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Reconduites exécutées en méconnaissance

RETOUR SUR LA MARGINALISATION ANNONCÉE DU RECOURS À LA RÉTENTION ADMINISTRATIVE

4.  Reconduites exécutées en méconnaissance

des formalités requises en matière de laissez-passer Sil’étrangerquifaitl’objetd’unemesured’éloignementdoitenprin- cipeêtrerenvoyéverslepaysdontilalanationalité,leCESEDAré-serve toutefois quelques exceptions à ce principe. D’abord, la per-sonnequibénéficiedustatutderéfugié,delaprotectionsubsidiaire ouquiaprésentéunedemanded’asilesurlaquelleiln’apasencore étéstatué,nepeutêtrerenvoyéeverslepaysdontellealanationali-té.Ensuite,l’étrangerpeutégalementêtrerenvoyéàdestinationd’un paysquiluiadélivréundocumentdevoyageencoursdevalidité ou detoutautrepaysverslequelilestlégalementadmissible289.

Lorsque l’étranger est en possession d’un passeport ou d’un docu-mentdevoyageencoursdevaliditédélivréparlesautoritésdupays derenvoi,lareconduitepeutêtreexécutéesansautresformalités.

En revanche, si l’étranger ne dispose pas de tels documents, la re- conduiteserasubordonnéeàladélivrance,parlesautoritésconsu-lairesdupaysderenvoi,d’unlaissez-passerconsulaire,àmoinsqu’un accordderéadmissionconcluaveclepaysderenvoienvisagén’en disposeautrement.Or,àplusieursreprises,leDéfenseurdesdroits

aétésaisidepratiquestendantàcontournercesexigences :soitles autoritésprocèdentaurenvoidel’étrangerversunpaysdanslequel iln’estenréalitépaslégalementadmissible(a),soitellesutilisent,à défautdelaissez-passerconsulaires,desdocumentsunilatéralement éditésparelles(b).

a.  Des reconduites illégales vers des pays où l’étranger n’est pas légalement admissible

Enpremierlieu,leDéfenseurdesdroitsaeuàconnaitreducasd’un ressortissantchinoisfaisantl’objetd’unemesured’éloignementprise parlePréfetdelaGuyane,etrenvoyéversleSuriname,payslimi-tropheàlaGuyane.LePréfetconsidéraiteneffetqueleréclamant était légalement admissible au Suriname. Pourtant, l’instruction du dossierparlesservicesduDéfenseurarévéléqu’aucunedespièces verséesaudossiernepermettaientd’établirquetelétaitbienlecas : le réclamant ne détenait aucun document de voyage en cours de validitéluipermettantdes’yrendreetiln’avaitpasétéprésentéau consulatdecepaysenvued’obtenirunlaissez-passer.Enoutre,le Défenseurarelevé,quesiunaccordbilatéralderéadmissionavecle SurinameavaitbienétésignéparlaFrancele30novembre2004,ce derniern’étaittoutefoispasenvigueur,fauted’avoirétératifié.Dès lors,leDéfenseuraconsidéréquelePréfetdelaGuyaneavaitcom-misuneerreurdedroitenrenvoyantleréclamantversleSuriname etdécidédeprésenterdesobservationsencesensdevantlaCour administratived’appeldeBordeaux,saisieparleréclamant(décision no MSP-2015-073).Cesobservationsontétésuiviesparlejugequia annuléladécisionfixantleSurinamecommepaysderenvoienconsi-dérantquelefaitpourl’intéressédeposséderunpasseportchinois délivréparl’ambassadedeChineauSurinamen’étaitpasdenature àlefaireregardercommedisposantd’undroitd’entreroudeséjour-nerauSuriname.Danssadécision,leDéfenseurdesdroitsprécisait quelecasdontilsetrouvaitsaisineconstituaitpasuneespèceisolée maisrévélaitunepratiquecourantedéjàportéeàsaconnaissanceà plusieursreprises.

Le Défenseur des droits recommande au ministre de l’Intérieur d’intervenir auprès du Préfet de Guyane de façon à ce qu’il soit immédiatement mis fin aux éloignements des ressortissants étrangers séjournant irrégulièrement en Guyane vers des pays voisins comme le Suriname ou le Brésil dès lors que ceux-ci n’y sont pas légalement admissibles.

Le ministre de l’Intérieur pourrait également intervenir par voie d’instruction auprès de l’ensemble des préfets afin de préciser, au regard de la jurisprudence récente développée sur ce point, la portée de la notion de « pays dans lequel l’étranger est

légale-ment admissible », la seule preuve du passage de l’étranger par ce pays ne pouvant suffire, en tout état de cause, à présumer qu’il y serait légalement admissible290.

b. Du recours contestable à des documents

unilatéralement émis par le pays procédant à l’éloignement pour pallier la non-délivrance de laissez-passer consulaires Ensecondlieu,leDéfenseurdesdroitsaeuàconnaîtredelapratique consistantàprocéderàlareconduited’étrangersdépourvusdepas-seportoudedocumentsdevoyagevalidessurlabase,nonpasde laissez-passerconsulaires,maisdedocumentsunilatéralementdéli-vrésparlesautoritésfrançaises,enl’occurrencedes« laissez-passer européens »etdesdocumentsdits« laissez-passerpréfectoraux ».

Or,l’existencejuridiquedetelsdocumentsest,sinonflouepourles premiers,toutsimplementfictivepourlesseconds.

i. Le recours aux laissez-passer européens (LPE)

PrévusparunerecommandationduConseildel’Unioneuropéenne endatedu30novembre1994,leslaissez-passereuropéens(LPE)per-mettentàl’Etatprocédantàl’éloignementd’unétrangerensituation irrégulière de se dispenser de l’accord du pays de retour. Demeu-réependantlongtempstrèsmarginale,leurutilisationestsujetteà controverses.Acetégard,onpeutrappelerquelaFranceavait,ily aquelquesannées,délivrédetelslaissez-passerpourneufAfghans deCalais,cequiavaitfroisséKaboul291.Parailleurs,uneassociation intervenantencentrederétentionpointelesdifficultésquesoulève la délivrance unilatérale de ces laissez-passer, évoquant les cas de ressortissantsétrangerséloignésaumoyendeLPEetfinalementre-foulésàleurarrivéedanslepaysdedestination292.

Interrogéeparlavoied’unequestionparlementaire293 surleshypo-thèses dans lesquelles il pouvait être recouru au LPE par les Etats membresainsiquesurlecontrôleexercéparlaCommissionsurla portéeetl’usageréservéeàcedocumentparlesEtatsmembres,la Commissioneuropéennerelevaitquelerecoursàcedocumentavait étéenvisagéalorsquel’Unionn’avaitpasencorecompétencepour concluredesaccordsderéadmission.Elleindiquaitquelarecomman- dationdu30novembre1994nedéfinissantpaslesconditionsdedéli-vrancedecedocument,laCommissionnecontrôlaitpasl’utilisation qu’enfaisaientlesÉtatsmembres,saufdanslescasoùsadélivrance était prévue par des accords de réadmission de l’UE. Elle indiquait que,danscecadre,lagrandemajoritédesLPEétaitdélivréepourper-mettreleretourderessortissantsdepaystiersàl’Etatayantconclu l’accordderéadmission,cedernierfaisantalorsfonctiondepaysde transit. Enfin, la Commission précisait qu’en tout état de cause, la

simpledélivranced’unLPEnesuffisaitpasàgarantirquelepaystiers réadmette une personne sur son territoire et que cette délivrance devait être précédée d’une décision de retour/d’éloignement et de contactsappropriésaveclepaystiers,danslerespectdelalégislation nationaleapplicabledanslesÉtatsmembres,del’acquisdel’Union,et desnormesetaccordsinternationaux.

Saisid’uneréclamationfaisantétatdel’utilisationd’unlaissez-passer européenémisparlesautoritésfrançaisespourpermettreleretour d’un ressortissant mauritanien alors même qu’aucun accord de ré-admissionn’aétéconcluentrel’UnioneuropéenneetlaMauritanie, leDéfenseurdesdroitsainterrogéleministredel’Intérieursurles modalitésdurecoursauLPE,quisembleactuellementsedévelopper auseindespréfecturespourpallierlesdifficultésrencontréespour obtenirdeslaissez-passerconsulaires.

Dansuncourrierderéponseendatedu26janvier2015,leministère del’IntérieurindiquaitqueledispositifduLPE,dèslorsqu’ilétaitpré-vuparunerecommandationdel’UE,n’appelaitpasdetransposition endroitinterneetpouvaitêtreutilisécommedocumentdevoyage lorsque ce dispositif était prévu par un accord communautaire de réadmission,notammentlorsqueladécisionderéadmettreleressor- tissantétrangerensituationirrégulièreavaitétédonnéeparlesau-toritéscompétentesdupaysd’originemaisquel’autoritéconsulaire n’avaitpasdélivréourenouvelé,dansledélaiprévu,lelaissez-pas-serconsulaire.Leministèreprécisaitensuitequ’ilpouvaitégalement êtrerecouruauLPElorsqu’unaccordbilatéralleprévoyaitetqu’enfin, danscertainscas,sadélivrancepouvaitrésulterd’un« accordtacite » dupaysd’origineconsentantàsonutilisationcommealternativeau laissez-passerconsulairelorsque,parexemple,laréadmissionaété acceptéeàlasuited’uneprésentationconsulaireouaprèsexamendu dossiertransmisparlapréfecture.Ilressortdecesexplicationsque, lorsqu’ellen’estpasexpressémentprévueparunaccordderéadmis-sionconcluparl’Unioneuropéenneouunaccordbilatéralconclupar laFrance,ladélivranceduLPEreposesurdesbasesfragilesetexpose l’étrangervoyageantavecunteldocumentaurisquedesevoirfina-lementrefoulerauxfrontièresdupaysverslequelilestrenvoyé. En effet,leministèreneprécisepaslesgarantiesdontdisposel’étranger renvoyéavecunLPEdélivréindépendammentdetoutaccordeuro-péenoubilatéralmaisremarquesimplementqu’ :« Endéfinitive,le recoursauLPE, se limite aux dossiers dans lesquels l’identité est sûre et reconnue par l’Etat d’origine, faute de quoi celui-ci refuserait l’admission de l’étranger concerné sur son territoire ».

Le Défenseur des droits recommande au ministre de l’Intérieur de préciser, par voie de règlement ou d’instruction, les

hypo-thèses de recours au laissez-passer européen prévu par la re-commandation européenne du 30 novembre 1994 : le recours à un tel document devrait être limité aux seuls cas où il est ex-pressément prévu par un accord européen de réadmission ou un traité bilatéral. Hors du cadre fixé par de tels accords, le recours au LPE devrait être prohibé ou, à tout le moins, limité aux cas où sa délivrance fait suite à un accord non pas tacite, mais exprès, du pays du renvoi.

ii. Le recours à des laissez-passer « préfectoraux »

Dans le même courrier, le Défenseur des droits interrogeait égale-mentleministredel’Intérieursuruneautrepratique,observéeen Guadeloupe,àSaint-BarthélemyetàSaint-Martin,etconsistantenla délivranceunilatérale,parlespréfetsdecesîles,delaissez-passerdits

« préfectoraux»envuedepermettre,d’unepartl’acheminementdes étrangerseninstanced’éloignementverslecentrederétentiondes AbymesenGuadeloupeet,d’autrepart,leuréloignementenHaïti.

EnréponseauDéfenseurdesdroits,leministèredel’Intérieurindi-quaitquesilapréfecturedeSaint-Martinavaitbienrecoursàdetels laissez-passerpréfectorauxpourlesétrangersdevantêtreacheminés versleCRAdesAbymesavantleurdépartpourleurspaysd’origine, lesreconduitesverscespaysétaientenrevancheréaliséesconformé- mentauxrèglesenvigueur,avecl’utilisationdelaissez-passerconsu-laires.

S’agissantdurecours,parlapréfecturedelaGuadeloupe,àdeslais-sez-passerpréfectorauxenvuedeprocéderàdeséloignementsvers Haïti,leministèreprécisaitqu’ils’agissaitlàd’unepratiqueancienne semblantrésulterd’unaccordtaciteconvenuentreledépartement etleconsuld’Haïtianciennementenposte.Confirmantl’illégalitéde cettepratique,leministèreindiquaitquelepréfetencauseavaitdon-né instruction à ses équipes ainsi qu’à la sous-préfecture d’arrêter cetteprocédureetquedescontactsavaientétéprisaveclesauto-ritésconsulairesdelaRépubliqued’Haïtienvuedemettreenplace uneprocédureapplicableenmatièrededélivrancedelaissez-passer consulairespourlesressortissantshaïtiensreconduits.

Le Défenseur des droits recommande au ministre de l’Intérieur d’adresser aux préfets de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin une instruction fixant les modalités de déli-vrance d’un laissez-passer préfectoral permettant l’achemine-ment des étrangers au centre de rétention administrative des Abymes en Guadeloupe et rappelant l’impossibilité d’utiliser ce document aux fins d’éloignement d’un étranger à destination de pays voisins, notamment Haïti.

NOTES

1.  Les analyses développées ne concernent que les droits effectivement consacrés par le droit positif et à l’écart mesurable entre la proclamation de ces droits et leur effectivité. Seront exclues la problématique des droits qui restent à conquérir et dont sont privés les étrangers en raison de leur extranéité et la question de la pertinence du lien que la citoyenneté entretient avec la nationalité plutôt qu’avec la résidence habituelle sur un territoire.

2.  Danièle LOCHAK, Etrangers:dequeldroit? Puf, 1985.

3.  Pour exemple, voir les lois n93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, n2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité et n2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile.

4.  Loi n2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des Etrangers en France.

5.  InfosMigrations n35, février 2012, Département des statistiques, des études et de la documentation du Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration (Ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration)

6.  Wim VAN OORSCHOT et Antoine MATH, La question du non recours aux prestations sociales, RecherchesetPrévisions, 43 (1), PP. 5-17, 1996 ; Alexis SPIRE, Ces étrangers qui renoncent à leurs droits, Plein droit n106, oct. 2015.

7.  Etabli par le Règlement CE n810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juil. 2009.

8.  Article 32§1

9.  CJUE, 19 déc. 2013, Koushkaki, §§56-57, nC-84/12.

10.  CE, réf., 19 juil. 2006, n294906, CE, réf., 20 avr. 2009, n327162.

11.  CESEDA, articles L.211-3 et suivants.

12.  Pour le Français, l’Européen ou le Suisse, une carte d’identité ou un passeport ; pour l’étranger non-européen un titre de séjour.

13.  CESEDA, articles R.211-12 et suivants et circulaire du 23 nov. 2004 (NOR : INT/D/04/00135C).

14.  CESEDA, articles R.211-11 8° et R.211-14.

15.  CESEDA, article L.211-4.

16.  Conseil constitutionnel, 20 nov. 2003, n2003-484 DC et CE, 26 juil.

2006, n276777.

17.  CESEDA, article L.411-5.

18.  CESEDA, article L.314-8.

19.  Loi n2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

20.  CESEDA, articles L.211-9 et R.211-11.

21.  CE, 18 fév. 2011, n335348.

22.  Le principe ressort de la jurisprudence. Voir par exemple, CE, 14 juin 2002, n227019.

23.  CE, 8 juin 2011, n322494.

24.  CESEDA, article L.211-2-1.

25.  CAA Nantes, n14NT02452.

26.  CESEDA, L.211-2 2°.

27.  CE, 5 nov. 2009, n319981.

28.  Conseil constitutionnel, 22 avr. 1997, n97-389 DC.

29.  CAA de Nantes, 23 déc. 2014, n13NT03476, CAA Douai, 30 juin 2011, n11DA00445.