• Aucun résultat trouvé

Le mythe de la résurrection d’Osiris : concept de croissance et de décroissance de la pulsion

Dans le document tel-00823278, version 1 - 16 May 2013 (Page 108-113)

II – TROIS PHASES PULSIONNELLES

B) DIFFERENCIATION de l’OBJET : LE MOI

2) Le mythe de la résurrection d’Osiris : concept de croissance et de décroissance de la pulsion

a) Le dépassement selon Plutarque

Le mythe osirien nous est connu dans un récit de Plutarque. Après avoir raconté le mythe d’Osiris au travers de son « De Iside et Osiride », Plutarque, s’appuyant sur le Timée de Platon, émet l’idée d’une âme du monde, totalement irrationnelle dans un premier temps qui

tel-00823278, version 1 - 16 May 2013

sort du chaos et finit pas s’ordonner en conscience, sous la coupe des divinités. Pour Plutarque, mythes grecs et mythes égyptiens parlent de la même chose. La naissance d’Eros dans le banquet de Platon, le démembrement de Dyonisos dans l’Orphisme conduisent tous à cette même idée que le mythe s’adresse à différents niveaux de conscience. Chacun doit y entendre ce qu’il veut, et surtout, ce qu’il peut. Démembrement, reconstruction, résurrection puis nouvelle vie après la mort campent le décor. La conception de la création de l’univers par Platon131, selon laquelle deux âmes du monde s’opposent, celle du bien et du mal, relève d’un concept duel qui est insuffisant pour rendre compte du jeu des forces de la nature, dans tout ce qu’elles ont de nuancé. C’est bien ce que Plutarque met en évidence, dans son Iside et Osiride132, démontrant qu’il existe une autre voie, ternaire celle-là, qui ne livre pas toutes les informations contenues dans le mythe. Ce dernier peut alors se révéler en tant que symbole énigmatique, caché derrière une écriture à plusieurs niveaux de lecture. Il existe une vie après le binaire qui résulte justement de sa propre procréation. Voilà ce que nous dit Plutarque au sujet du Sphinx : « Un roi issu de la classe des guerriers entrait dès sa désignation dans la classe des prêtres et s’initiait à leur philosophie, dont l’essentiel se dissimule sous des mythes et des récits qui reflètent et laissent transparaître obscurément la vérité comme le suggèrent à coup sûr les Egyptiens eux-mêmes, en plaçant le Sphinx à l’entrée des sanctuaires, place bien choisie qu’ils ont, que leur théologie contient une sagesse énigmatique. » … …« C’est par le raisonnement philosophique que l’on peut toucher à cette sagesse énigmatique. C’est par la raison que mourir à soi-même et puis renaître devient possible. Le mythe nous invite à dépasser le visible pour atteindre l’imaginaire qui est habité par des mondes immatériels ».

« Platon et Aristote qualifient d’époptique cette partie de la philosophie, parce que ceux qui, échappant grâce à la raison, à ce domaine de l’opinion, des mixtes, du divers, s’élancent jusqu’au primordial, à l’indivisible, à l’immatériel et, entrant en contact avec la pure vérité qui lui appartient, ont l’impression de posséder comme au terme d’une initiation, la philosophie dans son achèvement suprême.»133

b) Une représentation de la physiologie pulsionnelle

Parmi les nombreux mythes osiriens, celui-ci raconte qu’Osiris est frère de Seth et épouse sa propre sœur Isis. Osiris hérite de son père la terre fertile d’Egypte symbolisant la vie, son frère recevra pour tout héritage des étendues désertiques et arides symbolisant la

131 Platon, Œuvre de Platon, traduction par Victor Cousin, Paris, 1824.

132 Plutarque, Isis et Osiris (De Iside et Osiride), traduction de Mario Meunier, Guy Trédaniel Editeur, Paris, 1990.

133 Brisson L., Introduction à la philosophie du mythe, essai d’art et de philosophie, 1996.

tel-00823278, version 1 - 16 May 2013

mort. Seth jaloux fait tuer Osiris par un groupe de 72 conjurés. Les 72 conjurés sont à rapprocher des 72 énergies cosmiques qui sont libérées tous les 5 jours, allusion aux 36 décans. Puis Seth découpe Osiris en quatorze morceaux (jours) et les fera jeter dans le Nil.

Afin de reconstituer le corps morcelé d’Osiris, Isis se fera aider dans cette tâche, par sa sœur Nephtys et son oncle Thot. Isis ne retrouva que treize morceaux du corps d’Osiris, le quatorzième, le membre viril restera au fond du Nil, ce qui donnera au fleuve sa grande fertilité et surtout produira la crue du fleuve lors de la nouvelle année (autour du 14 juillet).

Les quatorze morceaux découpés du corps d’Osiris134 correspondent également aux quatorze jours de la phase descendante de la lune. Le jour de la pleine lune Osiris est assassiné par Seth, quatorze jours (lune descendante) seront nécessaires à Osiris pour se démembrer, le Nil est en crue et prend alors le nom du Dieu Happy, c’est pour lui également le moment de se répandre, de quitter son lit. Passée la nouvelle lune, treize jours (lune montante) seront alors nécessaires à Osiris pour se reconstruire, le quatorzième, jour correspond à celui de la pleine lune, c’est aussi le quatorzième membre d’Osiris, son phallus qui restera dans le Nil pour le fertiliser. Selon les légendes, Osiris est mort à l’âge de 28 ans, 28 jours complets pour un cycle lunaire... Le phallus d’Osiris n’est retrouvé qu’avec l’aide de Thot qui a été sollicité par Isis. Mais en pleine lune, Thot devient « Thot cynocéphale » à la tête de singe (Planche V, fig.

11), ce dernier représente l’astre à son apogée énergétique. C’est donc à ce moment précis que Thot peut aider Isis à retrouver le Phallus, quatorzième membre perdu d’Osiris. Grâce à l’intervention de Thot, Osiris peut enfin renaître. Si Osiris symbolise principalement l’astre solaire du fait de sa descendance de Rê, il retrouve en quelque sorte ses facultés énergétiques d’astre solaire au moment de la pleine lune (Thot cynocéphale). C’est pour cela qu’il est alors représenté le phallus en érection, tout comme l’est Amon le Dieu solaire. Osiris devient alors Min.

Si le mythe d’Osiris est à même d’illustrer la notion de « poussée » évoquée par Freud, il s’impose également en tant que composante essentielle du processus d’individuation de Jung, tout comme il ne va pas sans rappeler « le phallus manquant de la femme » qu’imaginera Lacan. Lacan s’est intéressé aux hiéroglyphes, il n’ignorait certainement pas l’existence des mythes osiriens qui ne pouvaient que lui inspirer sa théorie sur « le phallus manquant de la femme » : en effet, Osiris135, émasculé par son oncle Seth, ne retrouvera son

134 La tombe d’Osiris se trouverait à Bigga, à Philae, une de ses jambes à Létopolis, son épaule gauche à Busiris, sa colonne vertébrale et sa tête à Abydos.

135 Selon un autre mythe, Isis redonne vie à Osiris en agitant ses ailes. Elle conçoit alors un fils Horus qui est le fils d’Osiris. Ce dernier va succéder à son père dans le monde des vivants. Mais Horus a un frère Anubis, conçu par son père Osiris et Nephtys qui est la sœur d’Isis. C’est Anubis qui conduira Osiris au royaume des morts où

tel-00823278, version 1 - 16 May 2013

pénis que parce qu’il sera placé sous la protection (cyclique) du Dieu lunaire Thot. Mais ce sera surtout grâce à l’intervention et à la volonté de sa femme et sœur Isis, qui mettra tout en œuvre pour retrouver le membre viril de son époux. Pour arriver à ses fins, Isis fera même appel à sa sœur Nephtys, la magicienne, qui était la seule à pouvoir (énergétiquement)

« recoller » les morceaux. Elles parviendront tout de même à leurs fins, mais pas tout à fait puisque ce sont seulement treize membres à l’exception justement du quatorzième perdu dans le Nil, le phallus, qui seront retrouvés et reconstitués. Leur quête ne fut pas vaine, puisque d’un point de vue symbolique, la femme représentée par Isis ou Nephtys, ou encore Thot, qui est de nature féminine, s’appropriera à défaut du phallus d’Osiris, son pouvoir de fertilité en engrossant le Nil. C’est bien du reste ce que confirme Isis quand elle s’adresse à Rê-Atoum, le maître des Dieux136 : « Une force sort de l'intérieur de ma chair, après qu'une puissance a attaqué mon sein ; la puissance atteint sa pleine vigueur, lorsque le Lumineux commence son voyage. » Isis devient alors Happy137, le Dieu parturiente, la vierge Marie. Le phallus manquant de la femme tel qu’imaginé par Lacan prend ici toute sa valeur, celle d’une quête qui s’achève par une substitution entre cause et effet, l’appropriation par la femme du pouvoir de l’objet à défaut de l’objet lui-même. Nephtys symbolise le phallus manquant de la femme imaginé par Lacan.

il renaîtra et dont il deviendra le gardien (Gardien des portes de l’Enfer). C’est à ce titre qu’Osiris, après que soit tombée la sentence de Thot, accueille le défunt ou l’initié lors du Jugement dernier.

136 Le Lumineux, c’est Horus, cf. le mythe d’Horus, renvoi 93.

137 De la vache céleste et donc de la déesse Hathor au dieu Hâpy, il n’y a qu’un pas. Hâpy symbolise le Nil en crue, engrossé par l’étoile Sothis ou plus exactement par les énergies libérées par l’étoile Sothis à ce moment très particulier de l’année qui se situe autour du 19 juillet. Happy est représenté par un personnage au ventre arrondi et aux seins gonflés. Horus a fécondé l’Hathor céleste représentée pour dix jours, par l’étoile Sothis (Sirius) ; Sothis devenu énergie stimulée (Sothis sur sa barque) est venu engrosser à son tour le Nil qui devient Hâpy « la parturiente » ; par ailleurs, Horus fût lui-même enfanté par Osiris image miroir de Rê (le soleil) et Isis image de Thot (la lune). Tout le monde est au rendez-vous, « la vie peut commencer »! Le mystère de la naissance d’Hâpy nous ramène aux portes du temple de Philae, à l’actuel barrage d’Assouan. Une légende de l’Egypte ancienne raconte que Hâpy est né dans une grotte sur l’île d’Eléphantine. Hâpy est du reste représenté sur une fresque, agenouillé et tenant dans chacune de ses mains un hésit qui est une sorte de petite amphore. De ces hésits s’échappent le fluide énergétique, résultat de l’action « du spermatozoïde Sothis sur sa barque ». Ces énergies symbolisées sur le dessin par un filet d’eau fluidique, sont directement reliées à un serpent qui entoure Hâpy. Ce serpent symbolise l’Uroéus dont Horus est coiffé, le cobra royal. Par ce symbole du serpent, le Nil devient vivant, fertilisé par les énergies cosmiques. Il est encore à remarquer que Hâpy naît au beau milieu de la première cataracte remplacée de nos jours par le barrage d’Assouan. C’est un lieu riche naturellement en énergies, ne serait-ce que les énergies produites par la chute des eaux quand celles-ci, franchissent la cataracte.

Ces chutes devaient produire de surcroît un bouillonnement considérable qui devait faire penser à « un jet spermatique ». Quoi de plus normal que celui-ci, soit à même de recevoir le ferment de la vache Hathor pour donner naissance à Hâpy. Quoi de plus normal enfin, que Hathor soit considérée par les anciens Egyptiens comme la déesse de l’amour, de l’érotisme et de la sexualité, du fait de ses propriétés à être fécondée et à féconder à son tour. C’est ainsi que le Nil se divinise en Dieu Hâpy, chaque fois qu’apparaît dans le ciel l’étoile Sirius dite « l’aboyeur », car elle prévenait les bergers de rentrer leurs troupeaux pour les protéger de la crue prochaine du Nil.

tel-00823278, version 1 - 16 May 2013

Tous ces mythes font référence aux cycles solaires et lunaires, ils nous renvoient également à des thèmes philosophiques comme celui du dépassement (Hegel)138 et de l’arrachement (démembrement) nécessaire pour se libérer de la caverne (Allégorie du prisonnier de la caverne de Platon). Ces mythes s’adressent à tous ceux qui souhaitent se libérer de leur passé (l’ombre). Ils suggèrent « la voie osirienne » qui n’est pas la plus facile puisqu’elle nécessite un démembrement de la conscience, rapide et alchimique, qui va bien au-delà de ce que propose la cure analytique traditionnelle mais qui ne se fera pas sans douleur puisque nécessitant la traversée de l’enfer. C’est ainsi que pour faire émerger l’identité profonde du moi, puis accéder au Soi, la force horienne est indispensable. Osiris devra donc tantôt lutter pour s’arracher à sa nature céleste (Nout), tantôt lutter pour s’arracher à sa nature terrestre (Geb). Cette double lutte engage un travail d’équilibrage entre les forces antagonistes présentes (l’ombre et la lumière). C’est de ce travail soumis aux cycles lunaire et solaire, la roue (lame X), que doit naître Horus qui est la personnalité révélée (éveillée) d’Osiris. Le mythe de la résurrection d’Osiris illustre le principe physiologique du cycle pulsionnel. On y retrouve en détail les différentes phases de « la poussée » de Freud. « La force » prend naissance dans ce cycle, croît jusqu’à son intensité maximale puis décroît jusqu’à sa totale extinction, ce qui marque à la fois fin la fin du cycle mais aussi le départ d’un nouveau cycle. Des écritures se construisent aussi bien en période croissante que décroissante. Le cycle montre que croissance et décroissance sont nécessaires à sa totale compréhension. En lune montante, poussent les plantes aériennes, en lune descendante, ce sont les racines qui sont prioritaires. « Ombre et lumière » sont ainsi sans cesse visités afin que le cycle s’accomplisse en ne laissant aucune caractéristique de l’objet dans « l’ombre ».

On peut ainsi mieux imaginer comment s’opère la construction de l’objet au sein de la psyché.

La pulsion se manifeste selon deux phases, la première que l’on peut désigner comme phase d’investissement, l’autre, comme phase de désinvestissement. C’est ainsi que la gravure « des traces mnésiques » s’opère aussi bien lors de la première phase que lors de la seconde. De cette physiologie à double temps on peut vraisemblablement reconnaître le concept de Freud

« l’amour est contenu dans la haine » et le concept d’hainamoration de Lacan.

138 Hegel G. F. W., Esthétique, l’idée du beau, 1835, Tome premier, traduit par Ch. Bénard et Phénoménologie de l’Esprit (Phänomenologie des Geistes) paru en 1807, Editions Aubier, 1977.

tel-00823278, version 1 - 16 May 2013

Dans le document tel-00823278, version 1 - 16 May 2013 (Page 108-113)