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Le législateur a prévu une réponse graduée en cas d’inexécution de ses obligations par le condamné ou lorsque celui-ci est condamné pour une nouvelle infraction commise pen- dant le délai d’épreuve. Le JAP a ainsi la possibilité soit de rappeler au condamné la te- neur de ses obligations, soit de les modifier73. Ces réponses, modérées, relèvent de la compétence du JAP. Mais l’inexécution de la contrainte pénale peut être sanctionnée beaucoup plus lourdement. Il est ainsi possible de mettre à exécution tout ou partie de la peine d’emprisonnement prononcée ab initio par la juridiction de jugement.

Ce principe même de révocation de la contrainte pénale est apprécié diversement par les acteurs interviewés. Certains en effet, notamment des membres de la direction du SPIP de Ceflanvo, considèrent que cette épée de Damoclès au-dessus de la tête du condamné n’a pas lieu d’être. Pour eux il s’agit d’une illustration du fait que le législateur n’est pas allé assez loin dans la logique de rupture avec l’emprisonnement. Pour d’autres en re- vanche, principalement des magistrats, cette possibilité de mettre à exécution une peine d’emprisonnement est une bonne chose, voire une nécessité. Seule la menace d’un em- prisonnement serait à même de garantir un minimum de respect de la contrainte pénale. Une magistrate estime ainsi que :

« si on n’a aucun levier pour faire respecter les obligations et amener la personne

à participer à sa peine, cela va être compliqué. À mon avis, on est face à des gens qui n’aiment pas trop les contraintes. Si derrière on ne peut pas dire : « Attention vous risquez de vous retrouver avec un bracelet à la cheville ou en détention » c'est vide de sens. ».

Une autre ajoute :

« Il est utopique de croire qu’une simple mesure de probation sans bâton derrière,

sans sanction plus forte… Les délinquants, ils ne connaissent qu’une chose, c’est

l’emprisonnement. Tout ce qui est autre que l’emprisonnement, ils ont l’impression

qu’ils nous ont eu en quelque sorte. Je caricature mais c’est quand même ça ».

Ailleurs, nos interlocuteurs insistent sur les difficultés à faire peser des obligations sur des publics désinsérés, tout en soulignant le fait qu’on ne peut pas, sous peine de décrédibili- ser la mesure, ne pas révoquer :

« On a déjà saisi le juge délégué pour révocation, pour non présentation à la con- vocation du SPIP dans les 8 jours. Mais bon, pour les SDF ou les personnes avec

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troubles psychiatriques, c’est difficile la contrainte pénale : ils sont défaillants, ils ne viennent pas… » (Vice procureur, chef de l’exécution des peines, Francilien)

Au-delà de la contestation ou de l’adhésion à cette possibilité de sanctionner par l’emprisonnement l’irrespect de la contrainte pénale, ce sont les modalités de mise en œuvre de cette sanction qui suscitent la critique. Ainsi, pour certains magistrats, cette pro- cédure de révocation est trop complexe. Rappelons que, contrairement à ce que le code de procédure pénale prévoit pour d’autres peines, le TIG notamment, le JAP n’est pas compétent pour mettre à exécution la peine d’emprisonnement en cas de non exécution de la contrainte pénale. Cette compétence a été confiée au président du TGI ou à un juge par lui désigné. Selon l’art. 713-47 CPP, il appartient en effet au JAP de saisir par requête motivée, d’office ou sur réquisitions du parquet, ce magistrat afin qu’il décide de pronon- cer ou non la révocation de tout ou partie de l’emprisonnement prononcé ab initio et ce à la suite d’un débat contradictoire. Cette procédure est jugée à ce point compliquée par certains magistrats et CPIP qu’elle empêcherait d’être réactif lorsque le condamné ne res- pecte pas ses obligations.

Le fait d’ôter aux juridictions d’application des peines cette compétence et de la confier aux juridictions de jugement a été source d’incertitudes : à quel greffe confier cette procé- dure ? Si finalement il a été décidé, notamment à Bosille, de confier cette compétence au greffe correctionnel, ceci n’a pas été, là encore, sans susciter des difficultés. Ainsi un ma- gistrat correctionnel de Bosille explique que :

« la difficulté c'est que ça rebascule sur le greffe correctionnel qui n'est pas greffe application des peines alors qu'on tient un débat qui est en la forme un débat qui se passe devant le JAP et ça les filles ne savent pas faire, c'est pas très compliqué mais ça implique que des agents forment d'autres parce que ce n'est pas dans leur méthode de travail habituel ».

En plus de ces questions de compétence et de formation dues à l’intervention de nou- veaux acteurs dans la procédure de révocation de la contrainte pénale, s’est aussi présen- tée une difficulté d’ordre logistique. Ainsi selon un magistrat du parquet de Bosille,

« la révocation par le président ou son délégué d'une CP ça posait problème, parce que c'était pas prévu dans le logiciel donc à la limite on ne pouvait pas le faire…donc il a fallu bidouiller un truc ».

Ces difficultés liées au bouleversement des habitudes de chacun, sont appréhendées di- versement par les acteurs de la CP. Ainsi selon un magistrat correctionnel

« on n'est pas dans nos systèmes habituels, et ça entraine des contraintes, je ne suis pas sûre qu'elle nous bloque, en tout cas moi, pour le prononcé d'une CP, mais n'empêche on n'est pas dans des schémas qui sont classiques pour nous, même en termes de greffe, de suivi, la coordination n'est pas lisse ».

Mais pour d’autres magistrats, de Ceflanvo notamment, cette procédure est si complexe qu’elle est évoquée comme une des raisons les dissuadant de prononcer des contraintes pénales.

Le faible nombre de contrainte pénale fait que la question de la complexité matérielle est encore limitée. Ainsi dans certaines juridictions, à Ceflanvo par exemple, il semblerait qu’aucun magistrat en charge de la révocation des contraintes pénales n’avait été désigné par le Président du TGI74. Certes plusieurs contraintes pénales y avaient été révoquées mais en recourant non pas à la procédure précitée de l’art. 713-47 mais à celle de l’art. 713-48 CPP75. Cette dernière disposition donne la compétence de ramener à exécution tout ou partie de la peine d’emprisonnement fixée ab initio à la juridiction de jugement amenée à sanctionner le condamné à une contrainte pénale pour une autre infraction commise pendant la durée d’exécution de cette contrainte.

Au-delà même des difficultés matérielles que suscite déjà ou, le cas échéant, sera suscep- tible de susciter cette mobilisation de nouveaux acteurs dans la révocation de la contrainte pénale en cas de développement de cette peine, c’est la perception de cette procédure par les magistrats, singulièrement les JAP, qui indéniablement ajoute à l’hostilité dont cer- tains magistrats peuvent faire preuve à l’égard de la contrainte pénale. Est en effet égale- ment mis en avant un argument d’ordre plus symbolique. Le fait de leur avoir ôter cette compétence en matière de révocation est ressenti comme une marque de défiance à l’égard des JAP. Ce sentiment est accentué par l’incompréhension des raisons ayant amené le législateur à opter pour cette procédure spécifique à la contrainte pénale alors que le JAP est compétent pour révoquer d’autres peines telles que le SME. Cette sensa- tion d’exclusion est clairement exprimée par une ancienne JAP de Bosille:

« on n'a pas l'explication de ce qui est passé par la tête du législateur pour décider que cette seule mesure parmi toutes peines/mesures prononcées est exclue du circuit de l'application des peines, et ça c'est une impopularité certaine chez les magistrats JAP on se dit pourquoi on nous fait pas confiance sur cette mesure là ».

Cette exclusion est également ressentie par un magistrat du parquet qui dit être « cho-

qué » par la « défiance à l’égard des juges, spécifiquement à l’égard des JAP ». Il

s’étonne en outre que la circulaire justifie l’éviction du JAP pour donner plus de « crédibili- té » à la mesure.

Interpellés sur l’avis rendu par le conseil d’Etat en 201376 lequel a estimé que la multiplicité des rôles joués par le JAP concernant la contrainte pénale n’était pas satisfaisante au re- gard de la séparation des fonctions de poursuites et de sanction, certaines magistrats ne 74 Un magistrat pensait néanmoins que cette compétence avait été confiée à un JAF. 75 Art. 713‐48 CPP : Si le condamné commet, pendant la durée d'exécution de la contrainte pénale, un crime ou un  délit de droit commun suivi d'une condamnation à une peine privative de liberté sans sursis, la juridiction de jugement  peut, après avis du juge de l'application des peines, ordonner la mise à exécution de tout ou partie de l'emprisonne‐ ment fixé par la juridiction en application du dixième alinéa de l'article 131‐4‐1 du code pénal.

76 Conseil  d’Etat,  Avis  n°  387947  du  30  octobre  2013  sur  le  projet  de  loi  relatif  à  la  prévention  de  la  récidive  et  à  l’individualisation des peines.

se disent pas convaincus. « L’idée de renforcer l’impartialité objective » est, selon un JAP,

« un faux prétexte dans la mesure où la séparation des fonctions est moins stricte à l’égard de la fonction d’exécution des peines qu’elle ne l’est pour les autres fonctions pé-

nales ». En définitive donc, au-delà même des difficultés pratiques susceptibles de

s’accroitre proportionnellement au développement du nombre de contraintes pénales, ce sont des raisons d’ordre symbolique qui expliquent en grande partie les réticences de cer- tains magistrats, notamment des JAP, à l’encontre de cette procédure de sanction en cas d’inexécution de la contrainte pénale.