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Une géographie humaine

Dans le document LYON AU XIX° SIECLE: LES ESPACES D'UNE CITE (Page 173-176)

a) Les éléments naturels

2. Une géographie humaine

Dans le langage quotidien, on emploie le terme de "quartier" pour désigner des parties de la ville. Dans son emploi banal lui-même le mot a ce double sens de "partie de l'espace urbain" et de "lieu de vie privilégié", ce double sens descriptif et qualificatif. De nom commun dans le premier cas, le mot devient presque adjectif épithète dans le deuxième. Ces

connotations qui lui donnent ses reflets de communauté harmonieuse et de communauté protégée (le thème du "village urbain") en font un terme difficile à manier (351). Le projet de recherche sur la vie de quartier lancé à Lyon par Maurice Garden à la fin des années 80 (352)

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idem, p.282.

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Auteur de L'homme, cet inconnu, Prix Nobel et fondateur de l'institut Alexis Carrel sous l'Occupation.

351

Comme l'ont bien montré LEIGHTON (Barry) & WELLMAN (Barry): "Réseau, quartier et communauté, préliminaire à l'étude de la question communautaire", Espaces et sociétés, n°38-39, Juillet-Décembre 1981, p.111-133

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Maurice GARDEN: "La vie de quartier", Bulletin du centre d'histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1977, n°3.

constatait déjà ces difficultés et mettait en évidence les risques du "quartier". Les nombreux travaux des sociologues et des géographes ont montré les ramifications du thème, les décalages entre ses emplois (quartiers administratifs et quartiers "vécus"), sa part de réalité objective (divisions socio-économiques, activités professionnelles, comportements

démographiques, institutions communes) et de réalité subjective (question de l'identité de quartier, perceptions quotidiennes, constitutions des réseaux de connaissance informelle au gré des rencontres dans la rue et les magasins) (353). Une étude plus attentive montre que ces enseignements donnés par les autres sciences humaines n'ont guère évéillé d'échos parmi les historiens français (354). Néanmoins, la problématique de l'espace s'est trouvée enrichie par ces interrogations sur "l'espace vécu", "l'espace perçu", "l'espace social" (355). Après vingt années de travaux divers, il n'en reste pas moins que ni les travaux "behaviouristes" de Moles et Rohmer qui font du quartier "la cinquième coquille" de l'homme (356), ni les analyses socio économiques d'André Vant (357) ne rendent la totalité de la signification du quartier. Mais peut-être le concept, si tant est qu'il en soit un, est piégé à l'origine: le quartier ferait-il trop partie de notre vie de citadins pour devenir un bon outil d'analyse?

Aussi ne chercherai-je pas, un peu lâchement sans doute, à entrer dans cette problématique du quartier-espace de vie. J'ai préféré essayer de suivre le quartier comme "morceau de ville", comme entité spatiale, tel que les contemporains de la période étudiée pouvaient l'utiliser, en m'attachant à suivre la variété des critères de ces délimitations, d'abord sur les bases "naturelles", et dans les pages qui vont suivre sous l'angle humain. On peut déjà deviner qu'au terme d'une telle démarche, on va se trouver face à une ville éclatée en de

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Voir par exemple l'article d'Alain METTON: "Le quartier, étude géographique et socio-psychologique", The Canadian Geographer, 1969, vol. XIII, n°4. Plus généralement, on peut consulter à titre d'exemple des résultats de la problématique du "quartier" toutes les études lancées dans le cadre de l'opération de l'Observation du Changement Social, qui comptent notamment un volume sur La Croix-Rousse.

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Pour la discussion de ce point, voir les actes à paraître de la table-ronde internationale "Le quartier urbain. Approches et réalités XVI°-XX° siècles", Ecole Française de Rome, septembre 1991. La question est plus spécialement abordée dans la présentation de la table-ronde par Marcel RONCAYOLO et les papiers d'Alain FAURE "Ambiguïtés du quartier populaire parisien XIX°-XX° siècles" et de Pierre-Yves SAUNIER "La ville et ses découpages".

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BERTRAND, CHEVALLIER, FREMONT, GALLOIS & METTON: Espaces vécus et civilisations, Paris, éditions du CNRS, 1982. Voir aussi toute la série d'articles parus sur ces thèmes dans L'espace

géographique, notamment dans les numéros 2 et 3 de l'année 1974.

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multiples portions, qui se chevauchent et s'entremêlent. Tel quartier considéré comme indubitable éclate en multiples aires de jeu, de fête ou de revendication, telle circonscription administrative se révèle une référence de la vie collective et une tentative de cerner certaines réalités sociales. Pour tel autre "quartier" si évident, si connu, les limites varient d'un document à l'autre, alors qu'on observe que des entités reconnues ici ne le sont plus là. Faut-il alors

renoncer à identifier des quartiers dans la ville? Ou plutôt modifier l'idée que nous nous faisons de la division spatiale des villes, à savoir une fixation d'espaces différenciés qui ont leurs limites et leurs noms quoiqu'on fasse? Que l'on veuille bien considérer que l'opération de délimitation de quartiers est avant tout, et quelle qu'en soit l'origine, une procédure de classification "banale", un effort de mise en ordre, une tentative de compréhension et de gestion de la complexité (358). On doit dès lors l'admettre dans toute sa variété. C'est ce postulat qui est choisi ici, et les pages qui suivent vont tenter d'en suggérer l'intérêt.

Le Plassans de Zola reste un cas d'école. Elle est en effet très claire cette ville (Aix-en- Provence) où selon les mots mêmes de Zola, la distinction des classes est recoupée par la division des quartiers, au nombre de trois, "qui forment chacun comme un bourg particulier,

ayant ses églises, ses promenades, ses moeurs, ses horizons" (359). Lyon ne nous est jamais

décrite comme la juxtaposition de trois quartiers qui couvriraient tout son espace et

regrouperaient l'un les nobles, l'autre les ouvriers et commerçants et le troisième la bourgeoisie. Lorsqu'Eugène de Lamerlière développe en 1833 sa trilogie Bellecour-Saint Clair-Rue Mercière (360), il utilise ces indications spatiales plus pour indiquer la partition du monde social que la

division de l'espace en zones hermétiques, homogènes et contigües. L'ensemble est une métaphore de la société lyonnaise, et chacun des lieux cités apporte sa pierre à cette division sociale. En général, les descriptions de la ville sont beaucoup plus pragmatiques, et surtout plus incertaines que la vision de Zola sur son Plassans. Des facteurs sociaux, des critères tirés de

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André VANT: Imagerie et urbanisation, recherches sur l'exemple stéphanois, Saint-Etienne, Centre d'Etudes Foréziennes, 1981. Voir notamment le très convaincant chapitre VIII "Les vieux quartiers stéphanois, mythes et réalités".

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Sur le thème du découpage, signalons ici les travaux en voie de publication du séminaire organisé par Philippe Dujardin et Paul Bacot sur le thème "sociologie du découpage" à l'I.E.P de Lyon. P.Dujardin y rappelle notamment les travaux des historiens de la Grèce antique, et l'intérêt de suivre les procédures de découpage de la cité, à la fois par ce qu'ils nous disent de la conception de la polis, mais aussi pour leur rapports avec d'autre découpages, ceux du sacrifice notamment (la note critique de J.SVENBRO "A Mégara hyblaea: le corps géomètre" dans Annales ESC, septembre-décembre 1982, illustre l'intérêt d'une telle réflexion).

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La fortune des Rougon, Paris, Seuil, 1969, p.92.

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l'activité économique, des éléments qui tiennent à l'évolution propre de la ville définissent au cours du siècle des manières différentes de morceler Lyon en unités cohérentes et signifiantes.

Dans le document LYON AU XIX° SIECLE: LES ESPACES D'UNE CITE (Page 173-176)