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Dans la plupart des sites composant notre échantillonnage s’est posée, souvent très tôt, la question du public cible de la contrainte pénale. Ainsi à Mirole comme à Ceflanvo, cette question a été discutée dans le cadre des Comex. Dès octobre 2014 s’est tenue à Ceflan- vo une Comex ayant spécialement pour objet de réfléchir aux types de publics pour les- quels la contrainte pénale paraissait particulièrement adaptée. L’objectif affiché de cette réunion réunissant magistrats et SPIP était véritablement de cibler les contraintes pénales afin qu’elles soient le plus efficace possible tout en ne donnant pas au SPIP un surcroit de travail qu’il n’aurait pu absorber. L’idée était aussi, comme l’explique la magistrate du par- quet en charge de l’exécution des peines, que le prononcé de contraintes pénales « ne se

fasse pas au détriment des autres probationnaires donc la cibler quand même de façon correcte, dès le départ, peut-être en petites proportions au début pour la tester, évaluer ce qui marche et ce qui dysfonctionne et pouvoir avoir une montée en charge progressive après. C'était cela aussi le but du jeu de la première réunion, que l’on ne fasse pas tout et n’importe ».

Dans d’autres sites, la définition du profil, plus ou moins précise, s’est faite de manière plus informelle et sans concertation véritable entre magistrats et SPIP. A Savi par exemple, un profilage a aussi été tenté assez tôt sur impulsion du parquet mais sans que les magistrats ne se sentent « enfermés » dans le profil ainsi ébauché.

A Ouestville, site où la coopération entre les acteurs de la filière pénale a été poussée le plus loin, la définition des publics est l’objet essentiel des échanges qui ont lieu dans les réunions régulières du groupe. Plus exactement, les acteurs cherchent à trouver le juste équilibre entre moyens en personnels dont disposent les SPIP, les délits commis, les pos- sibilités envisagées de réinsertion, et la prise de conscience ou l’engagement des justi- ciables, plus des engagements en matière d’encadrement pour rassurer les magistrats. Plus généralement, tous les facteurs évoqués précédemment entrent en compte dans la discussion. Il s’ensuit des dialogues très riches, dont il est difficile de relater la teneur exacte ici. Mais une fois la confiance créée, il s’agit de faire des « paris » à partir des in- formations obtenues par les uns et les autres :

« Juge correctionnel : « sur le primo, là, on a raté. Mais on doit s’autorier

l’expérimentation, l’imperfection, sinon on ne fera rien. Si on cherche trop le raffi- nement, on va se paralyser

Autre juge : Oui, il faut réfléchir par rapport aux stups, savoir si ce sont pour vous,

au SPIP des cibles adaptées

Procureur : Pour moi, s’il y a des violences conjugales, il faut une CPV, un contrôle judiciaire et voir si on peut faire une contrainte pénale ensuite

CPIP : Pour nous, c’est plus le parcours de vie et la personnalité qui comptent, pas

le délit

DSPIP : Quelqu’un avec plusieurs mesures qui ont échouées, un multicondamné

avec trop d’échecs, des gens avec 7 rappels d’obligations comme on en a, ce n’est pas bon. La Contrainte pénale n’aura pas d’impact, ils ne viendront pas aux convo- cations. Il faut détecter une adhésion. » (extrait de réunion, Ouestville)

Plus que le résultat des débats, ce qui nous intéresse ici, ce sont la teneur du débat et la possibilité même de créer des espaces d’échanges entre ces acteurs. On y relèvera que les politiques pénales « normées », élaborées en fonction de critères « objectifs » d’un point de vue légal, par exemple le type de délit commis, ou la récidive, passent au second plan par rapport au questionnement sur la personnalité de l’individu. D’où le recours né- cessaire à des enquêtes sociales ou des analyses poussées sur le justiciable pour savoir s’il « entre » ou non dans la catégorie des bénéficiaires potentiels de la CP.

A Ceflanvo, on retrouve, dans une moindre mesure, des pratiques similaires, même si c’est à une échelle plus modeste. Un CPIP explique que localement, les magistrats ont surtout ciblé les gens pour qui la situation sociale est la plus problématique :

« avec peut-être cette idée à tort que nous les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation on serait des supers travailleurs sociaux capables de prendre en charge socialement parlant des gens en très grande difficulté. De fait ce n’est pas vrai, ce n’est pas notre mission première. […] je pense qu’on est plus là pour éveil- ler la réflexion et remettre la personne dans un certain questionnement, qu’elle es- saye elle-même de définir ses objectifs. » (CPIP, Ceflanvo déçu que les magistrats

prononcent des obligations ab initio)

Si le contexte ayant présidé à la définition de publics cibles diffère selon les juridictions, il en est de même des profils adoptés. Les trois profils types ci-dessous exposés ont toute- fois été retrouvés dans plusieurs juridictions :

- Le premier « profilage » discrimine en fonction de l’âge. Sont ciblés les jeunes majeurs ayant déjà un casier judiciaire mineur. Ce profil a été adopté à Mirole ainsi qu’à Ceflan- vo. Il a été précisé lors de la Comex de Ceflanvo qu’il n’est pas besoin que le jeune ma- jeur soit déjà fortement ancré dans la délinquance. Pour le président du TGI de Mirole, la contrainte pénale est perçue comme le relais des mesures et sanctions éducatives :

« Pour nous ça s’adressait plutôt à une fourchette entre 18 et 25 ans parce qu’il y avait un registre éducatif renforcé. On avait donc eu cette réflexion, on était sur ce registre ».

- La seconde catégorie de public ciblé repose sur les antécédents judiciaires. Les multiréi- térants et récidivistes sont particulièrement visés à Mirole et à Bosille avec cette exi- gence supplémentaire pour Bosille que le prévenu soit en voie de marginalisation, cri- tère renvoyant à la troisième catégorie de profils. C’est aussi le profil qui se dégage des discussions à Ouestville.

- -Cette autre catégorie cible en effet les individus avec de lourdes problématiques so- ciales ou psychologiques, ou en rupture d’insertion nécessitant un suivi approfondi. Ce

dernier critère tenant à la nécessité d’un suivi intensif n’est en réalité que l’application de ce qui est expressément prévu dans le code pénal72. Ce type de public cible est évoqué par un JAP et le directeur du SPIP de Prédair. Il a aussi été retenu lors de la Comex de Ceflanvo avec cette exigence particulière néanmoins que le condamné à la contrainte pénale ne doit plus avoir de suivi SPIP en cours au jour du prononcé de la peine.

Les juridictions ayant retenu ces deux dernières catégories se conforment en réalité aux préconisations de la circulaire d’application du 26 septembre 2014. Y sont en effet visées les « personnes présentant des problématiques multiples, nécessitant une prise en charge

pluridisciplinaire et un contrôle rigoureux ». Le texte précise que « la contrainte pénale pourra utilement être prononcée envers des personnes désinsérées socialement, des per- sonnes non encore installées entièrement dans la délinquance mais pour lesquelles un risque important de récidive a été constaté, ou encore des personnes multirécidivistes à l’encontre desquelles de nombreuses réponses pénales, dont des peines d’emprisonnement avec mises à l’épreuve, ont d’ores et déjà été prononcées ». Il est donc

logique que ces profils se retrouvent dans certaines des juridictions visitées. Pourtant, un profil contraire a été retenu par d’autres magistrats de Prédair. Pour certains JAP et ma- gistrats correctionnels de cette juridiction, la contrainte pénale serait particulièrement adaptée à un public ayant peu de mentions au casier judiciaire et nécessitant peu de moyens et de suivi. Il s’agit là assurément d’une interprétation contra legem s’expliquant par le regard porté par ces professionnels sur la contrainte pénale. Pour eux en effet, cette sanction est moins stigmatisante que ne l’est le SME. Par conséquent, elle ne serait effi- cace qu’en cas d’acte de délinquance peu grave ou ponctuel.

Ainsi au sein de la même juridiction – Prédair – deux profilages antagonistes, l’un ciblant des personnes ayant besoin d’un suivi lourd, l’autre des personnes ne nécessitant pas un suivi de ce type, sont retenus. De tels désaccords sur le public cible entre les acteurs d’une même juridiction ne sont pas rares, même s’ils ne présentent pas toujours un tel degré de contradiction. Ainsi à Bosille où les magistrats ont plutôt fait le choix de cibler les multirédicivistes, un décalage peut être constaté entre leur vision et celle du SPIP pour qui la contrainte pénale peut être adaptée également aux primo-délinquants. Ainsi selon un CPIP de Bosille « un jeune quelque part qui a une vie de galère depuis toujours, ça serait

très utile ».

Le fait que le profilage ait été défini en commun entre parquet, siège et SPIP dans le cadre d’une Comex lui confère une plus grande visibilité dans la juridiction mais ne garantit pas pour autant une adhésion de tous les acteurs aux critères retenus. Même à Ouestville où la concertation et très développée, certains juges mais aussi certains parquetiers se déso- lidarisent de ce qui a été arrêté en réunion. A Ceflanvo, des différences sont notables

72 Art. 134-4-1 CP : «

Lorsque la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement et les faits de l'espèce justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu, la juridic- tion peut prononcer la peine de contrainte pénale ».

entre les magistrats du parquet et ce, alors même que le parquet a été moteur dans la mise en place de la contrainte pénale. Alors même qu’en Comex ont été définis deux pu- blics cibles – les personnes en rupture d’insertion nécessitant un accompagnement lourd et les jeunes ayant une problématique multiple mais sans ancrage dans la délinquance – un magistrat du parquet considère qu’il n’y a pas de profil type. La contrainte pénale peut, selon lui, être pertinente pour une personne condamnée à plusieurs reprises « qui se

trouve à un moment de sa vie où on a le sentiment qu’[elle] peut rebondir (…) c’est une chance qu’on peut lui donner même pour quelqu’un qui a eu un SME, qui a déjà fait de la prison, cela se joue pas mal à l’audience. Le discours qu’il va avoir en face de nous, s’il nous paraît sincère, paraît donner des garanties de prise de conscience de vouloir arrêter le chemin dans lequel il est, cela peut être un critère. » . Mais selon ce magistrat, le béné-

ficiaire d’une contrainte pénale peut être aussi « quelqu’un qui n’a jamais été condam-

né (…) qui a besoin d’une prise en charge très rapide style, peut-être, violences au sein d’un couple avec une interdiction de rencontrer la victime mais une prise en charge per- sonnelle rapide ». Ainsi pour ce parquetier, les impressions d’audience peuvent l’amener

plus sûrement à requérir une contrainte pénale que les critères collectivement définis lors de la Comex. Il est vrai qu’à Céflanvo, le profilage initialement défini en Comex ne semble pas avoir tenu très longtemps, tout au moins est-il devenu de moins en moins précis. Ainsi la directrice adjointe du SPIP de Ceflanvo constate que si les trois premières contraintes pénales ont respecté le profilage, c’est-à-dire des personnes qui avaient déjà été suivies au SPIP mais n’avaient plus de suivi en cours, ce critère a totalement disparu par la suite, seule a été retenue la qualité de multiréitérant. Cet abandon est regretté dans la mesure où cette rupture dans le suivi par le SPIP permettait au condamné de revenir dans le ser- vice « plus ou moins en confiance » et aux CPIP de « l’aborder d’une façon différente ». Concernant le second public ciblé, celui des jeunes, il est loin de constituer la majorité des cas dans lesquels une contrainte pénale est prononcée à Céflanvo. Ainsi, les profils initia- lement définis ont évolué pour ne garder que le critère de la réitération multiple. Plus pré- cisément, selon une autre cadre du SPIP de Ceflanvo si l’idée était au départ de réserver la contrainte pénale aux multirécidivistes et aux jeunes :

« au final, multirécidivistes oui et des jeunes, en fait, non, ce n’est pas l’écrasante

majorité. On a plus des gens vraiment cassés par la vie avec un parcours déjà conséquent d’addiction, d’errance, dans la délinquance ou les trois ensemble ».

Pour certains magistrats, c’est ce type de profilage, tel qu’il a été déterminé ab initio, qui est la cause de ce qu’ils présentent comme un échec des premières contraintes pénales dans leur juridiction. Ainsi, le procureur de la République de Mirole explique :

« Pour les profils on avait posé lors de la première Comex : les jeunes majeurs déjà

condamnés par le TPE, en voie de marginalisation, pour retarder la première incar- cération. Les multiréitérants en voie de marginalisation aussi notamment les SDF avec des problématiques de vol. Mais à force de cibler sur les marginaux on a des échecs parce qu’ils ne respectent pas les obligations ».

« On peut penser que le SDF qui a besoin d’un suivi et d’être sociabilisé peut ren-

trer dans le profil idéal de la contrainte pénale, en pratique pour la justice c’est un cauchemar puisque c’est un SDF et qu’on lui court après. Le SDF va toujours plus vite que nos ressort territoriaux ».

Le fait de bénéficier d’un logement est justement un critère ajouté par un substitut de Ce- flanvo au profilage défini dans sa juridiction.

« On peut prononcer une contrainte pénale dès lors que la personne a un domicile

fixe ; si elle n’en a pas, on ne peut pas prononcer de contrainte pénale ».

Dans d’autres juridictions, le profilage a été totalement abandonné. C’est le cas à Savi, où la tentative du parquet de définir des publics et des contentieux n’a pas perduré. Au final, ce ne sont pas les profils du public mais les raisons d’éviter une dernière fois l’incarcération qui commandent ou non de requérir ou prononcer une contrainte pénale. Un magistrat correctionnel affirme ainsi que la contrainte pénale peut trouver sa place lorsqu’il faut éviter l’incarcération :

« La personne a un travail et on sait qu’elle va perdre son travail, la personne a la

garde d’enfant et ça va générer tout un tas de problèmes pour les enfants, ou on perçoit que la personne n’a pas sa place en prison. C’est typiquement le cas du type qui conduit sans permis et qui ne peux pas s’en passer parce qu’il est obligé de prendre son véhicule pour aller au travail ».

Un autre magistrat ayant prononcé une contrainte pénale en matière de récidive de non représentation d’enfant remarque que :

« Elle avait toute une famille à s’occuper, je ne me voyais pas la mettre en prison.

Cela permet de répondre à la fois à la sauvegarde de l’autorité du juge et en même temps de trouver une solution suffisamment forte pour combiner la sanction et la nécessité d’une alternative à l’emprisonnement ».

Dans ces exemples sont en définitive aussi pris en considération la situation sociale et familiale du prévenu. Mais il s’agit cette fois de ne pas fragiliser cette situation par une in- carcération. En définitive, le critère qui va souvent émerger tient à l’engagement du SPIP par rapport à une personne et à la qualité du suivi qu’il peut d’abord garantir a priori et en- suite assurer durant le temps de la mesure. A nouveau s’affirme le thème de la confiance et sa préservation au cours du temps :

«Ceci rejoint ce que nous disions toute à l’heure sur la notion d’ « échec » d’une

mesure de suivi socio-judiciaire et de la difficulté pour certains individus à effectuer des démarches « de base ». La notion du temps n’est pas la même pour vous et moi et pour une personne désinsérée ; ça n’a rien à voir. Donc il est bien évident qu’il faut relancer la balle. Si vous lui dites : « Prochain RDV dans 6 semaines », c’est pas la même chose que : « À dans 15 jours ! ». C’est pour cela qu’on ne peut pas faire des espoirs déchus. La phase de suivi de la CP a été présentée par le lé- gislateur, la DAP et les SPIP, comme une peine aux modalités plus « contrai- gnantes » pour le condamné que ce qui existait déjà : il ne va pas falloir « louper ce créneau » ! ». (Juge de correctionnelle, Ouestville)

« Et il faut bien dire que pour le moment, cette tournure que prend le suivi de la CP

notre allant à proposer des CP pour cette raison car je trouve cela contre-productif et même assez terrible si par le travail d’évaluation, des entretiens multiples en 3 mois avec les CPIP, les moyens engagés par le SPIP (contacts avec la famille, ré- seaux d’associations locales etc…) bref, si cette phase d’évaluation qui équivaut à une prise en charge plus humaine, plus importante, plus « resserrée », peut per- mettre au SPIP, aux CPIP, de trouver des points d’ancrage, des portes d’entrées pour susciter une adhésion plus grande de la personne condamnée, si on arrive ainsi à « accrocher » et « raccrocher » cette personne et qu’elle adhère et qu’on re- créé un lien de confiance entre l’Institution et l’individu, c’est terrible ensuite de « re- lâcher » l’intensité du suivi. Car il faut bien garder à l’esprit le type de « public » au- quel on s’adresse : beaucoup sont des individus au parcours chaotique et ont be- soin d’être remobilisés, d’avoir des « piqûres de rappel » régulières et avec un suivi toutes les six semaines, c’est un temps beaucoup trop long. En six semaines, on peut perdre le bénéfice du rendez-vous précédent, perdre la motivation, l’adhésion de l’individu au suivi par une sorte d’ « essoufflement »… ». (Parquet, Ouestville)

Plus que de catégories, on peut donc parler de logique de « processus ». Chaque acteur, et en particulier le SPIP, s’engage dans un « contrat » moral avec les autres, et s’engage à effectuer le maximum pour obtenir la réinsertion de la personne jugée. Aux yeux des autres, il faut qu’il donne des garanties montrant que le justiciable est « contenu » dans le dispositif qui a été élaboré pour lui.

2-7 Les débats autour de la sanction en cas de non-respect de