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Le(s) rôle(s) des consommateurs dans la mutation vers une distribution omni-canal

Sous-section 2.1. Un consommateur de plus en plus actif dans le processus de consommation

L’intérêt ici n’est pas tant de réaliser une revue de la littérature uniquement dédiée au rôle grandissant du client et sa capacité à co-créer de la valeur (voir Leclercq, Hammedi et Poncin, 2016), mais plutôt de mettre en avant l’importance du rôle des clients comme élément déclencheur de la mutation vers l’omni-canal. En effet, ce qui est latent dans les travaux sur l’omni-canal, c’est que l’un des principaux éléments de changement vers une distribution omni-canal se trouve dans l’appropriation rapide par les consommateurs des nouveaux outils digitaux mis à leur disposition.

Ceci est confirmé par la définition de la distribution cross-canal proposée par Cao (2014, p. 71) : « le choix des distributeurs sur la manière de mieux satisfaire les clients en attente

d’une expérience de shopping sans couture ». Si les distributeurs ont des choix à faire, ils

dépendent fortement des attentes des clients. Ils sont désormais dans l’obligation de mettre en place des nouveaux outils cross-canaux tels que des inventaires partagés entre le physique et le digital (Gallino et Moreno, 2014). Ces nouveaux outils ont pour objectif d’intégrer les données en ligne et les données physiques pour permettre aux clients de vivre une expérience de consommation sans couture s’il le souhaite. Les canaux sont ainsi mobilisés successivement ou simultanément dans le processus de recherche d’informations et d’achat.

Les clients « grandissent » avec le confort d’un commerce devenant de plus en plus omni- canal et deviennent de moins en moins tolérants vis-à-vis des problèmes qu’ils peuvent rencontrer en magasin. En outre, les comportements de wise shopping (optimisation du budget) et de smart shopping (recherche de la bonne affaire) (Djelassi, Collin-Lachaud et Odou, 2009), sont facilités dans la mesure où les clients peuvent maintenant comparer les prix et services qu’ils soient en magasin ou chez eux (Daunt et Harris, 2017). Ils utilisent toutes les ressources à leur disposition et mobilisent les canaux physiques et digitaux successivement ou simultanément dans le processus de recherche d’informations et d’achat pour vivre une expérience de consommation globale et non plus fragmentée entre les canaux physiques et digitaux. Badot et Lemoine, (2013) utilisent ainsi le terme de commerce ubiquitaire pour évoquer cet aspect de la transformation vers l’omni-canal dans laquelle le consommateur souhaite vivre une « méta shopping expérience » (Badot et Lemoine 2013 p.

7) quand Collin-Lachaud et Vanheems (2016) utilisent le terme d’expérience hybride entre le physique et le digital.

Les consommateurs mobilisent désormais tous les canaux à leur disposition pour obtenir des informations, comparer les prix, selon qu’ils souhaitent contrôler leur temps ou leur budget (Bouzid et Vanheems, 2014). D’ailleurs, si on s’en réfère aux définitions de l’omni-canal précédemment citées (Rigby, 2011 ; Verhoef et al., 2015), le client apparaît toujours comme la cible de la mutation vers l’omni-canal mais aussi comme l’instigateur de cette mutation en adoptant des comportements non anticipés par les distributeurs pouvant conduire à des processus de co-destruction de valeur (Daunt et Harris, 2017).

C’est en effet parce que le client a modifié son comportement de consommation en fonction de son appréhension de l’environnement et notamment de l’utilisation des nouvelles technologies que les distributeurs sont amenés à modifier la manière dont ils gèrent leurs canaux physiques et digitaux. Les recherches en management stratégique ont déjà mis en avant l’influence de la créativité des consommateurs sur la latitude stratégique des entreprises (Plé et Lecocq, 2015) ou sur la nécessité de prendre en compte ses compétences pour co-produire de la valeur avec lui (Prahalad et Ramaswamy, 2004) ou son degré d’engagement pour lui proposer une expérience personnalisable (Ramaswamy et Ozcan, 2014).

De même, les recherches en marketing ont mis en avant la montée en compétence du consommateur désormais considéré comme un partenaire capable de co-créer de la valeur. L’importance du rôle actif des consommateurs est soulignée dans la littérature par l’idée d’un consommateur « travailleur à temps partiel » (Carù et Cova, 2015) à la recherche d’une expérience unique.

Ces dernières années, le marketing est même allé plus loin qu’une simple participation ponctuelle du client dans le processus de création de valeur avec le paradigme de la Service-

dominant-Logic (SDL) proposé par Vargo et Lusch en 2004. Selon ces derniers, l'évolution

historique du marketing souligne le passage d'une logique marchande centrée sur les échanges de produits manufacturés tangibles à une vision beaucoup plus large considérant que tout échange de produits ou de services constitue un service (Vargo et Lusch, 2004, 2008). La SDL est fondée sur une idée fondamentale développée par Bastiat (1848, cité par Vargo et Lusch, 2008) pour qui chaque acteur déploie des compétences pour proposer une offre de service à une tierce personne.

La perspective SDL amène ainsi à ne plus considérer le consommateur comme la cible d’une offre mais comme un acteur qui la co-crée (Vargo et Lusch, 2004, 2008, 2016). Le consommateur devient un partenaire actif et doit être identifié comme une ressource operant car il est capable de générer de nouvelles ressources (Vargo et Lush, 2004). Il s’agit d’un producteur de valeur le plus souvent ignoré par l’entreprise (Marion, 2016).

La transition de la GDL vers la SDL est par ailleurs favorisée par les évolutions technologiques. La technologie en tant que ressource operant permet en effet la création de nouvelles ressources et devient une forme d’institution qui peut avoir un impact sur le marché (Vargo et Lusch, 2016). Les outils technologiques favorisent l’émergence de nouveaux types de consommation et amènent les distributeurs à revoir leur proposition de valeur pour permettre aux clients de bénéficier d’une expérience de consommation dite « sans couture » (Rigby, 2011). Nous allons maintenant présenter plus en détail les recherches liées aux parcours des clients à travers les canaux. Nous étudierons ainsi comment les consommateurs se sont appropriés les différents outils digitaux.

Sous-section 2.2. Les parcours clients à travers les canaux : la construction d’un parcours sur-mesure

Comme évoqué lors de la première section consacrée aux définitions des différents termes liés aux canaux (multi-, cross-, et omni-canal), le client et son utilisation des canaux constituent un des éléments clés de la différenciation entre ces différents termes. En effet, selon la manière dont le client pourra naviguer « sans couture » entre les canaux et surtout s’il pourra faire interagir tous les canaux ou uniquement une partie des canaux entre eux, le distributeur sera considéré comme multi-, cross-, ou omni-canal (Beck et Rygl, 2015). Collin-Lachaud et Vanheems (2016) nuancent quelque peu ce propos. En s’intéressent au vécu de l’expérience des consommateurs, elles soulignent à travers la méthodologie qualitative mobilisée l’importance de donner la parole aux consommateurs. En effet, les clients ne recherchent pas tous forcément une expérience totalement sans couture. S’intéresser au vécu des consommateurs et à une large variété d’expériences d’achat permet de mieux comprendre le sens attribué par les consommateurs à ces expériences catégorisées comme cross-canal dans leur recherche. Cette recherche permet d’apporter un éclairage nouveau sur les parcours suivis qui sont en majorité cross-canaux ou mixtes (Vanheems, 2009). Elle dessine ainsi les contours d’un consommateur compliqué à appréhender pour les

distributeurs et qui n’est pas simplement à la recherche de prix plus bas lorsqu’il adopte un processus de consommation mêlant plusieurs canaux. Ces processus de consommation mobilisant plusieurs canaux sont souvent qualifiés de showrooming (lorsqu’un client profite d’une visite en magasin pour concrétiser un achat en ligne) ou de webrooming (quand un client recherche des informations en ligne pour concrétiser un achat en magasin). Ces pratiques bien qu’orientées vers une optimisation des coûts ont cependant une portée plus large.

En effet, en analysant les pratiques de showrooming Gensler, Neslin et Verhoef (2017) montrent que la volonté d’optimiser les coûts est bien un antécédent de la pratique de

showrooming mais qu’elle n’est pas la seule variable importante. Ils observent que des

facteurs non liés au prix jouent un rôle décisif dans la décision d’adopter une pratique de

showrooming ou non. Ainsi, les pratiques de showrooming n’ont pas un intérêt uniquement

monétaire, ou en tout cas pas directement, puisque les consommateurs souhaitent non seulement optimiser leurs coûts à travers une recherche du prix les plus bas mais aussi obtenir des produits d’une qualité supérieure.

En outre, Gensler et al., (2017) distinguent trois types de variables contextuelles qui vont influencer la décision d’adopter une pratique de showrooming ou non :

- Les variables liées aux consommateurs :

- Le plaisir à vivre une expérience de shopping

- Le plaisir à donner des conseils aux autres sur la consommation - La faculté à utiliser internet

- La connaissance du produit

- La propension à anticiper des regrets

- Les variables liées à l’expérience de shopping : - La pression liée aux contraintes temporelles - La fidélité au distributeur physique

- Les variables liées au produit :

- Le risque lié à la performance du produit - Le prix

- La catégorie de produit

Ainsi, l’ensemble de ces facteurs démontrent la multiplicité des variables qui vont influencer le consommateur lorsque celui-ci va décider ou non d’adopter un comportement de

showrooming, ils apportent un éclairage pour les distributeurs physiques sur les éléments à

mettre en place pour éviter que les consommateurs ne concrétisent leur achat chez un concurrent en ligne après avoir visiter le magasin. En plus de ces variables, Heitz-Spahn, Belaud et Yildiz, (2018) mettent en avant le rôle de l’urgence d’achat dans l’intention de quitter le magasin pour effectuer l’achat en ligne. Selon la catégorie de produit, l’écart entre le prix en magasin et le prix constaté en ligne va constituer une variable modératrice de l’intention de quitter le magasin plus ou moins forte. Ainsi, en tenant compte de ces caractéristiques, les distributeurs physiques peuvent développer des moyens de lock-in (Zott et Amit, 2011) pour faire en sorte que les consommateurs continuent d’acheter dans les magasins physiques. La présence des vendeurs en magasin peut notamment limiter les différents risques perçus lors de l’acte d’achat.

Dans la même lignée, la recherche de Heitz-Spahn (2014) met en lumière la diversité des facteurs motivant les individus à adopter des comportements cross-canaux/cross-enseignes selon la génération. L’ensemble des trois générations étudiées (Baby-boomers, X et Y) adoptent ce type de comportement pour des motivations utilitaires mais la génération Y se distingue notamment par la recherche de motivation plus hédoniques avec des besoins d’interactions sociales et d’expériences récréationnelles plus importants. La digitalisation de la distribution et le nombre de points de contacts croissant a en effet permis de générer de nouvelles expériences clients et entraîne de nouvelles interactions sociales entre les consommateurs (Kannan et Li, 2017).

Cette même notion de plaisir lors de l’expérience cross-canal est aussi mise en avant par Collin-Lachaud et Vanheems, (2016). Ces dernières soulignent que la navigation à travers les canaux a une influence sur la perception du temps et de l’espace et permet aux consommateurs de mieux les contrôler. La disponibilité de l’offre en ligne 24H sur 24 et 7 jours sur 7 permet au consommateur d’accéder à une offre large et variée n’importe où n’importe quand et ce notamment grâce à son smartphone (Grewal et Stephen, 2019).

Ce dernier affecte de manière considérable le processus de consommation. Wang, Malthouse et Krishnamurthi (2015) ont étudié la manière dont le mobile affectait les comportements d’achats des clients. Ils soulignent l’importance grandissante du M-commerce (achat via le mobile) et mettent en lumière les raisons principales qui mènent à l’achat via le mobile. Les consommateurs l’utilisent notamment grâce à son aspect pratique et achètent principalement des produits dont ils ont l’habitude. L’achat via mobile fait partie de leur routine. Les

distributeurs traditionnels, habitués à gérer les comportements de consommation en magasin doivent donc repenser la manière dont ils utilisent leurs ressources et développent leurs compétences pour mettre en place des plateformes mobiles de qualité. Par exemple, il est préférable d’éviter de mettre en avant des innovations ou promouvoir des produits qui nécessitent une considération importante via le mobile (Wang, Malthouse et Krishnamurthi opcit).

Outre sa fonction transactionnelle, le mobile fait partie intégrante de l’expérience de consommation et notamment de l’aspect social de la consommation. Grâce au mobile, les consommateurs peuvent entrer en contact avec des amis ou d’autres consommateurs pour demander des conseils techniques sur un produit ou même un simple avis en étant au sein même du magasin (Collin-Lachaud et Vanheems, 2016).

Synthèse de la section 2

Nous avons vu dans cette section que le consommateur contrôle désormais mieux le temps et l’espace dans son processus de consommation et navigue à son gré au sein des sphères réelles et virtuelles (Badot et Lemoine, 2013). Maintenant que nous comprenons un peu mieux le consommateur et son appropriation des canaux, nous allons étudier la réponse des distributeurs traditionnels et la manière dont eux aussi se sont appropriés cet écosystème, pas forcément nouveau, mais très dynamique. En effet, si la transition vers une distribution omni-canal permet une expérience de plus en plus confortable pour les clients, elle rend les choses plus complexes à gérer pour les managers amenés à mettre en place une distribution mêlant plusieurs canaux (Ailawadi et Farris, 2017 ; Collin-Lachaud et Longo, 2018).

En effet, Beck et Rygl (2015) soulignent qu’une distribution omni-canal dépend de la capacité du distributeur à maîtriser les interactions entre les canaux physiques et digitaux qu’il met au service de ses clients. Nous allons maintenant analyser la littérature relative à la maîtrise des canaux par les distributeurs et notamment celles liées à l’impact des canaux sur les stratégies de distribution (stratégies d’assortiment et de prix à travers les canaux) et leurs performances.

Section 3. L’influence de la mutation vers une distribution omni-canal sur