• Aucun résultat trouvé

Qui est détenu(e) ? Causes et finalités de l’internement

Après avoir passé quatre ans caché dans une montagne marocaine attendant une patera, Batyr fut détenu par la Guardia Civil à son arrivée à Tarifa. Il fut emmené au centre de détention de l’île de Las Palomas, puis au CIE d’Algeciras. Après quelques jours, il fut mis en liberté. Rebeca, Brésilienne, fut retenue dans une maison close où elle se prostituait ; elle travaillait depuis un an et demi dans différents locaux de la province de Tarragona. Une rafle policière se conclut par la détention de sept travailleuses qui furent internées dans le CIE de Zona Franca. Après 32 jours, Rebeca fut expulsée. Mamadou, Sénégalais, fut détenu en mer. Pêcheur, il était en charge du cayuco. Il fut interné dans le CIE de El Matorral et expulsé vers la Mauritanie. Une semaine plus tard, il pilota un autre cayuco jusqu’aux Canaries. Arrêté, il fut interné dans le camp provisoire de Las Raíces pendant 34 jours, emmené à Valencia où il passa six jours dans le CIE de Zapadores. On lui donna un billet de bus (un aller simple) et un ordre d’expulsion. En descendant du bus, on lui dit qu’il était à Barcelone. Mohamed arriva en

patera. Il travailla pendant trois ans à Almería et Cornellá

contrôlèrent ses papiers lui demandèrent de vider ses poches. Il n’avait qu’un petit sac avec son passeport et les documents nécessaires pour demander la résidence pour enracinement social 8. Un juge autorisa son internement

dans le CIE de Zona Franca. Après trois semaines, il fut expulsé vers le Maroc. M.R. alla à un commissariat pour dénoncer le mauvais traitement dont elle était victime de la part de son ex-mari. La police agit correctement. Le lendemain, elle retourna dénoncer un vol dans son domi- cile, cette fois, le traitement fut différent, elle n’était plus une femme méritant la protection, elle était désormais une « clandestine ». Elle fut détenue et, peu de temps après, envoyée au centre de Aluche où l’on entama une procédure d’expulsion passant outre le fait qu’avec trois ans sur le territoire elle avait le droit de demander une régularisation pour enracinement 9.

D’autres personnes ont été détenues à la sortie des bureaux de poste, dans la file d’attente du Bureau des Extrajería lorsqu’ils allaient régulariser leur situation 10, lors du contrôle de leur étalage

ambulant ou lorsqu’ils se mobilisaient pour réclamer leurs droits. Il s’agit de lieux, de situations et de moments différents de l’expé- rience migratoire. Or, toutes ces personnes sont passées par un 8. La législation espagnole prévoit trois voies pour obtenir la carte de résidence : 1) ce qu’on appelle la « contratación en origen », lorsque les migrants reçoivent une offre de travail dans leurs pays d’origine et arrivent en Espagne avec un permis de travail et de résidence octroyé avant d’entreprendre le voyage 2) le mariage avec un citoyen espagnol 3) l’« arraigo social » (enracinement social), lorsque la personne peut démontrer qu’elle réside (illégallement) depuis au moins trois ans en Espagne et qu’elle n’a pas de casier judiciaire ni en Espagne ni dans son pays.

9. Témoignages recueillis par « Espai per a la Desobediència a les Fronteres » (Barcelona) et la Red Ferrocarril Clandestino (Madrid). Certains témoignages peuvent être écoutés à la radio « Sin Fronteras » [En ligne] in Programa Sin Fronteras : http://sinfronteras. blogsome.com/2007/11/30/54/. D’autres témoignages peuvent se trouver dans : http:// www.rompamoselsilencio.net/?nuevos-testimonios-desde-el-CIE-de (consultés le 28 avril 2008).

10. « Detenidos 20 inmigrantes que hacían cola en la Oficina de Extranjería de Cádiz » (EFE – 15 avril).

CIE. Elles ont été officiellement enfermées afin d’assurer leur expulsion, leur refoulement ou leur retour. Selon la loi espagnole, le refoulement concerne les étrangers qui essaient d’entrer dans le pays par une voie non habilitée (pour les personnes arrivées de manière irrégulière et celles interceptées en mer). Le retour est prévu pour ceux qui se présentent à un poste frontière et à qui l’on ne permet pas d’entrer. Enfin, l’expulsion est prévue pour ceux qui violent la loi des Extranjería (ceux qui résident et/ou qui travaillent sans permis) et pour les étrangers condamnés ou suspectés d’avoir commis un délit (en tant que substitution à la prison ou comme peine ajoutée après la prison).

La fonction principale des CIE est de « stocker » et de « refouler » les personnes qui n’ont pas le droit de vivre et/ou de travailler sur le territoire de l’UE. Après 40 jours, certai- nes personnes sont expulsées dans leurs pays d’origine ou dans un pays tiers, mais d’autres ne peuvent l’être 11 et sont mises en

liberté sur le territoire national avec un ordre d’expulsion et une interdiction d’entrée dans l’UE pour une période de 3 et 10 ans. Les migrants qui arrivent sur les îles Canaries ou à Ceuta et Melilla, et qui ne peuvent être refoulés, sont transférés dans la Péninsule où ils sont mis en liberté, mais dans l’impossibi- lité d’accéder à un travail ou de régulariser leur situation. Les personnes internées dans les CIE de la Péninsule qui ne peuvent être expulsées sont également mises en liberté dans les mêmes conditions, c’est-à-dire, condamnées à la clandestinité et dans une situation de privation de droits.

Leur statut juridique empêchant l’obtention d’un travail dans le marché formel, les sans-papiers sont obligés de choisir d’autres stratégies de subsistance dans l’économie informelle à travers des activités telles que la vente ambulante, la manche, le nettoyage de pare-brise, ou le travail sexuel. Ces activités ont été 11. Vu l’impossibilité de déterminer l’origine, l’inexistence d’un accord de réadmission avec le pays d’origine ou de transit des migrants ou parce qu’au terme des 40 jours de détention, les autorités n’ont pas pu mener à bien l’expulsion par manque de moyens, de disponibilité dans les vols, etc.

interdites récemment par une vague de dispositions municipales qui, prétendant lutter contre l’incivilité, frappent les personnes les plus vulnérables de la société. Ces régulations justifient les contrôles policiers envers les groupes de migrants concentrés dans certains lieux publics dans le cadre de leurs activités et la

Ley de Extranjería permet leur détention dans des CIE. À Barce-

lone, par exemple, les rafles contre les vendeurs ambulants et les travailleuses sexuelles sont fréquentes. Cette même procédure est utilisée par les autorités pour démobiliser les manifestations de migrants politiquement actifs12 et ainsi « punir » leur comporte-

ment par la détention, sans avoir recours à une procédure pénale qui impliquerait un processus plus lent et avec les garanties d’un procès.

Vu que l’administration ne peut mettre en exécution toutes les mesures d’expulsion, les CIE opèrent comme des centres d’identification et de fichage de données sur les étran- gers détenus, devenant des institutions créatrices d’étrangers a-légaux et marginaux13. Les CIE apparaissent, par ailleurs,

comme des dispositifs utiles pour maintenir l’ordre public en permettant, pendant un laps de temps, de « faire disparaître » quelques migrants de l’espace public14.

Outline

Documents relatifs