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Conclusion de la troisième partie

5- LA LIBÉRATION SOUS CONTRAINTE : UNE RÉFORME SI-

MULTANÉE, UNE RÉCEPTION DIFFÉRENTE 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si la contrainte pénale a suscité des débats assez vifs, en sa faveur ou sa défaveur, géné- rant une hétérogénéité des opinions, des pratiques et des coopérations, la Libération sous contrainte - LSC -, bien qu’elle apparaisse a priori comme plus consensuelle et plus ra- tionnelle peut-être que la CP, bien qu’elle soit plus contraignante car obligatoire, a produit une réponse plus facilement identifiable car beaucoup moins contrastée. De ce point de vue, les résultats sont plus clairs et amènent plus facilement à des conclusions.  

 

La libération sous contrainte est volontairement traitée dans des développements distincts de ceux de la contrainte pénale car ce sont là deux mécanismes juridiques différents. Tandis que celle-ci est une peine, celle-là est une procédure permettant un accès simplifié à un aménagement de la peine privative de liberté. Si leur nature diffère, elles partagent

néanmoins une même finalité, celle de donner la priorité au milieu ouvert en favorisant l’exécution de la sanction pénale hors le cadre carcéral. Au-delà, la mise en œuvre de la libération sous contrainte montre des problématiques communes avec la contrainte pé- nale. Si les intentions législatives de départ sont souvent approuvées, voire partagées, la complexité juridique du dispositif, sa lourdeur et les difficultés de traduction concrète dans le quotidien judiciaire sont fréquemment dénoncées par les acteurs.

L’une de ces difficultés a tenu aux dispositions transitoires liées au passage de la surveil- lance électronique de fin de peine (la SEFIP) à la libération sous contrainte. La SEFIP, créée par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, obéissait déjà à la même préoccupa- tion en permettant que le reliquat de la peine privative soit exécuté à l’extérieur sous le régime d’un placement sous surveillance électronique. Mise en œuvre par le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (DSPIP) sous l’autorité du procureur de la République, cette procédure profitait à deux catégories de détenus : d’une part, ceux soumis à une peine inférieure ou égale à cinq ans et auxquels il restait quatre mois à exé- cuter alors qu’aucune mesure d’aménagement de leur peine n’avait été ordonnée dans les six mois précédant la fin d’exécution de la peine ; d’autre part, ceux condamnés une peine inférieure ou égale à six mois ayant un reliquat de peine à effectuer égal aux deux tiers. Fort logiquement, la création de la libération sous contrainte a conduit à l’abrogation de la SEFIP et à la prévision de dispositions transitoires pour les personnes condamnées ayant déjà accompli les deux tiers de leur peine au 1er janvier 2015, date d’entrée en vigueur de la nouvelle mesure. Pour elles, la loi de 2014 a prévu que la libération sous contrainte de- vait être mise en œuvre dans un délai d’un an.

 

Ainsi qu’en témoigne un CPIP de Ceflanvo, cette transition de procédures associée à l’exigence temporelle d’une année pour apurer les dossiers a été source de difficultés pour les services. Elle peut expliquer, au moins pour partie, les errements des premiers temps de la mise en œuvre de la libération sous contrainte et les « résistances » à son dévelop- pement :  

« La spécificité de la LSC par rapport à la contrainte pénale c'est qu’il y a toute une

action au démarrage où il a fallu apuré la liste des éligibles sur une année où l’ensemble de la population pénale devait être étudiée puis une autre procédure qui visait les personnes qui étaient éligibles à l’issue de la loi etc. Je pense que cela a été vraiment quelque chose qui a alourdi l’appropriation de la mesure et la mise en place de la procédure qui a vraiment embolisé le développement des choses et la mise en place de la mesure avec cette liste apurée, les gens à voir obligatoirement, les autres personnes qui n’étaient pas à voir obligatoirement. Je pense que cela peut être un point intéressant à voir si cela n’a pas eu un impact sur l’appropriation et le développement de la mesure ; là quand même on était sur quelque chose d’assez particulier à l’inverse de la contrainte pénale qui était une mesure un peu neuve, pro- noncée, qui débutait. On avait vraiment cette phase où on avait deux procédures dis- tinctes, deux situations différentes, deux cases de personnes différentes avec des personnes qui étaient éligibles avant, qui pouvaient être dans la même situation que quelqu'un qui venait d’être condamné mais vu qu’il était condamné avant la loi fina- lement on avait un an pour l’étudier. L’autre devait être étudié tout de suite et dans la foulée, une commission devait se mettre en place. Cela a quand même créé une si- tuation où on avait pour une même personne en fonction de la date de condamnation

deux situations différentes. Cela amenait aussi à des gens qui auraient pu passer en SEFIP et ce n’est pas passé au bon moment donc il y a eu une modification du sys- tème, un nouveau dispositif à mettre en place. Je pense que c'est vraiment quelque chose qui a eu vraiment des impacts importants sur la mise en œuvre de la LSC et son développement en établissement.»

 

Les regrets par rapport à la SEFIP s’expriment aussi à Ouestville :

« La SEFIP marchait mieux mais elle a été abrogée en décembre 2014. D’une

part, sur les dossiers présentés pour une SEFIP, j’en avais disons 1 sur 2 d’accordé. Là, avec la LSC, on est à peine à 2 ou 3 par CAP (et pour l’ensemble du SPIP)! C’est rien ! C’est même un peu du gâchis car :

1) ce n’est pas dans l’intérêt du détenu (il faut aussi prendre en compte celui de la société on est d’accord) mais la LSC remplissait justement ces objectifs : elle a pour but de permettre de ne pas sortir sans rien, en « sortie sèche » ;

2) dans l’interface entre le juge et le détenu, il y a les CPIP qui se prennent la frus- tration des détenus qu’il faut gérer car avec le passage automatique en CAP, la LSC créé de l’espoir et quand elle est refusée (et comme il y a beaucoup de refus pour LSC), il faut expliquer au détenu, et ça, ce n’est pas facile ! ;

3) la LSC avantage en réalité les personnes « feignantes » avec son examen au- tomatique aux 2/3 de peines et conditions plus souples (cf. absence de projet) : elle offre une « option de sortie » alors que la personne ne s’est pas investie dans l’exécution de sa peine ni dans un projet de vie ;

4) la LSC devient même frustrante pour le CPIP : lorsqu’une personne est inscrite sur la liste CAP LSC, ce pourrait être l’occasion de faire le point sur le projet de sortie, dans une problématique moins pénale mais plus sociale…même si certains diront que ce n’est pas notre travail mais personne d’autre le fait donc c’est nous qui le faisons…Sauf qu’en matière de procédure de la LSC, on a peu – ou pas ! – la possibilité de le faire (contraintes délais en particulier)».

Par contraste avec ce que nous avons vu sur la CP, les acteurs se sont mobilisés beau- coup plus pour répondre à l’injonction de mettre en place la LSC. Ainsi, à Francilien, où les réunions au sujet de la CP ont peiné à se mettre en place, la LSC n’a pas fait l’objet d’une telle mise à l’écart, bien au contraire :

« La LSC, ça nous a mobilisé ici. On a préparé la réforme, on a fait une série de réunions en interne, avec le JAP, avec le SPIP, avec la détention. La crainte qui a été la notre, c’est d’être submergé par la vague. La loi prescrit un examen systé- matique de la situation de toutes les personnes à 2/3 de la peine. Ici, en maison d’arrêt, on a des milliers d’entrants par an. On avait peur, on n’avait pas assez de magistrats, ni de greffe. On a du chercher comment fonctionner. Par exemple, toutes les peines de moins de 6 mois, on ne les examine pas, il y a un rejet systé- matique. Pourquoi ? Les 2/3 de la peine sont trop proches de la fin de la peine. Une mesure de LSC qui s’appliquerait sur un temps trop court, ça n’a pas de sens. De toute façon, les gens à qui il reste un mois à faire, ils attendent la libération, ils n’ont rien à faire de la LSC. » (Vice procureur exécution, Francilien) )

Nous allons voir pourquoi ces regrets et comment la LSC a suscité, malgré ses bonnes intentions de départ, un scepticisme puis un rejet de la quasi totalité des acteurs, y com- pris les détenus concernés.

5-1 La philosophie de la libération sous contrainte : un outil