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Du probl`eme `a N corps `a l’approximation du champ moyen

6.3.1

Int´eraction nucl´eon-nucl´eon et effets de milieu

Un traitement microscopique de la mati`ere nucl´eaire repose uniquement sur la connais- sance de l’int´eraction entre les nucl´eons. Nous avons d´ej`a soulign´e l’analogie entre les nu- cl´eons dans le noyau et les ´electrons dans un atome, notamment par l’existence de nombres magiques. N´eanmoins, il existe une diff´erence importante entre les deux syst`emes : contrai- rement au cas des ´electrons, l’int´eraction entre nucl´eons est mal connue. Les nucl´eons ne sont pas des particules ´el´ementaires mais sont form´es de quarks. L’int´eraction entre nu- cl´eons devrait donc pouvoir th´eoriquement ˆetre d´eduite des int´eractions entre quarks et gluons au sein de la chromodynamique quantique. Or pour l’instant, la complexit´e de cette th´eorie, notamment son caract`ere non perturbatif `a basse ´energie, rend cette tˆache extrˆemement difficile.

Bien avant la d´ecouverte des quarks, Yukawa sugg´erait d`es 1935, par analogie avec l’´electrodynamique quantique, que les int´eractions nucl´eaires ´etaient port´ees par l’´echange de pions π. A la diff´erence des photons qui engendrent les forces ´electromagn´etiques, les pions sont des particules massives (´energie de masse mπc2 = 138 MeV) du fait de la por-

t´ee finie des forces nucl´eaires. L’´echange de pions explique la partie attractive `a longue port´ee (> 2 fm) des int´eractions nucl´eaires. En s’appuyant sur les sym´etries suppos´ees des

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forces nucl´eaires (voir par exemple Ring & Schuck (1980)), des potentiels d’int´eraction nucl´eon-nucl´eon ph´enom´enologiques, contenant un vingtaine d’op´erateurs, ont ´et´e d´eve- lopp´es depuis les ann´ees 1950-60 pour d´ecrire la partie `a moyenne et longue port´ee des int´eractions (OPEP=One Pion Exchange Potential ). Les param`etres (environ une cin- quantaine) sont ajust´es sur les donn´ees exp´erimentales, notamment les d´ephasages des collisions nucl´eon-nucl´eon (actuellement environ 4000 donn´ees d’exp´eriences) sous le seuil de production du pion (au del`a d’ une ´energie de faisceau de l’ordre de ∼ 350 MeV, des effets d’in´elasticit´es li´es `a la production de particules se manifestent et ne peuvent ˆetre correctement d´ecrits par un simple potentiel) et les donn´es du deut´eron, seul noyau stable form´e de deux nucl´eons1.

Typiquement la d´ependance radiale de ces potentiels pr´esente une asymptote en + lorsque la distance de s´eparation entre les nucl´eons approche de rc ' 0.4 fm. L’existence

de ce coeur dur de taille rc, `a l’origine du ph´enom`ene de saturation, rend un d´evelop-

pement perturbatif dans l’int´eraction compl`etement inadapt´e et n´ecessite un traitement particulier. Une th´eorie a ´et´e d´evelopp´ee `a cet effet principalement par Brueckner dans le milieu des ann´ees 1950, puis par Goldstone et Bethe (pour un expos´e de cette m´ethode voir par exemple le livre de Fetter & Walecka (1971) et les diff´erentes revues Day (1967), Rajaraman & Bethe (1967), Brandow (1967), Bethe (1971)). Brueckner & Gammel (1958) r´ealis`erent le premier calcul num´erique avec cette th´eorie en 1958. Tr`es sch´ematiquement, elle consiste `a d´eduire une int´eraction effective entre les nucl´eons en ´etudiant les effets du milieu nucl´eaire sur une paire. Le coeur de cette int´eraction effective est en g´en´e- ral beaucoup plus doux que l’int´eraction entre deux nucl´eons isol´es. Les nucl´eons peuvent alors ˆetre d´ecrits comme des particules ind´ependantes dans l’approximation Hartree-Fock. Une autre approche, dite variationnelle, consiste `a rechercher des solutions dans un sous- espace seulement de l’espace des ´etats, en exprimant la fonction d’onde sous une forme param´etr´ee qui inclut explicitement des corr´elations (voir par exemple Wiringa (1993)).

Il s’est av´er´e n´ecessaire pour reproduire au mieux les donn´ees, de construire des poten- tiels en s’affranchissant de certaines sym´etries, notamment l’invariance de charge (sym´etrie entre neutrons et protons qui a donn´e naissance `a la notion d’isospin par analogie avec le spin). Les param´etrisations r´ecentes sont celles du groupe d’Argonne (AV18) et d’Urbanna (UV18).

Des potentiels r´ealistes, fond´es sur la th´eorie de l’´echange non seulement de pions mais ´egalement d’autres m´esons plus massifs d´ecouverts dans les ann´ees 1960, ont ´et´e d´evelopp´es avec succ`es dans les ann´ees 1970 et sont aujourd’hui rassembl´es sous l’acronyme OBEP, pour One Boson Exchange Potential. Des m´esons, comme le σ, le ρ ou l’ ω sont `a l’origine de l’int´eraction `a moyenne et courte port´ee2. Seul le coeur dur est en g´en´eral

param´etr´e de fa¸con plus ph´enom´enologique. Les param`etres des m´esons sont ajust´es sur les propri´et´es mesur´ees des m´esons et sur les diffusions nucl´eon-nucl´eon. Les potentiels r´ecents portent des noms de villes dans lesquelles ils ont ´et´e d´evelopp´es, comme Bonn, Paris et Nim`egue (Nijmegen).

1Le deut´eron est le nom donn´e au noyau du deut´erium, form´e d’un neutron et d’un proton. 2La port´ee d’un m´eson est donn´ee en fonction de sa masse m par~/mc.

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Des progr`es r´ecents ont ´et´e accomplis dans la recherche plus microscopique de poten- tiels nucl´eon-nucl´eon, par l’introduction du concept de th´eorie effective des champs, initi´e notamment par les travaux de Weinberg (1979, 1996). Cette notion a ´et´e appliqu´ee `a la chromodynamique quantique de basse ´energie (`a une ´echelle d’´energie inf´erieure `a Λχ ∼ 1

GeV), et a donn´ee naissance `a la th´eorie de perturbation chirale d´esign´ee par l’acronyme χPT, dans laquelle les champs effectifs ne sont pas les quarks et les gluons, mais les nu- cl´eons et les m´esons. Cette th´eorie permet de d´eduire de fa¸con coh´erente, `a chaque ordre de perturbation, les int´eractions `a deux et trois corps. Des potentiels nucl´eon-nucl´eon r´ealistes, d’une pr´ecision comparable aux potentiels ph´enom´enologiques, ont ainsi ´et´e r´e- cemment obtenus par Entem & Machleidt (2003). Dans le cadre de cette th´eorie, il a ´egalement ´et´e possible de montrer que les int´eractions `a quatre corps et plus sont n´egli- geables (voir van Kolck (1994)). Pour une revue r´ecente sur l’int´eraction nucl´eon-nucl´eon, voir par exemple Machleidt & Slaus (2001).

Une th´eorie microscopique de la mati`ere nucl´eaire doit pr´esenter un point d’´equilibre stable pour la mati`ere infinie sym´etrique `a la densit´e de saturation nsat = 0.17 fm−3

(existence des noyaux !) avec une ´energie de liaison par nucl´eon E{nsat, x = 1/2} ' −16

MeV environ. Coester et al. (1970) ont ´et´e parmis les premiers `a remarquer que les points de saturation obtenus par la th´eorie de Brueckner dans l’approximation Hartree-Fock de particules ind´ependantes (BHF) avec diff´erents potentiels nucl´eon-nucl´eon r´ealistes s’´etalent sur une bande ´eponyme qui ne recouvre pas le point de saturation exp´erimental. Autrement dit, un potentiel qui reproduit correctement l’´energie de liaison par nucl´eon de la mati`ere nucl´eaire, fournit une densit´e de saturation trop grande et vice versa. Ce type de comportement a ´egalement ´et´e observ´e dans les noyaux (voir K¨ummel et al. (1978), M¨uther (1985), Schmid et al. (1991)) (les calculs Brueckner-Hartree-Fock ne parviennent pas `a reproduire `a la fois l’´energie de liaison et le rayon de charge). La situation s’am´eliore avec l’introduction d’int´eractions `a trois corps empiriques, ajust´ees notamment sur les propri´et´es des noyaux du tritium et de l’h´elium 3.

L’extension relativiste de la m´ethode de Brueckner (th´eorie de Dirac-Brueckner, voir Machleidt (1989), Fuchs (2004)) permet de retrouver le point de saturation de la mati`ere nucl´eaire infinie sym´etrique (voir par exemple Brockmann & Machleidt (1984)). N´eanm- moins, tout comme pour la th´eorie non relativiste, les r´esultats sur les noyaux ne sont pas encore compl`etement satisfaisants (voir par exemple Fritz et al. (1993)).

6.3.2

Int´eraction nucl´eon-nucl´eon effective et champ moyen

Une approche moins fondamentale consiste `a supposer une int´eraction nucl´eon-nucl´eon effective, d´ependant d’un petit nombre de param`etres ajust´es pour reproduire directement certaines propri´et´es des noyaux. La m´ethode de champ moyen relativiste dans l’approxi- mation de Hartree (ou hadrodynamique quantique) a ´et´e propos´ee par Walecka (1974). Les nucl´eons sont trait´es comme des particules ind´ependantes et sont d´ecrits par une ´equation de Dirac avec un champ moyen r´esultant de l’´echange de m´esons. Dans le mo- d`ele de Walecka, seuls deux m´esons interm´ediaires ´etaient consid´er´es : le m´eson scalaire σ (´equivalent `a l’´echange de deux pions) repr´esentant la partie attractive `a moyenne dis-

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tance de l’int´eraction entre nucl´eons, et le m´eson vecteur ω associ´e `a la partie r´epulsive `a courte distance de l’int´eraction entre nucl´eons. Depuis, ce mod`ele a ´et´e am´elior´e en ajoutant d’autres m´esons et d’autres types de couplages, notamment le m´eson ρ pour traiter la mati`ere nucl´eaire asym´etrique. Contrairement `a la m´ethode de Dirac-Bruecker, les param`etres des m´esons (leur masse et les constantes de couplages) sont directement ajust´es sur les propri´et´es des noyaux (pour l’application de cette m´ethode dans le contexte des ´etoiles `a neutrons, voir Glendenning (1997)). Les termes d’´echange dans le calcul du champ moyen sont suppos´es ˆetre absorb´es dans les constantes de couplage effectives et sont donc habituellement n´eglig´es. De plus la contribution des antiparticules `a la densit´e de nucl´eons est ´egalement ignor´ee en g´en´eral.

Parall`element, des int´eractions effectives ph´enom´enologiques `a deux corps ont ´et´e d´e- velopp´ees dans les ann´ees 1960 pour les calculs de champs moyens non relativistes dans les noyaux. Un progr`es majeur a ´et´e r´ealis´e dans la d´ecennie suivante par les travaux notam- ment de Vautherin & Brink (1972), en introduisant une int´eraction effective de contact mais qui d´epend de la densit´e. Ils ont ´egalement mis en ´evidence les relations entre les param`etres de l’int´eraction effective et les propri´et´es des noyaux et de la mati`ere nucl´eaire infinie. Negele & Vautherin (1972) ont montr´e comment d´eduire ce type d’int´eraction de calculs microscopiques. Peu de temps apr`es, des forces effectives de port´ees finies d´epen- dant de la densit´e ont ´et´e d´evelopp´ees par Gogny (1975). Les forces les plus couramment utilis´ees sont les param´etrisations de Skyrme (1956, 1959) de port´ee nulle et celles de Go- gny de port´ee finie. Des forces effectives ont ´et´e d´evelopp´ees sp´ecifiquement pour traiter la mati`ere nucl´eaire dans les ´etoiles neutrons, notamment en ajustant les param`etres non seulement sur les donn´ees exp´erimentales mais ´egalement sur les calculs microscopiques de la mati`ere pure de neutrons. Citons entre autre les forces de Skyrmes obtenues par le groupe de l’Institut de Physique Nucl´eaire de Lyon (voir Chabanat et al. (1997, 1998a, 1998b)) qui sont tr`es utilis´ees, et la param´etrisation D1P des forces de Gogny (voir Farine et al. (1999)).

Dans l’approximation Hartree-Fock, les nucl´eons sont d´ecrits comme des particules ind´ependantes plong´ees dans un champ moyen r´esultant des int´eractions nucl´eon-nucleon effectives. Les ´equations Hartree-Fock prennent la forme d’´equations de type Schr¨odinger dans lesquelles le potentiel d´epend des fonctions d’ondes des nucl´eons. Ces ´equations ne sont donc pas simplement des ´equations aux valeurs propres. Elles sont habituellement r´esolues de fa¸con it´erative. Le potentiel moyen est en g´en´eral non local pour des int´erac- tions de port´ee finie, comme par exemple pour les forces de Gogny. Des forces de contact de type Skyrme sont donc num´eriquement tr`es avantageuses. Dans ce cas, les effets li´es `a la non localit´e (donc `a la port´ee finie des forces nucl´eaires) sont repr´esent´es par une d´ependance en impulsion de l’int´eraction effective qui se traduit par une red´efinition de la masse m d’un nucl´eon en une masse m⊕{r} qui varie spatialement `a travers les densit´es

locales de neutrons et de protons. Nous traiterons plus en d´etail la m´ethode Hartree-Fock dans le chapitre 8.

Une fa¸con d’am´eliorer cette m´ethode est de consid´erer non plus des particules ind´e- pendantes mais des (( quasiparticules )) ind´ependantes. Les ´equations obtenues portent le nom de Hartree-Fock-Bogoliubov (Bogoliubov-de Gennes en mati`ere condens´ee). Cette

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m´ethode permet de traiter les effets d’appariement qui sont importants dans les noyaux et qui donnent lieu aux ph´enom`enes de superfluidit´e dans les ´etoiles `a neutrons (pour une pr´esentation des avanc´ees r´ecentes sur les m´ethodes de champs moyens, voir Bender et al. (2003)). Une forme approch´ee de ces ´equations est la m´ethode BCS, qui consiste `a supposer que seuls certains ´etats sont coupl´es par les effets d’appariement, ce qui n´e- cessite une connaissance pr´ealable des ´etats d’une paire. Pour un syst`eme invariant par renversement du temps, le choix naturel est de consid´erer les deux ´etats conjugu´es issus de la d´eg´en´erescence de Kramers.

6.3.3

Approximations semi-classiques

La r´esolution des ´equations de champs moyens peut ˆetre num´eriquement assez lourde, notamment lorsque le nombre de nucl´eons est important. C’est pourquoi des m´ethodes semi-classiques ont ´et´e d´evelopp´ees. D’apr`es le th´eor`eme de Hohenberg & Kohn (1964), l’´energie dans l’´etat fondamental est une fonctionelle unique de la densit´e. De plus l’´energie atteint un minimum pour la densit´e de l’´etat fondamental avec la contrainte que le nombre de particules est fix´e. Si nous connaissions cette fonctionnelle de la densit´e, nous pourrions donc en d´eduire l’´energie de l’´etat fondamental par minimisation. Malheureusement, en g´en´eral nous ne connaissons pas la forme exact de cette fonctionnelle de la densit´e. N´ean- moins, nous pouvons obtenir une forme approch´ee. L’approximation la plus simple, la m´ethode de Thomas-Fermi d´evelopp´ee `a l’origine pour traiter le cas des ´electrons dans un atome, consiste `a supposer que localement les particules ´evoluent comme dans un milieu homog`ene. Cette m´ethode a ´et´e am´elior´ee plus r´ecemment dans le contexte nucl´eaire et est connue sous le nom de m´ethode de Thomas-Fermi ´etendue (voir par exemple Brack et al. (1985)).