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VÉRIFICATION Screening

1.5. Sauvés par l’imagerie !

1.5.2. Une expérience écologique

Lorsqu’on créée une tâche psycho-expérimentale, on est dans une négociation perpétuelle entre ce qui est propre d’un point de vue expérimental : qui respecte des normes strictes (normes que maîtrise parfaitement Albert qui m’y initie : temps de présentation des items, luminance…) et quelque chose d’écologique. C’est à dire une tâche qui se rapproche le plus possible de la « vie réelle », de ce que peuvent éprouver les patients atteints de TOC, dans notre cas. Il est évident que le fait de leur présenter une photo, même prise par eux, chez eux, ne permet pas d’avoir accès aux processus cognitifs et émotionnels qui sont vraiment en jeu lorsqu’ils sont vraiment confrontés à une telle situation dans la « vraie vie ».

Ce qui fait écho au monde chimérique décrit par Ehrenberg :

« Quand le neuroscientifique écrit qu’une « histoire triste accompagnée d’une expression joyeuse est une distorsion », il ne dit pas quelque chose de faux, mais

quelque chose de vide : raconter une histoire triste arrivée à votre pire ennemi intime avec une expression joyeuse, voilà bien un acte tout à fait cohérent (…). Le dispositif expérimental n’étant pas un monde commun. Mais, répondra le neuroscientifique, ce monde dont vous parlez est une chimère, il n’a rien de substantiel, c’est plutôt une superstructure, et ce qui compte est la base matérielle (biologique). »

Alain Ehrenberg (Ehrenberg 2008).

En allant au bout de notre démarche, la tâche la plus écologique consisterait à scanner les patients directement sur leur paillasson, lorsqu’ils vérifient et revérifient encore si leur porte est bien fermée. Les avancées technologiques ne permettent pas encore ce type d’expérimentation, il nous faut donc être inventifs. La tâche d’exposition de symptômes crée avec l’Ingénieur est la plus propre possible d’un point de vue psycho-expérimental. Nous pouvons donc nous amuser à inventer une tâche plus écologique et moins rigoureuse. C’est comme un bonus, un super-banco, tant pis si la tâche ne nous permet pas du tout d’avoir des résultats ou produit des résultats qui ne sont pas admissibles pour les expérimentalistes au vu de sa conception trop farfelue : nous avons déjà une première tâche d’exposition dont les résultats devraient être acceptables par leur communauté.

On peut donc laisser libre cours à notre imagination, sans se soucier des artefacts, pour trouver un stratagème qui nous permette d’avoir accès à ce qui se passe dans le cerveau de

nos patients au moment où ils ont une obsession ou font un rituel… C’est le moment de faire un big-brainstorming ! L’équipe se réunit, chacun est invité à faire part de ses idées. Ève, ma Médiatrice culturelle, déborde toujours d’idées :

« Et si on leur posait une question, quand ils sont dans l’IRM, genre :

« On a terminé l’étude, par souci de sécurité, pouvez-vous juste vérifier que les boutons de réponse n’ont pas trop chauffé pour éviter tout court- circuit ? » ;

« Juste avant de sortir, est-ce que vous pouvez regarder dans le tube du scanner qu’il n’y ait pas de tâche, pour éviter tout désagrément à la prochaine personne qui passera un IRM (sinon la personne d’après pourrait se brûler), Merci. » ;

« Excusez-moi, on a l’impression qu’il y a un problème avec votre casque, dans ce cas, on ne pourrait pas utiliser les résultats, est-ce que vous pouvez vérifier que votre nez arrive au tiers du casque ? » ».

On décline alors toute une série de questions plus ou moins terrifiantes, alarmantes, effrayantes, pétrifiantes : on rigole à cette énumération de situations qu’on imagine plus ou moins réalistes ou franchement fantastiques.

Est-ce que c’est sadique ? Est-ce que c’est éthique ? En tous cas, ça semble écologique. Je note donc une série de questions de ce genre, je les imprime et les emporte avec moi au groupe de parole de l’Aftoc, à Sainte-Anne. Je demande aux patients présents :

Imaginez que vous êtes dans un scanner, et que quelqu’un vous pose ces questions, quel serait votre niveau d’anxiété de 0 à 10 ?

Je sélectionne finalement des questions que j’estime « raisonnablement angoissantes ». C’est- à-dire, des questions qui sont plausibles, donc écologiques, mais qui ne me semblent quand- même pas trop anxiogènes. Oui, pour des raisons d’éthique ! Mes collègues valident ces questions. L’Ingénieur m’explique que pour voir ce qui se passe dans le cerveau de mes patients quand je leur pose ces questions, il faut faire le même genre d’enregistrement qu’au repos : le Resting-State. J’ai retrouvé récemment des documents à moi, tout à fait personnels et confidentiels, où j’appelle cette tâche le « Resting-state dans l’angoisse et la terreur ». Je

ne pense pas du tout que les scénarios finalement retenus soient terrifiants. C’est juste un

private-joke qui m’amuse, repensant à toutes les situations imaginées par mes collègues.

Voilà donc comment je présente la tâche dans le protocole de l’INSERM :

Passation d’une écologique tâche d’exposition aux symptômes (5 min)

Il s’agit de poser une question aux sujets qui soit révélatrice des processus de vérification telle que : « Excusez-moi, je suis en train de regarder votre consentement, avez-vous bien récupéré votre

exemplaire ? ». Suite à cette question, nous enregistrerons l’activité cérébrale du sujet, comme dans la

première étape de l’IRM, pendant cinq minutes.

Nous proposerons un débriefing à tous les patients l’issue de chaque passation à l’IRM.

L’Ingénieur me conseille quand même d’enregistrer ma voix pour que cette tâche peu académique puisse revendiquer une affiliation, même ténue, aux vraies études des psycho- expérimentalistes. Je m’exécute. Voici les trois scénarios retenus :

Resting-state dans l’angoisse et la terreur (5 min)

« C’est la fin de l’examen, je vais vous demander de ne pas bouger la tête pendant 5 minutes. Je ne suis pas sûre que vous ayez bien récupéré votre carte vitale, je vous laisse y réfléchir et on regardera ça ensemble à la fin de l’examen. »

« Les réponses que vous donnez sont primordiales pour l’avancée de la recherche, j’espère que vous êtes sûr d’avoir appuyé sur le bon bouton à chaque fois. Vous me le direz à l’issue de l’examen. Il ne reste plus que 5 minutes, je vais vous demander de ne pas bouger la tête. »

« Nous avons retrouvé des clés devant le bâtiment. Est ce que ça pourrait être les vôtres ? Je vous laisse y réfléchir et on voit ça en sortant dans 5 minutes. »