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Coopérer, s’opposer à la procédure juridique d’expulsion du territoire français

C’est menotté que l’étranger est amené au local de rétention par une escorte policière ou de gendarmerie. Il est alors confié aux policiers chargés de sa surveillance durant les 48 heures de sa rétention au sein du local. Il retire les lacets de ses chaussures, sa ceinture. Les affaires qu’il avait sur lui au moment de son arrestation lui sont confisquées et deviennent sa « fouille », en général très peu de chose : un peu d’argent, quelques papiers qu’il avait dans ses poches… Ensuite, la grille derrière laquelle sont gardés les étrangers s’ouvre. « Entrez monsieur, on vous apportera les draps tout à l’heure. » La grille se ferme. L’étranger se retrouve alors dans une pièce exiguë éclairée par des néons protégés par un grillage sur l’ensemble du plafond de la pièce. Il s’agit là de la seule source de lumière, les fenêtres ayant été rendues opaques par des plaques de plexiglas jaunies qui ne laissent pas entrer la lumière du jour. Au milieu de cette pièce une longue table encadrée de deux bancs vissés au sol occupe tout l’espace. À gauche, un mur, à droite, de lourdes portes aux larges montants métalliques ajourés, les portes des « chambres ». Deux lits superposés par chambre, il y a trois « chambres ». Douze hommes au maximum peuvent donc être retenus dans ce local. Sur les murs, des noms et des dates sont gravés dans le béton. On y voit également des « Vive le Maroc, l’Algérie, le Pakistan »… Au stylo sur le mur d’une des chambres

le message suivant, « Si tu n’aimes pas la France, tu la quit- tes. Vive la France ! » côtoie des messages écrits dans diverses langues. Enfin, près de la grille, un retenu a gravé dans la pein- ture d’un poteau le mot : « zoo ».

De l’autre côté de la grille, après être passé devant le local réservé à la police, se trouve la « chambre » réservée aux femmes, un lit superposé censé être éclairé par un néon qui a cessé de fonctionner. Juste à côté de la « chambre » des femmes, la porte donnant accès aux toilettes et aux douches. Pour y accéder, il faudra demander l’autorisation au policier de garde qui libérera la grille. À l’intérieur de la pièce, une cabine télé- phonique qui sonne régulièrement. Le retenu le plus proche décroche et appelle : « Keita ! C’est pour toi. » Dans le local, une télé est constamment allumée dans l’indifférence générale. Placée en hauteur, de l’autre côté de la grille, on peut y voir des images découpées par les barreaux. Au dire même du capitaine du commissariat ce local n’est pas adapté à la rétention. Il n’avait pas été prévu au moment de la construction des bâtiments et a été aménagé dans d’anciens bureaux. C’est dans ce local exigu, peu éclairé, non aéré que l’étranger en situation irrégulière va passer les 48 premières heures de sa rétention 1.

Après 48 heures de rétention, l’étranger est conduit au Tribunal de grande instance (TGI) pour une audience dite du 35bis 2 devant un juge des libertés et de la détention où il peut

voir sa rétention prolongée de 15 jours, cette prolongation pouvant être renouvelée une deuxième fois de 5 à 15 jours en cas de nécessité, toujours devant un juge des libertés au TGI. La rétention administrative ne peut donc pas excéder 32 jours au 1. Cet article se fonde sur l’expérience au sein d’un local de rétention administrative de la région parisienne où j’interviens depuis 2005 en tant que membre de la Cimade. La description ne vaut donc que pour le local que j’ai connu. La Cimade (Comité inter- mouvement auprès des évacués) est la seule association depuis 1984 habilitée à entrer en rétention, pour y effectuer une mission d’accompagnement.

2. Nom d’usage hérité de l’ancien article régissant la rétention de l’ancien code du droit des étrangers.

total 3. L’enfermement de l’étranger est censé garantir le renvoi

effectif de ce dernier et l’empêcher de se soustraire à la mesure d’éloignement. La rétention est le résultat de l’incapacité de l’administration d’exécuter cette mesure immédiatement. Si le temps de la rétention n’a fait que croître depuis sa création en 1980, c’est, dans le discours des autorités, pour que l’adminis- tration puisse rendre les expulsions effectives 4. Ainsi la durée

maximale de la rétention est passée successivement de sept jours en 1981 à 10 puis 12 jours en 1993 et 1998. La dernière réforme de 2003, quand Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, l’a donc fait passer à 32 jours. La directive européenne « retour » qui a été adoptée le 18 juin 2008 prévoit quant à elle une possi- bilité d’enfermement pouvant aller jusqu’à 18 mois. Allonger la rétention a pour objectif de permettre à l’administration d’ef- fectuer durant ce laps de temps toutes les mesures nécessaires à l’éloignement : acheter le billet d’avion, se faire délivrer par un consulat le laissez-passer permettant à l’étranger sans passeport de voyager.

Pour l’étranger qui a été arrêté sans passeport le temps de la rétention va être un temps de l’identification 5 permet-

tant à l’administration d’obtenir un laissez-passer du consulat qui reconnaîtra l’étranger comme un de ses ressortissants. Ce document transfrontalier est indispensable à l’exécution de la mesure d’éloignement. Empêcher son identification par l’admi- nistration, c’est mettre en échec l’expulsion 6. La question de la

3. La rétention au sein d’un local de rétention (LRA) ne peut pas dépasser 48 heures. En cas de prolongation de la rétention il sera alors placé dans un centre de rétention admi- nistrative (CRA).

4. Dans les faits l’allongement de la durée de la rétention de 12 jours à 32 en 2003 ne s’est pas accompagné d’une augmentation significative du pourcentage de reconduites (2000 : 57,13 %, 2001 : 52,68 %, 2002 : 45,22 % ; 2003 : 43,70 % ; 2004 : 55,16 % ; 2005 : 59,11 %. Source : Cimade) mais a par contre permis de pratiquer des renvois groupés de personnes de même origine géographique.

5. Fischer N., « Clandestins au secret. Contrôle et circulation de l’information dans les centres de rétention administrative français », Cultures et Conflits, n° 57, 2005, pp. 91-118.

6. Les termes éloignement et expulsion correspondent à une même réalité. Dans ce texte je les emploie indifféremment mais l’on comprend que le vocabulaire administratif

remise du passeport aux autorités devient alors cruciale et va déterminer deux manières de faire différentes pour essayer de rester sur le territoire français, ce qui est, en grande majorité, le souhait des étrangers arrêtés.

C’est donc au cours de ces 48 premières heures de rétention, alors qu’il n’a pas encore été confronté à la justice, que l’étranger va devoir décider de la manière et des moyens à mettre en œuvre pour construire sa défense. Cette décision va être influencée par les différents intervenants extérieurs (membre de la Cimade, avocat…) mais également par les connaissances de la procédure, les ressources de chaque étranger. Les décisions qu’il va prendre vont déterminer deux types différents de défenses, l’une par le droit et l’autre par l’évitement, caractérisant deux utilisations différentes du droit. Dans un des cas le droit sera une ressource permettant de faire obstacle à l’expulsion en faisant reconnaî- tre son statut protégé, dans l’autre la dissimulation de l’identité traduira la volonté de se soustraire au droit. On retrouve là deux types de « conscience du droit » définis par Patricia Ewick et Susan Silbey7, « avec le droit » et « contre le droit » suivant que

le droit est perçu comme mobilisable pour défendre ses intérêts ou au contraire que tous les efforts seront consacrés à échapper aux conséquences de ce dernier. Mais c’est d’abord à la difficulté de prendre une décision dans le cadre particulier de la rétention que va être confronté l’étranger.

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