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G LOSES LOSES & A & A BRÉVIATIONS BRÉVIATIONS

3. Liste des abréviations

0.2. Cadre théorique

0.2.1. Une approche typologique

Dans ce travail, nous adoptons une approche typologique. Par « approche typologique », nous faisons référence à l'approche développée notamment par Croft (1990), Haspelmath (2001), Creissels (2006a, 2006b) ou Shopen (2007). La typologie linguistique peut être définie comme « l'étude systématique de la variation de la structure des langues, et des limites de cette variation »3

(Comrie et al. 2013). Ainsi, la diversité des langues (ou diversité translinguistique4) constitue le cœur de l'étude typologique. En outre, l'approche typologique est intimement liée à la linguistique descriptive. En ce sens, nous pouvons considérer que la Théorie Linguistique de Base (Basic

Linguistic Theory) développée par Dixon (2010) s'inscrit également dans une approche typologique.

Fournir une présentation générale et détaillée de la ou des approches typologiques dépasse largement le cadre de cette section. Pour cela, nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage de Croft (1990), aux premiers chapitres des ouvrages édités par Haspelmath (2001), ou encore à l'article de Lazard (1998). L'objectif de cette section est de présenter les éléments de l'approche typologique pertinents pour appréhender notre travail.

0.2.1.1. Les limites de la dichotomie formalisme-fonctionnalisme

Un grand nombre de travaux typologiques posent une dichotomie entre fonctionnalisme et formalisme. La typologie serait intimement liée au fonctionnalisme, au point de parler d'approche typologico-fonctionnelle (functional-typological approach). Elle s'opposerait à l'approche formelle défendue par l'école chomskyenne. Cette vision est notamment défendue par Croft (1990) ou Givón (1990, 2001).

Suivant Creissels (2006a : 3-5), nous rejetons cette dichotomie, dont les termes ont été mal posés. En effet, elle repose sur une confusion entre « formalisme », « grammaire générative » et « grammaire générative transformationnelle ». Ces trois termes, bien que plus ou moins liés les uns aux autres, ne sont pas assimilables. La grammaire générative transformationnelle, c'est-à-dire

3 « the systematic study of the ways in which the languages of the world vary structurally and of the limits to this

variation »

4 Nous employons le terme « translinguistique » comme un équivalent du terme « cross-linguistic ». Nous préférons éviter le terme « interlinguistique » en raison de son utilisation en sciences du langage pour désigner des notions très différentes.

l'ensemble des théories développées au sein de l'école chomskyenne (Théorie du Gouvernement et du Liage, Programme Minimaliste), ne constitue qu'une partie des théories générativistes. À partir de la fin des années 1970, des courants proposant des grammaires génératives non transformationnelles ont commencé à émerger. C'est notamment le cas de la Grammaire Syntagmatique guidée par les Têtes (Head-driven Phrase Structure Grammar). Par ailleurs, les grammaires génératives ne sont pas les seules théories formelles. Par exemple, la Théorie Sens-Texte (Meaning-Text Theory) propose un modèle formel dans le cadre des grammaires de dépendance. En outre, « il existe des théories, notamment celles développées autour de Dik (Functional Grammar) et de Van Valin (Role and Reference Grammar) qui s'affichent comme ‘fonctionnalistes’ tout en proposant une précision dans la formalisation largement supérieure à ce qu'on trouve dans le courant chomskyen » (Creissels 2006a : 3-5).

Il n'y a donc aucune incompatibilité théorique réelle entre « fonctionnalisme » et « formalisme ». Au sens strict, le formalisme peut être entendu comme « le souci de proposer des descriptions aussi précises, explicites et logiquement cohérentes que possible » (Creissels 2006a : 4). Ainsi ces deux approches ne s'opposent pas, mais sont plutôt complémentaires.

Ainsi, nous considérons que l'approche typologique ne s'inscrit pas nécessairement dans un cadre fonctionnaliste strict, et ne s'oppose pas nécessairement aux théories proposant des formalisations. Il n'y a aucune opposition de principe entre typologie et formalisation.

0.2.1.2. Typologie et modèles théoriques

Dans ce travail, nous adoptons la même approche éclectique que Creissels (2006a, 2006b). Cette approche « consiste à examiner à la fois, d'une part les descriptions de langues aussi variées que possible, d'autre part les propositions de théoriciens d'orientations diverses, pour essayer de dégager les notions qui dans l'état actuel des choses semblent permettre de rendre compte de façon optimale des connaissances déjà acquises sur la diversité des structures syntaxiques des langues, sans perdre de vue bien sûr la nécessité d'intégrer ces notions en une synthèse cohérente » (Creissels 2006a : 2). Dans les faits, la plupart des travaux relevant de la typologie ou de la linguistique descriptive adoptent ce type d'approche.

Cette approche, en ne s'inscrivant explicitement dans aucun cadre théorique précis, est parfois présentée comme « athéorique » par ceux qui l'emploient. Cependant, selon Dryer (2006), cette approche correspond en fait à celle de la Théorie Linguistique de Base (Basic Linguistic Theory) développée par Dixon (2010). Même s'ils ne le disent pas explicitement, la plupart des typologues

travaillent de facto dans le cadre de cette théorie. Ainsi, selon Creissels (2015b : 20) :

« Une caractéristique essentielle de la théorie linguistique de base est son caractère cumulatif. Elle a émergé de la pratique de la description des langues de plus en plus nombreuses et diverses, et chaque description d'une nouvelle langue est susceptible de l'enrichir. On insiste souvent sur les querelles théoriques en linguistique, mais si on observe la pratique de la description des langues, ce qui frappe au contraire c'est la convergence remarquable entre des descripteurs qui pourtant dans l'ensemble ne sont pas particulièrement soucieux d'expliquer leur cadre théorique (et qui prétendent même souvent ne pas en avoir). Le mérite de Dixon et de quelques autres théoriciens se situant dans la même perspective a été de tenter d'expliciter cette convergence ainsi que la cohérence théorique qui la sous-tend. »

Ainsi, la Théorie Linguistique de Base correspond à l'approche adoptée de facto par la plupart des typologues et des linguistes pratiquant la description de langues. Le rôle de Dixon (2010) a été de développer cette approche de manière explicite et systématique.

Notre travail s'inscrit donc essentiellement dans le cadre de cette théorie, notamment pour les Parties I, II et IV. Dans la Partie III, nous adoptons une approche constructionnelle. Ces deux approches ne s'opposent pas, mais sont complémentaires (§ 0.2.2).

0.2.1.3. Le problème de la comparabilité translinguistique

Dans le cadre d'une étude typologique, il est nécessaire de s'assurer de la comparabilité des données (Croft 1990 : 11-18). « Chaque langue dispose de sa propre sélection de notions grammaticalisées et sa manière spécifique de les organiser en un système grammatical. Mais il y a des similitudes entre les systèmes grammaticaux. » (Lazard 1992 : 58). La question qu'on est alors tenu de se poser est la suivante : existe-t-il des catégories translinguistiques ? Suivant Lazard (1992) et Haspelmath (2010), nous considérons qu'il n'existe pas, à proprement parler, de catégories translinguistiques, mais plutôt « des notions invariantes autour desquelles les catégories des langues particulières, en quelque sorte, se cristalliseraient préférentiellement. » (Lazard 1992 : 61).

Chaque langue dispose de ses propres catégories. Pour décrire une langue, le linguiste doit créer un ensemble de catégories descriptives adéquates (Haspelmath 2010 : 664). Ces catégories sont souvent similaires d'une langue à l'autre. « Mais cette ressemblance n'est jamais une identité » (Lazard 1992 : 59). Considérer que la même catégorie est commune à plusieurs langues ne permet

pas de rendre compte des similitudes et des différences entre ces langues (Haspelmath 2010 : 664). Ainsi, le typologue doit à la fois prendre en compte la spécificité des langues particulières (différences entre les catégories grammaticales à travers les langues) et dépasser ces différences pour permettre la comparaison. Pour ce faire, il convient d'utiliser ce que Haspelmath (2010) appelle des « concepts comparatifs ».

Les concepts comparatifs sont des concepts créés par le linguiste dans le but précis d'effectuer des comparaisons translinguistiques. À la différences des catégories descriptives, les concepts comparatifs ne sont pas liés au système grammatical d'une langue particulière. En outre, les concepts comparatifs sont souvent nommés de la même façon que les catégories descriptives, mais leur relation n'est pas biunivoque. Un concept comparatif peut présenter un ensemble de propriétés plus large que la catégorie descriptive « correspondante » dans une langue donnée et, inversement, la catégorie descriptive d'une langue peut correspondre à plusieurs concepts comparatifs. Enfin, les concepts comparatifs sont universellement applicables, et sont définis sur la base d'autres concepts universellement applicables : concepts sémantico-conceptuels universels, concepts formels généraux et autres concepts comparatifs (Haspelmath 2010 : 665).

0.2.1.4. Le caractère explicatif de la diachronie

Depuis Saussure (1916 : 114-140), la linguistique a coutume de nettement séparer l'approche synchronique de l'approche diachronique. Selon cet auteur, ces deux approches reposent sur des méthodologies et des objectifs distincts. Néanmoins, si cette distinction semble bien convenir à une étude purement descriptive (rédaction de grammaire, description d'un aspect précis d'une langue, etc.), elle ne doit pas être perçue comme une barrière théorique infranchissable. De fait, le recours à la diachronie s'avère souvent indispensable pour expliquer les propriétés de certaines constructions ou la place qu'elle occupe au sein de la langue.

Comme le note Bybee (2010 : 110), les constructions d'une langue sont le résultat de plusieurs changements ayant eu lieu au cours de l'évolution de cette langue. Elles peuvent donc présenter plusieurs propriétés idiosyncrasiques en synchronie, qui ne peuvent être expliquées sans avoir recours à la diachronie. D'une manière générale, la diachronie peut être prise en compte pour expliquer des situations observables en synchronie : « les langues sont en perpétuel changement, ce qui autorise à penser que, si un type d'organisation est peu ou pas du tout attesté, c'est probablement parce qu'il n'est pas l'aboutissement d'un type fréquent de changement linguistique, alors que les types d'organisation particulièrement bien attestés doivent constituer l'aboutissement de

changements qui tendent à se produire fréquemment dans l'histoire » (Creissels 2006a : 6).

Les travaux élaborés dans le cadre de la théorie de la grammaticalisation ont permis de montrer qu'il existe des régularités dans les changements grammaticaux, expliquant ainsi pourquoi certains types d'organisation sont largement attestés alors que d'autres semblent n'apparaître dans aucune langue (Bybee 1988 ; Bybee et al. 1994 ; Heine & Kuteva 2002). Par exemple, dans les langues possédant une syntaxe rigide, le verbe est soit en position initiale, soit en position finale, soit situé après un (plus rarement deux) éléments de la constructions ; mais il n'existe aucune langue où il soit situé en position pénultième (Creissels 2006a : 6).

Plusieurs travaux, élaborés notamment dans le cadre de la linguistique cognitive, considèrent la langue comme un système complexe adaptatif (Ellis & Larsen-Freeman 2009). Selon cette approche, la langue est un système en perpétuelle évolution, façonné par divers facteurs comme les interactions sociales ou des processus cognitifs (Beckner et al. 2009). Cette approche permet une analyse unifiée des divers phénomènes linguistiques qui semblent a priori non liés les uns aux autres. Elle permet notamment d'intégrer les observations synchroniques avec les modèles diachroniques (Bybee 2010 : 194). En effet, la langue étant un système en perpétuelle évolution, il semble a priori difficile de l'analyser sans prendre en compte les diverses étapes de son évolution ainsi que les facteurs à l'origine de ces étapes : « le changement linguistique n'est pas uniquement un phénomène périphérique que l'on peut ajouter à une théorie synchronique ; il faut considérer que la synchronie et la diachronie forment un tout » (Bybee 2010 : 105). Ainsi, au delà du cadre de la typologie, seule la diachronie nous fournit des arguments pour expliquer le caractère arbitraire de certaines constructions observables en synchronie (Bybee 2010 : 110).