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d’une crise de la souveraineté ou Foucault et Agamben à Guimo

De nombreuses discussions sur les camps portent sur la possibilité d’utiliser les modèles interprétatifs de Michel Foucault 8 et de Giorgio Agamben 9. La plupart des auteurs

étudiés citent ces deux références pour penser l’espace d’excep- tion que constitue le camp et d’autres critiquent cette approche notamment en ce qui concerne le philosophe italien. Le recours systématique à l’arrestation et à la détention arbitraire par des États démocratiques dans le cadre soit de « la guerre contre le terrorisme » soit de la « maîtrise des flux migratoires » inter- roge la souveraineté et remet en question les fondements politi- ques des sociétés ouvertes comme la séparation des pouvoirs et la citoyenneté 10. De la même manière l’utilisation de la torture

7. Diminutif américain du camp de Guantánamo à Cuba.

8. Neal A.-W., « Foucault in Guantánamo: Towards an Archaeology of the Exception »,

Security Dialogue, 37.1, 2006, pp. 31-46.

9. Guild E., « Agamben face aux juges. Souveraineté, exception et antiterrorisme », Cultu-

res & Conflits, 51, 2003, pp. 127-156, disponible sur : http://www.conflits.org/document.

html?id=967, consulté le 25 avril 2008 ; Passavant P.-A., « The contradictory State of Giorgio Agamben » Political Theory, 35.2, 2007, pp. 147-174.

10. Adam A., « La lutte contre le terrorisme, étude comparative Union européenne – États- Unis », Études européennes, 2007, disponible sur : http://www.cees-europe.fr/fr/etudes/ revue8/r8a2.pdf ; Elliott M., « La “Guerre” contre le terrorisme et la Constitution du Royaume-Uni », European Journal of Legal Studies, 2007, disponible sur : http:// www.ejls.eu/index.php?mode=htmlarticle&filename=./issues/2007-04/elliottFR.htm ; Korzilius S., « Évolution de la thématique des “asociaux” dans la discussion sur le droit pénal pendant la République de Weimar », Astérion, 4, 2006, disponible sur : http:// asterion.revues.org/document511.html

et de traitements dégradants et humiliants dans le cadre de l’action d’institutions militaires ou non de régimes démocra- tiques suscite de nombreux débats sur la légitimité du recours à la violence d’État dans les conflits récents ou plus anciens 11.

La diffusion mondiale des images des pratiques des militaires américains dans les centres de détention interroge fortement sur les limites du secret dans la société globale 12. Les formes de

mobilisations et de réactions à ces développements font aussi l’objet d’une attention de la part des chercheurs qui s’interro- gent sur les revendications à la décence dans les lieux de déten- tion arbitraire qui portent en elles la légitimation de la détention et du « circuit de l’exception » au lieu de remettre en question le système dans son ensemble 13.

À partir de l’étude de plusieurs cas d’« enemy combatant

detainees », comme ceux, connus, de Z. Moussaoui, J.-W. Lingh

et R. Reid, mais aussi de citoyens américains traités comme tels ou des internés de Guantánamo, la juriste Christiane Wilke, de l’université canadienne de Carleton, examine le fonctionne- ment de la justice et identifie les signes d’une nouvelle vision de la théorie de la justice politique. Ces détenus comme tous ceux objets de la pratique des dits transferts extraordinaires ne sont pas considérés comme des personnes dotées de droits mais comme des ennemis « sans attributs de la personne ni personna-

11. Linklater A., « Torture and Civilisation », International Relations, 21.1, 2007, pp. 111-118 ; Foot R., « Torture: The Struggle over a Peremptory Norm in a Counter- Terrorist Era », International Relations, 20.2, 2006, pp. 131-151 ; Kennedy-Pipe C., Mumford A., « Torture, rights, Rules and Wars: Ireland to Irak » International rela-

tions, 21.1, 2007, pp. 119-126.

12. Hamm M.-S., « “High Crimes and Misdemeanors”: Georges W. Bush and the sins of Abu Ghraïb », Crime Media Culture, 3, 2007, pp. 259-284.

13. Mezzadra S., Diritto di fuga. Migrazioni, cittadinanza, globallizazione, Verona, Ombre Corte, 2001 ; Mezzadra S., Brett N., « Né qui, né altrove. Migration, Detention, Deser- tion », Borderlands ejournals, 2.1, 2003, disponible sur www.borderlandsejournal. adelaide.edu.au/vol2no1_2003/mezzadra_neilson. html. Consulté le 12 novembre 2007 ; Perera S., « A line in the sea », Race & Class, 44.2 2002, pp. 23-39 ; Perera S., « What is a Camp? », Borderlands ejournal, 1.1, 2002, http://www.borderlandsejournal.adelaide. edu.au/vol1no1-2002/perera-camp.html

lité légale »14. Les détenus de Guantánamo sont accusés à partir

de charges qui sont fondées non sur des considérations pratiques mais idéologiques. L’auteur suit le processus qui a transformé la justice « normale » en justice politique et l’a soumise à une domination du pouvoir exécutif, et considère que « le langage

omniprésent des ennemis et de la guerre a clairement été conçu pour légitimer l’abrogation des droits de la défense et limiter

l’autonomie des cours de justice 15 ».

C’est aussi l’infléchissement des droits qui intéressent les sociologues Daiva K. Stasiulis et Darryl Ross, elles aussi de l’université de Carleton à Ottawa, lorsqu’elles interrogent la souveraineté d’exception et les conséquences sur la citoyenneté 16

des nouvelles pratiques et politiques sécuritaires des États 17.

Elles abordent la question à partir du statut de double nationalité et des protections qu’il est censé conférer traditionnellement à son détenteur. En étudiant les cas de transfert extraordinaire, de détention illégale et de torture sur des binationaux d’origine arabe ou musulmane, elles constatent le développement d’une appro- che de « hierarchical citizenship » (citoyenneté hiérarchisée) que les technologies de gouvernance traduisent par une citoyenneté flexible et graduée et une racialisation orientaliste de la protec- tion diplomatique que l’État doit à ses ressortissants. Elles en déduisent que la bi-nationalité est devenue une « New Hyphena-

ted Transnational Citizenship » (une nouvelle citoyenneté trans-

nationale en trait d’union), renouvelant la question centrale aux États-Unis durant le xixe siècle de la double allégeance cultu-

relle des Américains selon leur origine italienne, irlandaise, afri- caine ou japonaise 18… Certains binationaux (dual citizens), dont

14. Wilke C., « War v. Justice: Terrorism Cases, Enemy Combatants, and Political Justice in U.S. Courts », Politics & Society, 33.4, 2005, pp. 637-669.

15. Ibid., p. 662.

16. Sur ce point voir Joppke C., « Exclusion in the Liberal State. The Case of Immigration and Citizenship Policy », European Journal of Social Theory, 8.1, 2005, pp. 43-61. 17. Stasiulis D., Ross D., « Security, Flexible Sovereignty, and the Perils of Multiple Citi-

zenship », Citizenship Studies, 10.3, 2006, pp. 329-348. 18. Ibid., p 338.

une nationalité est perçue comme dangereuse, peuvent, dans le paradigme sécuritaire post-11 Septembre, se retrouver dans un univers vidé de la protection diplomatique. Par extension, ces auteurs identifient une flexibilité dans la souveraineté qui parti- cipe à l’émergence de citoyennetés relatives ou incomplètes.

Les origines et les conséquences culturelles

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