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Une année de plus : observations et comparaisons

En novembre 2005, la préfecture remet le dispositif « village » en marche, le temps de la période hivernale, c’est-à-dire jusqu’à la fin mars. Il l’étend même, afin de pouvoir accueillir plus de demandeurs d’asile sans hébergement, des familles unique- ment. Le terrain de Peron est une nouvelle fois utilisé, toujours géré par l’Entraid’ouvrière, auquel s’ajoute un autre terrain situé à 20 km de Tours, dans une zone industrielle. Ce sont les familles roms, et uniquement elles, qui seront hébergées sur le terrain le plus éloigné de Tours. Dans les deux « « villages », les mêmes types de construction modulaire accueillent les familles. Tous ces préfabriqués ont les mêmes caractéristiques. De couleur blanche, avec un toit plat, ils font 17 m2 et sont munis de deux fenêtres avec

store intérieur et d’un chauffage électrique. Les deux fenêtres, ainsi que la porte, se trouvent sur la face avant de l’habitation. Un deuxième préfabriqué est alloué aux familles comprenant plus de sept personnes. Des constructions modulaires supplémentai- res accueillaient les douches et les sanitaires. Chaque « village » accueille une dizaine de familles pendant la période hivernale. Des différences au d’environnement et de gestion des terrains doivent pourtant être soulignées, afin d’appréhender au plus près les frontières symboliques qui sont en jeu.

Comme lors de la première année, c’est un ancien terrain de camping qui a été utilisé pour recevoir les huit préfabri- qués du « village Peron ». Situé à Tours Nord, à proximité du centre ville, ce terrain est entouré de thuyas. Le sol est couvert de gravier, avec des espaces accueillant des arbres et de l’herbe. Le « village Pommeraie » lui, est implanté dans la zone d’acti- vité d’Esvres située à 20 km de Tours. Sur le bord d’une route à quatre voies, il est entouré d’une usine traitant l’asphalte et des locaux d’Emmaüs où sont stockés et vendus les vêtements et autres objets issus des dons. Sur presque la moitié du terrain, le sol est fait de terre battue, mais la plupart des préfabriqués sont posés sur la partie où le sol est cimenté.

Pour faire fonctionner le « village », le directeur de Peron – un travailleur social délégué par l’Entr’aide ouvrière – travaillait avec une équipe de six veilleurs se relayant sur le terrain 24 heures sur 24 Deux travailleurs sociaux et un infirmier de l’Entr’aide ouvrière intervenaient également sur le terrain. Les assistants sociaux étaient notamment présents afin de faire les suivis des demandes d’asile et les démarches pour trouver un logement à la fin de la trêve hivernale. À La Pommeraie, en plus du direc- teur, six veilleurs travaillaient sur le terrain, tous employés par l’association Tzigane-Habitat. Mais c’est Chrétien-Migrant, une association fonctionnant uniquement avec des bénévoles, qui était en charge des suivis administratifs. Pour l’aspect sani- taire, un médecin à la retraite venait bénévolement sur le terrain une fois par semaine. Que ce soit à Peron ou à La Pommeraie, le travail des veilleurs, en plus de la surveillance du terrain et de ses résidents, consistait principalement à la distribution de la nourriture et des produits issus des dons. Chaque association gestionnaire, l’Entr’aide ouvrière et Tzigane-Habitat, avaient un budget alloué par la préfecture pour le fonctionnement des « villages ». Ce budget laissait une faible marge de manœuvre, les directeurs des « villages » devaient donc faire appel à diffé- rentes associations humanitaires pour le ravitaillement. Il est également arrivé que d’autres réseaux, le surplus d’une cantine scolaire par exemple, soient sollicités pour compléter les stocks délivrés par la Banque alimentaire ou les Restos du Cœur.

À Peron, les visites n’étaient autorisées que de 14 heures à 19 heures, les visiteurs devant préalablement se présenter au veilleur de garde pour donner le nom de la famille qu’ils venaient voir. Les familles n’étaient pas autorisées à accueillir des personnes pendant la nuit, et ne pouvaient pas non plus, en principe, quitter les préfabriqués pour plusieurs nuits. Dans les règles rappelées à l’entrée du « village », le dispositif Peron était décrit comme un programme d’urgence, les personnes ayant les moyens de trouver à se loger ailleurs en étaient donc exclues, ou pouvaient l’être. Quand les résidents souhaitaient sortir, ils

devaient déposer leurs clés au bureau des veilleurs, et les récu- pérer en rentrant. Toutes les allées et venues étaient consignées par les veilleurs dans un cahier de liaison, ainsi que tous les inci- dents, anecdotes ou rendez-vous. Ce cahier était consulté par les veilleurs et les travailleurs sociaux à leur arrivée au travail. Au « village de la Pommeraie », les règles, bien qu’existantes, étaient appliquées de façon beaucoup plus aléatoire.

À l’observation, de nombreuses différences apparaissent entre les deux terrains en ce qui concerne la vie quotidienne. Ces différences tiennent principalement aux associations choi- sies pour faire fonctionner les terrains. Ainsi, le suivi social et administratif des familles est assuré par des professionnels à Peron, alors que tout repose sur des bénévoles pour les familles de la Pommeraie. Là encore, la place très particulière et altérisée qu’occupe la population rom dans la catégorie des « étrangers » vient soutenir des pratiques discriminatoires et dérogatoires. Pour les suites du dispositif également, de grandes disparités sont à noter. Les familles accueillies à Peron trouvèrent toutes un hébergement à leur sortie, alors que les familles de la Pomme- raie retournèrent sur les terrains vagues. De plus, les résidents du « village » Peron avaient la possibilité de travailler en CAVA (Contrat d’accompagnement à la vie active, payé 2,73 euros l’heure avec un maximum de 20 heures par semaine) dans les ateliers de l’Entr’aide ouvrière, ce qui n’était pas proposé aux personnes de la Pommeraie, l’association Tzigane-Habitat n’étant pas habili- tée à proposer de tels contrats. Malgré ces différences de confi- gurations, les entrées et les sorties des « résidents » étaient théo- riquement soumises à restriction et à surveillance sur les deux terrains. À Peron, le terrain de Tours nord géré par l’Entr’aide ouvrière, ces restrictions étaient inscrites dans le règlement intérieur que devait signer chaque nouvelle famille accueillie, et étaient mises en place par les veilleurs, salariés précaires de l’association. À La Pommeraie, la surveillance était plus lâche, mais la distance du terrain, situé à 20 km de Tours, rendait la mise à l’écart effective, les familles n’ayant pas de voitures et les

transports en commun ne passant pas par la zone d’activité. De plus, comme nous le verrons, une autre surveillance était visible sur ce terrain : la surveillance policière.

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