs politiques. Chef d’orchestre, donc, mais aussi « assembleur » : « On est

fondamentalement un assembleur, c’est à dire qu’il y a un puzzle qui est écrit qui est un plan guide, et nous nous sommes l’assembleur. Nous réunissons ici l’ensemble des acteurs au fur et à mesure, que ce soit pour la construction avec le promoteur, que ce soit les aménagements d’espace public et dans ces cas là c’est plutôt les services compétents de la métropole et de la ville. (…) On réunit tout le monde dans des ateliers urbains, très régulièrement, selon les projets, c’est au minimum avec tous les acteurs une fois tous les 15 jours ou 3 semaines, et on met tout le monde autour de la table. » Le directeur d’InnoVia rajoute ensuite la relation avec les banques,

que les techniciens de la SEM appellent pour avoir des crédits.

A ces relations opérationnelles s’ajoutent les liens avec les habitants : la SEM organise les réunions publiques avec les habitants et les ateliers avec les unions de quartier : « tout ce qui est

mais l’animation est faite en particulier avec les élus qui sont en contact avec les habitants. Il y a une coopération, une répartition des rôles. Quand on est vraiment dans l’aménagement pur, que les choses ont été décidées, c’est nous qui prenons complètement la direction des relations avec les partenaires acteurs, que ce soit le monde économique, les promoteurs ». Si InnoVia applique

les décisions des élus, elle peut aussi proposer et intervenir sur le choix des promoteurs : « j’ai

toujours conçu, moi, le rôle ici du directeur, comme étant quelqu’un qui propose, à la ville, aux élus. En sachant que les élus m’ont donné des orientations de se dire « il faut travailler sur la question des matériaux et des ressources ». Et après moi je met en œuvre, je détaille avec mon équipe. Nous détaillons la mise en œuvre concrète dans des cahiers des charges, que nous contrôlons dans leur mise en œuvre réalisée, puisqu’il y a des permis de construire qui passent d’abord devant nous avant de passer à la ville. On valide ou pas le permis de construire par rapport aux objectifs qui ont été fixés et après ça part à la ville pour une instruction réglementaire classique ».

À la croisée des différents mondes qui participent à faire sortir de terre le projet Presqu’île, InnoVia accompagne, assemble, met en musique. La SEM donne une forme au plan guide en créant des cahiers des charges et relie tous les partenaires du projet, décisionnaires et opérationnels. A partir de 2014, c’est elle qui pilote seule l’aménagement. Le rôle des élus est achevé, la vision est sauve. Les techniciens peuvent alors poursuivre sa matérialisation.