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L’exposé des motifs et l’étude d’impact

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 B.  HARCOURT,  « Ouverture  et  introduction  à  la  journée »,  Conférence  de  dissensus  sur  la  récidive,  exercices  cri‐ tiques sur une production de vérité, University of Chicago center in Paris, 14 février 2013. 30  HERACLITE, Traduction et Commentaire des Fragments, A. JEANNIERE, éd. Aubier Montaigne, 1985 (1959), p. 106.  31  F. EWALD, « les paradoxes du risque, de la justice et de la dangerosité », Conférence de dissensus sur la récidive,  exercices critiques sur une production de vérité, University of Chicago center in Paris, 14 février 2013. 32  Rapport du jury de consensus remis le 20 février 2013, p. 12.

Le projet de loi a été présenté le 9 octobre 2013. Dans l’exposé des motifs, la contrainte pénale est décrite comme un moyen de lutter contre les mécanismes qui limitent l’individualisation des peines.

Une étude d’impact en date du 7 octobre 2013 a été parallèlement déposée, laquelle pré- voyait que : « Ce sont donc environ 320 000 condamnations par an qui pourraient théori-

quement relever de la peine de contrainte pénale dont 60 000 SME (16 500 SME partiels et 43 500 SME totaux). C’est principalement à ces dernières peines que la peine de con- trainte pénale a vocation à se substituer pour permettre un accompagnement et un con- trôle renforcé pour prévenir la récidive »33.

L’étude d’impact visait des domaines particuliers notamment : « les SME pour une infrac-

tion d’atteintes aux personnes (violences, agressions sexuelles, atteintes aux biens com- mises avec violence) ».

Au final l’étude d’impact concluait : « On estime que le nombre de peines de contrainte

pénale prononcées chaque année devrait s’élever entre 8 000 et 20 000 […] on peut esti- mer qu’entre 16 000 à 60 000 personnes seront suivies au titre de la contrainte pénale à un instant donné de manière renforcée trois ans après à l’entrée en vigueur de la ré- forme »34.

Dès l’étude d’impact, il était mis en exergue que : « La création de la peine de contrainte

pénale nécessitera de mettre en œuvre des méthodes renouvelées pour assurer un suivi renforcé des personnes condamnées à une peine de contrainte pénale »35.

C’est du côté du SPIP que l’étude d’impact mettait en évidence une modification profonde de la charge de travail : « Il devrait en résulter une augmentation de la charge de travail

des services pénitentiaires d’insertion et de probation équivalente à 210 emplois de con- seiller pénitentiaire d’insertion pour l’hypothèse basse et à 786 emplois pour l’hypothèse haute »36. 

     

L’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH)

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 Projet  de  loi  relatif  à  la  prévention  de  la  récidive  et  à  l’individualisation  des  peines  NOR  JUSX1322682L,  Etude  d’impact, p. 103. 34  Ibid., p.107. 35  Ibid., p. 109. 36  Ibid., p. 113.

De son côté, la CNCDH rendait un avis sur le projet de loi, exprimant de manière générale un accueil plutôt positif notamment sur la disparition des peines planchers et l’affirmation d’un « droit à la réinsertion ». Les remarques les plus nuancées concernaient en revanche la contrainte pénale pour laquelle elle mettait en avant une certaine ambiguïté et un manque de lisibilité. Elle regrettait notamment que le projet présente la contrainte pénale comme un alternative à l’emprisonnement alors que le jury de consensus préconisait la création d’une peine à part entière37. Elle recommandait alors de prévoir des infractions pour lesquelles la contrainte pénale serait prévue à titre de peine principale38 et la conser- ver en tant qu’alternative pour les autres délits. Elle regrettait également la référence à l’emprisonnement en cas de défaut d’exécution qui, selon elle, rapproche trop la contrainte pénale du SME : « Alors que l’ambition gouvernementale était de créer une troisième pei-

ne de référence aux côtés de la peine d’emprisonnement et des peines pécuniaires, comme le recommandait la conférence de consensus, la CNCDH regrette que la con- trainte pénale ne soit pas radicalement déconnectée de l’emprisonnement » 39. 

Le rapport fait au nom de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale

Dès le départ du processus parlementaire, le projet de réforme pénale porté par Christiane TAUBIRA sera retardé. Son audition prévue initialement le 1er avril 2014 par la Commis- sion des Lois de l’Assemblée Nationale a été reportée à l’ordre du jour de la séance du 14 avril suivant. Le premier ministre devait en outre se prononcer sur le maintien de cette au- dition à cette nouvelle date.

Le 28 mai 2014, Dominique RAIMBOURG déposait son rapport fait au nom de la Com- mission des Lois sur ce projet de loi. Ce rapport était notamment le résultat d’une réflexion proactive menée auprès de certains magistrats ayant accepté de rendre compte des af- faires dans lesquels ils auraient pu prononcer une contrainte pénale. Le résultat était le suivant : « il est peu probable que la contrainte pénale ait un impact direct sur le nombre

de personnes détenues, car le public sur lequel elle « mordra » sera vraisemblablement un public qui n’est aujourd’hui pas incarcéré après l’audience. Si la contrainte pénale per- met de réduire la population incarcérée, ce ne sera, plus probablement, que de façon indi- recte, au travers d’un suivi plus intensif et individualisé que celui aujourd’hui assuré dans le cadre du SME, qui peut faire espérer que le taux d’échec de la contrainte pénale sera plus faible et que la proportion des personnes incarcérées pour manquement à la con- trainte pénale sera plus faible que celle des personnes incarcérées à la suite d’une révo- cation de sursis. L’échange qu’il a eu avec les magistrats sur la contrainte pénale révèle aussi qu’une réelle attente existe dans les juridictions vis-à-vis d’une peine de milieu ou- vert crédible et sans lien direct avec l’emprisonnement, à condition que son contenu et

37  CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, Assemblée  Plénière du 27 mars 2014, p. 11. 38  Ibid., p. 12 39  Ibid., p.13.

l’intensité  du suivi soient effectivement renforcés par rapport à  ce qu’est aujourd’hui le SME »40

Le rapport prévoyait que la contrainte pénale soit étendue à tous les délits : « la Commis-

sion a étendu le champ d’application de la peine de contrainte pénale à tous les délits, quelle que soit la peine encourue. Elle a considéré que puisque la contrainte pénale a vo- cation à être une peine plus contraignante que le SME et que ce dernier peut être pronon- cé pour tous les délits, il serait paradoxal que la contrainte pénale ait un champ d’application plus limité »41.

La Commission a introduit la possibilité pour le JAP de convertir une peine d’emprisonnement d’une durée maximale d’un an en contrainte pénale.

Le texte adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale

Après la mise en œuvre de la procédure accélérée et les séances de discussion qui se sont déroulées des 3 au 5 juin 2014, le texte a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 10 juin 2014.

La grande innovation prévue par le rapport du jury de conférence de consensus et voulue par Dominique RAIMBOURG est finalement assez vidée de sa substance. La contrainte pénale est en effet limitée aux délits punis au maximum de 5 ans d’emprisonnement avec la possibilité de l’étendre à tous les délits en janvier 2017. En définitive, l’extension à tous les délits, voulue par Dominique RAIMBOURG, n’a pas été retenue.

L’absence de référence à l’emprisonnement souhaitée par le jury de la conférence de consensus et Dominique RAIMBOURG n’est pas acceptée et le résultat est que la con- trainte pénale adoptée par l’Assemblée Nationale est très proche du SME42.  En outre, les obligations susceptibles d’être prononcées sont inspirées de celles existant pour le SME tout en ne reprenant pas l’intégralité de celles-ci.

Le passage au Sénat

Le texte finalement présenté par la Commission des Lois du Sénat, en première lecture aux sénateurs le 24 juin 2014, comportait d’importantes modifications43.

40 D.  RAIMBOURG,  rapport  fait  au  nom  de  la  commission  des  lois  constitutionnelles,  de  la  législation  et  de  l’administration  générale  de  la  république  sur  le  projet  de  loi  (n°  1413)  relatif  à  la  prévention  de  la  récidive  et  à  l’individualisation des peines, p. 56. 41  Ibid.  42  J. Mucchielli, « La réforme pénale sous les feux de la commission de l'Assemblée nationale », Dalloz actualité 28 mai  2014. 43 J. Mucchielli, « La commission des lois du Sénat remodèle la réforme pénale », Dalloz actualité 20 juin 2014.

La Commission avait prévu un prononcé obligatoire de la contrainte pénale pour certains délits. Tel était notamment le cas du vol, de la filouterie, de la dégradation et de la plupart des délits routiers. L’objectif affiché était de renforcer l’idée que la contrainte pénale est une peine autonome et principale. La Commission des lois du Sénat souhaitait ainsi viser un contentieux de masse, toujours dans l’optique de donner toute sa dimension à l’objectif recherché par la loi en terme de prévention de la récidive.

Cette proposition a été particulièrement mal reçue par les syndicats de magistrats et de police craignant que les moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une telle automaticité ne suivent pas.

La Commission décidait également de permettre à la juridiction de jugement de prononcer, au titre de la contrainte pénale, l’ensemble des obligations déjà applicables en matière de SME.

Un autre amendement prévoyait une peine autonome de deux ans en cas de non-respect des obligations de la contrainte, là encore, selon une logique qui rapproche la contrainte pénale du SME. 

 

La Commission mixte paritaire

 

Finalement, à l’issue des travaux de la Commission Mixte paritaire un accord sur le texte définitif sera trouvé le 8 juillet 2014.

Dans les grandes lignes, les innovations proposées par le Sénat seront abandonnées. Le Sénateur Jean-Pierre MICHEL abandonnera notamment l’idée d’un prononcé automatique de la contrainte pénale pour certaines délits : « nous proposerons de reprendre le texte

adopté par l'Assemblée nationale, car appliquer dans l'immédiat la contrainte pénale à titre de peine principale pour certains délits énumérés par la loi poserait, au regard des moyens nécessaires pour la mettre en place, des difficultés aux juges de l'application des peines et aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) ; une proposition de rédaction commune prévoira cependant la possibilité d'adopter cette solution à l'issue d'une période permettant l'évaluation du présent texte ».

De même, il précisera : « En ce qui concerne la possibilité de déléguer à des associations

la mise en œuvre de certaines peines, nous prenons acte de l'hostilité du Gouvernement à cette solution adoptée par le Sénat ».

Il ajoutera : « Pour la sanction de l'inobservation de la contrainte pénale, nous proposons

de reprendre la solution proposée par le Gouvernement au Sénat, qui rejoint le dispositif prévu pour le suivi socio-judiciaire : la juridiction fixera a priori la durée d'emprisonnement qui serait applicable en cas d'inobservation de la contrainte pénale. Enfin, l'Assemblée nationale avait souhaité que le juge de l'application des peines puisse convertir une peine d'emprisonnement d'un an au plus en contrainte pénale ; le Sénat a supprimé cette dispo-

Le texte définitif sera finalement adopté le 16 juillet 2014 par l’Assemblée nationale et le 17 juillet 2014 par le Sénat et sera immédiatement considéré comme n’étant pas la grande innovation prévue initialement par la conférence de consensus : « La loi nouvelle n’est

donc pas révolutionnaire, et le principal grief qu’on peut lui adresser est technique : cer- taines de ses dispositions, notamment celles qui concernent la procédure d’application de la contrainte pénale, sont mal coordonnées avec le droit préexistant »44.

La saisine du Conseil constitutionnel

Le 18 juillet 2014 le Conseil constitutionnel était saisi dans la cadre de la procédure de contrôle a priori par au moins soixante députés.

Les requérants remettaient en cause la conformité à la Constitution des articles 19 et 22 de la Loi, soit les articles instaurant la contrainte pénale.

Selon eux, ces dispositions méconnaissaient les principes de légalité, de proportionnalité et de nécessité des peines, le principe d'égalité devant la loi, le droit à une procédure juste et équitable devant une juridiction indépendante et impartiale et le principe de la sépara- tion des autorités de poursuite et de jugement.

Le Conseil Constitutionnel a rejeté en bloc ces griefs, considérant que les termes du légi- slateur étaient suffisamment précis s’agissant de la durée de la contrainte pénale, des obligations susceptibles d’être prononcées de même que sur la durée de la peine encou- rue en cas d’inobservations des obligations.

Il a également considéré que la répartition des compétences entre la juridiction de juge- ment et la juridiction d’application de peines était respectée, rejetant ainsi l’argument de l’impartialité des juridictions et le grief lié à la séparation des autorités de jugement et de poursuite.

Il a enfin considéré que : « ni l'existence d'une telle peine ni la circonstance que les obliga-

tions et interdictions ordonnées dans le cadre de cette peine sont destinées à prévenir la récidive en favorisant l'insertion ou la réinsertion du condamné au sein de la société ne méconnaissent les principes de nécessité et de proportionnalité des peines »45.

    44  J.‐H. ROBERT, « Réforme Pénale. Punir Dehors. Commentaire de la loi n° 2014‐896 du 15 août 2014 », Droit Pénal,  Septembre 2014, p. 15. 45  Décision n° 2014‐696 DC du 7 août 2014, considérant 15.