• Aucun résultat trouvé

3.3 Espace-temps de Newton-Cartan . . . 52

Dans ce chapitre, nous allons d´evelopper une formulation quadridimensionnelle enti`ere- ment covariante de l’espace-temps newtonien. L’int´erˆet d’une telle formulation est double. D’une part celle-ci permet de faciliter la comparaison entre la m´ecanique newtonienne et la th´eorie de la relativit´e g´en´erale. D’autre part, celle-ci apporte un ´eclairage nouveau sur la th´eorie de Newton. En particulier, nous montrerons que le principe de relativit´e galil´eenne peut s’interpr`eter comme une sym´etrie de jauge, analogue `a la sym´etrie des ´equations de Maxwell en ´electromagn´etisme. Comme en relativit´e g´en´erale, la gravitation peut-ˆetre incorpor´ee dans la structure mˆeme de l’espace-temps (sa courbure). Dans ce cas, le principe de relativit´e peut ˆetre ´etendu `a des transformations plus g´en´erales que les transformations de Galil´ee, qui furent mises en ´evidence par Milne.

3.1

Introduction

3.1.1

Des notions de temps et d’espace `a l’espace-temps

La perception de solides fixes ind´eformables (`a notre ´echelle) a ´et´e `a l’origine de la fondation de la g´eom´etrie dans la Gr`ece Antique. Parall`element, l’observation des chan- gements dans la Nature, et la recherche de leurs causes a conduit `a l’´elaboration de lois physiques. Jusqu’aux travaux de Newton, le mouvement d’un corps ´etait d´efini par sa

40 Formulation covariante de l’espace-temps newtonien

relation avec son environnement proche. Pour Newton au contraire, la position et le mou- vement d’un objet doivent ˆetre pens´es dans un espace intrins`eque, (( absolu )), qui n’est rattach´e `a aucun autre corps et `a l’int´erieur duquel s’applique la g´eom´etrie euclidienne. Dans la th´eorie de Newton, l’´etude des mouvements d’un objet permet d’en d´eduire les causes, c’est-`a-dire les forces qui s’exercent sur cet objet par le principe fondamental de la dynamique. La d´etermination du mouvement n´ecessite au pr´ealable la d´efinition du temps.

La notion de mesure du temps s’est forg´ee par l’observation de ph´enom`enes cycliques, comme l’alternance du jour et de la nuit, les phases de la lune ou le rythme des saisons. Les Hommes ont ainsi ´et´e amen´es `a construire des instruments pour suivre ces ´ev`enements et les transcrire dans des calendriers. Pour Aristote, le temps est la mesure du changement. Comme le mouvement circulaire uniforme tient une place privil´egi´ee, il apparaˆıt alors naturel de mesurer le temps par l’observation des mouvements de la voˆute c´eleste. En outre le temps est le mˆeme partout `a la fois. Cette notion du temps sera reprise par Newton.

Jusqu’au d´ebut du XX`eme si`ecle, les notions de temps et d’espace apparaissaient bien distinctes, mˆeme si certains ´evoquaient d´es le XVIII`eme si`ecle le temps comme une quatri`eme dimension.

Ce n’est qu’avec les travaux d’Einstein que les notions de temps et d’espace ont ´et´e compl`etement boulevers´ees. L’espace et le temps se sont retrouv´es intimement li´es. Ce lien entre temps et espace se manifeste par l’existence d’une constante fondamentale, qui s’av`ere ˆetre la vitesse de la (( lumi`ere )), permettant de traiter le temps sur un mˆeme pied d’´egalit´e que les trois coordonn´ees spatiales et de d´efinir ainsi une distance dans l’espace- temps. Le concept mˆeme d’espace-temps a ´et´e introduit par Minkowski. N´eanmoins avec la relativit´e restreinte, il restait encore un absolu, c’´etait l’espace-temps lui-mˆeme. Cette derni`ere barri`ere sera franchie avec l’´elaboration de la relativit´e g´en´erale.

3.1.2

De la relativit´e restreinte `a la relativit´e g´en´erale

La th´eorie de la relativit´e restreinte fut propos´ee par Einstein en 1905 de fa¸con `a r´econcilier la m´ecanique classique de Newton avec la th´eorie de l’´electromagn´etisme au sein d’un mˆeme cadre, en postulant l’invariance de la vitesse de la lumi`ere pour tous les observateurs, comme le sugg´eraient les exp´eriences de Michelson et Morley. Cette hypo- th`ese fondamentale ´etait n´eanmoins en flagrante contradiction avec la loi de composition classique des vitesses d´eduite du principe de relativit´e ´enonc´e par Galil´ee, qui ´etablissait l’´equivalence des observateurs en translation rectiligne uniforme les uns par rapport aux autres. Par ailleurs, la vitesse de la lumi`ere apparaissait comme une vitesse limite fon- damentale de la th´eorie. Il devenait alors ´evident que les concepts d’espace et de temps absolus qui soutenaient la m´ecanique classique, devaient ˆetre compl`etement repens´es. Il d´ecoulait notamment de la th´eorie de la relativit´e restreinte que l’espace et le temps ne sont pas universels mais sont des notions relatives `a chaque observateur. La th´eorie ´eta- blissait ´egalement l’´equivalence d’une nouvelle classe d’observateurs inertiels, associ´es non plus `a des transformations de Galil´ee mais `a des transformations de Lorentz.

3.1 Introduction 41

De plus, le statut particulier conf´er´e `a la vitesse de la lumi`ere conduisait `a d´efinir naturellement une distance spatio-temporelle dans un espace-temps `a quatre dimensions, l’espace-temps de Minkowski, dont la g´eom´etrie ´etait fondamentalement diff´erente de la g´eom´etrie Euclidenne (il est n´eanmoins possible de d´efinir une distance euclidienne `a condition de consid´erer le temps non plus comme une variable r´eelle mais comme une variable complexe, imaginaire). Le temps ´etait ainsi fusionn´e `a l’espace au sein d’un nou- vel espace g´eom´etrique, dont l’invariance par rotation ´etait refl´et´ee par l’´equivalence des observateurs inertiels. La th´eorie de relativit´e restreinte conduisait ainsi `a reformuler les lois physiques comme des relations entre des quantit´es g´eom´etriques d’un espace `a quatre dimensions.

La th´eorie de la relativit´e restreinte parvenait ainsi `a unifier m´ecanique classique et ´electromagn´etisme en abandonnant les concepts d’espace et de temps absolus. La m´eca- nique classique apparaissait alors comme un cas limite de la nouvelle th´eorie lorsque les vitesses en jeu sont tr`es petites devant la vitesse de la lumi`ere. N´eanmoins, cette th´eorie n’´etait pas encore compl`etement satisfaisante, d’une part parce qu’elle ne traitait pas le cas de la gravitation et d’autre part parce que l’espace-temps lui-mˆeme restait absolu. Einstein fut ainsi amen´e apr`es une dizaine d’ann´ees de recherches `a g´en´eraliser la th´eorie de la relativit´e restreinte.

3.1.3

Structure de l’espace-temps d’Einstein

L’espace-temps en relativit´e g´en´erale n’est pas fix´ee a priori mais poss`ede certaines propri´et´es. C’est une vari´et´e diff´erentiable de dimension 4 munie d’une m´etrique gµν de

signature lorentzienne (-+++), qui s’interpr`ete comme le champ de gravitation (voir l’an- nexe A pour un rappel succinct de topologie et de g´eom´etrie diff´erentielle). La relativit´e g´en´erale est donc une th´eorie m´etrique de la gravitation. L’espace-temps poss`ede une connexion Γρ

µν, qui est la connexion m´etrique, c’est-`a-dire qu’elle est de torsion nulle

Γρ[µν] = 0 et pr´eserve la m´etrique ∇µgµν = 0. La connexion est alors simplement donn´ee

par les symboles de Christoffel Γρµν = 1

2g

ρσ(∂

µgνσ + ∂νgµσ− ∂σgµν). (3.1)

La trajectoire d’une particule test, c’est-`a-dire d’une particule dont les effets sur le champ gravitationel sont n´egligeables, est une g´eod´esique de l’espace-temps. Aucun observateur n’est privil´egi´e, ce qui se traduit math´ematiquement par la covariance des lois physiques, c’est-`a-dire l’invariance par n’importe quel changement de coordonn´ees xµ. Les lois phy-

siques doivent donc ˆetre ´ecrite sous forme tensorielle. Nous verrons dans la suite que cette condition `a elle seule n’est physiquement pas tr`es restrictive puisque nous montre- rons comme exprimer les lois de la m´ecanique classique de Newton sous forme covariante, comme en relativ´e restreinte ou g´en´erale. Le principe de covariance exprime seulement le fait que les lois physiques sont des relations entre des quantit´es g´eom´etriques. Il est n´ecessaire d’introduire d’autres principes, comme le principe d’´equivalence en relativit´e g´en´eral ou le principe de relativit´e galil´eenne en m´ecanique classique, pour pr´eciser la structure de l’espace-temps dans lequel sont d´efinies ces quantit´es g´eom´etriques.

42 Formulation covariante de l’espace-temps newtonien

Le champ gravitationel, donc la structure de l’espace-temps, est d´etermin´e par la mati`ere-´energie1 caract´eris´ee par un tenseur sym´etrique, le tenseur ´energie-impulsion T

µν,

`a travers les ´equations d’Einstein (sans constante cosmologique) Gµν =

8πG

c4 Tµν (3.2)

o`u Gµν est un tenseur sym´etrique d´efinie en termes du tenseur de Ricci Rµν et de la

courbure scalaire R par

Gµν ≡ Rµν− Rgµν. (3.3)

Gµν et Tµν sont tous deux de divergence nulle. Le tenseur ´energie-impulsion Tµν repr´esente

le flux de la 4-impulsion pµ`a travers une 3-surface de covecteur normal Σν. Nous pouvons

le d´eterminer en utilisant le principe d’´equivalence d’Einstein selon lequel les lois de la relativit´e restreinte restent valables dans un r´ef´erentiel localement inertiel, caract´eris´e par les conditions

gµν = ηµν, ∂ρgµν = 0 , (3.4)

dans lesquelles ηµν est la m´etrique de l’espace-temps minkowskien

ηµν =     −c2 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1     , (3.5)

en faisant explicitement apparaˆıtre la vitesse c de la lumi`ere2. Autrement dit nous pou-

vons toujours trouver localement un r´ef´erentiel dans lequel les effets de la gravitation disparaissent : c’est l’observateur en chute libre.

Dans les ann´ees 1930, ´Elie Cartan (1923, 1924, 1925) et Kurt Otto Friedrichs (1927) (pour une revue, voir Trautman (1966), Havas (1964) et les r´ef´erences cit´ees), `a la lumi`ere de ces nouvelles id´ees, ont ainsi propos´e de reformuler de fa¸con g´eom´etrique la th´eorie de Newton.

De la relativit´e restreinte et de la relativit´e g´en´erale, il apparaˆıt que la vitesse de la lumi`ere n’est pas seulement la vitesse de propagation des ondes ´electromagn´etiques mais est une constante universelle, caract´eristique des espaces-temps lorentziens (voir Ellis & Uzan (2003) pour une discussion sur ce point). Cette vitesse repr´esente une vitesse maximale de propagation des int´eractions. Il devient alors naturel de d´efinir la limite newtonienne de la relativit´e g´en´erale, comme la limite c→ +∞ (actions instantann´ees).

Nous pouvons d’ores et d´ej`a entrevoir que la m´etrique covariante γµν est singuli`ere

dans cette limite. Nous verrons que ceci traduit le fait que la d´ecomposition entre temps et espace n’est pas unique. Par contre la m´etrique inverse contravariante γµν tend vers

une limite bien d´efinie

γµν =  0 0 0 γij  , (3.6)

1La masse n’est qu’une forme d’´energie par la formule c´el`ebre d’Einstein E = mc2.

2Dans ce cas, la coordonn´ee x0= t est homog`ene `a un temps et non `a une distance comme en relativit´e