• Aucun résultat trouvé

Le parfait est exprimé par deux constructions prédicatives distinctes : parfait (affirmatif) et parfait négatif. Ainsi, contrairement aux constructions focalisantes (FOCS, FOCC, FOCV) où le trait « tiroir verbal » est exprimé par une construction prédicative et le trait « polarité » par un suffixe

47 Nous avons également ajouté les trois constructions prédicatives négatives présentant une structure particulière. 48 Dialo (1981a) fournit une description exhaustive des formes des constructions prédicatives. Church (1981) apporte

en plus une description des emplois et des hypothèses diachroniques. Robert (1991) fournit une description détaillée des propriétés sémantiques et pragmatiques de ces constructions.

49 L'inventaire des lettres utilisées pour les schèmes de prédication est tiré de Creissels (1991 : 405) et Creissels (2008 : 77).

verbal, au parfait ces deux traits sont indissociables.

2.1.1. Le parfait

Cette construction est appelée « terminatif » par Fal (1999), « aspect accompli » par Sauvageot (1965), « énonciatif » par Dialo (1981a) et Church (1981), et « mise en relief du verbe » par Diouf (2009). Nous préférons utiliser le terme « parfait », emprunté à Robert (1991), en raison de sa pertinence sémantique ainsi que de son utilisation dans la plupart des travaux typologiques de référence tels que Comrie (1976 : Ch. 3), Dahl (1985 : 129-153), Bybee & Dahl (1985 : 67-77) et Timberlake (2007 : 289-292).

Le parfait se caractérise par la présence du marqueur prédicatif na placé immédiatement après le verbe ; ce dernier se situant en tête de phrase. On note que le marqueur prédicatif tombe à la deuxième personne du singulier et du pluriel, et que la troisième personne du singulier n'est pas marquée pour la personne.

Tableau 2.1 - Paradigme personnel du parfait

SG PL

SG PL

MP SUJ MP SUJ

1 na -a na -nu naa nanu

2 Ø -nga Ø -ngeen → nga ngeen

3 na -Ø na -ñu na nañu

Cette construction présente une structure syntaxique S V p-s O avec des arguments lexicaux (12a) et V p-s =o avec des arguments pronominaux (12b).

12) a. S V =p-s O

Xale =yi lekk =na-ñu ceeb.

enfant =CLy:DF.PX manger =PRF-S3PL riz ‘Les enfants ont mangé du riz.’

b. V =p-s =o Lekk =na-a =ko.

manger =PRF-S1SG =O3SG

La valeur principale de cette construction est celle d'un parfait, c'est-à-dire une catégorie qui indique qu'une situation est décrite comme étant pertinente (relevant) au moment de l'énonciation ou à un autre moment de référence (Bybee & Dahl 1985).50 Tous les emplois identifiés par Robert (1991 : 41-59) sont cohérents avec cette valeur.

Comme c'est le cas dans d'autres langues (Schaden 2007 : 17), le parfait wolof a plusieurs lectures, c'est-à-dire qu'il n'est pas toujours interprété de la même façon. Il peut être utilisé pour indiquer qu'une situation a eu lieu au moins une fois avant le moment de référence (13a-b). Cette lecture correspond au « parfait expérientiel » de Comrie (1976 : 58-59) ou à la « lecture existentielle » de Schaden (2007 : 17).

13) a. Tux =na. (Robert 1991 : 46) fumer =PRF.S3SG

‘Il a (déjà) fumé (inutile lui offrir une cigarette).’

b. Dem =na Màkka juróomi yoon. (Diouf 2003 : 177) partir =PRF.S3SG La_Mecque cinq:GEN.PL fois

‘Il est allé cinq fois à La Mecque.’

Le parfait peut également être utilisé pour indiquer que le point de référence est perçu comme le résultat d'une situation qui lui est antérieure, ou comme le résultat d'une attente. En (14a), nelaw (dormir) est perçu comme le résultat de la situation jooy nañu xiif (ils ont pleuré de faim). En (14b),

bu yàgg (depuis longtemps) mesure l'état résultant d'une situation antérieure, à savoir l'arrivée de

l'enfant. En (14c), lekk naa (j'ai mangé) est perçu comme le résultat d'une attente ou d'un objectif que le locuteur s'est fixé. En (14d), néeg bi set na (la chambre est propre) est à la fois perçu comme un changement d'état et comme le résultat d'une attente du locuteur. En (14e), par contre, buum bi

gudd na (la corde est longue) ne peut pas être perçu comme un changement d'état, mais uniquement

comme le résultat d'une attente du locuteur (Robert 1991 : 41-59). Cette lecture correspond au « parfait de résultat » de Comrie (1976 : 56-58) ou à la « lecture résultative » de Schaden (2007 : 18).

14) a. Jooy =na-ñu xiif ba nelaw. (Robert 1991 : 44) pleurer =PRF-S3PL avoir_faim jusque dormir

‘Ils ont pleuré de faim jusqu'à en tomber de sommeil.’

b. Xale =bi agsi =na bu yàgg. (Diouf & Yaguello 1991 : 172) enfant =CLb:DF.PX arriver =PRF.S3SG CLb:REL durer

‘L'enfant est arrivé depuis longtemps.’

c. Demb ba tey mënuma lekk, (Robert 1991 : 44) hier jusque aujourd'hui pouvoir:PRF;NEG:S1SG manger

wande tey lekk =naa.

mais aujourd'hui manger =PRF.S1SG

‘Depuis hier je n'arrivais pas à manger, mais aujourd'hui j'ai (réussi à) mangé.’ d. Néeg =bi set =na ! (Robert 1991 : 56)

chambre =CLb:DF.PX être_propre =PRF.S3SG

‘(Ça y est) la chambre est propre !’

e. Buum =bi gudd =na. (Robert 1991 : 57) corde =CLb:DF.PX être_long =PRF.S3SG

‘(Ça va) la corde est assez longue.’

En revanche, le parfait wolof n'a pas de « lecture universelle » (Schaden 2007 : 17-18) ou d'emploi de « parfait de situation persistante » (Comrie 1976 : 60) ; c'est-à-dire qu'il n'est pas la construction non marquée pour indiquer qu'une situation a débuté avant le moment de référence, mais continue d'être en cours au moment de référence. Notons que l'absence de « lecture universelle » n'est pas propre au parfait wolof. Selon Comrie (1976 : 60), cette lecture semble caractéristique de l'anglais. En français et en allemand, ce type de situation est plutôt exprimé par le présent simple (Schaden 2007 : 18). En wolof, ce type de situation est exprimé par une autre construction prédicative, généralement un présentatif (15a), ou une focalisation du verbe (15b). Le parfait reste possible, mais il semble que son emploi soit uniquement attesté avec certains verbes comme yàgg (durer) (15c). Dans ce cas, la « situation persistante » n'est pas exprimée par le parfait, mais plutôt par le verbe.

15) a. Ndox =ma=a ngi=y wal ca suba ba léegi. (Diouf 2003 : 359)

eau =CLm:DF=PRST:PX=IPF couler PREP:DT matin jusque maintenant ‘L'eau coule depuis ce matin.’

b. Ba nga =ko teree foyi ba tey (Diouf 2003 : 359)

TEMP S2SG =O3SG interdire:ANT jouer:AND jusque aujourd'hui

dafa singali Omar.

FOCV.S3SG être_désagréable_avec Omar

‘Depuis que tu lui as défendu d'aller jouer, il est désagréable avec Omar.’

c. Ndaw =sii yàgg =na=a jaay gerte-caaf. (Diouf 2003 : 145) dame =CLs:DEM.PX durer =PRF.S3SG=DV vendre cacahuète

‘Cette dame vend des cacahuètes depuis longtemps.’

Le parfait wolof n'est pas non plus la construction non marquée pour exprimer un passé proche ; ce que Comrie (1976 : 60-61) nomme « parfait de passé récent » et Schaden (2007 : 18-19) nomme « parfait d'antériorité immédiate ». En effet, ce type de situation est généralement exprimé par le verbe sog (venir de) (16a-b). Comme pour la « lecture universelle », cette situation n'est pas propre au wolof. En français ou en espagnol, l'antériorité immédiate est également exprimée par une périphrase verbale (ce qui est visible dans la traduction des exemples (16a-b)). De plus, en anglais ou en allemand, l'introduction d'un adverbe (respectivement just et gerade) semble indispensable pour cette lecture (Schaden 2007 : 18).

16) a. Ndaje =ma=a ngi sog=a tàmbali. (Diouf 2003 : 586) réunion =CLm:DF=PRST:PX venir_de=DV commencer

‘La réunion vient de commencer.’

b. Mu =ngi=y sog=a ñów. (Dialo 1981a : 14)

PRO3SG =PRST:PX=IPF venir_de=DV venir ‘Il vient d'arriver.’

Par ailleurs, le parfait est la seule construction prédicative (avec le minimal) à ne pas pouvoir former des prédicats non verbaux (17a) (Robert 1991 : 38). Enfin, on remarque qu'avec le verbe auxiliaire d'imperfectif, cette construction exprime un futur (17b). Cette forme tend à se grammaticaliser et peut être analysée comme une nouvelle construction prédicative en wolof contemporain (§ 2.2).

17) a. *Kii di=na sama xarit.

CL.HUM;SG:DEM.PX COP=PRF.S3SG POSS1SG ami

b. Di=na-a =fa dem ëllëg. (Diouf 2003 : 114)

IPF=PRF-S1SG =CL.LOC:DF.DT partir demain ‘J'irai là-bas demain.’

2.1.2. Le parfait négatif

Cette construction est appelée « négatif accompli » par Sauvageot (1965), « énonciatif négatif » par Dialo (1981a), « négatif accompli » par Church (1981), et « négatif » par Robert (1991). Nous préférons utiliser le terme « parfait négatif » car cette construction est l'équivalent négatif du parfait (Robert 1991 : 292).

Le parfait négatif est l'une des deux seules (avec l'impératif) constructions prédicatives synthétiques de la langue. Il se caractérise par la présence du marqueur -u(l) amalgamé au pronom sujet et suffixé au verbe. Le suffixe -u(l) occupe donc une position morphosyntaxique similaire à celle du marqueur prédicatif na. Par ailleurs, le -l final du suffixe tombe devant les indices pronominaux et les pronoms clitiques (Diouf 2009 : 165). On note que la troisième personne du singulier n'est pas marquée pour la personne.

Tableau 2.2 - Paradigme personnel du parfait négatif

SG PL

SG PL

NEG SUJ NEG SUJ

1 -u -ma -u -nu -uma -unu

2 -ul -oo -ul -een -uloo -uleen

3 -u(l) -Ø -u -ñu -u(l) -uñu

Cette construction présente une structure syntaxique S V-p-s O avec des arguments lexicaux (18a) et V-p-s =o avec des arguments pronominaux (18b).

18) a. S V-p-s O Xale =yi lekk-u-ñu ceeb.

enfant =CLy:DF.PX manger-PRF;NEG-S3PL riz ‘Les enfants n'ont pas mangé de riz.’

b. V-p-s =o

Lekk-u-ma =ko.

manger-PRF;NEG-S1SG =O3SG

‘Je ne l'ai pas mangé.’

On peut s'interroger sur la pertinence d'analyser cette construction comme un « parfait négatif ». En effet, le marqueur prédicatif du parfait na n'apparaît pas, le paradigme des pronoms sujets est formellement différent (19a-b). De plus, le marqueur du parfait négatif -ul semble occuper la même position que celle du marqueur du parfait affirmatif na, mais leurs statuts morphosyntaxiques diffèrent : -ul est clairement un suffixe alors que na doit plutôt être analysé comme un clitique (§ 5.1.5). Enfin, le marqueur de passé (w)oon est suffixé au verbe lexical au parfait affirmatif (20a), alors qu'il se place après les clitiques pronominaux au parfait négatif (20b).

19) a. Dem =na-a.

partir =PRF-S1SG

‘Je suis parti.’ b. Dem-u-ma.

partir-PRF;NEG-S1SG

‘Je ne suis pas parti.’ 20) a. Gis-oon =na-a =ko.

partir-PAS =PRF-S1SG =O3SG

‘Je l'avais vu.’

b. Gis-u-ma =ko =woon.

partir=PRF;NEG-S1SG =O3SG =PAS

Néanmoins, la valeur principale de cette construction est celle d'un parfait négatif. Comme pour le parfait affirmatif, le parfait négatif a plusieurs lectures. Il peut avoir une « lecture existentielle », c'est-à-dire qu'il peut être utilisé pour qu'une situation n'a pas eu lieu avant le moment de référence (21a). Il peut également avoir une « lecture résultative », c'est-à-dire qu'il peut être utilisé pour indiquer que le résultat d'une attente (21b) ou d'une situation antérieure au moment de référence (21c).

21) a. Dem-u-ma ca suul =ba. (Diouf 2003 : 324) partir-PRF;NEG-S1SG PREP:DT enterrement =CLb:DF.DT

‘Je ne suis pas allé à l'enterrement.’ b. Fecc-ul. (Robert 1991 : 290)

danser-PRF;NEG.S3SG

‘Elle ne danse pas. / Elle ne veut pas danser.’

c. Garab =gi màgg-ul. (Robert 1991 : 290) arbre =CLg:DF.PX grandir-PRF;NEG.S3SG

‘L'arbre n'a pas grandi.’

De plus, le parfait négatif constitue la seule manière d'exprimer à la fois le parfait et la négation. Cette construction occupe donc les cellules correspondant aux propriétés morphosyntaxiques {TIRV prf, POL –} dans le paradigme des verbes du wolof.