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Chapitre 2 : Le travail enseignant en Communauté française

3. Un travail entre prescriptions et adaptations

En une vingtaine d’années, le statut des enseignants a connu de profonds changements, particulièrement dans l’enseignement subventionné où il n’existait, auparavant, aucun statut du personnel. Divers décrets successifs (1993, 1998 et 2002) sont venus structurer la fonction dans des statuts qui tentent de converger vers un modèle commun bien que des disparités se maintiennent entre les réseaux.

Le processus de recrutement, par exemple, a été largement codifié et objectivé alors qu’une totale liberté existait précédemment. Le temps de travail, tout au moins dans l’enceinte de l’école, a aussi été défini précisément et un minutage précis prévoit les maxima légaux.

3.1. Un cadre temporel structuré

Pendant longtemps, la présence des enseignants n’était pas réellement règlementée. Les modes d’organisation pouvaient largement différer d’une école à l’autre. Alors que se mettent en place les statuts des enseignants dans les différents réseaux, certaines prescriptions viennent règlementer et organiser le temps de travail des enseignants et leur présence à l’école.

Le décret-Cadre du 13/07/1998 et le décret Missions prévoient les dispositions relatives à l’horaire hebdomadaire des élèves et des enseignants. Ainsi, l’horaire des élèves doit comprendre 28 périodes (de 50 minutes) dont deux périodes d’éducation physique65 et deux périodes de cours philosophiques. A partir de la 5e primaire, deux périodes de langue moderne doivent être organisées. Notons que dans les écoles situées en région de Bruxelles- Capitale et dans les communes de Comines-Warneton, Mouscron, Flobecq, Enghien, Malmedy, Waimes, Baelen, Plombières et Welkenraedt, trois périodes de langue moderne doivent être organisées en 3eet 4eprimaires et elles doivent être de cinq périodes en 5eet 6e primaires66. Notons que, moyennant l’accord du conseil de participation, l'horaire hebdomadaire peut être augmenté, jusqu'à un maximum de 31 périodes, en particulier lorsque l'horaire des cours prévoit l'étude d'une langue moderne à raison de plus de trois périodes hebdomadaires.

Il est obligatoire que ces 28 périodes hebdomadaires soient réparties sur neuf demi- journées, du lundi matin au vendredi soir, selon un horaire continu qui comprend au minimum une récréation de quinze minutes le matin et une interruption d’une heure entre les cours de la matinée et ceux de l’après-midi. Enfin, si ces périodes sont dites « insécables », il reste toutefois la possibilité au Pouvoir Organisateur, après concertation, de les diviser selon l’une ou l’autre modalité.

Les instituteurs primaires, maîtres d’éducation physique, de seconde langue, de religion, de morale, qu’ils soient titulaires de classe ou maîtres d’adaptation, sont tenus d’assurer 24 périodes de cours par semaine pour une prestation complète67. Les enseignants peuvent être tenus d’assurer la surveillance des élèves quinze minutes avant le début des cours, dix minutes après la fin des cours de chaque demi-journée et lors des récréations en cours de journée. Ces surveillances valent pour tous les lieux de l’école et pour les déplacements des élèves hors de l’école. Toutefois, ces prestations ne peuvent dépasser 1560 minutes par semaine, lorsqu’on additionne les heures de cours et celles de surveillances68. En outre, tous les enseignants sont tenus d’accomplir au moins 60 périodes annuelles de concertation avec leurs collègues des niveaux maternel et primaire. Notons que la durée totale des prestations de cours, de surveillances et de concertations ne peut dépasser 962 heures par année scolaire.

65 En ce compris, la natation

66 L’école dans laquelle nous avons mené notre observation se situe dans cette seconde configuration. 67

Une réduction de ce nombre jusqu'à 22 périodes, soit une réduction maximale de 4 périodes, peut être accordée par le Gouvernement sur demande du chef d’établissement dans l’enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles ou du Pouvoir organisateur dans l’enseignement subventionné, après avoir procédé à la concertation avec les organisations syndicales représentatives.

68

A noter que cette limite ne s’applique pas aux instituteurs maternels et aux instituteurs primaires dans les écoles ou implantations isolées, primaires ou maternelles, à classe unique.

Chapitre 2 : Le travail enseignant en Communauté française

Prestations Cours, activités

éducatives Surveillances Concertations

Préparations, corrections, documentation Durée Maximum 26 périodes en maternelle et 24 en primaire 15 minutes avant les cours et 10 minutes après les cours (par matinée ET après-midi) Récréations 60 périodes de 50 minutes par an Organisation personnelle de chaque enseignant mais trace écrite obligatoire

Maxima Ne peuvent dépasser 1560 minutes par semaine

Ne peuvent dépasser 962 heures / année

Figure 5: Dispositions relatives à l’horaire hebdomadaire des enseignants

Souvent considéré comme un « travail invisible », « les temps de préparation des cours et des activités, de correction des travaux, de documentation, de mise à jour personnelle ne sont pas compris dans les maxima précités »69. Mais bien que l’Administration estime que ces tâches relèvent de l’organisation personnelle de chaque enseignant, « le chef d’établissement, le Pouvoir organisateur et les services d’inspection, chacun dans leur secteur et leur domaine d’investigation, peuvent se faire produire les documents attestant de la préparation des cours et activités éducatives des enseignants »70.

3.2. Du recrutement à la « nomination », entrer dans le métier et y rester

Les formes de recrutement, tout comme celles de sélection et de promotion divergent selon les réseaux et les structures d’enseignement. Alors que pour le réseau de la Communauté française, l’enseignant doit faire acte de candidature par le biais d’un appel publié dans le courant du mois de janvier, le recrutement dans les autres structures de l’enseignement se passe au niveau du pouvoir organisateur.

L’enseignement libre subventionné est celui qui a connu, par les décrets précités, les plus profonds changements dans le statut des membres de son personnel et dans le recrutement de ce dernier. Avant 1993, les pouvoirs organisateurs étaient totalement libres dans le recrutement de leur personnel. Le décret introduit un système de priorité basé sur l’ancienneté de service. Si les PO gardent une latitude importante lors du premier engagement, celle-ci se restreint au fur et à mesure que l’enseignant acquiert de l’ancienneté.

69

Circulaire n° 65, « Horaire des élèves et des enseignants », 14 août 2001

Après un certain laps de temps au sein d’un même PO, l’enseignant peut envisager son engagement à titre définitif71. Le nombre de jours et certaines conditions diffèrent selon les réseaux mais le processus est assez similaire. Ayant engrangé une ancienneté suffisante dans son établissement, ou au sein de son réseau, le candidat peut faire valoir ses droits pour l’obtention d’un poste vacant et donc s’assurer son poste pour les années à venir. Toutefois, le cadre théorique occulte des situations particulières bien différentes. Comme nous le verrons dans les propos des enseignants, le nombre d’années d’attente diffère fortement. Alors que certains sont nommés après trois ou quatre années de service, certains doivent attendre une dizaine d’années, voire davantage, pour obtenir leur engagement définitif. Enfin, nous noterons une spécificité dans le recrutement des enseignants ; celle de pouvoir engager du personnel ne disposant pas des titres requis, voire n’ayant aucune formation pédagogique. Si ce mécanisme, souvent appelé « article 20 »72 en référence au décret qui le sous-tend, est relativement peu utilisé dans le primaire ; il est une procédure plus courante dans le secondaire. Bien que normalement temporaire, ce procédé permet d’intégrer dans les équipes pédagogiques des enseignants parfois dépourvus de toute formation pédagogique. Alors qu’il devrait s’agir de mesures transitoires, le taux de personnel engagé sous cette forme prend des proportions importantes, particulièrement dans certaines régions telles que Bruxelles-Capitale où il dépasse les 50% de membres du personnel engagé sous ce statut.

Notons, enfin, qu’une réforme est en cours à ce niveau avec pour objectif de redéfinir les titres requis pour enseigner et de réduire drastiquement le nombre de barèmes différents qui existent actuellement dans le système éducatif.

3.3. Au-delà des prescriptions, vers une perception et une

compréhension du travail réel

La tension qui existe entre le travail prescrit et le travail réel est un fait maintes fois établi et ce, quel que soit le métier concerné. Les enseignants ne font pas exception à la règle, appliquant parfois certaines injonctions, en contournant d’autres, en méconnaissant (volontairement ou inconsciemment) certaines.

Par ailleurs, certaines prescriptions sont imprécises et floues, au point qu’elles amplifient la tension entre travail réel et prescrit. Par exemple, en se référant au statut des membres du personnel de l’enseignement libre subventionné, nous pouvons noter qu’injonction leur est faite de « fournir, dans les limites fixées par la réglementation […] les prestations nécessaires à la bonne marche des établissements où ils exercent leurs fonctions ». Que faut-il sous- entendre à cette requête ? Dans les faits, on observera ainsi que certaines écoles demanderont aux enseignants d’accompagner « les élèves un bout de chemin à la sortie de

71

Appellation usitée dans l’enseignement libre et appelée « nomination » dans l’officiel.

72

Bien que cette appellation ne s’applique techniquement qu’au réseau de la communauté française ; les autres usant de dispositifs différents.

Chapitre 2 : Le travail enseignant en Communauté française l'école », d’autres solliciteront leur présence pendant les vacances de Noël, de Pâques ou d'été.

L’usage d’internet par les enseignants, et en particulier l’utilisation des espaces de discussions, permet de faire émerger les épreuves auxquelles les confrontent ces prescriptions, parfois paradoxales. Alors que le décret « Missions » a été rédigé de façon volontairement imprécise, voire sibylline, pour maintenir le consensus, il produit indubitablement des interprétations. Ces visions subjectives créent, dès lors, des malentendus qui génèrent des tâches inutiles ou disproportionnées, des manquements dans les pratiques quotidiennes, un « bricolage »73 quotidien dans le travail enseignant.

A ce brouillage des prescriptions, viennent se greffer d’autres éléments tout aussi importants. Tout d’abord, une « image d’Epinal » persistante du métier d’enseignant. Façonnée par l’Histoire, le parcours de vie personnel mais aussi par les médias, l’identité enseignante peine à se (re)construire dans la société actuelle. Oscillant de l’image du maître prônée par Alain à celle véhiculée par les pédagogies actives, la fonction enseignante s’érige contre, autour et avec les prescriptions. Mais cette (re)construction ne s’effectue pas sans mal, générant une série d’épreuves.

4. Le travail enseignant, un métier en tension entre