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DU SYSTÈME SYSTÈME DE DE PRÉDICATION PRÉDICATION VERBALE VERBALE

1.2. Approche typologique de la flexion verbale

D'un point de vue typologique, la prédication verbale nécessite généralement une forme fléchie du verbe portant une ou plusieurs informations grammaticales. La flexion verbale peut être définie comme le marquage morphologique de ces informations (ou catégories) grammaticales sur un lexème verbal (Booij 2012 : 101). Il n'existe pas de liste « universelle » de catégories grammaticales encodées dans la flexion verbale. Néanmoins, certaines catégories sont particulièrement fréquentes : accord, temps, aspect, mode,30 polarité, voix (Bybee 2000 : 804-805 ; Givón 2001 : 69 ; Creissels 2006a : Ch. 10 ; Booij 2012 : § 6.2) :

• L'accord consiste en des indices pronominaux représentant un ou plusieurs arguments du verbe, généralement le sujet, plus rarement l'objet (Creissels 2006a : 169 ; Booij 2012 : 141). L'accord concerne essentiellement la personne (locuteur [1er], allocutaire [2e], référent extérieur à la situation d'énonciation [3e]), le nombre (singulier, pluriel), et le genre (ou la classe nominale) (Corbett 2006 : 125-132 ; Givón 2001 : 399).

• La catégorie « temps » peut être définie comme l'expression grammaticale de la localisation du prédicat dans le temps (Comrie 1985a : 9), ou plus précisément comme « la relation entre le moment de l'énonciation et le moment où est situé l'événement que représente l'énoncé » (Creissels 2006a : 181). Ainsi, on distingue généralement le passé, le présent et le futur (Comrie 1985a : 36).

• L'aspect renvoie aux différentes manières de concevoir le déroulement temporel du procès (Comrie 1976 : 3). On peut ainsi opérer une distinction entre le perfectif, qui indique que la situation est vue comme un tout, sans distinction des diverses phases qui la constituent, et l'imperfectif qui explicite la structure interne de la situation (Comrie 1976 : 16).

• Le mode concerne le statut de la proposition qui dénote le procès (Palmer 2001 : 1), ou « la

30 Les catégories « temps », « aspect » et « mode » sont généralement rassemblées sous l'étiquette TAM ou TMA suivant les auteurs.

façon dont l'énonciateur prend en charge l'énonciation » (Creissels 2006a : 181). On peut ainsi opérer une distinction entre le realis et l'irrealis. Le realis renvoie à une situation qui a lieu ou qui a eu lieu, et dont on peut prendre connaissance par une perception directe. L'irrealis renvoie à une situation purement imaginaire, dont on peut prendre connaissance uniquement par le biais de l'imagination (Palmer 2001 : 1).

• La polarité renvoie à l'opposition négatif / affirmatif (ou positif). L'expression de la polarité dans le système de flexion verbale est très courant dans les langues africaines (Creissels et al. 2008 : 104).

• La voix désigne une relation régulière entre un changement morphologique du verbe et un changement dans sa valence (Creissels 2006a : 173). Par exemple, on peut identifier dans certaines langues une voix passive, c'est-à-dire « un mécanisme qui, opérant sur un verbe transitif, produit une forme intransitive dérivée dont le sujet reçoit exactement le même rôle sémantique que l'objet de la construction transitive » (Creissels 2006b : 9).

Dans certaines langues, d'autres catégories grammaticales sont également encodées dans la flexion verbale : la modalité énonciative (déclaratif / interrogatif / impératif), la structure informationnelle (notamment la focalisation d'un argument du verbe), l'évidentialité (façon dont l'énonciateur a accès à l'information qu'il livre)31 ou encore la familiarité (forme familière / forme de respect / forme neutre) (Creissels 2006a : 170-172 ; Givón 2001 : 78). L'expression de la focalisation dans le système de flexion verbale est très rare à l'échelle mondiale, mais est particulièrement fréquente dans les langues africaines. Dans un grand nombre de langues appartenant à différentes branches de la famille Niger-Congo ou à la famille couchitique, les constructions de focalisation du prédicat ou d'un argument du verbe sont intégrées au système de flexion verbale (Creissels et al. 2008 : 104-105).

L'ensemble des catégories grammaticales encodées dans la flexion verbale d'une langue, ainsi que la façon dont ces catégories se réalisent morphosyntaxiquement constituent le système verbal de cette langue (Perrot 2002 : 335) ; chaque catégorie grammaticale formant un sous-système au sein de ce système verbal (Givón 2001).32 Par exemple, le système verbal du latin33 est constitué de plusieurs sous-systèmes : la personne, l'aspect (perfectif, imperfectif),34 le temps (présent, passé,

31 L'évidentialité peut aussi être considérée comme un type particulier de mode (Creissels 2006a : 170 ; Palmer 2001). 32 Ces sous-systèmes peuvent être rapprochés de la notion de « trait morphosyntaxique » de la Paradigm Function

Morphology (Stump 2001 : 38-43).

33 Pour cette introduction, nous utilisons essentiellement des exemples en latin car cette langue présente un système verbal relativement bien connu et particulièrement adapté pour illustrer les notions liées à la flexion verbale. 34 Dans les descriptions « classiques » du latin, ces aspects sont traditionnellement nommés perfectum et infectum

futur),35 le mode (indicatif, subjonctif, impératif)36 et la voix (actif, passif). En latin, un lexème verbal contient donc potentiellement autant de mots grammaticaux37 que de combinaisons possibles entre ces cinq sous-systèmes. L'inventaire structuré de toutes ces combinaisons constitue le paradigme des verbes latins (Carstairs-McCarthy 2000a : 596 ; Booij 2012 : 320). Formellement, le paradigme d'un lexème peut être défini comme un ensemble de cellules ; chaque cellule étant un couple <mot grammatical, propriétés morphosyntaxiques> (Stump 2001 : 43 ; Bonami 2014 : 135). Par exemple, en latin, le couple formé du mot-forme facerem et des propriétés morphosyntaxiques {PERS 1sg, ASP imperfectif, TPS passé, MODE subjonctif, VOIX actif} constitue une cellule du paradigme du lexème FACIO.

Dans un grand nombre de langues, la réalisation des propriétés morphosyntaxiques n'est pas la même pour tous les verbes. Dans ces langues, les verbes peuvent généralement être classés en classes flexionnelles, également appelées conjugaisons38 (Booij 2012 : 104-105). Chaque conjugaison correspond à un ensemble de verbes présentant le même patron flexionnel, c'est-à-dire la même façon de réaliser les propriétés morphosyntaxiques (Booij 2012 : 312). Par exemple, le latin présente cinq conjugaisons différentes, c'est-à-dire qu'il existe cinq classes de verbes présentant chacune un patron flexionnel différent (Bortolussi 1999 : 83-109) :

Tableau 1.1 - Formes de l'imperfectif indicatif présent actif en latin 1er conjugaison (aimer) 2e conjugaison (détruire) 3e conjugaison (lire) 3e conj. mixte (prendre) 4e conjugaison (écouter)

1SG amo deleo lego capio audio

2SG amās delēs legis capis audīs

35 Dans les descriptions « classiques » du latin, chaque combinaison temps-aspect porte un nom spécifique : parfait (perfectif présent), plus-que-parfait (perfectif passé), futur antérieur (perfectif futur), présent (imperfectif présent), imparfait (imperfectif passé) et futur (imperfectif futur) (Bortolussi 1999 : 82).

36 Auxquels on ajoute traditionnellement les modes « impersonnels » : infinitif, participe, gérondif et supin (Bortolussi 1999 : 82).

37 Dans ce contexte, le terme « mot grammatical » renvoie à l'une des formes d'un lexème dans un paradigme flexionnel (Booij 2012 : 316). Il doit être distingué du « mot-forme » qui correspond à la réalisation d'un mot grammatical. Ces deux notions se confondent parfois car, généralement, un mot grammatical n'a qu'une réalisation possible. Néanmoins, il existe des cas où plusieurs mots-formes correspondent à un même mot grammatical. Par exemple, pour certains anglophones, les mots-formes dreamed [dri md] et ː dreamt [dremt] sont en variation libre, et

l'on peut donc dire qu'ils constituent deux réalisations possibles du mot grammatical dream-PAS (Carstairs-McCarthy 2000 : 595-596).