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Les cadres d’analyse liés à la recherche sur les business models

Sous-section 2.1. Des cadres d’analyse pour pour l’investigation de business models Pour contribuer à l’investigation des BM, leur conceptualisation et servir d’appui aux managers, nous avons vu dans les sections présentes l’importance des cadres d’analyse pour représenter un BM actuel ou souhaité. La littérature sur les BM propose plusieurs cadres d’analyse. Celui de Hedman et Kalling (2003), le Canvas d’Osterwalder et Pigneur (2004, 2010) ou le RCOV de Lecocq, Demil et Warnier (2006) puis Demil et Lecocq (2010) sont les plus mobilisés par les praticiens ou les académiques.

Un cadre d’analyse se distingue à la fois de l’outil et du cadre théorique (Demil, Lecocq et Warnier, 2015). L’outil fournit une réponse « automatisée » avec des inputs donnés. Le cadre théorique précise des relations de nature causale entre des variables. Le cadre d’analyse, quant à lui, donne un ensemble de variables à prendre en compte pour mener une analyse et prendre des décisions. Il ne fournit pas de réponse toute faite (comme le ferait l’outil). Il ne présente pas non plus de relations causales et donc déterminées entre les variables (comme le ferait un cadre théorique). C’est aux personnes qui mobilisent le cadre d’analyse de décider de l’importance qu’elles donneront aux variables et éventuellement des relations qu’elles créeront entre elles. Le cadre d’analyse laisse ainsi une plus grande place à la créativité et à l’originalité de celui qui le mobilise. Certes, un cadre d’analyse peut s’appuyer sur une théorie, mais il est fait pour mener une analyse et prendre des décisions, en fonction de cette théorie. Par exemple, les cinq forces de Porter constituent un cadre d’analyse (Porter, 1991). Il s’appuie sur les théories de l’économie industrielle mais a été conçu pour aider les dirigeants à identifier les variables pertinentes lors de la prise de décision quant à l’entrée dans un nouveau secteur.

Les cadres d’analyse dédiés au BM, quant à eux, permettent d’identifier les principales composantes sur lesquelles il convient de faire des choix pour définir le BM d’une organisation, mais aussi sur les relations entre ces composantes. Il inclut les ressources et compétences choisies et l’ensemble des activités que réalise l’entreprise pour générer des revenus (Casadesus-Masanell et Ricart, 2010 ; Casadesus-Masanell et Zhu, 2010).

Pour clarifier les niveaux de choix en termes de composantes de BM, Itami et Nishino (2010) distinguent, au sein du BM, le modèle de revenus et le système d’affaires. Le premier est la partie la plus visible de l’entreprise et se compose des flux de revenus et des coûts de l’entreprise. Le deuxième, bien que moins visible est plus important puisqu’il concerne les

choix stratégiques de l’entreprise et détermine le travail à réaliser pour délivrer les produits et services.

Nous avons vu précédemment que la plupart des auteurs s’accordent à propos des composantes, à savoir la proposition de valeur, les sources de revenus, les ressources de l’entreprise ainsi que les mécanismes de gouvernance qui lient l’entreprise, son organisation interne et ses parties-prenantes (Zott et Amit, 2010). Le BM permet à l’entreprise de structurer et organiser ses activités pour proposer une solution aux besoins perçus des clients tout en capturant une partie de la valeur créée en convertissant cette valeur en paiement pour l’entreprise (Teece, 2010).

Des perspectives différentes existent en revanche sur l’intérêt de décrire les relations entre les composantes, et sur la nature de ces relations. Le BM Canvas d’Osterwalder et Pigneur (2004) a fortement contribué à l’essor de l’utilisation du BM dans les entreprises. Ils ont développé une approche basée sur le « design thinking » : une manière de penser basée sur le prototypage. Le BM Canvas va permettre de nourrir une réflexion collective et pratique autour de neuf composantes.

L’aspect visuel de ce modèle constitue une de ses forces puisqu’il pourra notamment permettre le travail collectif au sein de groupe de de projet. De ce fait, il peut aussi bien être mobilisé par un entrepreneur qui souhaite réfléchir à son BM avant de lancer son entreprise qu’à une entreprise déjà existante qui chercherait à repenser son BM.

Figure 7. Le business model Canvas (Osterwalder et Pigneur, 2010)

Par la suite, Osterwalder et Pigneur (opcit) ont catégorisé ces composantes en trois catégories principales :

1. Proposition de valeur : les produits et services fournis par l’entreprise, les besoins clients

2. Modèle de revenus : établissement des prix, canaux de vente et interactions avec les clients

3. Modèle de coûts : ressources et compétences clés, activités fondamentales, partenaires du réseau.

Ce cadre d’analyse a ainsi un aspect très attrayant pour les praticiens puisqu’il qu’il fournit une représentation très visuelle. Il pose les principales questions nécessaires pour penser ou repenser un BM. Cependant, bien que reconnaissant son attrait non négligeable pour les entreprises, certains auteurs regrettent la vision quelque peu statique de ce cadre d’analyse

qui se rapproche finalement de la chaîne de valeur. Nous verrons ainsi dans la sous-section suivante le cadre d’analyse RCOV que nous avons choisi comme cadre orientant (Whyte, 1984 in Ayache et Dumez, 2011) pour cette recherche.

Sous-section 2.2. Le cadre d’analyse RCOV comme cadre orientant la recherche

Le BM canvas ne permet pas de mettre en lumière la richesse potentielle du BM comme programme de recherche. En effet, les composantes sont étudiées par séquence et les interactions entre les composantes sont difficiles à penser étant donné la forme du cadre d’analyse. Le rôle du client est notamment très classique dans le sens où il apparaît comme la cible d’une offre comme dans un modèle classique de stratégie.

Ainsi, Plé et al., (2010 p. 230) regrettent que dans le cadre d’analyse canvas « les clients

sont principalement la cible d’une proposition de valeur et l’origine de sources de revenus. Ils ne sont ni une partie de l’infrastructure, ni un acteur impliqué dans la définition de l’offre ». Ils soulignent que le cadre d’analyse RCOV (Lecocq, Demil, Warnier, 2006 ;

Demil et Lecocq, 2010) fournit une vision moins statique du BM en s’appuyant sur une approche penrosienne de la dynamique de l’organisation (Penrose, 1959). Le développement d’une activité se fait ainsi par une interaction permanente entre des Ressources et Compétences, une Organisation (interne, mais aussi externe du fait des relations avec ses parties prenantes) et des propositions de Valeur mises sur le marché (figure 8). Le client peut alors être considéré soit comme la cible d’une proposition de valeur de manière classique, comme dans la plupart des recherches sur le BM (Plé et al., 2010), soit comme une ressource qui peut participer activement aux différents processus de l’entreprise. Dans ce cas, le client peut être considérée comme une ressource qui va être intégrée à une proposition de valeur et/ou à l’organisation interne ou externe (Plé et al., opcit).

Figure 8. Le cadre d’analyse RCOV (Demil et Lecocq, 2010 p. 34)

Dans les articles de recherche, le cadre d’analyse RCOV est notamment mobilisé pour investiguer les BM étudiés (voir par exemple, Angot et Plé, 2015 ; Plé et al., 2010)). En effet, sa perspective dynamique et sa parcimonie permettent de traiter les BM complexes et leur évolution (Casadesus-Masanell et Ricart, 2010 ; Gassmann, Frankenberger, Sauer, 2016). Par exemple, nous avons vu précédemment l’utilité du cadre d’analyse RCOV pour coder des BM lorsqu’il s’agit d’intégrer la participation du client à l’offre (Plé et al. 2010). Ces derniers proposent ainsi le terme de Customer Integrated Business Model (CIBM) pour conceptualiser la participation du client au BM d’une entreprise (figure 9).

Figure 9. La représentation complète d’un CIBM (Plé et al. 2010 p. 246)

En s’appuyant sur ce cadre d’analyse, Plé et al. (opcit) proposent que les entreprises traitent le client comme une ressource spécifique qui, à la fois, influence et est influencée par la proposition de valeur et par l’organisation externe. Le client doit ainsi être considéré comme une ressource particulière parmi les nombreuses ressources de l’entreprise qui influencent les autres composantes du BM : la proposition de valeur et l’organisation. En se basant sur l’entreprise de vente aux enchères en ligne eBay, les auteurs proposent ensuite un modèle détaillé qui illustre le rôle des clients et les interrelations entre les composantes du BM basées sur le client considéré comme une ressource. Ainsi le BM et le cadre d’analyse RCOV permettent au chercheur de mieux comprendre et analyser les transitions rencontrées par les entreprises et ouvrent la voie à une complémentarité entre les travaux en marketing et en management stratégique. Ainsi, le cadre d’analyse RCOV permettra de mieux comprendre la manière dont les distributeurs traditionnels sont amenés à reconfigurer les composantes de leur BM pour intégrer les différents parcours d’achats des consommateurs à travers les canaux physiques et digitaux.

Synthèse de la section 2

Nous avons présenté dans cette section deux des principaux cadres d’analyse proposés par la littérature sur les BM (Canvas et RCOV). Nous avons sélectionné le cadre RCOV pour sa nature dynamique, sa parcimonie et son interaction étroite entre les différentes composantes pour comprendre le rôle des clients dans les processus organisationnels. Entre outre, il permet au chercheur d’aborder le terrain puis de coder ses données avec un cadre rigoureux. En effet, ce cadre d’analyse est propice à l’investigation scientifique de la manière dont les entreprises repensent leur BM.

Synthèse du chapitre 2

Nous avons vu dans ce second chapitre que le BM permet de structurer et d’organiser les activités de l’entreprise pour que celle-ci, avec ses parties prenantes, apporte une solution aux besoins perçus par les clients ; l’objectif étant de créer de la valeur pour les clients, et de capter une part de cette valeur créée à travers des sources de revenus (Teece, 2010). Dans cette perspective, nous retenons ici la définition du BM de Sorescu et al., (2011, p. 4), pour qui « un BM est un système bien spécifié de structures interdépendantes, d’activités et de

processus qui servent d’organisation à une entreprise dans la logique de création de valeur (pour les clients) et d’appropriation de la valeur (pour elle-même et ses partenaires) ».

Nous avons souligné que nous considérons le BM dans notre recherche comme une représentation conceptuelle de la manière dont une entreprise s’organise pour créer et capturer de la valeur (Massa et al., 2017). Si l’on se réfère aux cinq acceptions du BM proposées par Ritter et Lettl (2018) et en cohérence avec l’interprétation choisie, nous considérons le BM dans notre recherche à la fois comme une description des activités menées par l’entreprise (perspective 1) et comme un ensemble d’éléments qui vont permettre de créer des cadres d’analyse pour conceptualiser et structurer les BM autour des éléments essentiels qui lui permettent de créer et capturer de la valeur (perspective 3).

Ainsi, dans notre recherche, le BM fournit un cadre d’analyse pour investiguer scientifiquement (Baden-Fuller et Morgan, 2010) la manière dont les distributeurs traditionnels sont amenés à repenser les composantes (cadre d’analyse RCOV) de leur BM.

Après avoir présenté les cadres d’analyse Canvas (Osterwalder et Pigneur, 2010) et RCOV (Demil et Lecocq, 2010 ; Lecocq et al., 2006), nous avons souligné que le cadre d’analyse RCOV était plus approprié pour notre recherche du fait de sa nature plus dynamique et des interactions entre les composantes du BM.

Nous allons maintenant étudier comment le BM permet de lier la création de valeur pour le client avec les dimensions organisationnelles, puis présenter la perspective dynamique des BM dans les parties à venir en démontrant que la mutation vers l’omni-canal peut être considérée comme une innovation de BM.

Chapitre 3 : La mutation vers une distribution omni-canal : une