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III CONCLUSION au PROCESSUS d’INDIVIDUATION

Dans le document tel-00823278, version 1 - 16 May 2013 (Page 185-189)

Persona, moi et Soi constituent les trois temps que l’on retrouve également dans les trois degrés du compagnonnage : apprenti, ouvrier et maître. Ce sont enfin les trois niveaux de conscience que l’initié doit atteindre pour recouvrer son unité perdue, c’est-à-dire un état d’androgynie225. La définition du Soi jungien fait écho à la parole de Jésus qui, dans l'Évangile de Thomas, s'adressant à ses disciples, leur dit : « Lorsque vous ferez les deux <

être > un, et que vous ferez le dedans comme le dehors et le dehors comme le dedans, et le haut comme le bas ! Et si vous faites le mâle et la femelle en un seul, afin que le mâle ne soit plus mâle et que la femelle ne soit plus femelle, alors vous entrerez dans le Royaume ». Le Royaume pourrait bien être alors symbolisé par le Monde (lame XXI des tarots), qui réunit à la fois le ternaire (ce que nous devons aider à advenir) et le quaternaire (la Création).

Selon Jung, ces trois phases se structurent, la première, autour de la duplication de l’objet, phase durant laquelle les traces mnésiques se structurent en tronc commun. C’est le stade de la persona. La deuxième, construit le moi au-delà de la structuration binaire dite en miroir, par l’élaboration de structures psychiques arborescentes. La troisième, résulte de l’effraction des énergies qui lient le symbolique, effraction responsable de la fission de l’objet duel. Ce processus vise à opérer un nettoyage en profondeur de toutes les structures aberrantes faisant écran à l’élaboration du moi. La planche XV (fig. 36) met en valeur les analogies qui existent entre les trois phases de l’individuation de Jung, les trois déterminatifs et buts du tarot initiatique, et également les trois étapes du compagnonnage.

Ramenés au processus alchimique et si l’on s’en remet aux trois rêves de Nazari, ces trois temps correspondent à deux stades essentiels de transformation : la fausse transmutation sophistique ou transmutation réelle usuelle et la transmutation divine dite réelle philosophique226. La gravure que propose le traité de Nazari sur la fausse transmutation sophistique représente un âne assis sur une corne d’abondance, jouant de la trompette (celle

225 Platon, Le mythe de l’androgyne, Banquet, 189d-193d : « en effet, notre nature originelle n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, loin de là. D'abord il y avait trois genres, chez les hommes, et non pas deux comme aujourd'hui, le masculin et le féminin; un troisième était composé des deux autres: le nom en a subsisté, mais la chose a disparu : alors le réel androgyne, espèce et nom, réunissait en un seul être le principe mâle et le principe femelle; il n'en est plus ainsi, et le nom seul est demeuré, comme une injure ». Cette idée fut du reste reprise par Mircea Eliade (Méphistophélès et l'androgyne, Paris, Gallimard, Collection "Idées", n° 435, 1962 : extrait du sous-chapitre : "le mythe de l'androgyne", pages 149-155 » : L'androgynie est également attestée dans l'Évangile de Thomas, qui, sans être un ouvrage gnostique à proprement parler, témoigne de l'atmosphère mystique du christianisme naissant. Remanié et réinterprété, cet ouvrage fut d'ailleurs assez populaire parmi les premiers gnostiques, et la traduction en dialecte sahidique figurait dans la bibliothèque gnostique de Khénoboskion.

226 Nazari G. B., Della Transmutatione metallica sognitre, 1572, In L’Alchimie à la Cour de Côme Ier de Médicis, savoirs, culture et politique, Alfrédo Périfano, Ed. Honoré Champion, Paris 1997.

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du Jugement dernier) alors que des singes dansent en cercle autour de lui (Planche XVI, fig.

38). Cette image nous renvoie à la roue de fortune (Planche XVI, fig. 39). Celle-ci fut vraisemblablement inspirée par l’imagerie médiévale (Planche XVI, fig. 37) symbolisant tout à la fois, la loi cyclique universelle qui préside aussi bien à la destinée des étoiles qu’à celle de l’homme, avec la transformation intérieure de l’âme. Mais le grand travail alchimique de la transmutation divine dite réelle philosophique s’opère avec le diable (Planche X, fig. 23). Par ces deux allégories, Nazari précise que cette transformation passe par deux écoles possibles.

Celle de « la fausse transmutation sophistique » qui ne résout pas l’essentiel des névroses humaines et où la psyché est soignée à moindre frais, et celle de la transmutation divine dite réelle philosophique. Dans le premier cas, la fête continue et le « tourner en rond » individuel et social peut se poursuivre sans crainte d’aucune remise en question. Cette allégorie semble nous dire que les monopoles de la pensée, et de manière générale, les institutions, ont encore de beaux jours devant elles. Cette logique respecte les lois du binaire dont elle ne dépassera pas les frontières. Nazari suggère ici que créer des règles et des lois sans que celles-ci ne soient jamais véritablement remises en cause, c’est enfermer la nature humaine et la psyché dans un carcan dégénératif. Ne pas dépasser le stade de la tempérance ou encore celui de la persona, c’est s’interdire toute forme de liberté psychique. Avec la seconde, Nazari montre que la transformation peut s’opérer bien au-delà des limites imposées par le mode binaire.

Mais pour cela, nous devrons affronter le diable (lame XV) qui en est le symbole vivant.

L’individuation de Jung se présente comme une physiologie de la conscientisation. On en trouve sa définition dans l’ouvrage : « Le vocabulaire de Jung »227 : « Processus naturel de transformation intérieure, vécu consciemment ou non, par lequel un être devient

« un « individu » psychologique, c'est-à-dire une unité autonome et indivisible, une totalité.»228 Elle suit une logique que l’on retrouve dans le chemin initiatique. L’homme devient meilleur, en ce sens qu’il échappe à ses peurs, à ses angoisses, et aux croyances, que lui impose la caverne judéo-chrétienne. D’une certaine manière, il campe les préceptes majeurs de l’école de la transformation, celle du Dieu Thot de l’Egypte ancienne. Par son enseignement, Jung milite pour une psyché libre et créatrice, exempte de toute forme de névroses. De par ses concepts, alchimique, animique et de synchronicité, il laisse entrevoir les modalités qui président à la physiologie analytique. L’approche transdisciplinaire qu’il met en avant, tout le long de son œuvre, nous ouvre des voies nouvelles. Que l’on parle de traces

227 Collectif : Agnel A., Cazenave M., Dorly C., Krakowiak S.,Leterrier M., Thibaudier V., Le vocabulaire de Jung, Collection dirigée par J. P. Zarader, Ellipses Edition, Paris 2011, p. 70.

228 Jung C. G., La guérison psychologique, Genève, Georg, 1970.

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mnésiques, pour reprendre l’expression de Freud, ou bien de gravure en miroir, ou encore de structuration binaire, ou bien aussi de formation du tronc commun, on est toujours dans la première phase structurelle de l’objet. Pour Jung, cet objet prendra la coloration de la persona, comme il avait prise celle du « ça », avec Freud.

Si on progresse un peu plus dans les investigations, l’imagerie judéo-chrétienne livre ses secrets cachés derrière des écritures symboliques, une imagerie populaire qui remonte au Moyen-âge pour l’essentiel, et qui n’est pas destinée qu’aux enfants. Les sept péchés capitaux représentent un véritable inventaire des pathologies comportementales. Ils correspondent tous, comme nous l’avons vu, à des dérives structurelles : les calcifications de la persona. Cette connaissance ne se limite pas au seul Moyen-âge mais remonte aux sources des civilisations anciennes. Les mythes d’Œdipe, du prisonnier de la caverne de Platon, de la résurrection d’Osiris, celle d’Horus, nous renseignent sur l’écriture psychique.

Le concept de l’âme demeure en grande partie, lié à la religion ou à des croyances issues de la nuit des temps. Et pourtant, Jung nous éclaire à ce sujet et nous montre que, derrière le mot, il y a toujours plus que le mot lui-même. L’âme doit faire partie du vocabulaire psychanalytique. Comme il le suggère, l’âme représente toutes les potentialités énergétiques de la psyché, et en conséquence, témoigne de tous les actes passés de tout un chacun. Avec les travaux de Jung, et avant lui, ceux de Freud, nous savons désormais que l’écriture psychique existe à l’état de traces. Mais, sans la pulsion qui les traverse, ces traces demeureront muettes et ne délivreront aucune information. La pulsion décrite par Freud demeure essentielle, et pour la gravure des traces mnésiques et pour leur lecture. Jung avait bien compris cet enjeu. Le concept archétypique en est la preuve. Toute structure psychique n’existe qu’au travers d’une énergie, d’une pulsion qui la met en œuvre.

Pour certains, Satan, relève de la pure imagination, pour d’autres, il représente le fruit de tous leurs malheurs. Mais, à la lumière des travaux de Jung, les sept péchés capitaux de la pensée judéo-chrétienne prennent une tout autre signification. L’orgueil résulte de cette construction par manque d’identification au caractère masculin. L’équilibre que prône Jung, entre anima et animus, est primordial pour la santé psychique. La société actuelle compte nombre de ces démons qui n’ont pu s’identifier qu’au travers d’eux-mêmes, c'est-à-dire en images qui se répètent à l’infini, et devenant vides de sens. Par simple besoin de reconnaissance, la nécessité de paraître est devenue légion. Tout est dans la reproduction des images de « l’autre », ne laissant pas de place à l’art en soi, qui permet l’élaboration du moi, et à terme la réalisation du Soi. Satan est bien vivant, mais sur un plan vibratoire. L’homme est responsable de cette création psychique qui résulte de la « calcification de la persona ».

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L’homme se retrouve contaminé par cette structure psychique aberrante, puis il contamine son environnement proche. C’est ainsi que l’Humanité toute entière, peut-être frappée par ce mal.

Ce mal est révélé par l’Apocalypse, qui accompagne le Jugement dernier, ou Fin du Monde, vocables qui désignent également des fins de cycles, où les modes directeurs, devront laisser la place à d’autres modes. L’effraction du symbolique correspond à l’ « Apocalypse psychique » annoncée par Jung en 1940. La Civilisation judéo-chrétienne porte vraisemblablement une grande responsabilité dans le chaos psychique et sociétal auquel l’homme est actuellement confronté. La pensée du Christ ne doit pas être interprétée au travers du bien et du mal, concepts binaires qui ne sont utilisés par la psyché que lors de la phase physiologique correspondant à la structuration du tronc commun. Le Christ, au contraire, invite l’homme à se dépasser, ce qui correspond à la deuxième phase du processus d’individuation, la structuration en arborescence. « On comprendra dès lors que la connaissance d’un tiers inclus, ou l’idée d’un Unus Mundus qui justifie la conjonction des opposés, ne sont en rien irrationnelles en soi : elles se veulent transrationnelles, et comme il n’y a de vie que dans l’unité des différences, on ne peut sans doute penser que dans l’inclusion – à un autre niveau – des séparations d’ici-bas par le truchement d’une raison qui se transcende elle-même et, selon le mot de saint Augustin, connaît son embrasement.»229

Mais le Jugement dernier de l’Egypte ancienne nous renseigne également sur la nature de l’âme. Elle met en scène le Dieu Thot, Directeur des âmes. Rien d’étonnant qu’il soit également considéré comme le Dieu des mathématiques, puisque l’âme représente une potentialité énergétique, ce que Jung envisage au travers de son concept animique. L’âme peut donc se mesurer, c’est d’ailleurs, ce à quoi s’emploie Thot lors de la scène du Jugement dernier, (Psychostasis) où il consulte le livre de vie du défunt. Il prend ainsi connaissance de tous ses actes passés. Cette symbolique laisse entendre que nos actes sont comptabilisés par la psyché et qu’ils peuvent être « lus », lors de l’effraction du symbolique.

229 Cazenave M., Jung revisité, I - La réalité de l’âme, Editions Entrelacs, Paris, 2011, p. 100.

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