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ciaire fond é sur le traitement de masse

2.4.2. Une individualisation très variable selon les moyens disponibles

Nous l’avons vu, la CP est associée partout à une réaffirmation de l’individualisation de la décision qui s’applique au justiciable, tant du côté des magistrats intervenants dans la chaîne pénale que de celui des CPIP. Mais l’effectivité de l’individualisation dépend sur- tout des moyens effectivement disponibles - en termes de méthodes et de personnels :

« La difficulté, c'est de se donner les moyens de pouvoir l'exercer cette individuali-

sation de la peine dont on parle beaucoup. Mais on a peu d'outils en fait à disposi- tion. » (Magistrat du parquet, Bosille)

Au-delà du manque de personnels et d’outils, des CPIP regrettent l’écart entre la capacité à cerner les problèmes que leur permet le travail d’investigation, d’évaluation et de dia- gnostic dans le cadre de la CP, et l’incapacité à répondre aux problèmes identifiés, faute de places dans les structures concernées :

« Je suis gênée finalement d’avoir ce recueil d’information et ne toujours pas être en mesure d’y donner réponse. Par exemple, il était évident que le gars avait be- soin de soins [mais] il n’y avait pas de place au CMP. On n’a pas trouvé de solution par rapport aux soins. Donc c’est très gênant comme situation professionnellement, je trouve que c’est incohérent. » (CPIP, Ceflanvo)

Mais d’autres obstacles sont également signalés par nos interlocuteurs, et menacent la chaîne de confiance qui doit s’établir tout au long du processus pénale. L’une des difficul- tés les plus fréquemment mentionnées, porte sur l’absence ou la non-fiabilité des informa- tions sur la personnalité, en amont du jugement, ce qui rend difficile le questionnement autour de :

« C'est très déclaratif : on ne vérifie rien, y a pas d'enquête préalable sur la person-

nalité des gens. Donc c'est un peu compliqué, parce que c'est une espèce de pa- ri. » (Magistrat du parquet, Bosille)

« On se fie à ce que les gens nous disent, parce qu'on n'a pas les moyens de véri-

fier. Il suffirait d'un enquêteur sur le ressort, avec un profil adapté, pour faire un cer- tain nombre de vérifications. » (JAP, Bosille)

En même temps, et paradoxalement quand on considère tout le discours sur l’individualisation, d’autres professionnels considèrent aussi la CP comme un outil dans la gestion des flux et des stocks - c’est le cas à Prédair. En effet, la proposition d'aménage- ment de peine diminue les pressions qui s’exercent sur les établissements pénitentiaires du fait du débat omniprésent sur la surpopulation carcérale. Cette controverse n’est pas seulement évoquée dans les médias ; elle revient dans les discussions dans les divers services de l’administration pénitentiaire. Néanmoins, on peut avancer que, vu le faible nombre de CP prononcées, cet enjeu de flux reste pour l’instant de l’ordre de la spécula- tion.

L’accueil favorable, voire enthousiaste, de la contrainte pénale au sein des SPIP, ne peut néanmoins cacher des difficultés d’ordre pratique. Certains d’entre eux ont, au contraire, pensé d’emblée que la contrainte pénale était « une chimère » et que « ça n’allait pas

changer grand-chose ». Pour d’autres, la désillusion est intervenue dans un second

temps. Ainsi un CPIP de Ceflanvo estime que « c’est toujours très frustant : à chaque fois

qu’on nous parle de ces nouvelles méthodes, des formations qu’on nous donne, on en ressort enrichi, motivé, on s’aperçoit en effet qu’il y a des tas de trucs qu’on a pu faire qui étaient plutôt stériles. On sent bien qu’il faut améliorer les choses ; après on est rattrapé par ce principe de réalité. Il y a un côté très décourageant ». Certains CPIP évoquent

même un côté culpabilisant et jugeant sur les pratiques passées qui étaient alors présen- tées comme n’étant pas bonnes. Une cadre SPIP explicite ainsi cette réaction de certains CPIP : « qu’est-ce qu’on entend souvent ? « Mais tu te figures qu’on ne la faisait pas

avant l’évaluation ? » Ils sont toujours très sûrs d’eux. Il n’y a pas de véritable remise en question du fond de leurs pratiques ou de la forme de leurs pratiques. Effectivement pour entendre à travers tout cela « vous ne faisiez pas de l’évaluation » c'est douloureux ; ils pensent qu’ils le faisaient alors qu’ils ne le faisaient pas. C’était archi superficiel. ».

Il y a sur ce point une divergence entre les CPIP et la direction du SPIP de Ceflanvo. Pour la direction, la contrainte pénale est l’occasion pour les CPIP de dépasser leurs limites, d’aller sur des terrains qu’ils s’interdisaient auparavant, en résumé, de renouveler leurs pratiques professionnelles. Mais, les CPIP resteraient sur leur fonctionnement. Selon une cadre de SPIP, les CPIP seraient réservés « sur leur potentiel à innover, notamment

quand ils connaissent déjà le condamné ; ils n’arrivent pas à changer de posture et à ren- trer en relation pour une nouvelle peine d’une façon différente de celle qu’ils utilisaient précédemment ». Les CPIP confirment qu’il leur est difficile de trouver une nouvelle dy-

namique dans le suivi, particulièrement lorsqu’ils connaissent déjà la personne. Selon un CPIP, « ce n’est pas facile de faire du neuf avec du vieux surtout quand en plus beau-

d’intérêt général ou sont même ressortis et rentrés en prison ». Ils ont l’impression

d’assurer le même suivi, de la même manière. Parfois ils ont aussi le sentiment d’avoir déjà ouvert toutes les portes. Donc que faire de plus ? Comment apporter un souffle nou- veau à l’accompagnement ? Comment changer de posture ?

Face à ces difficultés le choix a finalement été fait à Ceflanvo de changer le CPIP référent quand un condamné est trop connu du SPIP. Certes cette solution a l’avantage de per- mettre un regard neuf mais elle n’est pas sans inconvénient. Il est ainsi évoqué le fait que les condamnés sont des personnes fragiles. Garder le même CPIP référent donne alors un certain confort dans l’approche. « Il ne faut pas susciter chez les personnes suivies un

sentiment d’abandon ». Un rapport de confiance existe avec le CPIP, ce peut être inoppor-

tun de « casser » cette relation. Enfin certains CPIP ne souhaitent pas passer la main es- timant qu’il s’agit de « leur dossier ». La solution pourrait alors résider dans le fait de ré- server la contrainte pénale à des personnes n’ayant plus de suivi SPIP en cours au jour de leur condamnation. C’est ce qui est préconisé par certains CPIP estimant que la con- trainte pénale ne devrait pas être prononcée à l’égard de « personnes engluées dans plein

de mesures » mais, comme nous l’avons précédemment développé, ce critère initialement

retenu dans le profilage de Ceflanvo n’a pas perduré.

Ainsi, la très grande majorité des CPIP font part de problèmes de surcharge de travail (« on a trop de mesures »), de manque de moyens et de temps, ce qui leur donne un sen- timent d’impuissance. Les CPIP expliquent le rythme de travail : le traitement des dossiers dans des délais impartis parfois trop courts / la nécessité de libérer à l’heure les box dans lesquels ils rencontrent les justiciables afin de ne pas pénaliser le collègue qui suit, alors pourtant qu’il aurait été utile de poursuivre l’entretien / les déplacements et le temps passé pour assurer des permanences / le temps nécessaire pour procéder aux évaluations, avec, au besoin, des déplacements, etc. Cette question du manque de temps est récur- rente dans les propos des CPIP ce qui peut amener certains d’entre eux à remettre en cause la pertinence de la réforme :

« Ce qui est bien c'est pas la contrainte pénale, c'est le fait qu'on ait du temps à consacrer aux gens, et ce temps-là on l'aurait si on avait une charge de travail moins importante avec la mise à l'épreuve et on l'aura plus avec la contrainte pé- nale si la contrainte pénale se généralise, donc on confond la mesure et le con- texte. La mesure en soi n'est ni nécessaire, le SME avec du temps ça suffit, ni suf- fisante parce que sans le temps ça sert à rien du tout. Tant qu'on ne mettra pas de moyens pour faire vivre les dossiers, les suivis, le reste c'est du flan; ce qu'il faut c'est pas des outils c'est du temps ».

Cet avis est partagé par un autre CPIP : la contrainte pénale « demande effectivement

des moyens humains et matériels importants. Avant tout elle demande aussi du temps, du temps à la fois pour le professionnel, pour le condamné, lui faire com- prendre effectivement à quoi va servir ce temps, pourquoi ».

Les CPIP se disent à bout de souffle. Ils sont lassés des mesures nouvelles, des nou- velles tâches qui s’ajoutent. De ce point de vue, si la contrainte pénale est d’abord appa- rue comme un idéal, très vite, des CPIP se sont sentis découragés :

« La contrainte pénale s’inscrit un peu dans ce contexte difficile au niveau des SPIP. Une mesure qui était attendue par les personnels du terrain qui se voit un peu freinée justement par les difficultés du terrain, cette multiplicité de missions, de tâches et par les conditions matérielles ».

Les difficultés matérielles sont récurrentes. Ainsi un CPIP, convaincu de l’utilité des visites au domicile du condamné afin de produire un travail d’évaluation pertinent explique que le temps lui manque pour ces visites mais aussi qu’il y a « un problème de voiture tout bête.

Il nous a été demandé de rationaliser. On a 3 voitures […] Donc voilà ! C'est vrai que pour les permanences on peut éventuellement y aller en train même si on perd du temps tout cela mais quand on va au domicile il faut avoir un véhicule ».

La direction de Bosille partage ce constat selon lequel l’un des principaux écueils à la con- trainte pénale est le manque de temps et de moyens. Elle évoque aussi des besoins en personnels :

« il y a besoin d'AS, d'un psychologue, de personnel quoi, mais on a mis en place un outil de la contrainte pénale à moyens constants, nous on arrive à l'assumer sur un petit service parce que tout le monde en a pris un petit peu, tout le monde aussi a joué le jeu de cette nouvelle mesure et y a trouvé de l'intérêt, maintenant c'est vrai il faut aussi que le service puisse s'étoffer, il faut aussi qu'il y ait des cadres dans le service, nous on n’est que deux cadres, moi j'arrive à être présent pour faire toutes les CP mais ça peut aller très vite... il y a besoin de personnel ».

Une autre difficulté a trait aux partenariats indispensables pour atteindre l’objectif d’individualisation porté par la contrainte pénale et permettre l’exécution par le condamné de ses obligations. Comme le déclare un CPIP, « Oui, on peut développer des outils en

interne, mais ça ne suffit pas. Les gens doivent être réinsérés, et ça, ne peut pas se faire que dans le SPIP ». Or, selon de nombreux interlocuteurs, c’est là que réside une difficulté

majeure. A Ceflanvo notamment il est même fait état d’un appauvrissement des relations avec les partenaires auprès desquels les obligations peuvent être remplies. Parmi les rai- sons évoquées figure le manque de temps, tant des CPIP que des partenaires eux- mêmes. Cette situation est déplorée par un CPIP déclarant à propos de la contrainte pé- nale :

« Aujourd'hui on est dans l’utopie. Si on arrive à avoir un téléphone dix minutes ou une structure c'est déjà très bien. On aimerait. Moi franchement si je pouvais faire une journée j’adorerais passer le matin avec tel partenaire et l’après-midi avec tel partenaire, faire le lien avec les structures de soins, pouvoir discuter de certains dossiers. Quand on téléphone pour aller voir telle structure c'est : « Je suis désolé c'est impossible » et cela peut se comprendre, leur agenda est tellement débordé. Aujourd'hui, je crois que c'est ce qui a le plus pénalisé parfois notre travail. Il y a eu un appauvrissement de la relation avec les partenaires faute de temps. On est submergé par d’autres missions ».

Ce constat est partagé par un autre CPIP :

« On n’a pas le temps d’aller chercher les partenaires. Le réseau partenarial est une richesse infinie. Mais il y a des dispositifs ou des réseaux qu’on ne va pas chercher car on ne connaît pas ou on n’a pas le temps d’y aller. Ces relais man- quent. […] Travailler sur l’insertion des personnes, avec des personnes très fra- giles, avec des carences éducatives ou autres, dans le fonctionnement de la socié- té, si on ne travaille pas avec le réseau partenarial, on se plante ».

Et même lorsque, comme à Bosille, la direction du SPIP déclare chercher de nouveaux partenariats, celle-ci avoue que l’arrivée de la contrainte pénale n’a pas démultiplié le ré- seau partenarial du département, ce sont les mêmes partenaires que ceux mobilisés pour d’autres formes de suivi en milieu ouvert : « on a nos partenaires habituels du soin, de

l'hébergement, de l'emploi, etc., on va toujours travailler avec les mêmes gens ». Elle dé-

plore donc un manque d’outils spécifiques et renouvelés pour mettre en place le suivi post évaluation.

Comme on le voit, la CP suscite des sentiments mitigés chez les CPIP. Beaucoup y sont favorables, y trouvant la ressource pour un renouvellement des réflexions autour de leur métier, des méthodes de travail, de leur place dans l’institution judiciaire, et de leur rapport au justiciable. Qu’ils soient attachés au caractère innovant de la CP, ou qu’ils y voient un « super SME », ils espèrent en tirer parti pour faire évoluer leur métier vers une approche plus personnalisée et intégrant davantage de rapports avec les justiciables. Ce qui est re- jeté, ce sont les incitations à la productivité qui les ont conduit à une perte de sens dans leur profession. Mais, même plébiscitée, la CP pose problème, dans la mesure où toutes les évolutions souhaitées ne pourront se faire qu’avec des moyens en personnels sup- plémentaires. A cet égard, l’annonce, simultanément au lancement de la CP, de recrute- ments massifs de CPIP a encouragé les bonnes volontés. Dans les SPIP, il est aisé de mesurer le poids de l’arrivée de nouveaux agents. Là où se sont réalisées des affecta- tions, le SPIP est généralement moteur pour lancer la CP, et le démarrage effectif dépen- dra de l’écoute des magistrats. A l’inverse, même sur certains sites comme Francilien où l’engagement théorique en faveur de la CP était assez général, le manque de signes en matière de recrutement a eu des effets néfastes en termes d’engagement. Comme les échos en provenance du parquet ou du siège se sont affaiblis simultanément, on com- prend que les prononcés stagnent, voire régressent après une toute première période plus positive.

Quand toutes les conditions favorables sont réunies, les limites en matière de personnel CPIP disponible jouent également, et finalement assez rapidement. Si les magistrats sont convaincus par les engagements du SPIP, ils attendent des garanties de suivi. Ils sont donc sensibles à la qualité, à l’intensité et à la fréquence de celui-ci. Dès lors, tout mes- sage en provenance du SPIP indiquant une incapacité à recevoir de nouveaux condam- nés à la CP est reçu immédiatement par les magistrats et les conduit à freiner ou arrêter le prononcé.

Une autre question qui s’impose dans certains SPIP où la CP fonctionne, plus ou moins bien, et qui renvoie également à toute une série de réflexions sur le métier, est celle de l’égalité de traitement, aussi bien des CPIP que des justiciables. Si la CP parvient à repré- senter une forme de suivi plus proche de l’idéal professionnel des CPIP, ceux-ci se de- mandent alors pourquoi toutes les personnes placées sous leur responsabilité ne peuvent pas bénéficier d’un tel suivi, dénonçant une forme d’inégalité pour eux choquante. Cer- tains posent la même question au sujet des CPIP : pourquoi les plus chanceux bénéficie- raient-ils de meilleures conditions de travail en exerçant dans le cadre de la CP - modèle de la spécialisation - alors que les autres continuent à crouler sous les dossiers de SME ? Cela a conduit d’ailleurs des SPIP à « distribuer » les CP entre plusieurs CPIP.

La CP, alors même qu’elle reste marginale dans l’ensemble des condamnations, révèle encore une fois des problématiques qui préexistaient à son adoption. Elle pose de ma- nière accrue des interrogations restées trop longtemps sans réponse satisfaisante.

2-5 La Contrainte Pénale, une remise en cause de la culture de