• Aucun résultat trouvé

Les personnes victimes de violences

DIFFICILEMENT SUBORDONNÉ AU RESPECT DES DROITS FONDAMENTAUX

B. DES CATÉGORIES D’ÉTRANGERS PARTICULIÈREMENT AFFECTÉES PAR LA PRÉCARITÉ DU DROIT AU SÉJOUR

3.  Les personnes victimes de violences

a. Droit au séjour des victimes de violences conjugales

LeCESEDAcomporteplusieursdispositionsvisantàpréveniretlutter contrelesviolencesconjugales,dontlesprincipalesvictimessontdes

femmes.Celles-civisent,d’unepart,lesconjointsdeFrançaisetles conjointsd’étrangersentrésenFranceparlavoieduregroupement familialet,d’autrepart,lespersonnesbénéficiantd’uneordonnance de protection délivrée en raison de violences commises par leur conjoint,partenaireliéparunpactecivildesolidarité,ouconcubin.

Encorerécemment,laloidu4août2014pourl’égalitéréelleentre lesfemmesetleshommesainsiquelaloidu7 mars2016relative au droit des étrangers sont venues renforcer ce dispositif législatif protecteur135.Malgrécela,leDéfenseurdesdroitsconstatequeles personnesétrangèresvictimesdeviolencesconjugalesseheurtent toujoursàdenombreusesdifficultésdanslecadredesdémarches qu’ellesentreprennentenvuedelapremièredélivrance(i)oudure-nouvellement(ii)deleurtitredeséjour136.

i. Obstacles à la délivrance du premier titre

Lorsquelesviolencesconjugalesontétécommisesaprèsl’arrivéeen Francemaisavantladélivrancedelapremièrecartedeséjour,les conjointsdeFrançaisetlesconjointsd’étrangersentrésenFranceau titreduregroupementfamilialdoiventsevoirdélivrerdepleindroit d’untitredeséjour,mêmesilacommunautédevieaétérompue137. Pourtant,iln’estpasrarequelapersonneauguichetdelapréfec-turerefused’enregistrerleurdemandeoulesinviteàretournerdans leurpaysd’originepourseprotégerdeleurconjointviolent.Lesper-sonnesétrangèresvictimesdeviolencesconjugalessontdoncparfois contraintes de solliciter l’aide d’un représentant associatif ou d’un avocatetdesedéplacerplusieursfoisenpréfectureavantdepar- veniràfaireenregistrerleurdemande.Et,mêmelorsqu’ellesypar- viennent,cespersonnesnesevoientpastoujoursdélivrerderécé-pissé,cequiapourconséquencedelesplaceroudelesmainteniren

situationirrégulière.

Enoutre,ellesseheurtentàdesdélaisdetraitementexcessivement longs,pouvantatteindre,auxdiresdeLaCimade,jusqu’à20mois.De telsdélaiss’avèrentillégauxlorsqu’ilsconcernentdespersonnesbé-néficiantd’uneordonnancedeprotection,pourlesquellesleCESEDA imposeladélivranced’untitredeséjour« vieprivéeetfamiliale »à

« brefdélai »138.

Parailleurs,ilarrivequelesconjointsdespersonnesvictimesdevio- lencesconjugalesinterpellentlespréfecturesdansunespritdeven-geancepoursignalerqueleurconjointaquittéledomicilefamilialou nes’estmariéquedanslebutd’obtenirdespapiers.Danscecas,la demandedetitredeséjourestbloquéeetlesdélaisd’instructions’en trouventencorerallongés.

Enfin, il est fréquent que les agents au guichet continuent d’exiger lepaiementdelataxedueàl’OFIIdanslecadred’unepremièrede-mandedecartedeséjouralorsque,depuislaloidu4 août2014139, lesétrangersconfrontésàdesviolencesconjugalessontexonérésdu paiementdecettetaxe.Danscertainscas,lespréfecturesjustifient cetteexigenceaumotifqu’ellesdélivrentauxpersonnesvictimesde violencesconjugalesunecartedeséjourautrequelacarte« vieprivée etfamiliale »pourtantexpressémentprévueparleCESEDA.Enviola-tiondesdispositionsdececode,sontainsidélivréesparexempledes cartes« vieprivéeetfamilialepourmotifhumanitaire »,« salarié »,ou

« visiteur ».Ladélivrancedecettedernièrecarteestparticulièrement préjudiciableauxintéressésdanslamesureellen’autorisepasson titulaireàtravailler.

ii. Obstacles au renouvellement du titre

Alorsquelespréfetssonttenusdedélivrerunpremiertitredeséjour auxconjointsdeFrançaisoud’étrangersbénéficiairesduregroupe- mentfamiliallorsqu’ilssontvictimesdeviolencesconjugalessurve-nuesaprèsleurentréeenFrancemaisavantladélivrancedupremier titreséjour,ilsavaientseulement,avantlaloidu7mars2016préci-tée,lafacultédelefairedanslecadred’unrenouvellement140 .Ilsdis-posaientdonc,àcetégardd’unlargepouvoird’appréciation.

Un tel dispositif, outre qu’il fragilisait les personnes étrangères vic-timesdeviolences,tendaitàcréerdesdisparitésdetraitementsur leterritoirenational.Eneffet,lespréfetsenvisageaienttrèsdiverse- mentlapossibilitéderenouvelerletitredeséjoursurcesmotifsspé-cifiques.

Acetégard,laloidu7mars2016amélioresensiblementlaprotection despersonnesétrangèresvictimesdeviolenceenrendantobligatoire lerenouvellementdutitredeséjourdelavictimedeviolencesfami-lialesouconjugales.

SileDéfenseurdesdroitsrelèveavecsatisfactioncetteamélioration recommandéeàplusieursreprises,ilcrainttoutefoisquecertaines préfectures continuent de requièrir la production systématique d’une ordonnance de protection, mentionnant celle-ci dans la liste despiècesàfournir.Unetelleexigencevapourtantàl’encontrede l’instructionduministredel’Intérieurdu9septembre2011,laquelle rappelle aux préfets qu’ils ne peuvent«  exiger systématiquement la production d’une ordonnance de protection pour instruire une demande de renouvellement ou de délivrance d’une carte de séjour temporaire

« vie privée et familiale » déposée dans le contexte d’une rupture de la communauté de vie en raison de violences conjugales »141.

Les inégalités de traitement résultant de telles pratiques s’avèrent d’autant plus prégnantes que les ordonnances de protection sont délivréesdefaçonextrêmementdisparatesurleterritoire142.Surtout, plusieursrapports143relèventquelesfemmesvictimesdeviolences conjugalessontfinalementtrèspeunombreusesàenbénéficier,par-ticulièrementquandellessontétrangères.

Par ailleurs, lorsqu’elles n’exigent pas la production d’une ordon-nancedeprotection,d’autrespréfecturessubordonnentnéanmoins le renouvellement des titres de séjour des victimes de violences conjugales à certaines conditions non prévues par les textes. Ainsi parexemple,ilestsouventdemandéquelaplaintedéposéeaitabou-tieàunecondamnationpénaledel’auteurdesfaitsouqu’undivorce pourfauteaitétéprononcéàlademandeduconjointvictimedevio-lences.Demême,quanduncertificatmédicalaétéprésentéàl’appui dudossierderenouvellement,ilpeutêtreexigéqu’ilaitétérédigépar un médecin d’unité médico-judiciaire oua minima par un praticien hospitalier.Danslecascontraire,lapersonnequiasubidesviolences conjugalessevoittrèssouventnotifierunrefusdelapartdel’admi-nistration. De façon générale, il convient de relever que l’établisse-mentdelapreuvedesviolencessubiesreste,entoutétatdecause, problématique.

Enfin,mêmelorsqu’ellesontbénéficiéd’uneordonnancedeprotec- tion,lespersonnesvictimesdeviolencesconjugalespeuventrencon-trerdesdifficultésàfairerenouvelerleurtitredeséjouraumoment oùcetteordonnancearriveàexpiration,leCESEDAneprévoyantpas le renouvellement à l’égard d’une personne qui ne bénéficie plus d’unetellemesure.Or,pourpoursuivreletravaildereconstruction qu’ellesontengagé,cespersonnesdoiventpouvoirjouird’unesitua-tionstableauregardduséjour.

Etant donné l’importance des pratiques illégales qui subsistent au sein des préfectures s’agissant de la première délivrance et du renouvellement des titres de séjour des personnes étran-gères victimes de violences conjugales, le Défenseur des droits recommande au ministre de l’Intérieur de prendre une nouvelle instruction afin de rappeler aux préfets le droit applicable à ces situations : délivrance de plein droit d’un premier titre de séjour, qui ne peut-être qu’une carte « vie privée et familiale » à l’ex-clusion de tout autre titre, exonération des taxes dues à l’OFII, interdiction de subordonner le renouvellement du titre de séjour à des conditions non prévues par les textes.

La nouvelle instruction pourrait également guider les préfets dans l’appréciation de la réalité des violences conjugales en pré-cisant les éléments susceptibles d’être pris en compte et ceux

dont la seule absence ne saurait suffire à exclure l’existence de telles violences. Ces précisions devraient être établies en étroite collaboration avec le Service du droit des Femmes du ministère de la Famille, de l’Enfance et des droits des Femmes ainsi que des associations d’aide aux victimes de violences conjugales.

Enfin, pour assurer aux personnes étrangères victimes de vio-lences conjugales la possibilité de s’engager dans un véritable parcours de reconstruction, le Défenseur des droits recom-mande qu’une réforme législative soit initiée afin de garantir le renouvellement de leur titre de séjour aux personnes ayant bénéficié d’une ordonnance de protection : aux alinéas 1 et 2 de l’article L.316-3 du CESEDA, les mots « ou qui a bénéficié d’une telle mesure » seront ajoutés après les mots « en vertu de l’article L.515-9 du code civil ».

b. Droit au séjour des victimes de la traite

LeCESEDAcomportedesrèglesplusgénéralesvisantàpréveniret luttercontrelatraitedesêtreshumains.

Ainsi,jusqu’àl’entréeenvigueurdelaloidu7 mars2016,l’étranger quidéposaitplaintecontreunepersonnequ’ilaccusaitd’avoircom-misàsonencontredesinfractionsdeproxénétismeoudetraitedes êtreshumains,ouquitémoignaitdansuneprocédurepénaleconcer-nantunepersonnepoursuiviepourcesmêmesinfractionspeutse voirdélivrerunecartedeséjourportantlamention« vieprivéeet familiale ».Cettecarteétaitrenouveléependanttouteladuréedela procédurepénalesousréservequelesconditionsprévuespoursa délivrancesoienttoujourssatisfaites.Encasdecondamnationdéfini-tivedelapersonnemiseencause,unecartederésidentétaitdélivrée depleindroitàl’étrangerayantdéposéplainteoutémoigné144. LeDéfenseurdesdroitss’estprononcésurlapertinencedecedispo-sitif,recommandantqu’uneévolutionlégislativesoitinitiéeafinque, dansl’hypothèseoùunétrangerdénoncel’auteurdecesinfractions, outémoignecontreluidanslecadred’uneprocédurepénale,lepré-fetn’aitpluslasimplepossibilitédedélivreruntitredeséjourmais que sa compétence soit liée145. Compte tenu des risques inhérents àladémarchededénonciationdanslaquellepeuvents’engagerles victimesdelatraiteouduproxénétisme,ilimporteeneffetqueces personnespuissentbénéficierd’uneprotectioncertaine,etnonpas simplementhypothétiquedelapartdel’Etat.Acetégard,leGRETA (Grouped’expertssurlaluttecontrelatraitedesêtreshumains)ex-hortelesautoritésàveilleràceque,danslapratique,l’accèsdeces victimesàuneassistancenesoitpassubordonnéàleurcoopération

auxenquêtesetauxpoursuitespénales,parnaturelongues,éprou-vantesetincertaines146.

Le Défenseur des droits prend acte avec satisfaction de la nou-velle disposition issue de la loi du 7 mars 2016 qui, dans le droit fil de ses recommandations à l’égard du ministre de l’Intérieur et de la ministre de la Famille, de l’Enfance et des droits des Femmes garantit la délivrance d’une carte de séjour « vie privée et fami-liale » à l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou té-moigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions.