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Une frontière externalisée au mépris des droits

DIFFICILEMENT SUBORDONNÉ AU RESPECT DES DROITS FONDAMENTAUX

1.  Une frontière externalisée au mépris des droits

Ledroitpourtoutepersonnedequittern’importequelpays,ycompris lesien,jouitd’unemultiplereconnaissancesurleplaninternational.

Outrel’article13delaDéclarationuniverselledesdroitsdel’Homme, noncontraignant,cedroitfondamentalestconsacréàl’article2-2du Protocole additionnel n4 de la Convention EDH, à l’article  5 de la Conventioninternationalerelativeàl’éliminationdetouteslesformes dediscriminationsracialesde1965et,enfin,àl’article12duPacte internationalrelatifauxdroitscivilsetpolitiquesde1966.

Ce droit doit, par ailleurs, faire l’objet d’une protection renforcée lorsqu’il est exercé par des personnes particulièrement démunies, fuyantlespersécutionsdontleurpaysd’origineestdevenulethéâtre.

Encesens,l’article33delaConventiondeGenèvede1951relativeau statutdesréfugiésinterditl’expulsionetlerefoulement« de quelque manière que ce soit, d’un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opi-nions politiques ».L’article18delaChartedesdroitsfondamentauxde l’Unioneuropéennegarantitquantàluiledroits’asile« dans le respect des règles de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés »

La Cour EDH a appliqué ce principe de non refoulement des réfu-giésauxinterceptionsenmer.Elleaainsicondamnél’Italieen2012 pourlareconduite,parsesgardesdecôte,deressortissantssoma- liensetérythréensàTripoli,cesderniersayantétélivrésauxautori-téslibyennesenapplicationd’accordsdeluttecontrel’immigration clandestineconclusaveccepays46.LaCours’estfondée– fauted’un examendelasituationindividuelledesmigrantsparlesautoritésita-liennes –surlaviolationdel’article4duProtocoleno4interdisantles expulsionscollectivesd’étrangersainsiquedel’article3delaConven-tionconsacrantledoitànepassubirdetraitementsinhumainsou

dégradants.Laprohibitiondurefoulementvautdonc,selonunejuris-prudenceconstantedelaCour47,àl’égarddetoutepersonnedontles droitsintangiblesàlavieetànepassubirdetorture,nidepeinesou traitementsinhumainsoudégradants,setrouventmenacés.

Parailleurs,silesEtatspeuventrestreindrel’accèsàleurterritoire, laConventiondesNationsUniessurledroitdelamerde1982leur interdit,enprincipe,deprocéderaucontrôleenhautemerdesna-viresbattantpavillonétranger.Pluslargement,ledroitdelamer– la ConventiondesNationsUniescommeplusieursautresinstruments internationaux –imposentàtoutnaviresituéàproximitéd’uneper-sonneendétresseenmer,l’obligationdeluiportersecours.

L’effectivitédececadrejuridiquesolidevisantàprotégerlesdroits intangiblesdesexiléss’avèresérieusementcompromiseparladyna-mique d’externalisation de la gestion des flux migratoires engagée parl’Unioneuropéenne(a),ainsiqueparlespolitiquessécuritaires menéesactuellementauxfrontièresnationaleseteuropéennes(b).

a. L’externalisation de la gestion des flux migratoires

Cinqmoisaprèsl’accordentreBruxellesetAnkaradenovembre2015, venant lui-même à la suite de celui d’octobre 2014, le sommet du moisde mars 2016atenduunenouvellefoisàconvaincrelaTurquie deréduirelefluxdescandidatsaudépartversl’Europeencontrepar-tied’unerelanceduprocessusd’adhésionàl’UE,d’assouplissements dansladélivrancedesvisasdesesressortissantsetd’uneenveloppe de 95 millions d’euros, sur les 3 milliards d’euros promis, destinée àfinancerunepartiedescampsderéfugiésdontlenombres’élève aujourd’huià2,7 millions.

Ces accords de réadmission à l’initiative de la Commission euro-péennenesontpasnouveaux.Ilstendentàfaciliterlerapatriement versleurpaysd’originedesmigrantsnonautorisésàpénétrersurle territoire.Maisilsautorisentégalementlerapatriementdesressortis-santsdepaystiersayantseulementtransitéparlespayssignataires.

Autrementdit,lesaccordspassésouenvoiedel’êtreentrel’Union européenneetlaTurquiepermettentaux28Etatsmembresdefaire réadmettre sur le territoire turc, non seulement les ressortissants turcsmaisaussitouslesressortissantsSyriens,Afghans,Irakiensou autreayanttransitéparcetEtatdansleurtentatived’atteindrel’Union européenne.

Or, ces ressortissants sont de plus en plus nombreux et d’origines diverses.L’accèsàl’Europevia laMéditerranéeetl’Italieayantétédé-laisséenraisondelahaussedespatrouillesmaritimesetdelaforte mortalitéenmer,laroutedesBalkansaété« réactivée »(voirinfra).

Ainsi,depuis2011,cesontégalementdesréfugiésd’Afriquequitran-sitentparlaTurquie.

Entermesderespectsdesdroitsfondamentaux,celaposedespro-blèmesdedifférentsordres.

LerenvoiverslaTurquieestensoiproblématiquecarellen’estpas considérée comme un «  pays sûr  ». L’article  39 de la directive UE 2013/3248disposequ’unEtatpeutcertesprévoirdenepasexaminer unedemanded’asilesiledemandeurestillégalemententrésurson territoiredepuisunpaystiersmaiscelaàconditionquecetEtatde renvoisoitunpayssûr.Or,seloncettemêmedirective,pourpouvoir êtreconsidérécommesûr,unEtatdoitavoirratifiélaConventionde Genèvesansaucunelimitationgéographique,cequin’estpaslecas delaTurquie.

Par une communication du 17  mars, la Commission européenne a d’ailleurs elle-même estimé que l’application des dispositions de l’accordUE-Turquie« requiert la modification préalable des législations nationales tant grecque que turque – la législation grecque doit prévoir le statut de pays tiers sûr pour la Turquie et la législation turque doit garan-tir l’accès effectif à des procédures d’asile pour toute personne ayant be-soin d’une protection internationale ». Demême,laHongrieconsidère irrecevableslesdemandesd’asiledespersonnesayanttransitépar despayssûrsaunombredesquels« les États candidats à l’adhésion à l’Union européenne à l’exception de la Turquie ».

Face à l’intensification des mouvements migratoires vers le ter-ritoire européen et la pression importante qui pèse sur la Turquie pourqu’ellecontiennelesexilés,uneffet« domino »seproduitalors irrémédiablement :laTurquie,égalementsoucieusedenepasvoir semaintenirdurablementsursonterritoirelesmigrantsréadmispar lesEtatseuropéensetceuxqu’elleacontenus,entreprenddesigner àsontourunnombreimportantd’accordsbilatérauxderéadmission aveclesEtats« sourcesd’immigration »telsquelePakistan,laRus-sie,leNigéria,laSyrieetenvisageraitdelefaireavec14autrespays commel’Irak,l’Iran,leSoudan,l’Egypte.Cesaccords,enpermettant le« refoulementenchaîne »49depersonnesquifuientsouventles guerresetlespersécutions,nientl’existencedudroitfondamentalde quittersonpays,notammentpourdemanderl’asile.

Or,formellement,ledroiteuropéens’opposeàcesrenvois.Selonla Coureuropéennedesdroitsdel’Homme,lesEtatscontractantsont certes le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrent d’ailleursledroitàl’asilepolitique50.Toutefoissajurisprudenceest clairesurlefaitquel’interdictionfondamentaledelatortureetdes traitements inhumains ou dégradants posée par l’article 3 impose auxEtatscontractantsl’obligationdenepaséloignerunepersonne versunpayslorsqu’ilyadesmotifssérieuxetavérésdecroirequ’elle

y courra un risque réel d’être soumise à un traitement contraire à l’article 351.

Cettejurisprudencevamêmeplusloinenprévoyantl’interdictionde renvoyerunepersonnedansunpays,ycomprisconsidérécomme sûr,s’ilyaunrisquequecedernierrenvoielui-mêmecettepersonne dansunautrepaysrisquépourelle,celuidesanationalitéoudesa résidence.LaCourestimeenoutrequelerefoulementindirectvers unpaysintermédiairequisetrouveêtreégalementunEtatcontrac-tantàDublinn’aaucuneincidencesurlaresponsabilitédel’Etatqui renvoie,lequeldoitveillerànepasexposerlerequérantàuntraite-mentcontraireàl’article3.

SiunEtateuropéenàl’obligationdefairecetexamenavantderen-voyerunressortissantversunEtatpartieàDublin,onimaginequ’il doitlefaired’autantpluslorsqu’ilrenvoieverslaTurquie– paysnon sûr –,susceptiblederéadmettreelle-mêmeverstouteuneautresérie d’Etats,encoremoinssûrs.

L’externalisationdelagestiondesfluxmigratoiresn’épargnepasles exilés en besoin de protection internationale puisqu’elle se traduit égalementparlavolontédel’Unioneuropéennededéléguerletrai-tementdesdemandesd’asile.LeDanemarkproposaitdéjàen1986 lamiseenplacedecentresdetraitementrégionauxdesdemandeurs d’asile, gérés par les Nations unies. En 1994, les Pays-Bas soumet-taient à l’Union européenne un projet similaire visant à la création decentresd’accueilpourlesmigrantssituésnonloindeszonesde départ.L’idéeaétérelancéeparleRoyaume-Unienmars2003,puis repriseparlaCommissioneuropéennequipréconisait« une véritable politique partenariale avec les pays tiers de premier accueil et de transit » pour« une implication beaucoup plus forte de [ces] pays »52.

Plusconcrètement,leConseildesministresdel’Intérieurdel’Union européenneetlaCommissioneuropéenneontannoncé,respective-mentenmarsetmai2015,lacréationd’« un centre polyvalent pilote » auNigerenprécisantque« l’existence de ces centres dans les pays d’ori-gine ou de transit permettra de donner aux migrants une idée précise des chances de réussite de leur voyage et d’offrir à ceux qui sont en situation irrégulière des solutions d’assistance au retour volontaire »53.

Cetteidées’inscritdirectementdansleprocessusdeKhartoumlancé le28novembre2014quiconsistenotammentàpermettreàcertains Etatsde« garantir »l’accèsàlademanded’asileenEuropeetfaciliter leretourverslespaysd’origine,toutenluttantcontrelatraitedes êtreshumains.Pourcefaire,les28Etatsmembresdel’Unioneuro- péennes’associentàplusieurspaysdelaCornedel’Afrique.Or,cer-tainsdecespays– l’Erythrée,leSoudan,l’Ethiopieparexemple –n’ont

passignélaConventiondeGenèvesurlesréfugiésetn’offrentau-cunegaranties’agissantdurespectdesdroitsdel’Homme54.Cesont d’ailleurscespays,dirigéspardesdictaturesouenétatdeguerre, quefuientjustementbeaucoupd’exilésprésentsenEurope,notam-mentàCalais.LesproposduCommissaireeuropéenenchargedece dossier,DimitriAvramopoulos,laissentsurcepointperplexe.Selon cedernier,« nous ne devons pas être naïfs. Le fait que nous coopérions avec des régimes dictatoriaux ne signifie pas que nous les légitimons.

Mais nous devons coopérer là où nous avons décidé de lutter contre la contrebande et la traite des êtres humains »55.Pourtant,unedemande d’asiletraitéedanscespaystiersestloind’avoirlesmêmeschances d’aboutirquelorsqu’elleestformuléeauseindel’Unioneuropéenne.

Ilapparaitd’ailleurspourlemoinsparadoxalde« coopérer »avecdes

« régimes dictatoriaux »pour« lutter contre la traite »desressortissants decesmêmesEtats.

Desinquiétudescomparablespeuventêtreformuléesconcernantla frontièreorientaledel’Unioneuropéenne.Présentéeenseptembre 2005parlaCommissioneuropéenne56,lamiseenplacede« zones régionales de protection »–c’est-à-diredezonesd’attenteàproximité despaysd’originedesmigrantspourl’obtentionéventuelled’unvisa pourl’Unioneuropéenne,visaitdéjàdesEtatstelsquel’Ukraineou laBiélorussie,peususceptiblesdegarantirunpremierasilepourles réfugiés. En effet, dans la même période, de mauvais traitements desmigrantsétaientdénoncésenUkraine57 ,tandisquel’Unioneuro- péenneelle-mêmecondamnaitlesviolationsrépétéesdesdroitsfon-damentauxparlaBiélorussie.

Danslecadredecettepolitiqued’évitementde potentielsdemandeurs d’asile,l’Unioneuropéennenechoisitdoncpasdecoopéreravecdes paystiersàraisondeleuraptitudeàassurerlaprotectioninternatio-naleàlaquelleontdroitlesréfugiésmaisbien« pour leur capacité à jouer le rôle de tampon pour protéger [l’Europe] des indésirables »58. Acetégard,ilconvientdereleverquedetelsaccordsdegestiondes fluxmigratoirespassésparlesEtatsmembresaveclespaysextérieurs àl’Unioneuropéenneonttoujoursétéconcomitantsàl’apparitionou au renforcement de lois criminalisant l’émigration irrégulière dans cesderniers59.Or,lanotionde« départillégal »d’unEtatapparaîten soidifficilementcompatibleavecledroitfondamentaldequittertout pays,ycomprislesientelqueleconsacreledroitinternational.

Faisant suite à l’entrée en vigueur en 2005 de l’Accord euro-médi-terranéend’associationconcluavecl’Unioneuropéenneainsiqu’aux accordsderéadmissionbilatérauxpassésavecplusieurspayseuro- péensentre2001et2009,l’Algérieaainsidécidéen2009desou-mettretoutepersonnequittantsonterritoireenméconnaissancedes

exigenceslégalesàunepeined’emprisonnement.Aprèslasignature del’accorddecoopérationpolicièreavecl’Italieen2003,laTunisiea quantàelleaggravélessanctionspourtentatived’émigrationirrégu-lière enportantlespeinesmaximalesencouruesà20ansdeprison.

Suivant le même mouvement, une loi marocaine de 2003 a forte-mentréprimélefaitpourtoutMarocaindenepasseconformeraux conditionsdesortieduterritoire.Cesnouvellesdispositionsfont,là encore,suiteàl’entréeenvigueuren2000del’Accordeuro-méditer-ranéend’associationetàdesaccordsbilatérauxpassésaveclespays européens,unnouveauPartenariatayantd’ailleursétéconclule7 juin2013entreleMarocetl’Unioneuropéenne« pour gérer la migra-tion et la mobilité »60.LaMacédoinea,poursapart,réviséen2011sa loisurlesdocumentsdevoyageaprèsavoirsignéquinzeaccordsbi-latérauxderéadmissionaveclesEtatseuropéensainsiqu’unaccord avecl’Unioneuropéennetroisansauparavant.Désormais,uneper-sonnerenvoyéed’unpayspourviolationdesrèglesd’entréeoude séjourseverraopposerenMacédoineunrefusdepasseport,celui-ci pouvantencoreêtreretirépendantunans’iladéjàétédélivré.En pratique, comme l’a déjà relevé le Centre européen des droits des Roms61,cesdispositions– dontilrésulteuneinterdictiondesortiedu territoire –sontappliquéesdemanièrediscriminatoireàl’encontre delacommunautéRom.

L’accord de gestion concertée des flux migratoires et de dévelop-pement solidaire conclu entre la France et le Cameroun le 21 mai 2009illustredemanièresignificativel’influenceexercéeparlesEtats membres sur les Etats tiers pour pénaliser l’émigration supposée irrégulière.Alorsqu’uneloicamerounaisede1990sanctionnedéjà lourdementlefaitdenepasremplirlesconditionsrequisespourla sortieduterritoire,laFrances’estengagéeàverseruneallocationà l’actiondelapoliceauxfrontièrescamerounaisespour« optimiser son efficacité opérationnelle »danslaluttecontrelafraudedocumentaire etlamigrationdite« illégale ».L’Etatfrançaisformelapolicedece pays à l’élaboration d’un«  traitement judiciaire spécifique des infrac-tions en matière d’immigration irrégulière et de fraude documentaire »et fournitdesexpertsdu« contrôle des flux migratoires »àl’aéroportde Douala62.LesCamerounaisnonadmisauxfrontièreseuropéennes,et poursuivisensuite,sontplacésenprisondansl’attentedeleurjuge-ment,laplupartnebénéficiantpasd’avocat.

Or,enprocédantdelasorte,lesEtatseuropéens,s’ilsfragilisentle sort decesmigrants, nepeuventfairedisparaître lesmouvements migratoiresnotammentlorsqu’ilsrépondentàunbesoindeprotec-tion.Ainsi,l’actuellevolontéde« fermerlaroutedesBalkans »,après

avoir rendu impraticable celle de la mer Méditerranée (voirsupra), mèneraàl’ouvertured’uneautrevoie.Sansdouteplusdangereuse, forcémentavecl’aideintéresséedetiers.

Au terme de ces développements, un retour au droit primaire de l’Union européenne apparaît nécessaire. L’article 10 A du traité de Lisbonneénonce que«  l’action de l’Union sur la scène internationale (…)vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l’État de droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international ».L’externalisationdelagestiondesfluxmi-gratoires engagée par l’Union –  tant à travers l’externalisation des demandesd’asilequeparlapénalisationcroissantedel’émigration – entrepleinementencontradictionaveccesobjectifs.

Le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, M. Muiznieksaestiméquantàluiquelesaccordsentrel’Unioneuro-péenneetlaTurquiesurla« gestion »desexilésétaientcontrairesà laConventioneuropéennedesdroitsdel’Homme.

En conséquence, le Défenseur des droits recommande au Gou-vernement de :

– prévoir que, dans le cadre de l’éventuelle mise en œuvre de l’accord de réadmission avec la Turquie, aucune personne ne puisse, du simple fait d’avoir émigré, risquer d’être détenue après avoir été réadmise en Turquie ou dans son pays d’ori-gine ;

procéder à un examen attentif de la vulnérabilité des per-sonnes susceptibles d’être réadmises et notamment des femmes à l’égard desquelles le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks, plaide pour une protection renforcée, les femmes seules, enceintes, les jeunes filles et les femmes âgées étant les plus exposées à la traite des êtres humains.

Silerenforcementdesfrontièresextérieuresdel’Unioneuropéenne apuuntempsêtreregardécommelenécessairecorollairedel’ouver-turedesfrontièresintérieuresdel’espaceSchengen,lesfaillesdece raisonnementapparaissentaujourd’hui,lesÉtatsmembresrétablis-santeux-mêmeslescontrôlesàleurspropresfrontières.

b. Les politiques sécuritaires aux frontières nationales et européennes, facteurs d’atteintes physiques

Le13 septembre2015,l’Allemagnedéclaraitainsirétablirlescontrôles àsafrontièreavecl’Autriche.Elleétaitsuiviedeprèsparl’Autricheet laSlovaquie.QuantàlaFrance,elleavaitdéjàrétablidetelscontrôles

au niveau de la frontière franco-italienne, à Vintimille. Si le Conseil d’État a considéré que ces contrôles n’étaient pas systématiques et permanents63, le Premier ministre a en revanche admis avoir rétabli descontrôlestemporairesàcettefrontièredepuisleprintemps2015.

Laconstructiond’unmurparlaHongrie,àsafrontièrecroate,àl’instar deceluiqu’elleavaitdéjàédifiéàsafrontièreserbe,estlesymbole leplusfragrantdecetéchec.Enfin,lechoixdelaBelgique,le22 fé-vrier 2016,derétablirlescontrôlesàsafrontièreaveclaFrance,de crainted’unaffluximportantdemigrantsàlasuitedel’annoncedu démantèlementdubidonvilledeCalaisenestladernièreillustration.

Cescontrôlesauxfrontièresinternesdel’espaceSchengennepeuvent pourtantêtreinstaurésqu’encasderisquedetroubleàl’ordrepublic sachantqu’auregarddesexigencesprévuesparledroitdel’Unioneu-ropéenne,lamigrationetlefranchissementdesfrontièresextérieures parungrandnombrederessortissantsdepaystiersnedevraitpas êtreconsidéré,ensoi,commeunemenaceàl’ordrepublic64.

EnFrance,commel’adéjàsoulignéleDéfenseurdesdroits65 ,cetob- jectifde« sécurisation »desfrontièresn’estenriendissuasif,lesexi-lésayantderrièreeuxunparcoursmigratoiredéjàseméd’obstacles etdeprisesderisques,précédésouventlui-mêmedepersécutions danslepaysd’originequ’ilsontfui.Maisenplusdeporteratteinte à leur intégrité physique, il est aussi parfaitement inégalitaire  : en faisant augmenter le prix des «  passeurs  » qui, eux, parviennent à emprunterdesvoiesmoinsrisquées,ilconduitàcequecetteprisede risquesoitplusimportanteencorepourlesexiléslesplusdémunis.

Lesexemplesrapportésparlapresseattestent,s’ilenétaitbesoin, quelesexilésfuyantleurpayssansmoyenslégauxdesedéplacer sontdansunesituationdetrèsgrandefaiblesseetenproieàtoute forme de domination. Leur besoin de protection est indéniable et celle-cidevraitêtreimmédiate.

Desatteintesauxdroitsfondamentauxdesmigrantsdanslecadre depolitiquessécuritairess’observentdelamêmemanièreauxfron-tièresdel’Unioneuropéenne, notammentenmerMéditerranée,dont latraverséesurdesembarcationsdefortuneconstitueuneétapepar- ticulièrementmeurtrièrepourlesmigrants.Eneffet,laprioritédon-néeaucontrôledesfluxmigratoirestendàsefaireaudétrimentde l’obligationdesauvetagedecespersonnes,malgréledroitapplicable.

Celaressorttoutd’aborddespressionsexercéesparlesÉtatseuro-péenssurl’Italiepourarrêterl’opérationdesauvetagehumainMare Nostrumen2014etprivilégierl’existenced’opérationsdesurveillance orchestréesparFrontex,l’Agenceeuropéennepourlagestiondela coopérationopérationnelleauxfrontièresextérieuresdel’Unioneu-

ropéenne.Maislemandatdel’Agenceeuropéenneestenréalitéin-compatibleaveclerespectdesdroitsfondamentauxdesmigrants66.Il permeteneffetd’intercepterdesnaviresavantqu’ilsn’atteignentles eauxterritorialesdel’Unioneuropéenne,dedébarquerdesmigrants dansdespaystiersetderepousseruneembarcationquiauraitat-teintleseauxterritorialesd’unÉtatmembre67.Or,« dans le cadre de ces procédures, aucune garantie n’est prévue quant à la vérification des besoins de protection internationale des personnes concernées ou au res-pect du principe de non refoulement d’un réfugié »68telquegarantipar laConventiondeGenève.Siletriplementdubudgetdel’Agenceeuro-péenneavaitétéannoncédébut2015pourmeneràbienl’Opération Triton3en201669,sondirecteurindiquaitàlamêmepériodequele mandatdeFrontexn’estpasceluiderechercheretdesecourirles personnesetqu’iln’estpassouhaitablequelemandatdel’Agence comprennecesmissions70.

Laconfusionpermanentedesfonctionsdesecoursetdesurveillance del’immigrationillégalegénèrefinalementunedilutiondesrespon-sabilitésquantàlaviolationdudroitdesmigrantsàêtresecourus, maiségalementàbénéficierdelaprotectionjuridiqueapplicableà leursituationindividuelleauregarddesnormesinternationales.

Ilconvientàcetégarddereleverl’ambigüitéquepeutrevêtirl’injonc-tionunanimeàluttercontrelespasseurs71,lesmettrehorsd’étatde nuire,ycomprispardesopérationsmilitairesorganiséesparl’OTAN.

Lutter contre les passeurs dans l’intérêt des migrants qui en sont victimespourraitreveniràcequecesmigrantssoientde factoplus encoreempêchésdefuirunpayscommelaSyrieoul’Érythréequ’on leurinterditdequitterlégalement[voirsupra, PI-I-B-1-a surlespoli-tiquesfrançaiseseteuropéennesenmatièredevisas].Ilenrésulte quelaseulefaçondeprotégerefficacementtoutexilécontrelerisque defairel’objetd’untraficd’êtrehumainrequiertl’ouverturedevoies légalesd’émigrationvia desdispositifsprévusparlalégislationeuro-péenne,telsladélivrancedevisas« humanitaires ».Cettesolution auraitlemérited’aboutiràcequelerespectdesdroitsfondamentaux primeenfinsurlalogiquedeblocageetquedesparcoursmaîtrisés sesubstituentauxvoiesdepassageprivilégiéesparlestrafiquants.

Loindesemontrersolidaire,l’Unioneuropéennes’estdoncérigéeen forteresse. Ce mouvement de repli, doublé d’une volonté politique d’empêcher le départ des migrants vers l’Europe, ne dissuade pas totalement.Endépitdesviolationsdeleursdroitsfondamentaux,ces exilésparviennentparfoisàatteindrelesEtatseuropéensetpeuvent, dans ce contexte, être maintenus en zone d’attente sans garantie d’êtreadmissurleterritoirefrançais.

2. Le maintien en zone d’attente, source de privation