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Une hi´erarchie d’approximations : du macroscopique au microscopique

L’observation de la saturation des forces nucl´eaires a conduit `a l’´elaboration dans les ann´ees 1930 du mod`ele de la goutte liquide pour d´ecrire le noyau. Dans un deuxi`eme temps, la d´ecouverte de nombres magiques, c’est-`a-dire de noyaux particuli`erement stables, a donn´e naissance dans les ann´ees 1950 au mod`ele en couches selon lequel chaque nucl´eon se comporte comme une particule ind´ependante ´evoluant dans un potentiel moyen engendr´e par tous les autres. Ces deux approches ont ´et´e unifi´ees par le d´eveloppement de m´ethodes microscopiques dans lesquelles le potentiel moyen est d´eduit d’ int´eractions `a deux et trois corps entre les nucl´eons.

6.2.1

Mod`ele de la goutte liquide

Les exp´eriences de diffusion des noyaux par des ´electrons montrent que la densit´e au sein des noyaux lourds (contenant plus d’une dizaine de nucl´eons) est ind´ependante du nombre de nucl´eons et vaut environ

nsat = 0.17 fm−3, ρsat = 2.8× 1014g.cm−3. (6.1)

Ce ph´enom`ene de saturation traduit la pr´esence d’une forte r´epulsion entre les nucl´eons `a courte port´ee (voir par exemple Bethe & Bacher (1936)). Par ailleurs, l’existence mˆeme des noyaux indique que l’int´eraction nucl´eaire est attractive `a plus longue distance. Les exp´eriences de diffusion montrent que la densit´e d´ecroˆıt sur une distance de quelques fermis, qui est petite devant le rayon des noyaux. Le mod`ele le plus simple pour d´ecrire un noyau, propos´e par Gamow, consiste donc `a l’assimiler `a une goutte de liquide nucl´eaire incompressible, de forme sph´erique de rayon R, contenant A nucl´eons dont Z protons et N neutrons. Puisque la densit´e est constante, celle-ci est donn´ee par

nsat =

A

4 3πR3

 . (6.2)

Le rayon de cette goutte est donc reli´e au nombre de nucl´eons par la formule R = r0A1/3, r0 =  4 3πnsat −1/3 ' 1.1 fm . (6.3)

6.2 Une hi´erarchie d’approximations : du macroscopique au microscopique 139

La distance 2r0 ' 2.2 fm repr´esente la distance moyenne entre deux nucl´eons dans le

noyau. L’´energie de liaison B{A, Z} d’ un noyau, d´efinie par la diff´erence entre l’´energie totale du noyau E{A, Z} (associ´ee `a la masse mesur´ee M{A, Z} par la relation d’Einstein E{A, Z} = M{A, Z}c2) et l’´energie de masse, s’exprime par une somme de plusieurs

termes

B{A, Z} ≡ E{A, Z} − Zmpc2− Nmnc2 = Evol+ Esurf + EC. (6.4)

Le premier terme donn´e par

Evol = (bvol+ bsymI2)A , (6.5)

en introduisant le param`etre d’asym´etrie

I ≡ N − Z

A , (6.6)

repr´esente une contribution de volume de la mati`ere nucl´eaire infinie, d´efinie comme un fluide homog`ene de nucl´eons d’extension infinie dans lequel l’int´eraction ´electromagn´etique est ignor´ee. Le coeur des noyaux lourds est suppos´e repr´esenter un morceau de mati`ere nucl´eaire infinie. Cette ´energie de volume contient deux contributions : bvol est l’´energie

par nucl´eon de la mati`ere nucl´eaire sym´etrique, et bsymI2 est une ´energie par nucl´eon de

sym´etrie d’isospin qui tend `a favoriser les noyaux contenant autant de neutrons que de protons. L’ ´energie volumique Evol traduit la saturation de la mati`ere nucl´eaire puisque

pour une composition en neutrons et protons fix´ee (I constant), l’´energie de liaison par nucl´eon B{A, Z}/A est ind´ependante de A. Dans la limite de la mati`ere infinie, A → +∞, B{A, Z}/A = bvol. Le second terme Esurf est associ´e `a des effets de taille finie, en particulier

les effets de surface, donc est proportionnel au carr´e du rayon de la goutte

Esurf = bsurfA2/3 = σ4πr02A2/3 (6.7)

o`u σ s’interpr`ete comme la tension superficielle du noyau. Enfin, EC est l’´energie coulom-

bienne du noyau qui s’exprime simplement par la formule (noyau sph´erique uniform´ement charg´e) EC= 3 5 Z2e2 r0A1/3 . (6.8)

Finalement, l’´energie de liaison s’exprime par la formule semi-empirique de masse de type Bethe-Weis¨acker

B{A, Z} = bvolA + bsurfA2/3+ bsym

(N − Z)2 A + 3 5 Z2e2 r0A1/3 . (6.9)

Les param`etres de cette formule sont ajust´ees sur les ´energies mesur´ees des noyaux ter- restres. Des valeurs typiques de ces param`etres sont bvol ' −16 MeV, bsurf ' 17 MeV,

bsym ' 30 MeV. La tension superficielle σ est de l’ordre du MeV/fm2. Nous voyons ainsi

par extrapolation que la mati`ere pure de neutrons (Z = 0 ⇒ A = N, I = 1), dans la limite N → +∞, est instable puisque l’´energie de liaison par nucl´eon B{A, Z}/A = (bvol + bsym) ' 14 MeV est positive. Cette conclusion est confirm´ee par des ´etudes mi-

croscopiques perturbatives sur le probl`eme `a N corps. La mati`ere nucl´eaire sym´etrique (I = 0) au contraire est li´ee B{A, Z}/A = −16 MeV.

140 Physique nucl´eaire et ´etoile `a neutrons

6.2.2

Mod`ele de la goutte liquide compressible

Le mod`ele de la goutte liquide trait´e dans la section pr´ec´edente, se g´en´eralise sous plusieurs aspects dont le plus important est de supposer que le noyau est compressible, c’est-`a-dire en traitant la densit´e, non plus comme donn´ee par la densit´e de saturation (6.1) mais comme un param`etre. Un mod`ele plus r´ealiste doit ´egalement tenir compte de la peau de neutrons en consid´erant des rayons Rn et Rp distincts, des effets li´es `a la

d´eformation des noyaux par rapport `a une forme sph´erique, ou encore des corrections `a l’´energie coulombienne par rapport `a l’expression (6.8) d´eduite de l’approximation d’une sph`ere uniform´ement charg´ee. Plus g´en´eralement, l’´energie de masse d’un noyau s’´ecrit sous la forme

B{A, Z} = E{n, x}A + σ{x}A + EC, (6.10)

dans laquelle E{n, x} est l’´energie par nucl´eon de la mati`ere nucl´eaire infinie de densit´e n et de fraction protonique x ≡ Z/A, σ{x} est la tension superficielle et A l’aire de la surface du noyau. Au voisinage du point de saturation de la mati`ere nucl´eaire sym´etrique infinie, caract´eris´e par{n = nsat, x = 1/2}, l’´energie par nucl´eon admet un d´eveloppement

du type

E{n, x} ' bvol+ bsym(1− 2x)2+

1

18K∞(n− nsat)

2, (6.11)

dans lequel K repr´esente le coefficient de compressibilit´e, qui peut ˆetre d´eduit des r´eso- nances g´eantes monopolaires des noyaux (modes de vibrations), K∞ ' 250 MeV.

D’autres types de corrections, notamment celles associ´ees `a l’appariement des nucl´eons et `a l’effet Wigner (surstabilit´e des noyaux sym´etriques qui est prise en compte par une contribution du type EW = VWexp{−λ|N − Z|/A} < 0), sont introduites dans la formule

pr´ec´edente de fa¸con `a reproduire plus pr´ecis´ement les masses des noyaux. Pour une revue r´ecente sur le sujet et une analyse d´etaill´ee de ces corrections, le lecteur est encourag´e `a consulter la r´ef´erence Lunney et al. (2003).

6.2.3

Mod`ele de particules ind´ependantes

La mesure syst´ematique des ´energies de liaison des noyaux a permit de mettre en ´evidence l’existence de noyaux tr`es stables caract´eris´es par un nombre de neutrons ou de protons dans la liste 8, 20, 28, 50, 82 et 126. Ces nombres magiques s’interpr`etent comme une manifestation d’effets de couches, analogues `a ceux observ´es dans les atomes dont les niveaux ´electroniques sont compl`etement remplis. Cela sugg`ere que les nucl´eons `a l’int´erieur du noyau se comportent comme des particules ind´ependantes ´evoluant dans un potentiel attractif. N´eanmoins `a la diff´erence des ´electrons d’un atome, il n’existe pas d’´equivalent pour les nucl´eons dans un noyau, au potentiel central coulombien. Dans le cas du noyau, le potentiel central est engendr´e par les nucl´eons eux-mˆemes (dans un atome, le potentiel central contient aussi une contribution de l’ensemble des ´electrons qui s’ajoute au potentiel coulombien). Il est possible de d´eduire la forme g´en´erale de ce potentiel moyen par quelques consid´erations simples. Tout d’abord, puisque les nucl´eons dans le noyau

6.2 Une hi´erarchie d’approximations : du macroscopique au microscopique 141

sont li´es, ce potentiel, disons V{r}, est n´ecessairement attractif ∂V

∂r ≥ 0 . (6.12)

Ensuite les forces nucl´eaires sont de port´ee finie, ce qui implique que le potentiel doit tendre vers une valeur constante, que nous choisissons comme origine des ´energies, au del`a d’un certain rayon R, de l’ordre du rayon de la goutte liquide :

V{r > R} ' 0 . (6.13)

Enfin, par sym´etrie, un nucl´eon au centre du noyau ne subit aucune force d’o`u ∂V ∂r r=0 = 0 . (6.14)

Le potentiel moyen a donc typiquement la forme du potentiel de Woods-Saxon d´efini par

1 V{r} = −V0  1 + exp  r− R ξ −1 . (6.15)

La profondeur V0 du puits est typiquement de l’ordre de 50 MeV et ξ ' 0.5 fm (les

param`etres sont en g´en´eral diff´erents pour les protons et les neutrons). Dans le mod`ele en couche, le noyau a une surface diffuse contrairement aux mod`eles de gouttes liquides. Ceci traduit le fait que la densit´e de nucl´eons n’est pas uniforme `a l’int´erieur du noyau mais d´epend de la distance r au centre. A ce potentiel central s’ajoute le potentiel coulombien pour les protons, qui pour une sph`ere uniform´ement charg´e est donn´e par

VC{r} = ( Ze2 R 1 2 3− ( r R)2  r ≤ R Ze2 R r > R . (6.16) Pour obtenir la s´equence correcte des nombres magiques, il est n´ecessaire d’introduire un terme de couplage spin-orbit, qui provient essentiellement des int´eractions nucl´eaires (le terme de correction issu d’un traitement relativiste est environ un ordre de grandeur plus petit). Ce potentiel est de la forme

VLS{r} = λ

1 r

dV

drl· s , (6.17)

avec λ' −0.5 fm2. Il est important de souligner que le couplage spin-orbit est un effet

de surface.

Chaque nucl´eon de masse m, est donc d´ecrit par une fonction d’onde ϕ, qui satisfait une ´equation de Schr¨odinger du type

−~

2

2m∆ϕ{r} + U{r}ϕ{r} = Eϕ{r} , (6.18)

1La force induite au centre du noyau n’est pas rigoureusement nulle mais est n´egligeable devant la

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avec les conditions aux limites que la fonction d’onde s’annule `a l’infini ( U d´esigne la somme des potentiels central, spin-orbit et pour les protons du potentiel coulombien). Les solutions de cette ´equation diff´erentielle sont associ´ees `a des ´energies discr`etes Eα.

L’´energie du noyau dans l’´etat fondamental est alors simplement la somme des ´energies individuelles E{A, Z} = A X α=1 Eα. (6.19)

En g´en´eral, cette ´energie n’est pas une tr`es bonne estimation de l’´energie mesur´ee du noyau. Le mod`ele en couches est compl´ementaire du mod`ele de la goutte liquide, en ce sens qu’il permet de reproduire les propri´et´es des noyaux dans lesquelles seuls n’interviennent que quelques nucl´eons dans la derni`ere couche occup´ee. Il est possible de r´econcilier ces deux approches par des proc´edures de types Strutinski, selon laquelle la correction `a l’´ener- gie de la goutte liquide est simplement la contribution oscillante (par rapport au nombre de nucl´eons) de l’´energie du mod`ele en couches (pour une discussion de cette m´ethode, voir par exemple Ring & Schuck (1980)). Cette m´ethode demeure n´eanmoins ph´enom´eno- logique. Par ailleurs, le mod`ele de particules ind´ependantes est pour l’instant restreint `a la description des noyaux proches des nombres magiques. Une compr´ehension plus appro- fondie du noyau, et l’extrapolation aux noyaux exotiques tels que ceux rencontr´es dans l’´ecorce d’une ´etoile `a neutrons n´ecessitent un traitement plus microscopique.

6.3

Du probl`eme `a N corps `a l’approximation du