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Une méthode d’investigation

Dans le document tel-00823278, version 1 - 16 May 2013 (Page 77-80)

DEUXIEME PARTIE

A - DES CONCEPTS

1) Une méthode d’investigation

Comme le propose Jean-Claude Flornoy dans son ouvrage82, le tarot propose une méthode d’investigation, issue de l’imaginaire humain. C’est à ce titre qu’il illustre les mécanismes psychiques qui sont en jeu dans l’élaboration de l’objet tout en en retraçant les modèles directeurs. « L’initié » devra subir vingt et une épreuves, symbolisées par vingt et un arcanes ou lames. Ces dernières structurent trois septénaires qui symbolisent trois phases pulsionnelles (Planche VII). Dans ce jeu, existe une vingt deuxième carte qui est le mat, l’arcane sans nom (Planche VIII, fig. 17). Ce dernier, joue tout à la fois, le rôle de passeur pouvant s’immiscer entre tout autre arcane, et celui de déchirure ouvrant la porte entre deux mondes. Or la cure analytique nous conduit à franchir la porte pour passer d’un monde dans un autre monde. Le psychanalyste fait en quelque sorte fonction de passeur. Mais c’est à la déesse Maât83 (Planche VIII fig. 17 bis) de l’Egypte ancienne qu’incombe cette fonction, celle

81 Flornoy J.C. et R., Maîtres-cartier, éditeur du tarot de Noblet dans sa version originale, cartes peintes au pochoir à l’ancienne selon la tradition des maîtres du Compagnonnage, « Jean-Claude Flornoy restauration du Tarot de Jean Noblet©Succession Flornoy », Le pèlerinage des bateleurs, éditions letarot.com, 2007.

82 Flornoy J.C. Le pèlerinage des bateleurs, éditions letarot.com, 2007.

83 Il est peut-être ce Juif errant, ce fou (Planche VIII, fig. 17), âme perdue dans l’attente « d’un nouveau Moïse ».

D’arcane en arcane, il cherche un toit pour y déposer son maigre baluchon accroché au bout d’une longue spatule en bois. Dans ce baluchon, ce pourrait bien être son passé qui pèse sur ses épaules. Il s’appuie sur une canne sculptée, comme celle des compagnons du Tour de France. Il peut bien être à la recherche d’un maître qui serait dans ce cas précis Hermès ou Thot, symbolisé par son bâton de marche légèrement tordu. Cette scène du « fou marchant » fait penser à une autre scène illustrée par le peintre Gustave Courbet dans son tableau, « La rencontre» ou « Bonjour Monsieur Courbet » (Planche VIII, fig. 18) si ce n’est que le chien qui accompagne le peintre est calme et serein contrairement à celui qui figure sur l’arcane du fou qui est enragé et agrippé à ses brailles. Le chien du fou, pousse ce dernier à se bouger « le cul », « figuration couramment utilisée au Moyen-âge pour donner l’anagramme lux, lu(g)-mière». Mais c’est au sexe du fou que s’en prend réellement le chien ou plus exactement à son énergie vitale. Cette symbolique rejoint celle du dieu égyptien Min qui brandit son fouet afin d’activer les énergies lunaires. Le chien du fou, c’est celui de la tauroctonie qui est présent sur toutes les

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de créer des liens. Dans le tarot initiatique, cette Déesse égyptienne est symbolisée par le fou (Planche VIII, fig. 17). Comme nous le verrons plus loin dans ce travail, elle représente l’énergie la plus petite possible et suffisamment capable de provoquer le renversement d’un cycle, comme en atteste sa minuscule présence sur un des plateaux de la balance du Jugement dernier. Elle est à la fois ordre originel et ordre nécessaire auxquels elle consacre tout son temps. « Le ciel est satisfait, la terre est joyeuse après qu’ils ont entendu que le roi défunt a mis la Maât à la place du désordre »84. Faire appel à Maât, c’est en finir avec le désordre, tant cosmique que social ou psychique. Maât travaille à la fluidité, elle construit des ponts et des canaux entre les événements, entre les personnes, mais elle impose aussi des limites. Les dieux ont confié à Maât le pouvoir de déchirer le temps dont elle abolit les frontières. Par ce pouvoir, elle ouvre des portes sur d’autres mondes, elle permet à l’ombre de pénétrer la lumière et à la lumière de pénétrer l’ombre, elle possède, seule, l’immense pouvoir de vie ou de mort, celui de trancher le destin de l’homme ou de ses civilisations. Maât crée de la fluidité, elle solutionne toutes les crises antagonistes. Elle amène une troisième voie. Comme le vide-médian, principe évoqué dans le Taoïsme, Maât représente la solution inattendue, mais offerte par Thot à l’initié, celui qui cherche.

Le but final que doit atteindre l’initié se situe en lame XXI (Planche VII, fig. 16) qui représente le monde. Mais le monde s’hérite par qui s’en est rendu digne. Chez les Grecs, il s’agit du cosmos, pour Pythagore du ciel étoilé, suggérant ordre et structure. Partant de ce figures de Mithra, la morsure du chien n’est rien en comparaison du coup de cornes du taureau. En tous les cas, rien de tel que des crocs de chien bien acérés pour se faire réveiller et c’est bien cela dont à besoin ce juif errant, d’être éveillé en conscience au delà du sommeil de son âme endormie par le monde matériel. Tout est du reste fait pour qu’il demeure éveillé et attentif, témoins les grelots sur sa vareuse qui sont autant d’yeux qui scrutent l’horizon à la recherche d’un inconnu.

Ne peut-on pas voir dans le fou, Osiris, le « Gardien des portes de l’enfer » qui serait à la recherche de son

« futur justifiable », prêt à l’expédier en enfer, mais non pas pour le brûler (juste sa part d’ombre), mais afin de le rédempter. Os en Egyptien signifie « beaucoup » et iris « l’œil ». Le fou est un personnage qui voit loin et de tous les côtés, il porte la tête haute et son regard scrute l’horizon, rien ne peut lui échapper. Le fou marche à la rencontre de la lumière, de Dieu, il y est du reste poussé par ce chien hargneux, mais il part aussi comme Courbet à la rencontre du voyageur, de l’initié, dans le cadre du voyage initiatique que nous propose le tarot de Marseille. Fou ou Maât, c’est la même chose, tous deux désignent l’arcane sans nombre. Le Maât est seul comme l’est l’arcane de la mort (lame XIII), connu sous le vocable d’arcane sans nom. Tous les deux coupent et tranchent mais ce qui les différencie, c’est que la mort disperse (fertilisation), alors que le mat rapproche, relie, lie et structure (unification). Ce que la mort défait, le Maât le refait. Maât dans l’Egypte ancienne est la déesse de l’équilibre, de la vérité et de la justice. Elle symbolise la providence ou le destin. Maât se tenant debout, elle est alors coiffée d’une plume d’autruche, une seule plume qui symbolise la providence au service de Thot. Maât accroupie, elle déploie ses ailes comme pour susciter les hommes à harmoniser leurs actions sur les déplacements du vent. Elle est présente dans la scène du Jugement dernier ou psychostasie (Planche IX, fig. 20, 4) sous l’aspect d’une divinité coiffée d’une plume et portant la croix ankh sur ses genoux. Une plume sur un plateau de la balance, le cœur ou l’âme du défunt sur l’autre plateau, c’est la scène de la pesée de l’âme de l’Egypte ancienne dont la réalité mathématique nous est donnée par le mythe de la résurrection d’Horus. Cette scène du Jugement dernier est du reste reprise dans la symbolique chrétienne (Planche IX, fg. 19).

84 Bayoumi A., Conservateur au Musée du Caire, Textes des Pyramides, troisième millénaire avant J.C., In Autour du Champ des Souchets et du Champ des offrandes, Imprimerie Nationale Boulac, 1940.

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même principe, Mircea Eliade développera l’idée des espaces dans le sacré et le profane85. L’initié qui atteint ce sommet a donc mis en ordre sa structure psychique en l’harmonisant avec celle du « divin ». C’est du reste au centre d’une mandorle en couronne de lauriers que le justifié se présente nu au monde, à peine drapé d’un linge blanc. L’homme, le taureau, le lion et l’aigle sont les témoins de sa réussite et sont représentés aux quatre coins de la lame. « ... la vie des images est d’une pureté de filiation exigeante. Dès que les images s’offrent en série, elles désignent une matière première, un élément fondamental. La physiologie de l’imagination, plus encore que son anatomie, obéit à la loi des quatre éléments (G.

Bachelard) ». L’arcane XXI symbolise l’archétype du tétramorphe86.

De la même manière, le Soi, le moi et leurs complémentaires, leurs Autres, forment également un tétramorphe (en tension) qu’il faudra résoudre afin d’atteindre le but de l’individuation. Dans le monde, le tétramorphe représente le carré et la mandorle, le cercle. La solution de tout le problème se trouve dans la résolution de la quadrature du cercle : « La quadrature du cercle, qui, une fois achevée, ressemble plutôt à la cerclature du carré, est une figure alchimique qui réunit le symbole du ciel, le cercle, et le symbole de la terre, le carré87 ». Pour Jung, le Soi s’exprime selon le cercle quadraturé, « trinité quadruple, qui correspond à l’archétype fondamental de la plénitude. »

Jung s’est intéressé aux tarots de Marseille mais aussi à de nombreux textes alchimiques.

C’est, en 1935, à l’occasion des rencontres d’Eranos d’Ascona que Jung parlera pour la première fois d’alchimie. Son ouvrage « Psychologie et alchimie88 » ne paraîtra qu’en 1944.

« Les expériences des alchimistes étaient mes expériences, et leur monde était, en un certain sens, mon monde. Pour moi, ce fut naturellement une découverte capitale, puisqu’ainsi j’avais trouvé le pendant historique de la psychologie de l’inconscient. »89 Il n’a pu de ce fait ignorer les travaux de Saint-Yves d’Alveydre sur les forces mises en œuvre par la nature, ce que la psyché reproduit par imitation. Cette représentation de ces forces dites magiques donne un éclairage supplémentaire à la compréhension symbolique des vingt-deux arcanes majeurs du tarot de Noblet et donc du processus d’individuation jungien. Jung nous en a livré des clefs

85 Eliade M., Le sacré et le profane, Ed. Gallimard idées, Paris, 1965.

86 Le tétramorphe symbolise une interrelation entre son centre et ses quatre points extrêmes qui représentent toujours des principes fondamentaux : ce sont les quatre vivants de l’Apocalypse, l’homme pour Matthieu, le taureau pour Luc, le lion pour Marc et l’aigle pour Jean que les chrétiens ont en fait emprunté aux visions d’Ezéchiel et de Jean. Le Docteur Paul Carton y voit « les quatre tempéraments que la sagesse égyptienne, selon lui, aurait été tiré de l’énigme du Sphinx : savoir, vouloir, oser, se taire ».

87 Chevalier J. et Gheerbrant A., Dictionnaire des symboles, Cirlot. Ed.Laffont, 1969, p. 133.

88 Jung C. G., Psychologie et alchimie, Traduction par Etienne Perrot, Henry Pernet et Roland Cahen, éditions Buchet Chastel, 1998.

89 Jung C. G., Ma vie, p. 238 in Jung l’œuvre-vie, Stevens A., Editions du Félin, Paris, 1994, p.189.

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afin de mieux en comprendre les mécanismes. Lui-même les a utilisées avant nous, mais la porte reste ouverte à qui veut bien la franchir. Elle s’ouvre sur un monde qui semble n’avoir aucune limite. L’individuation constitue une méthode d’investigation qui nous fait découvrir le monde de la psyché et aussi ce qui l’entoure. C’est de cette perception, la plus exacte possible et de l’harmonisation entre notre moi et ce que Jung nomme le Soi que dépend notre parfaite qualité de vie. Pour Jung, les névroses ne sont que le résultat des performances médiocres de cette perception. C’est à ce différentiel (Soi – moi) que Jung a donné le nom d’ombre. Le but recherché par l’individuation se situe, avant toute chose, dans l’amélioration de ces performances.

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