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Qu’est ce que je vais faire chez eux, comment, avec qui ? 1 Partenariat Institution Citoyen Recherche Innovation

J’arrive donc chez eux grâce à un projet, initié en 2007 par Ève, ma Médiatrice culturelle. Depuis 2005, l’Île-de-France contribue à la recherche participative et attribue chaque année des bourses23 dans le cadre des Partenariats entre des Institutions et des Citoyens pour la Recherche et l’Innovation (PICRI).

En 2004-2005, alors que la recherche traverse une crise importante, Marc Lipinski24 estime nécessaire d’encourager la recherche partenariale : non seulement l’association de laboratoires publics et de laboratoires privés, mais aussi un partenariat plus large entre le monde de la recherche académique et des pans organisés de la société civile souhaitant s’impliquer sur des thématiques de recherche.

Il s’agit de permettre à ces deux types d’acteurs désireux de mieux se connaître de travailler ensemble sur des projets de recherche, depuis leur élaboration jusqu’à leur mise en œuvre, et ce dans des domaines peu explorés par la recherche académique. En effet, à partir du moment où ces travaux n’ont pas vocation à être publiés dans des journaux classiques de recherche, ils présentent un intérêt moindre pour des chercheurs, dont on sait qu’ils sont essentiellement évalués sur leurs publications. C’est aussi l’occasion, pour les associations, de s’approprier des méthodologies scientifiques, compétence plutôt rare puisque nettement moins valorisée par le système éducatif français que les connaissances théoriques.

23 le chiffre officiel de l’effort de recherche de l’État Français (2009) : 2.26% du Produit Intérieur Brut.

La Région Ile-de-France consacre près de 4 % de son budget total à la recherche, c’est-à-dire nettement plus en proportion que ce que fait l’Etat. Elle a choisi de favoriser à hauteur de 50 % du budget total consacré à la recherche le domaine de la santé et du vivant. En comparaison, cette part est restée constante (autour de 25%) depuis quinze ans dans le budget du CNRS alors même que cette institution proclame depuis longtemps sa volonté de prioriser l’étude du vivant.

Le montant des fonds publics consacrés à la recherche en santé mentale a représenté entre 1% et 4% de la recherche publique en France en 2007. Les organismes de bienfaisance jouent un rôle limité et représentent moins de 1% du financement Chevreul, K., D. McDaid, et al. (2012). "Public and Nonprofit Funding for Research on Mental Disorders in France, the United Kingdom, and the United States." J Clin Psychiatry 73.. 24 Marc Lipinski est conseiller régional d'Ile-de-France. Réélu aux élections des 14 et 21 mars 2010, il était vice- président du conseil régional d'Ile-de-France chargé de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation scientifique et technique de 2004 à 2010. Elu Verts, membre du Sgen-CFDT, il est directeur de recherche au CNRS.

Les PICRI visent également à développer une recherche non marchande à un moment où l’Etat, par le biais d’incitations extrêmement fortes telles que le crédit impôt-recherche, encourage le développement de recherches à but marchand.

Le concept de recherche participative est né des partenariats tissés entre des chercheurs canadiens et des populations africaines, ou encore entre ces chercheurs et des organisations de société civile en Inde : Le terme « recherche participative » apparaît pour la première fois dans les années 1970 sous la plume d’un chercheur canadien afin de qualifier son travail avec ces communautés africaines. En 1999, le Canada a lancé des Alliances Recherches Universités-Citoyens-Communautés (ARUC). C’est ce qui donne à Claudia Neubauer25 l’idée de fonder des partenariats similaires en France. Elle en suggère alors l’idée qui sera à la base de la création des PICRI par Marc Lipinski. Ceux-ci seront dès le départ ouverts à tous les domaines de la recherche, et pas seulement aux sciences sociales comme les ARUC. D’autres différences subsistent entre les deux dispositifs. Au Canada, les futurs porteurs de projet n’ont qu’à écrire une lettre d’intention décrivant les grandes lignes de leur projet. À l’issue d’une première évaluation, 20 à 30 projets reçoivent automatiquement la somme de 5 000 dollars pour monter le projet. Cette phase permet d’éviter aux petites associations de consacrer des investissements lourds à la préparation de projets qui ne seront finalement pas retenus. Après cette période de pré-financement, les projets sont de nouveau évalués avec un taux de sélection final de 50 %. Dans le dispositif des PICRI, il n’y a pas de période de préfinancement. En 2008, le taux de sélection des projets se situe à 25 %, tandis que le budget s’élève à 1,5 million d’euros par an.

Les projets financés par l’Île-de-France peuvent avoir des thématiques très diverses comme

« papillons des jardins, un indicateur citoyen », « la migration chinoise du Wenzhou en Île- de-France »... En 2007, notre « étude de patients souffrants de TOC » (c’est son titre

vulgarisé) fait partie des neuf projets retenus par la région. Le partenariat s’organise entre une institution : notre équipe INSERM basée à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et des citoyens représentés par l’Association Française des personnes souffrant de Trouble Obsessionnel Compulsif (Aftoc).

L’équipe dispose alors d’un financement pour trois ans, qui inclut la rémunération d’un doctorant.

Mon intégration dans l’équipe a été conditionnée par ce projet rédigé et soutenu par Ève. Or on peut repérer dans les critères mêmes de sélection du projet les rouages du futur processus de production des connaissances sous forme de résultats importants. L’évaluation se base notamment sur la méthode, les probabilités de production de résultats, le processus d’évaluation, comme le montre l’encadré ci-dessous.

* Les critères d’évaluation du projet:

- l’importance des questions posées par la recherche,

- la justification et la qualité des méthodes proposées pour atteindre les objectifs déclarés du dispositif PICRI,

- la qualité et la solidité démontrées du partenariat (niveau d’engagement et de mobilisation tout au long des travaux de recherche, clarté et équilibre des engagements, capacité du comité de pilotage à jouer un rôle de coordination et de pilotage). Au stade de la demande détaillée, les partenariats devront être solides et reconnus. Tous les partenaires devront être prêts à mener à bien les programmes et les activités proposées. Les candidats devront fournir une lettre de confirmation de leur contribution au programme PICRI,

- la probabilité de produire des résultats et des effets importants à la fin de la période de financement,

- la qualité du plan de dissémination et de partage des connaissances, - la qualité de la formation mise en place,

- la qualité du cadre et du processus d’évaluation, - la pertinence du budget.

Notre « Étude de patients souffrants de TOC » a en fait pour vrai titre : « Étude des comportements de vérification des patients souffrant de TOC : Mise au point d’un outil d’investigation clinique et thérapeutique ». Avec ses deux titres, le projet devient biface. Ce

dernier titre scientifique, est destiné au comité d’évaluation de l’INSERM. Il est sur tous les documents officiels (il est assez long et je ne m’en rappelle jamais). Une fois accepté et validé par la communauté de l’INSERM, le projet a en quelque sorte effectué un rituel de passage initiatique. On lui donne un second titre vulgarisé pour s’adresser au public. Cette nouvelle dénomination traduit la volonté stratégique de répondre à une demande sociale.

Le projet a également une face cachée, un troisième titre circule en interne : « TOC-TOC ». Il a une fonction opérationnelle, pratique. Je lui ai donné ce surnom pour pouvoir communiquer avec mes collègues, les médecins, les infirmières, les aides soignantes du Centre d’Investigation Clinique (CIC). Avec mon projet ainsi surnommé, je peux m’inscrire dans la communauté des chercheurs du service qui dirigent tous des protocoles avec des noms tronqués, réduits à des acronymes comme STOC, STUC et STIC. Ces surnoms facilitent la communication. Ça ne m’a pas paru évident au début, c’est sûr. Les premières réunions du service m’avaient laissée dans une grande perplexité.

J’ai compris plus tard qu’effectivement, c’était beaucoup plus facile de demander à une aide soignante de réserver un box de consultation pour recevoir « un patient TOC-TOC » que de lui demander « Serait-il possible de disposer d’un box pour recevoir un patient suivi dans le cadre

de l’Étude des comportements de vérification des patients souffrant de TOC : Mise au point d’un outil d’investigation clinique et thérapeutique ? ».

La forme initiale du projet est résumée ci-dessous :

* Objet du PICRI : Ce programme réunit des patients (par l’intermédiaire de l’Aftoc), association, équipe de recherche, cliniciens et thérapeutes autour d’un problème de santé publique : le Trouble Obsessionnel Compulsif (TOC). Notre objectif est d’identifier les mécanismes impliqués dans un des comportements répétitifs le plus fréquent chez ces patients, le comportement de vérification, à l’aide d’un dispositif expérimental applicable dans un contexte de recherche, de soins, de pédagogie. Nous envisageons de tester l’utilité de cette tâche en thérapie cognitive et comportementale (TCC), une technique efficace dans le traitement du TOC, mais aussi d’assurer une meilleure diffusion des connaissances sur cette maladie pour les patients, leurs proches et le grand public.

* Caractère novateur du projet, et enjeu sociétal : Le TOC touche aujourd’hui 2 à 3% de la population, dont plus de la moitié souffre de doute et vérifications pathologiques. Les mécanismes qui sous-tendent ces vérifications restent encore théoriques. Pour les identifier et mieux les comprendre, une tâche originale a été développée par les chercheurs et les cliniciens de la Salpêtrière et améliorée avec les patients, proches et adhérents de l’Aftoc. Cette tâche sera ensuite testée en association à la TCC dans le but d’améliorer la prise en charge des patients et de diminuer le nombre d’échecs à la thérapie. Pour s’assurer de l’accessibilité des documents concernant le projet aux patients et/ou au grand public et ainsi garantir sa diffusion, un comité de relecture composé de chercheurs, cliniciens, patients et membres de l’Aftoc a été constitué.

* Intérêt régional : Des associations et organismes franciliens (Aftoc & Pitié-Salpêtrière), les patients et familles de cette région seront particulièrement sollicités dans ce projet. Les doctorants et étudiants impliqués sont issus des universités parisiennes (Universités Paris VI, V et VIII). La présentation de ce projet et de ses résultats sera également proposée à l’université Paris VI. Une large diffusion des connaissances dans la région Île-de-France (congrès, conférences, enseignements, etc) sera très active et permettra d’informer le grand public. La participation de la région sera mise en évidence plus généralement dans toutes les autres communications (nationales ou internationales) et sur le site Internet présentant la tâche. L’implication du président de l’Aftoc dans le Collectif Inter-associatif sur la Santé de la Région Île-de-France (CISS-IDF) pourra contribuer à valoriser le projet vers les autres associations d’Île-de-France.

* Coproduction des connaissances : Ce projet propose un concept innovant basé sur des échanges entre une équipe de recherche et une association de malades souffrant de TOC. Outre leur participation dans l’étude, les patients seront également des acteurs de la recherche par leurs commentaires sur l’élaboration de la tâche et la conduite du projet. Les résultats obtenus seront présentés aux patients et à leurs proches dans un but d’information, mais également d’aide à l’interprétation de ceux-ci. Les diffusions et partages des connaissances seront discutés et retravaillés par le comité de relecture. * Volet dissémination : L’expertise communicationnelle de l’Aftoc permettra d’établir un canal de communication écrit, audiovisuel et informatique rendant le travail des chercheurs, cliniciens, patients et proches accessible à tous. En plus d’une diffusion scientifique et universitaire, le projet sera présenté

aux malades et à leur famille lors des réunions de l’Aftoc (prochaine présentation du projet prévue pour la conférence annuelle du 29 Septembre 2007 à la cité des sciences de la Villette - Paris). Des présentations destinées au grand public (fête de la science, site Internet, café des sciences, etc.) sont aussi prévues en Île-de-France et au niveau national.

Bon, maintenant qu’on a dessiné le paysage social et institutionnel de ce projet, où tous les personnages se tiennent main dans la main et discutent d’égal à égal pour faire pousser de la connaissance, nous pouvons emprunter son chemin opérationnel, d’une poésie moins évidente. Ce projet PICRI a deux objectifs qui se succèdent temporellement et qui préexistent à mon arrivée. Le premier vise à mieux comprendre les vérifications chez les patients atteints de TOC : les mécanismes cognitifs et émotionnels qui les sous-tendent car ces mécanismes restent encore théoriques dans la littérature, et qu’ils n’ont jamais été appréhendés de manière expérimentale au sein de notre équipe. Il est déjà réalisé lors de mon arrivée.

Notre projet est basé sur une épreuve originale permettant de reproduire sur ordinateur, avec des images (60 au total), un modèle de vérification chez les patients souffrant de TOC. Il s’agit d’un exercice pendant lequel il faut rechercher les différences existant entre deux images et où une possibilité de vérification est offerte au participant.

Il consiste à montrer au sujet une première image

« phase d’indiçage », suivie d’une « phase de choix » où le sujet doit indiquer si une nouvelle image

présentée est identique (« vrai ») ou différente (« faux ») de la première. Après ce choix, le sujet se voit proposer une « phase de vérification » où il a la possibilité de revenir en arrière, c'est-à-dire de revoir successivement la première puis la deuxième image et de refaire son choix.

Ce paradigme a pour avantage de placer le sujet dans une situation potentielle et illimitée de vérifications répétitives. Les dimensions explorées sont : 1) le nombre de vérifications, 2) les temps de réponse au moment de la phase de choix et 3) de la phase de vérification, 4) ainsi que le nombre d’erreurs.

Les premiers résultats obtenus dans notre service avec cette même méthodologie auprès de 21 sujets atteints de TOC avec symptômes de vérification et 8 témoins (Clair A-H. et al.) révèlent un nombre de vérifications significativement plus important chez les patients (13,8 vs 2,6) avec un niveau de performance, par ailleurs, égal. De plus, les patients mettent en moyenne plus de temps au moment de la phase de choix (3486ms) que les témoins (2078ms). Cette partie préliminaire au projet tente d’identifier les effets du niveau d’anxiété sur le comportement en présentant des images aux propriétés anxiogènes différentes ainsi qu’explorer les effets de la complexité de chaque image sur le niveau d’anxiété.

J’arrive donc dans l’équipe pour réaliser la seconde partie de ce projet qui propose d’utiliser ce nouvel outil pour améliorer la prise en charge thérapeutique des patients atteints de TOC :

Figure 1 : représentation

schématisée du déroulement de la tâche de vérification :

Ce projet propose aussi de tester l’utilité et la faisabilité de la mise en place d’un outil, la tâche de vérification, dans le cadre de thérapies cognitives et comportementales. Les TCC sont des techniques efficaces, mais parfois une trop forte anxiété peut engendrer une grande pénibilité ou même un arrêt de la thérapie. Cette exposition virtuelle au doute permettrait d’améliorer la prise en charge des patients et de diminuer le nombre d’échec à la thérapie. Si nos hypothèses se confirment, une étude d’évaluation de l’efficacité thérapeutique de la tâche de vérification dans le cadre d’une thérapie cognitive et comportementale chez les patients souffrant de TOC, sera la continuité de ce projet.

Alors, je me dis :

Si je me dis tout ça, c’est que je « reçois une éducation » : j’intériorise des comportements, des façons de penser et de sentir, toute une culture que me transmettent les big-

neuroscientifiques qui explique mes agissements et mes croyances.

Si on écoute mon monologue intérieur avec une oreille holistique, je ne suis en fait qu’un vecteur passif. Mon objectif et mon comportement sont socialement déterminés. Mon équipe de big-neuroscientifiques est elle-même insérée dans un faisceau de structures et d’institutions dont j’intériorise ou « naturalise » les principales règles et les respecte.

D’après les penseurs collectivistes modernes, ma volonté « d’évaluer l’efficacité

thérapeutique d’un traitement innovant pour les patients atteints de TOC » est en fait soumise

à la volonté des forces sociales, qui ont d'une certaine façon un caractère propre, une « réalité

supérieure invisible ». Olivier Martin évoque ainsi l’intérêt de déterminer :

« Qui sont les individus participant à la science, quelles sont leur identités, leurs volontés, leurs envies et leurs motivations ? Ne sont-ils que des éléments sans

DÉSORMAIS, MON