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Jung et la descente aux enfers

Dans le document tel-00823278, version 1 - 16 May 2013 (Page 66-69)

DEUXIEME PARTIE

A - DES CONCEPTS

5) Jung et la descente aux enfers

Dès 1915, Jung fit donc cette expérience de « la descente aux enfers » de laquelle il ressortit « éclairé en conscience » et, comme tous ceux qui font ce voyage et en réchappent, lavé de tous ses diables intérieurs. De 1913 à 1930, il rédigera « Le livre rouge »59 ou « Liber Novus » écrit et enluminé à la manière des vieux manuscrits du Moyen-âge. Cet ouvrage témoigne de son voyage dans les profondeurs de l’âme humaine. Il dessine et peint lui-même les planches selon l’esprit des copistes médiévaux. Cette œuvre incontournable de Jung publiée que tout récemment célèbre le cinquantième anniversaire de sa mort et rend compte de sa démarche vers ce qui sera avant tout, son expérience du processus d’individuation. Pour ne rependre que trois peintures de cette œuvre de Jung, je mentionnerai sa planche 54 où figurent le serpent et les énergies cosmiques. On peut du reste rapprocher cette enluminure de Jung (Planche IV, fig. 7) du « fleuve de vie », symbole judéo-chrétien (Planche IV, fig. 8). Sa planche 55 fait référence à la barque solaire (Planche V, fig. 10), le monstre marin symbolisant l’inconscient comme il le décrit dans son ouvrage « Métamorphoses de l’âme et de ses symboles.» Philémon enfin, (sa planche 154) représente le personnage clé pour Jung (Planche VIII, fig. 18), car c’est lui qui jouera le rôle de passeur lors de son voyage initiatique. Une fois de plus, Jung utilise ses connaissances de l’Egypte ancienne et fait ici référence à la Déesse Maât qui ouvre ses ailes à celui qui entreprend le périlleux voyage en enfer, à la fois pour le guider et aussi le protéger (Planche VIII, fig. 17 bis).

Mais c’est en 1944 que ce voyage prendra tout son sens. Jung est alors victime d’un infarctus. Alors qu’il sait que la mort l’emporte « une force invisible l’oblige à revenir sur Terre ». Il n’est pas donné à tout un chacun de pénétrer dans le monde de la psychose, de voir sous un flot d’images se déliter et se délier toutes nos croyances, nos certitudes, nos citadelles de conviction, puis de voir surgir de ce chaos de représentations, cet Autre qui auparavant ne s’était jamais manifesté à nous d’une façon aussi visible, cet Autre qui demeurait timide et réservé et qui, en un instant (de quelques jours à quelques semaines) sort de l’ombre et impose

« sa Loi », à notre insu. Comment Jung pouvait-il mieux s’exprimer sur ce sujet qu’après être devenu le cobaye de sa propre expérience. L’éclatement de son amitié avec Freud, tout ce

59 Jung, C.G., Le livre rouge, Traducteurs à partir de l'allemand : Christine Maillard, Pierre Deshusses, Véronique Liard, Claude Maillard, Fabrice Malkani, Lidwine Portes, Edit. L’Iconoclaste et la Compagnie du livre rouge, septembre 2011.

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qu’ils avaient pu bâtir de projets ensemble, un terrain psychique vraisemblablement propice, furent autant de facteurs possibles qui ont dû positionner Jung, durant toute cette période de doutes, en situation d’une tension extrême. Le résultat en pareil cas ne se fait pas attendre, il se produit un débordement, but recherché par toute forme de pulsion qui est de résoudre les tensions afin de retrouver l’état d’équilibre antérieur. Se succèdent ainsi pulsion de vie et pulsion de mort, c’est le processus d’individuation jungien : la pulsion obéit à des lois cycliques qui la conduisent à mourir et renaître sans cesse. Elle prend naissance dans l’unité (mort, androgynie, équilibre absolu), grandit dans la duplication de ses représentations, puis dans la différenciation de ses structures, jusqu’au plus fort de sa mise en tension, explose, puis se résout.

C’est ainsi qu’au cours du processus d’individuation, pour tous ceux qui ont été instruits dans les religions manichéennes, l’affrontement avec le Diable se présente comme une épreuve incontournable. Comme en témoigne le tarot initiatique, il est l’ultime obstacle dont l’homme doit se départir s’il veut enfin accéder à sa propre vérité, sa véritable destinée.

Les énergies psychiques mises en jeu sont intenses. Elles lient entre elles les structures binaires. C’est essentiellement de la rupture de ces liens, que dépend la parfaite réussite du processus d’individuation. Cette dernière, se réalisera par « scission psychique », ce que nous désignerons par l’effraction du symbolique.

Pour Jung la fonction transcendante revêt les caractères d’une véritable quête initiatique, celle que tout individu se doit d’accomplir s’il veut enfin accéder à sa véritable nature, la connaissance de soi. On peut l’apparenter à un nettoyage psychique, à une redistribution des composantes de l’objet qui devront se restructurer au delà du mode directeur binaire. Pour Jung le Soi englobe à la fois conscient et inconscient. Il doit prendre en compte toutes les substances qui ont construit le moi ainsi que toutes celles qui en furent refoulées au sein de l’ombre. « Durant les années 1918 à environ 1920, je compris que le but du développement psychique est le Soi. Vers celui-ci, il n’existe point de développement linéaire, mais seulement une approche circulaire, « circumambulatoire ». »60 Visiter, puis encore revisiter sans cesse la lumière et les ténèbres, voila à quoi en est réduit l’homme moderne, à un réajustement permanent de ses écritures psychiques. La fonction transcendante devient visible et lisible grâce aux rêves qui témoignent du travail d’intégration des données intrapsychiques.

60 Jung C. G., Ma vie, Collection Témoins, Gallimard, 1966, p. 229.

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C’est ainsi que la substance de l’objet qui est livrée à la psyché ne cesse de se « dé-sculpter » produisant des débris qui en deviendront les pièces structurantes. Le moi et l’ombre en sont des productions. Appréhender au mieux l’objet dans ses différentes composantes, lire l’objet, constituent l’essentiel de la physiologie analytique. Cette lecture se réalise durant notre sommeil. Les informations stockées durant la journée dans le système Pc-Cs décrit par Freud sont alors analysées avant d’être dirigées vers telle ou telle construction psychique.

Conscient et inconscient (chez Jung) sont en permanente interaction, le premier se nourrissant sans cesse de l’autre. Pour Jung, il existe un appareil analytique qui régule la fonction psychique, il y voit : « un rapport fonctionnel de compensation. »61 Le rêve peut s’identifier à un champ de bataille qui laisse parfois entrevoir au dormeur qu’il se déroule quelque chose en lui, à son insu, durant son sommeil. Ces rêves se présentent sous forme d’histoires qui nous parlent de quelque chose qui nous concerne. Pour le rêveur ou l’analyste, ces rêves sont parfois difficiles à décrypter. Mais ils témoignent également des difficultés rencontrées par la psyché soit au cours de son travail d’identification de l’objet, soit au niveau de sa gravure.

L’interprétation du rêve fait partie de l’analyse jungienne et représente une approche efficace du travail analytique. Mais pour Jung, c’est au travers de l’imagination active que doit se dérouler l’analyse. Le patient doit réaliser une approche patiente et progressive de « son tout », de l’ombre et de la lumière. Tout ce qui émergera ainsi de l’inconscient pourra être amalgamé au conscient. De ce pont ainsi constitué ou restauré émergera la voie par laquelle s’écoulera la substance brute, non encore jointe au moi constitutif. C’est en quelque sorte déstructurer la part d’ombre au profit de celle de la lumière, c’est aussi résoudre la névrose.

Le processus d’individuation passe par cette logique qui consiste d’une part à déconstruire ce qui a été lié à part du moi et surtout, opération plus difficile, extirper de la psyché le ou « les logiciels directeurs » construits à partir de croyances ou de mythes qui ne prennent en compte que la modalité binaire.

Pour Jung, la fonction transcendante conduit au Soi qui peut-être perçu comme point de rencontre entre l’individualité, de celui qui sait qui il est, et le tout que représente la création. Il rejoint ainsi la pensée taoïste qui établit une harmonie entre « cosmos humain » et

« cosmos céleste ». Le Soi devient en quelque sorte un point commun à l’homme et à la création dont il est issu. C’est la rencontre entre l’homme transcendanté et Dieu qui se rejoignent symboliquement en un point, le point de théandrie (Théos, Dieu, Andros, l’homme). Dans l’absolu, cette représentation symbolique illustre la synthèse absolue entre

61 Jung C. G., Types psychologiques, Genève, Librairie de l’Université Georg 1977, p.449.

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fini et infini. Elle suggère également mort et renaissance de l‘initié. Dans l’esprit de Jung, le message est clair rien n’est plus naturel que le naturel. L’homme doit s’affranchir des lois et des modes qui le coupent de sa vraie nature pour recouvrer un état psychique originel. Jung reprend ici la thèse alchimique qui repose sur la transmutation de notre plomb intérieur, constitutif de nos névroses, en un or pur et fin, notre moi transmuté en Soi. Mais une certaine mort psychique est nécessaire pour y parvenir. Cette opération passera par un grand nettoyage au cours duquel seront littéralement pulvérisées nos croyances qui maintiennent notre moi intérieur à l’état de plomb. Se départir du mode binaire pour enfin accéder au mode ternaire qui caractérise la loi universelle, voilà l’enjeu. Voilà également un modèle d’écriture proposé pour la psyché qui suit point par point la physiologie de la pulsion comme nous le verrons dans le chapitre II de cette deuxième partie consacré aux « Trois phases pulsionnelles ». Tout le processus d’individuation suggéré par Jung tourne autour de cette problématique. D’une certaine manière pour Jung, l’homme est naturellement relié au cosmos. Ses choix de civilisations et ses modes de vie ont gravé dans son psychisme « des logiciels directeurs » qui l’ont éloigné de sa nature cosmique. Il ne tient qu’à lui de refaire ce qui a été défait. Pour Jung, cette voie est celle de l’individuation.

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