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POUR LES PATIENTS ATTEINTS DE TOC

II. Ce que je prévois de faire

1. Façonnage d’un protocole de recherche biomédicale

1.4. Nous avons les moyens de vous faire parler ! 1 Ah bon ! Comment ?

1.4.5. Qu’est-ce que tu en penses ?

Petit à petit, j’organise donc ma boîte « protocole de recherche biomédicale ». Je refaçonne la méthodologie issue du projet préexistant légué par Ève, ma Médiatrice culturelle, grâce à toute une littérature qui me donne à voir l’état de l’Art (les articles scientifiques publiés dans des revues à bon impact factor). J’apprivoise doucement les EBM, ECR, et autres protocoles humanoïdes à plusieurs bras. Je décide qui aura le droit d’entrer dans ma boîte et qui sera refoulé. Je chine dans les autres études des échelles que je range soigneusement dans ma propre remise : MINI, CGI, BDI, STAI, QPII-R, SDS, ESDV, WCC et autre Y-BOCS « gold-

standard ».

J’organise, je décide, je range… Je ne suis pas en proie à une agitation maniaque, je construis

minutieusement mon protocole de recherche grâce à des lectures certes, mais surtout grâce à des rencontres. Je suis une sorte d’apprentie architecte dans cette phase de conception du protocole. Je fais des esquisses (plan d’action, design, flow-chart sont mes maquettes), qui comprennent la création générale du protocole : forme, disposition, principe constructif. J’ai l’impression d’être un architecte qui fait des calculs pour les fondations et des études techniques pour définir le passage des conduites d'eau, la disposition des ascenseurs.

Comme lui, j’ai besoin de solliciter le concours d'ingénieurs spécialisés dans des domaines précis. De tout temps, le maître d'ouvrage est allé chercher la compétence technique ou artistique là où il savait qu'elle se trouvait. J’ai également besoin de trouver ces techniciens et ces artistes qui ont les qualifications et l'expérience nécessaires pour contrôler les différents processus de réalisation de mon protocole, à commencer par sa conception. Ma maison d’accueil du cerveau et de la moelle épinière est une véritable plaque tournante d’artistes big-

neuroscientifiques, une aubaine ! Je rencontre donc de nombreux spécialistes qui surveillent si

ma construction est aux normes, à commencer par Louis, le Collègue éclairé. Puis, Édith la gentille ARC et Harry, son bon ami me permettent de savoir où trouver les artisans de la randomisation. Grâce à Constant, le Maître du logiciel et Balthazar, son Créateur, je peux concevoir une randomisation qui respecte la nomenclature en vigueur. Contrairement à Édith, qui est un personnage en chair et en os, que je rencontre parfois à la machine à café, Constant et Balthazar sont des personnages immatériels. Nous ne nous rencontrons en fait jamais dans la vraie vie, mais uniquement par mails.

À ce moment du processus de conception du protocole, j’estime qu’il est suffisamment façonné pour l’envoyer à l’INSERM. Il y a néanmoins une partie qui reste obscure, c’est le

« plan d’analyse ». Igor diagnostique vite la fragilité de ce plan et me connecte aussitôt avec un élément clef de son réseau, Noé.

De : Igor

Date : Mon, 16 Feb 2009 10:48:44 +0100 À : Margot

Cc : Ève

Objet : Re: Trans.: RE: partenariat recherche

J’ai eu Noé au téléphone. Il faut que tu prennes (avec Ève ce serait mieux mais pas obligatoire) un RV avec lui pour qu’il t’aide à construire un plan d’analyse. Tu peux le solliciter par mail ou par téléphone.

à+ Igor

De : Margot

Envoyé : mercredi 11 février 2009 16:16 À : Noé

Cc : TB

Objet : partenariat recherche

Bonjour,

Nous sommes en train de travailler sur un projet d'évaluation d'une technique de Thérapie Cognitive et Comportementale chez les patients atteints de TOC.

En rédigeant le projet pour l'INSERM (demande de promotion), nous nous sommes dit qu'il serait très pertinent d'avoir un avis statistique, et pourquoi pas de travailler ensemble sur ce projet. Voici une copie de notre projet (modifiable bien sur :-) ) tel que nous l'avons envoyé à l'INSERM.

Qu'en pensez vous ? Bien cordialement, Margot & Ève

Date : Sun, 15 Feb 2009 15:35:02 +0100 De : Noé

À : Margot

Objet :RE: partenariat recherche

Bonjour,

Voilà j'ai lu le protocole... Il me semble bien réfléchi.

Ma principale remarque concernerait la gestion des perdus de vues (et plus généralement la question de l'analyse), cruciale dans un RCT.

Que souhaiteriez vous de nous dans le cadre de cette collaboration? Bien cordialement,

Noé

Noé est un brillant polytechnicien, pédopsychiatre, professeur de biostatistique et directeur d'une unité de l’INSERM, c’est donc l’interlocuteur parfait. Il accepte de me recevoir pour

discuter de vive voix de mon projet de recherche. J’ai suivi les conseils d’Igor, le Chef, je suis accompagnée de ma Médiatrice culturelle. J’expose à Noé les objectifs de mon protocole et la méthodologie que j’ai imaginée pour atteindre ces objectifs.

Pour Noé, c’est très clair, il me faut une cohorte de 1400 sujets, au minimum, pour avoir, potentiellement, un résultat significatif …

« Gloups ! ». Trouver 1400 patients obsessionnels, vérificateurs, qui ne sont pas déprimés, ne boivent pas d’alcool et ne se droguent pas, c’est mission impossible ! En une phrase, Noé a démoli toute ma construction. Je suis abasourdie. A ce moment là, seules deux phrases tournent dans ma tête : « Comment vais-je faire ? C’est horrible ! ».

Je reformule ça de façon plus civilisée à Noé afin de savoir s’il a des pistes pour reconstruire le protocole sans se lancer dans un projet pharaonique nécessitant le recrutement de 1400 sujets. Il semblerait bien qu’il y ait une alternative possible… Je reprends espoir. Il faut aller voir directement dans le cerveau, faire de l’imagerie. Quand on fait de l’imagerie, on a besoin d’un plus petit échantillon de patients. Le plus souvent, les recherches qui utilisent l’IRM pour comparer des thérapies regardent ce qui se passe dans le cerveau de vingt à quarante patients. Quarante…pile le nombre de vérificateurs que je pensais recruter !

Comment le nombre de sujets nécessaires pour montrer une même chose, peut-il décroître si drastiquement ? Il y a là un glissement qui s’opère, d’une logique confirmatoire à une logique exploratoire. Dans un premier temps, Noé définit le nombre de sujets à recruter en fonction de mes objectifs et de l’hypothèse qu’il fait sur la taille de l’effet entre les deux conditions thérapeutiques. Une fois cette taille d’effet définie, il s’agit de calculer le pourcentage de chance de voir l’effet attendu. La plupart des études sont conçues pour avoir 80% de chances de voir cet effet. Cette logique aboutit, dans mon cas, à la nécessité de recruter 1400 sujets pour pouvoir voir ce qu’on s’attend à voir.

Albert, l’Ingénieur, m’explique qu’en imagerie, ce n’est pas aussi standardisé. En général, on ne connaît pas la taille de l’effet. En général, on n’a pas d’hypothèse préalable. En général, on essaye et on voit.

Sur des milliers d’études en IRM, 95% sont menées sur dix à trente sujets. En imagerie, il y a beaucoup de mesures par sujet, le cerveau de chaque sujet est soumis à dix à vingt mille points de mesures, ou voxels45. Ainsi, si on fait deux groupes de dix personnes, il y a

forcément des voxels qui diffèrent, ce qui est dû au hasard. Lors de l’analyse, on doit donc

45 Un voxel est le petit cube où l’on mesure du signal en imagerie médicale (scanner IRM) ; c’est l’équivalent en trois dimensions du pixel d’une photographie mais appliqué au volume 3D reconstruit par l’assemblage de coupes 2D

fixer des seuils qui « corrigent » ce hasard pour éviter d’avoir des « faux positifs », et on s’interdit de faire des conclusions sur un petit nombre de voxels.

Lorsqu’on conçoit une recherche, on a le choix entre deux options qui traduisent le compromis exploration/exploitation des résultats. On peut décider d’être « hyper sévère » dans la détermination du seuil de correction ce qui permet d’avoir des résultats « hyper robustes ». On suit dans ce cas une logique confirmatoire qui ne permet jamais de découvrir un effet non prévu. On peut au contraire adopter une logique exploratoire, être plus « laxiste » lorsqu’on fixe le seuil de correction mais plus prudent dans l’interprétation des résultats qui donne lieu à des formulations comme « les résultats suggèrent… ».

Albert m’illustre ce compromis par la métaphore de l’animal dans la forêt qui trouve un arbre avec des bons fruits et qui peut décider soit de rester sous cet arbre, soit d’explorer le reste de la forêt, pour voir s’il y a ailleurs un arbre avec des fruits encore meilleurs. Nous, nous choisissons d’explorer la forêt pour voir s’il y a ailleurs des arbres avec des fruits encore meilleurs.

De retour à la maison du cerveau et de la moelle, je fais un compte rendu succinct à Igor. Je lui explique qu’il faut faire de l’imagerie pour espérer voir quelque chose de significatif. Pour Igor, ça semble très simple : « Il faut faire de l’imagerie ? Alors, fais de l’imagerie ». Ah oui ?! Ici, c’est aussi facile que ça de prévoir 160 séances d’IRM (40 patients X 4 évaluations) ? Il suffit de le dire pour le faire : c’est presque magique. Les big-

neuroscientifiques ont l’infrastructure nécessaire pour réaliser tous mes désirs.

Les nouveaux objectifs affichés dans le synopsis final du protocole de recherche biomédicale sont donc transformés ainsi et validés par l’INSERM :

Objectifs de l’essai

Objectif principal : Evaluation et comparaison des modifications des activités cérébrales associées à une Thérapie Cognitive et Comportementale (TCC) classique ou expérimentale (associant un outil psychopédagogique) chez des patients atteints de Trouble Obsessionnel et Compulsif (TOC) de vérification

Objectifs secondaires : Evaluer l’impact des thérapies cognitives et comportementales sur la sévérité des symptômes, la qualité de vie, l’insight et les représentations du patient atteint de Troubles Obsessionnels et Compulsifs

Alors, je me dis :

Le déroulement du protocole est presque identique, on ajoute juste des séances d’IRM à chaque évaluation : avant, pendant, après et six mois après thérapie.

Déroulement du protocole pour les patients :

La rencontre avec Noé est déterminante, c’est le Sauveur, celui qui apporte la solution pour que le protocole soit viable. Sans lui, le projet se serait désagrégé à cause de son squelette statistique défectueux. L’intervention du professeur de biostatistiques remodèle entièrement les objectifs initiaux du projet (et de ma vie pour les trois prochaines années !), ce qui

DÉSORMAIS, MON OBJECTIF