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D’une distribution multi-canal à une distribution omni-canal

Sous-section 1.1. Distinction des concepts et définitions.

Pour un distributeur, le fait de proposer ses produits et services via différents canaux et adopter ainsi une stratégie de distribution appelée multi-canal n’est pas nouveau (Lewis, Whysall et Foster, 2014). Ainsi, l’enseigne de distribution française Le Bon Marché pratiquait déjà la vente par correspondance en plus de ses activités de distributeur physique au début du XXème siècle9. Bien plus tard, au début des années 1980, mais avant le boom d’internet, l’enseigne britannique Tesco lançait un canal digital pour permettre à ces clients à mobilité réduite de commander de chez eux via un terminal. En France, La Redoute permettait à ses clients de commander de chez eux via le catalogue ou via le Minitel. La recherche académique et notamment les chercheurs en marketing s’intéressent également à ce sujet depuis plus de vingt ans (Alba et al., 1997 ; Neslin et al., 2006 ; Vanheems, 2009). Déjà en 1997, aux prémices du commerce sur internet, Alba et al., anticipent les contours d’une distribution multi-canal dans laquelle les consommateurs pourront plus facilement comparer les offres proposées par les différents distributeurs grâce aux outils technologiques mis à leur disposition. Ils étudient alors les facteurs facilitants et les freins à l’achat via des outils électroniques interactifs en comparaison à l’achat traditionnel en magasin. Ainsi, suite à l’arrivée de pure-players tel Amazon, une grande majorité des distributeurs traditionnels a progressivement adopté une stratégie multi-canal et ce afin de répondre aux attentes des clients et augmenter leurs ventes (Lewis, Whysall et Foster, 2014)

Depuis, de nombreuses recherches ont été réalisées sur la multiplication des canaux dans le parcours de shopping. Nous acceptons pour définition du concept de canal, celle fournie par Neslin et al., en 2006 et reprise par Beck et Rygl (2015). Ces derniers définissent un canal

comme « un point de contact avec le client ou un média à travers lequel l’entreprise et le

client interagissent ». Aussi, tout au long de ce travail de thèse nous utiliserons le terme

canal pour évoquer les différents points de contact que les distributeurs peuvent proposer pour interagir avec leurs clients avec la possibilité d’effectuer une transaction : catalogue, site internet, magasin, mobile, tablette. Le terme point de contact évoque un support sans qu’il y ait forcément possibilité d’effectuer une transaction : tract publicitaire, page Facebook, Instagram (Verhoef et al. 2015). Ainsi un canal est forcément un point de contact, mais un point de contact n’est pas forcément un canal.

L’article de Neslin et al. (2006) a beaucoup influencé le développement des recherches à propos d’une distribution appelée à ce moment-là « multi-canal ». Cet article définit alors le management du multi-canal comme « Le design, le déploiement, la coordination et

l’évaluation des canaux pour améliorer la valeur client à travers l’acquisition, la rétention et le développement de clients » (p. 95). La multiplication des canaux au sein d’une même

entreprise a ainsi mis en évidence un nouvel enjeu pour les distributeurs traditionnels : le management des clients à travers les différents canaux (Vanheems, 2009) et l’intégration du mix produit à travers les canaux (Neslin et al., 2006).

Cependant, en 2006, la coordination était plus théorique qu’empirique. En effet, les distributeurs géraient toujours leurs canaux en silos. Dans leur travail de distinction entre les concepts de multi-, de cross- et d’omni-canal, Beck et Rygl (2015) classifient cet article de Neslin et al., paru en 2006, dans la catégorie de l’omni-canal bien que datant d’avant la « création » du terme par Rigby en 2011 soulignant à la fois les difficultés à distinguer les concepts et l’hétérogénéité des situations rencontrées par les distributeurs sur le terrain.

Lewis, Whysall et Foster (2014) mettent en avant ce décalage entre l’aspect théorique et la réalité du terrain en soulignant les difficultés technologiques rencontrées par les distributeurs lors de la mise en place d’une stratégie combinant plusieurs canaux de distribution. Des obstacles d’ordre technologiques et logistiques sont souvent fortement présents et viennent contraindre les distributeurs traditionnels dans leur volonté de connecter leurs canaux de vente physiques et digitaux.

Malgré ces difficultés liées à la nature des ressources nécessaires (Lewis et al., 2014), les distributeurs ont peu à peu pris conscience de la nécessité de gérer leurs canaux avec plus de cohérence (Neslin et Shankar, 2009). Vanheems (2009) souligne ainsi que les canaux doivent cohabiter plutôt qu’être juxtaposés pour créer de la valeur pour les clients et se

distinguer de la concurrence. Cependant, la cohabitation entre les canaux, bien que nécessaire n’est pas toujours aisée. En effet, l’un des principaux aspects de la distribution multi-canal est l’indépendance entre les canaux (Picot-Coupey, Huré et Piveteau, 2016). Cette indépendance rend difficile le contrôle des interactions entre les canaux (Beck et Rygl, 2015). Toutefois, cette étape de recherche de cohérence entre les canaux est indispensable pour éviter une expérience client dégradée à cause des effets de silos (Cao, 2014). Dans cette optique, Vanheems (2009) propose quatre stratégies de gestion combinée des canaux selon la force du lien entre les canaux allant de la simple cohérence à une intégration complète des canaux sous la forme d’un assemblage des canaux en un système unique de distribution. Si l’intégration entre les canaux est maintenant nécessaire pour les distributeurs (Rigby, 2011 ; Vanheems, 2009), elle reste cependant difficile à mettre en pratique puisqu’il est nécessaire de repenser l’ensemble des ressources technologiques dans une optique d’intégration (Lewis et al., 2014).

En effet, l’intégration entre les canaux est un enjeu clé car les consommateurs se sont appropriés cet environnement multi-canal et n’hésitent désormais plus à migrer d’un canal à l’autre, jonglant entre les sphères physiques et virtuelles (Heitz-Spahn, 2013) se créant ainsi une expérience hybride (Collin-Lachaud et Vanheems, 2016). L’émergence des nouveaux outils digitaux comme les smartphones ou les tablettes ainsi que leur utilisation par les consommateurs durant le processus de consommation leur permet de collecter de plus en plus d’informations en ligne et en magasin (Gensler, Neslin et Verhoef, 2017).

Pour mieux définir cet environnement et la nécessité d’intégrer les canaux physiques et digitaux, Rigby (2011) propose le terme d’omni-canal pour décrire le modèle de la distribution du futur, selon ses termes. Il prédit que les distributeurs devront poursuivre des stratégies omni-canal pour survivre, c’est-à-dire proposer : « une expérience d’achat

intégrée qui mêle à la fois les avantages du magasin physique et la richesse de l’information de l’expérience online » (Rigby, 2011, page 67).

Comparé au multi-canal, l’omni-canal implique plus de canaux mais c’est surtout le fait que les frontières entre les canaux deviennent de plus en plus floues qui caractérise ce modèle (Verhoef, Kannan et Inman, 2015). L’intégration des nouveaux canaux remet en cause les anciennes barrières que sont les contraintes spatio-temporelles et l’asymétrie d’information entre les consommateurs et les distributeurs (Cao et Li, 2015 ; Collin-Lachaud et Vanheems, 2016). La transparence des prix est de plus en plus grande. De ce fait, les distributeurs

doivent être en mesure de s’adapter ou au moins de se poser la question sur les actions à réaliser dans un environnement où la comparaison des prix est accessible pour une grande majorité des consommateurs (Rigby, 2011). Ces derniers peuvent collecter de l’information plus fiable et de manière plus pratique à travers les canaux (Piotrowicz et Cuthbertson, 2014 ; Saghiri et al., 2017).

Cependant, cette appellation omni-canal proposée par Rigby dans son article séminal publié en 2011 dans la Harvard Business Review a mis un certain temps avant d’être pleinement mobilisée par les chercheurs.

Si les chercheurs et les distributeurs ont bien compris que l’approche en silos qui découlait de l’appellation multi-canal n’était plus appropriée face à un client à même de mobiliser successivement les canaux physiques et/ou digitaux qu’il avait à sa disposition, les auteurs parlent plutôt de stratégies d’intégration cross-canal (Cao et Li, 2015 ; Zhang et al., 2010), puis de cross-canal (Cao, 2014) pour répondre à la recherche d’une expérience de consommation de plus en plus « sans couture ». C’est plus récemment, avec le numéro spécial publié en 2015 qui avait pour thématique la transition du multi vers l’omni-canal dans Journal of Retailing que les chercheurs ont commencé à mobiliser le terme d’omni- canal. Pour Cao et Li (2015), le multi, le cross et l’omni-canal constituent un continuum basé sur l’intensité de l’intégration entre les canaux. Dans l’introduction de ce numéro spécial de Journal of Retailing, Verhoef, Kannan et Inman (2015) proposent quatre éléments qui permettent de distinguer l’omni-canal des autres stratégies de distribution liées aux canaux. En effet, une distribution omni-canal implique :

1. Forcément plus de canaux qu’ils soient digitaux ou physiques,

2. Une perspective plus large car il ne prend pas simplement en compte uniquement les canaux de vente mais aussi les différents points de contact permettant les échanges avec les consommateurs et entre consommateurs sans but transactionnel.

3. Une disparation de la frontière entre les canaux pour permettre aux clients de passer aisément d’un canal à un autre selon l’expérience que ces derniers souhaitent vivre. 4. Et enfin, le point le plus important selon les auteurs, de cette transition vers l’omni-

canal : quand le multi-canal et le cross-canal se concentrent sur les canaux de distribution, l’omni-canal se concentre sur les interactions entre les canaux, les points de contact et la marque. L’omni-canal est forcément un processus d’optimisation de l’expérience client poussant ainsi les entreprises à adopter une réelle orientation

client mettant ainsi l’accent sur l’interaction avec les différents clients et l’harmonisation entre les canaux.

Ainsi, Verhoef et al., (2015, p. 3) définissent le management de l’omni-canal comme « le

management synergétique des nombreux canaux et points de contacts clients disponibles, de telle sorte que l’expérience client à travers les canaux et la performance à travers les canaux sont optimisées ».

Pour résumer, en nous appuyant sur la littérature relative aux canaux, nous proposons le tableau ci-dessous pour résumer les différences au niveau de la gestion des interactions entre les canaux pour les distributions multi-, cross-, et omni-canal.

Tableau 1. Distinction des concepts multi-, cross-, et omni-canal

Multi-canal

Cross-canal

Omni-canal

Points de contact Magasins, affiches,

tracts, site web, mail

Magasins, affiches, tracts, site web, mail

Magasins, affiches, tracts, site web, mail, médias sociaux, télévision, application, objets connectés…

Séparation des

canaux

Séparation sans pont entre les canaux. Ils sont cloisonnés (Verhoef et al, 2015 ; Yann et al., 2010)

Suppression

progressive des frontières entre les canaux mais des enjeux

contradictoires peuvent subsister (Picot-Coupey et al., 2016)

Tous les canaux sont intégrés (Verhoef et

al., 2015) et gérés de

manière globale (Cao, 2014). Le distributeur doit pouvoir contrôler toutes les interactions (Beck et Rygl, 2015). Création de valeur

pour le client

Centrée sur le(s) client(s).

Segmentation client par canaux (Yann et

al., 2010) les canaux

sont des organisations séparées qui ciblent différents clients (Rigby, 2011 ; Vanheems, 2015) Prise de conscience progressive de la nécessité d’intégrer les canaux pour éviter l’insatisfaction client en cause d’incohérence (Cao, 2014 ; Neslin et Shankar, 2009).

Centrée sur le client qui navigue entre les canaux au gré de ses envies (Collin- Lachaud et Vanheems, 2016).

Assortiment Non intégration Intégration

asymétrique ou complète, recherche de cohérence Intégration asymétrique ou complète, recherche de cohérence (Verhoef et

Ce tableau élaboré sur la base de la revue de la littérature nous apporte une vision des différences au niveau de la gestion des différents canaux de vente. Si les distributeurs qui ajoutent des canaux en plus de leur canal historique rencontrent tous les mêmes enjeux, leur manière d’y répondre peut varier en fonction de l’attribution des ressources et du mode de management de l’enseigne. Il nous semble important de préciser que ces visions parfois figées dans la théorie peuvent dans la pratique varier en nuance. Un distributeur peut répondre à des enjeux à la fois de manière multi-canal et omni-canal. Pour cela, la notion de degré d’intégration cross-canal (Cao et Li, 2015) nous paraît très pertinente.

(Verhoef et al.,

2015)

al., 2015)

Prix Non alignés ; les prix

sont fixés en fonction de la sensibilité du canal (Neslin et al., 2006)

Alignement des prix progressif

Alignés : l’alignement permet de limiter le risque de voir les clients migrer vers la concurrence (Cao, 2014)

Vision des canaux Concurrents (Neslin et

al., 2006 ; Picot- Coupey, 2013) Complémentaires avec quelques conflits potentiels subsistants (Picot- Coupey et al., 2016) Complémentaires (Picot-Coupey, 2013 ; Picot-Coupey et al., 2016) Analyse de la performance

Par canal, avec les indicateurs

traditionnels.

Par canal et prise en compte des effets de vases communicants (Herhausen et al., 2015). Prise de conscience que les conflits entre les canaux influencent les ventes (Cao, 2014)

Performance globale,

favorise la

complémentarité, juste répartition de la valeur, stimule les ponts entre les canaux (Verhoef et

al., 2015) ; retour sur

investissement et croissance plutôt que marge (Rigby, 2011)

Répartition des

ressources

Le canal historique est le canal dominant. Répartition des ressources complexes en cause de la cannibalisation perçue (Yann et al., 2010). La position du canal historique est reconsidérée progressivement au regard des autres canaux (Picot- Coupey et al., 2016)

Le canal historique a une position relative, il devient un canal parmi d’autres (Picot-Coupey

Sous-section 1.2. Les dynamiques d’intégration des canaux

Cao et Li (2015) proposent le terme d’intégration cross-canal pour mieux comprendre les problématiques opérationnelles liées aux canaux de distribution. Ces auteures définissent l’intégration cross-canal de la manière suivante : « L’intégration cross-canal est le degré

avec lequel une entreprise coordonne ses objectifs, dessine et déploie ses canaux afin de créer des synergies pour l’entreprise et offrir des bénéfices particuliers à ses consommateurs » (Cao et Li, 2015 p. 200). Celle-ci permet d’avoir une vision moins figée

des réponses managériales.

De plus, comme nous l’avons montré, les travaux de Beck et Rygl (2015) ont permis une clarification très précise entre les trois termes multi, cross et omni-canal qui permet d’éviter les incohérences lors des recherches liées aux canaux. Beck et Rygl (2015) soulignent ainsi que deux aspects sont à retenir dans la catégorisation des stratégies liées aux canaux (Figure 5) : l’interaction entre les canaux d’un point de vue client et l’intégration des canaux du point de vue de l’entreprise.

Figure 5. Arbre de catégorisation des distributions multi-, cross-, et omni-canal (Beck et Rygl, 2015, p. 175)

La possibilité pour le client de passer d’un canal à un autre dans son processus de consommation auprès d’une même enseigne est une condition nécessaire mais non suffisante au développement d’une distribution omni-canal. Le client doit en plus être à même de déclencher des interactions entre tous les canaux de l’entreprise, comme lorsqu’il consomme

via son mobile et retire le produit en magasin. En plus de cette possibilité pour le client, le distributeur doit être à même de contrôler les interactions entre les canaux physiques et digitaux, c’est-à-dire une intégration complète de tous les canaux d’un point de vue organisationnel (Beck et Rygl, 2015). Un distributeur pourra être considéré comme omni- canal si le consommateur peut déclencher des interactions entre tous les canaux de l’enseigne et si d’un point de vue organisationnel tous les canaux physiques ou digitaux sont intégrés.

En complément de cette recherche de Beck et Rygl (2015), Saghiri et al., (2017) en se basant sur des études de cas de différents distributeurs (Amazon, Argos, John Lewis, Ocado, Tesco, Westbridge furniture et Wen) proposent un cadre d’analyse pour mieux gérer la complexité liée à l’adaptation des systèmes de distribution à l’omni-canal. Leur cadre d’analyse repose sur trois dimensions :

1. L’intégration entre les canaux liée aux étapes de consommation (avant l’achat, lors du paiement, la livraison et le retour) qui rend l’expérience à travers les canaux fluide sans confusion ni incohérence dans les informations.

2. L’intégration entre les canaux liée aux types de canaux qui renvoie à la synchronisation entre les canaux physiques et digitaux (site internet et mobile notamment) qui doivent communiquer et travailler ensemble.

3. Et enfin, l’intégration entre les canaux liée aux agents pour s’assurer que les agents des différents canaux envoient la même information et fournissent les mêmes produits et services aux clients.

Le point commun entre ce cadre d’analyse et l’arbre de catégorisation proposé par Beck et Rygl (2015) réside dans la capacité organisationnelle à connecter tous les canaux ensemble qu’ils soient physiques ou digitaux pour proposer une expérience de consommation sans couture pour les différents clients.

Nous continuerons ce chapitre en étudiant les enjeux identifiés par Verhoef et al., en 2015 dans leur article ouvrant le numéro spécial de Journal of Retailing sur le passage d’une distribution multi-canal vers une distribution omni-canal. Ces derniers terminent leur article en résumant les futurs enjeux de la mutation vers une distribution omni-canal en identifiant trois champs de recherche principaux : les comportements de consommation à travers les

canaux, les stratégies prix et produits à travers les canaux et l’impact des canaux sur la performance.

Synthèse de la section 1

Nous avons vu dans cette section les différences conceptuelles et empiriques entre les modes de distribution multi-, cross- et omni-canal. Une distribution omni-canal implique plus de canaux et la recherche de synergies entre ces canaux pour proposer une expérience de consommation « sans couture » aux clients. De même, nous avons mis en avant les enjeux relevés par la mutation vers une distribution omni-canal (les comportements de consommation à travers les canaux, les stratégies prix et produits à travers les canaux et l’impact des canaux sur la performance). En nous basant sur ces enjeux de recherche nous organiserons les prochaines sections de ce chapitre en deux parties. Une première basée sur les comportements des consommateurs à travers les canaux et une deuxième sur un aspect plus organisationnel : l’analyse de la performance au regard des canaux et les choix stratégiques inhérents à ces stratégies.

Section 2. Le(s) rôle(s) des consommateurs dans la mutation vers une