• Aucun résultat trouvé

les nouveaux recours contre les Refus d’admission sur le territoire Au titre de l’asile

Parallèlement aux nombreuses visites organisées à Roissy pour recueillir sur le terrain un maximum d’informations rela- tives aux conditions de maintien, une forte mobilisation se noue autour de la défense des droits des maintenus dans les tribu- naux. En effet, comme le rappelle un rapport récent de l’Anafé33,

les modalités pratiques de l’exercice de ses droits par l’étranger sont essentielles pour que ces droits ne soient pas dénaturés. C’est pourquoi, il est si important de consigner précisément quelles sont les conditions dans lesquelles sont maintenus les étrangers. Cela explique aussi l’importance accordée à certains détails dans les observations rapportées ci-dessus : le fait de noter qu’aucun téléphone ne fonctionne signifie plus profondé- 31. Makaremi C., « Vies “en instance”. Le temps et l’espace du maintien en zone d’attente.

Le cas de la “Zapi 3” de Roissy-Charles-de-Gaulle », Asylons, n° 2, novembre 2007 : http://terra.rezo.net/article664.html (consulté le 5 août 2008).

32. Bernardot M., Camps d’étrangers, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, mars 2008, p. 131.

ment que l’étranger est seul, sans possibilité d’exercer son droit de joindre famille, amis, consulat ou avocat. Ces conditions de maintien figurent la possibilité même qui est donnée aux main- tenus d’exercer effectivement les droits qui leur sont garantis par la loi, ou pas. En ZAPI 3, un étranger a plus de chance d’obte nir les informations et les conseils nécessaires à sa défense que, démuni, sale et fatigué, enfermé dans une salle située aux confins de l’aéroport ou dans une cellule de garde à vue, dans les sous-sols du terminal 2F.

Ainsi, grâce à un argumentaire de l’Anafé invoquant l’atteinte à la dignité et au droit d’asile que constituent les conditions de maintien en aérogares et suite à une visite en salle B33 le 8 janvier 2008 d’un juge des libertés et de la déten- tion, de nombreux étrangers sont relâchés lors de leur passage devant le juge au tribunal de grande instance de Bobigny34.

À partir du 4 janvier, les demandes d’asile présentées par les Tchétchènes commencent à être refusées par le ministère de l’Intérieur, alors que leur taux d’admission sur le territoire au titre de l’asile était avant cette période de 100 %. Juristes et avocats de l’Anafé ainsi que d’autres associations (Association de défense des droits des étrangers, European Legal Network

on Asylum) rédigent et plaident des requêtes en annulation

devant le tribunal administratif de Paris pour rendre « effec- tif 35 » le recours « suspensif » pour les demandeurs d’asile

déboutés, prévu par la loi du 19 septembre 2007 (dite loi Hortefeux). Ces argumentaires s’appuient sur l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 avril 200736

qui place la France face à la nécessité de rendre suspensifs les recours dirigés contre les décisions de refus d’admission sur 34. Voir note 12 : l’étranger passe devant le juge des libertés et de la détention quatre jours

après son arrivée en zone d’attente et sa notification de maintien.

35. Communiqué de presse Anafé : « Projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à l’asile à la frontière : un recours “suspensif” mais pas “effectif” », 17 septembre 2007. 36. Affaire GEBREMEDHIN [GABERAMADHIEN] c. France, Requête auprès de la

CEDH no 25389/05 : http://www.anafe.org/download/asile/cedh-gebremedhin26-04-07. pdf (consulté le 5 août 2008).

le territoire des demandeurs d’asile à la frontière 37. En fixant

le délai dans lequel les demandeurs déboutés doivent exercer leur recours suspensif à 48 heures suivant la notification du refus d’asile, la loi ne leur laisse presque aucune chance. Cette requête doit être rédigée en français et motivée en droit et en fait ; c’est extrêmement compliqué pour des étrangers malme- nés qui ont déjà du mal à comprendre où ils sont et pourquoi ils ont failli « repartir immédiatement ». En effet, la décision de maintien en zone d’attente est notifiée à l’intéressé avec mention de son droit de « refuser d’être rapatrié avant l’expi- ration du délai d’un jour franc ». Depuis la loi du 26 novem- bre 2003, « l’étranger est invité à indiquer sur la notification s’il souhaite bénéficier du jour franc » (Article L213-2 du CESEDA) alors qu’auparavant, l’étranger auquel était opposé un refus d’entrée ne pouvait être rapatrié contre son gré avant l’expiration de ce délai.

« La presque totalité des notifications de non-admission contiennent la case cochée “je veux repartir le plus rapi- dement possible” notamment pour des Togolais, Nigé- rians, Irakiens. Je manque de temps pour expliquer à tous la notion du “jour franc” ; néanmoins, l’un d’entre eux me dit “si on a payé 10 000 dollars pour venir, on ne va pas demander à repartir immédiatement”. Plusieurs person- nes, francophones et anglophones, sont furieuses de constater qu’elles ont coché une case sans en comprendre la signification ; le commissaire L. transmet la remarque. Plusieurs étrangers enregistrés comme non admis affir- ment avoir cherché à plusieurs reprises à faire enregistrer une demande d’asile, en vain ; le commissaire L. se rensei- gne 38. »

37. Gacon H., « Qu’est-ce qu’un recours suspensif pour un étranger maintenu en zone d’at- tente ? », AJ Pénal n° 11/2007, novembre 2007, disponible sur le site de l’Anafé. 38. Compte rendu de visite Anafé du 3 janvier 2008.

Le 1er février, un arrêté est publié au Journal Officiel39

fixant la liste des pays dont les ressortissants sont soumis au visa consulaire de transit aéroportuaire (VTA). « Les Russes provenant d’un aéroport situé en Ukraine, Biélorussie, Molda- vie, Turquie ou Égypte » en font dorénavant partie. Mettre en place un visa de transit obligatoire est courant, depuis son instauration en 1995, pour « endiguer les flux massifs de demandeurs d’asile ». L’objectif est d’empêcher qu’à l’occasion d’une escale, tout passager en transit puisse faire une demande d’asile. Pour les réfugiés, le visa de transit est en effet difficile – voire impossible – à obtenir, en particulier dans leur pays d’origine. La mise en place d’un visa est d’ailleurs généra- lement un très bon indicateur de « fin de crise », comme ce fut le cas par exemple en 2003 pour la « crise ivoirienne » ou plus récemment en 2006 pour la « crise colombienne 40 ». Des

chiffres précis manquent pour estimer l’ampleur de la « crise tchétchène ». Un indicateur est que 461 avis ont été rendus par l’OFPRA en décembre 2007 pour les seuls demandeurs d’asile tchétchènes 41.

Les autorités ont à gérer à la fin décembre 2007, simulta- nément à la « crise tchétchène », une « crise somalienne » pour pallier « l’afflux massif » de Somaliens 42. Le 15 janvier 2008

marque la fin de cette « crise somalienne » lorsqu’est publié un arrêté fixant l’obligation du visa de transit aéroportuaire pour les ressortissants de Djibouti (de nombreux réfugiés somaliens voyagent sous couvert de documents de voyage de cet État) et de Guinée-Bissau. De tout l’espace Schengen, la France est de loin l’État à avoir instauré le plus de visas de transit, ajoutant 39. NOR : IMIG0802552A.

40. Consulter notamment le tableau, très éclairant, « Demandes d’asile à la frontière depuis 2001 », dans Anafé, « Statistiques relatives à la situation des étrangers aux frontières », juin 2007, p. 6.

41. Rapport d’activités 2007 de l’OFPRA : http://www.OFPRA.gouv.fr/index.html?xml_ id=269 & dtd_id=10 (consulté le 5 août 2008).

42. « Roissy : 1,600 m2 réquisitionnés face à l’afflux d’étrangers non admis », 20 Minutes,

22 pays à la liste commune. Par requêtes déposées le 28 février 2008, l’Anafé et le Gisti demandent au Conseil d’État l’annula- tion et la suspension des deux derniers arrêtés des 15 janvier et 1er février 2008 fixant ces visas de transit 43.

Les pratiques des agents de police créent de fait dans les lieux de maintien des terminaux de l’aéroport de Roissy de multi- ples micro-espaces de relégation 44 pour étrangers en extrême

déficit de droit, qu’ils soient demandeurs d’asile, non admis ou en transit interrompu. Ces pratiques conduisent à fragiliser plus encore les personnes étrangères lorsqu’elles sont confinées dans les extensions plus ou moins officielles de la ZAPI, en ne leur permettant pas de faire effectivement usage de leurs droits. En extrayant ces hommes et ces femmes de la dimension politique et juridique de leur condition de personnes maintenues en zone d’attente, elles visent à produire de simples corps à expulser, des « vies nues 45 ». En zone d’attente, et a fortiori dans ses confins

en « zone sécurisée », les étrangers sont souvent abandonnés en situation de face-à-face avec les policiers, comme dans un mauvais remake d’une garde à vue qui va déraper. La possibi- lité existe alors que des « libertés policières 46 » s’y développent

arbitrairement ; évidemment, les chances augmentent en cas de situation « exceptionnelle », de « crise », quand règne une confusion alarmante :

« Il semble que les policiers soient un peu dépassés par les événements, ne sachant pas toujours où se situent les personnes maintenues. Par exemple, lors de la visite dans le terminal E, un policier est entré dans la salle et a demandé où était passé le troisième Chinois. Je lui ai répondu que je n’en savais rien, que je n’en avais vu que deux. Il a demandé alors aux deux Chinois présents de le suivre ; avant de reve- 43. Textes consultables à cette adresse : http://www.anafe.org/texte-arretes.php

44. Clochard O., op. cit.

45. Agamben G., Homo sacer I : le pouvoir souverain et la vie nue, Seuil, 1997.

46. Brossat A., « Zones d’attente, centres de rétention et “libertés” policières », in Le Cour Grandmaison O., Lhuilier G. et Valluy J., Le retour des camps, Paris, Éditions Autre- ment, 2007.

nir quelques instants plus tard, alléguant qu’il s’était trompé de « clients » 47… »

En salle B33, une policière demande aux visiteurs de l’Anafé d’expliquer à un mineur de 15 ans ce qui lui arrive. Quand ceux-ci s’étonnent que le jeune maintenu n’ait pas été informé de ses droits dans une langue qu’il comprend lors de la notification de son maintien en zone d’attente, elle sourit et dit : « Je ne sais pas, j’assure juste la surveillance, vous savez, et d’habitude je ne suis pas ici 48. » Le traitement des étrangers dépend beaucoup des

policiers de service : un Irakien nous explique que, d’un jour à l’autre, tout peut changer : « Un policier a même joué à la Plays- tation avec nous en nous disant de ne pas le répéter ! 49 »

Ailleurs, « un étranger nous signale des comportements inacceptables de la part des policiers, des humiliations, contre les non-francophones surtout. Il raconte qu’hier, par exemple, dans la camionnette qui l’a transporté avec d’autres entre ZAPI 3 et ZAPI 4, ils se sont plaints de rouler toutes fenêtres ouvertes : on leur a répondu qu’ils puaient ! Il confirme également l’usage intempestif du micro dans la salle (ZAPI 4) en pleine nuit et les person- nes déplacées sans raison de leurs lits sur des fauteuils. Il ajoute enfin que lorsque les policiers procèdent à l’appel et au comptage des maintenus, ils ont tendance à leur parler comme à du bétail 50 ».

Si la zone d’attente est un lieu d’enfermement des étran- gers indésirables, c’est aussi un statut légal, celui des étrangers en 47. Compte rendu de visite Anafé du 15 janvier 2008.

48. Compte rendu de visite Anafé du 29 décembre 2007. 49. Compte rendu de visite Anafé du 8 janvier 2008.

50. Compte rendu de visite Anafé du 18 janvier 2008, voir aussi Compte rendu de visite Anafé du 15 janvier 2008 : « Selon un étranger (à 16 h 00) six comptages avaient eu lieu durant la seule journée du 15/01 ; à chaque fois, les policiers demandent aux étrangers de se rendre devant le poste situé à l’entrée pour recenser l’ensemble des personnes main- tenues. »

attente du règlement de leur situation administrative à la frontière, qui leur garantit des droits. La « crise tchétchène » montre que par leur mobilisation déterminée, certains acteurs51 de la zone

d’attente influent fortement sur ce dispositif plastique en permet- tant d’« activer des protections » autour des personnes maintenues, là où s’activent et se désactivent parallèlement des espaces de répres- sion.

Je reviendrai, pour conclure, sur la « crise » de l’asile et de l’hospitalité en France, et plus largement en Europe, utilisant ici le sens du mot crise que je rejetais en introduction. Il ne s’agit plus là d’une manifestation soudaine et violente qui appellerait une réaction constructive, mais bien d’un long processus de détério- ration des conditions d’accueil des demandeurs d’asile (et plus globalement de certaines catégories d’étrangers jugés indésira- bles). Parlons donc d’un malaise, d’une faillite. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, « le demandeur d’asile voit son statut transformé : de futur réfugié statutaire, il devient un futur débouté à éloigner du territoire. »52

Dans ces conditions, l’expression « gérer la crise » n’est-elle pas une contradiction dans les termes ?

Morgane Iserte

51. Policiers et étrangers certes, mais aussi militants associatifs et membres de la Croix- Rouge, médecins, interprètes, officiers de protection de l’OFPRA, agents des compa- gnies aériennes et des entités commerciales implantées dans l’aéroport, personnel des entreprises de restauration et de nettoyage, autorités préfectorales et sanitaires, etc. 52. Legoux L., « Crise de l’asile, crise de valeurs », Hommes & migrations, mai-juin 1996,

pp. 69-77 : « En rigueur, la crise de l’asile, c’est aussi “la crise de valeurs” dans les pays d’Occident. »

Outline

Documents relatifs