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Chapitre 1 : Le système éducatif en Communauté française de Belgique

5. La réforme de l’enseignement fondamental

Les années 90 sont le théâtre d’importants changements pour l’enseignement. Tous les niveaux d’enseignement sont ainsi concernés par divers décrets venant modifier leur organisation : l’enseignement de promotion sociale en 1991, le secondaire en 1992, les Hautes Ecoles en 1995. L’enseignement fondamental n’échappe pas au vent qui souffle les réformes et est directement impacté en 1995 par le décret « relatif à la promotion d’une école de la réussite dans l’enseignement fondamental »35. Celui-ci va venir profondément modifier les structures existantes et, par conséquence, le travail enseignant. Il sera suivi, deux ans plus tard, en 1997, par un décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement et communément appelé le décret « Missions ».

5.1. Une nouvelle organisation de l’enseignement fondamental

Le décret « relatif à la promotion d’une école de la réussite » prévoit, dès son troisième article, une mutation profonde de l’organisation de l’enseignement fondamental. Tout d’abord, un lien est clairement établi entre l’enseignement maternel et primaire, le décret prévoyant que chaque enfant pourra « parcourir sa scolarité d'une manière continue, à son rythme et sans redoublement de son entrée à la maternelle à la fin de la deuxième année primaire ». La même démarche est prescrite dans les quatre années qui viennent compléter l’enseignement primaire.

Le décret « Missions », en 1997, viendra confirmer cette démarche, instituant la notion de « continuum pédagogique » qui relie l’enseignement fondamental au premier degré de l’enseignement secondaire.

Ce faisant, l’Ecole s’organise donc en trois étapes qui jalonneront le parcours de l’élève jusqu’au terme de sa deuxième année secondaire. Afin de renforcer l’approche différenciée, permettant à chaque enfant de progresser à son rythme, les étapes sont elles-mêmes scindées en cycles pour lesquels les compétences terminales attendues sont définies au sein d’un document de référence : les « socles de compétences ».

Le tableau ci-après nous permet d’illustrer cette organisation et de saisir plus précisément l’organisation de ce continuum. Bien que les textes officiels prévoient des appellations précises (étapes et cycles), chacune qualifiée par un adjectif numéral, certains termes usuels sont rencontrés dans les propos des enseignants. Parfois désuets, voire contrindiqués par rapport aux décrets précités, il nous semble utile de les préciser à cette étape de notre étude. Une première appellation s’appuie sur un principe de regroupement des années primaires. Dès lors, il est courant d’entendre, dans les écoles ou de lire sur internet, les termes tels que « degré moyen » ou encore « Cycle 5-8 », le cycle étant désigné par l’âge des élèves de ce niveau.

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Etape Cycle Période Autres appellations usuelles

Etape 1

1er cycle de l'entrée en maternelle à l'âge de 5 ans

2e cycle de l'âge de 5 ans

à la fin de la 2e primaire Cycle 5 - 8 Degré inférieur

Etape 2

3e cycle 3e et 4e années primaires Cycle 8 - 10 Degré moyen 4e cycle 5e et 6e années primaires Cycle 10 – 12 Degré supérieur

Etape 3 5e cycle 1ère et 2e années secondaires 1e degré

Tableau 2 : Organisation du continuum pédagogique en étapes et en cycles

5.2. D’une programmation annuelle à un curriculum « revisité »

Le décret de 1995 pour une « école de la réussite » et le décret « Missions » (1997) modifient le centre de gravité habituel de l’enseignement. La classe ne constitue plus une étape scindée et indépendante des autres. En introduisant le concept de continuum pédagogique et l’organisation en cycles comme jalons des apprentissages, le rapport au temps a été entièrement repensé. Jusqu’alors, la plupart des apprentissages s’organisaient au sein d’une année scolaire, voire dans une temporalité encore plus réduite. Ce nouveau rapport au temps s’envisage dans une perspective d’approche différenciée. Il n’est plus question de conditionner un apprentissage à une période minimale mais, au contraire, de l’envisager de façon globale, les compétences minimales devant être atteintes à la fin d’un cycle.

Ce faisant, la programmation annuelle est alors remplacée par une liste de compétences à atteindre au terme de deux années scolaires, voire trois. Les programmes, rédigés dans ce sens, ne distinguent donc plus ce qui doit être abordé dans une année précise mais bien au sein d’un cycle.

Afin de définir les compétences et les niveaux auxquels doivent être amenés tous les élèves en fin de cycle, des groupes de travail inter-réseaux ont été mis en place au cours des années 90. Leur travail aboutit à la constitution d’un document de référence, nommé « Socles de compétences » qui définit les compétences minimales à atteindre à la fin de chaque cycle. Les socles de compétences présentent de manière structurée les compétences de base à exercer jusqu'au terme du premier degré de l'enseignement secondaire. Le concept de compétence est défini par le décret « Missions » comme une « aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d'attitudes permettant d'accomplir un certain nombre de tâches ».

Ce référentiel note les compétences qui sont à construire, certifier et entretenir, au fil et au terme de chacune des trois étapes qui rythment le continuum pédagogique.

Les socles de compétences se présentent en huit chapitres où s’articulent compétences transversales et disciplinaires : Français / Formation mathématique / Éveil – Initiation

scientifique / Langues modernes / Éducation physique / Éducation par la technologie / Éducation artistique / Éveil – Formation historique et géographique comprenant la formation à la vie sociale et économique.

Bien qu’inscrit dans la loi, ce principe est régulièrement rappelé, voire enrichi, par de nombreuses circulaires. Ainsi, le Ministre Nollet le rappelle-t-il en 2002 ajoutant aux prescriptions du décret « Missions » la diversification des compétences et le « haut niveau » qu’elles se doivent de côtoyer.

Compte tenu à la fois de la complexité dans laquelle les enfants ont et auront à agir et des objectifs généraux assignés à l’enseignement fondamental et à l’enseignement secondaire par l’article 6 du décret « Missions », l’école ne peut accorder la primauté à des savoirs et savoir-faire isolés, elle doit viser le développement d’un florilège de compétences à la fois diversifiées et de haut niveau.36

Les socles de compétences prévoient, en outre, les priorités à accorder aux apprentissages en ciblant la lecture centrée sur la maîtrise du sens, la production d'écrits et la communication orale ainsi que la maîtrise des outils mathématiques de base dans le cadre de la résolution de problèmes. Ils définissent également les compétences communicatives dans une langue autre que le français37.

Néanmoins, les autres activités éducatives ne sont pas oubliées et doivent s’inscrire dans les objectifs généraux du décret. Il est ainsi rappelé, à chaque rentrée scolaire, par voie de circulaire, que celles-ci « font partie de la formation commune obligatoire où s'exercent les compétences retenues : la structuration du temps et de l'espace, l'éducation psychomotrice et corporelle, l'éveil puis l'initiation à l'histoire et à la géographie, l'éducation artistique, l'éducation par la technologie, l'initiation scientifique, la découverte de l'environnement, l'éducation aux médias, l'apprentissage de comportements sociaux et de la citoyenneté ». Les programmes d’enseignement de chaque réseau sont donc revus pour s’articuler à ces « socles de compétences ». Ce n’est pas tant le contenu propre à chaque étape qui vient modifier le travail enseignant mais bien la temporalité qui est ainsi définie. La programmation n’est plus précisément explicitée. Les enseignants sont invités à réfléchir sur la progression à appliquer, au sein d’un cycle, afin d’atteindre les compétences requises.

5.3. Se concerter pour s’organiser, une nouvelle tâche des enseignants

Afin de s’assurer de la cohérence du dispositif, de l’articulation entre les années d’un même cycle et au sein de l’établissement, l’exécutif enjoint une nouvelle tâche dans le chef des enseignants : celle de se concerter, d’une part, en cycles, d’autre part, en école.

Les enseignants de l’enseignement fondamental ont une obligation de se concerter à raison d’un minimum de 60 périodes par année scolaire. Selon les pouvoirs organisateurs et les réseaux d’enseignement, ces concertations peuvent être organisées différemment : par école, par entité, par zone, par implantation, … Ces concertations faisant l’objet d’une

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Circulaire n°105 du 13 mai 2002

Chapitre 1 : Le système éducatif en Communauté française de Belgique prescription, le chef d’établissement, ou le pouvoir organisateur, doit pouvoir prouver que la concertation s'est déroulée conformément au programme fixé. Si celui-ci a été modifié, les documents devront en mentionner la raison et les adaptations opérées. Les services d’inspection, chargés de ces vérifications, doivent donc pouvoir disposer de documents attestant de la périodicité de la concertation38, des participants aux différentes séances de concertation, des contenus globaux sur lesquels la concertation porte, du règlement d'ordre intérieur éventuel ou, à défaut, les modalités arrêtées par le Pouvoir organisateur. Afin d’éviter toute contestation, il est conseillé, aux directions et aux enseignants, de tenir un « cahier de concertations » reprenant les dates de réunions avec les heures de début et de fin ainsi que la liste des enseignants.

Outre le fait de se concerter, les enseignants doivent donc remplir diverses tâches administratives pour justifier ces temps de rencontre et de dialogue. Il est intéressant de noter que les circulaires laissent toute autonomie dans cette gestion, pour autant que la preuve de la concertation puisse être apportée. Le recours au numérique est donc possible et laissé à la liberté des écoles. Pourtant, dans les faits, c’est une approche « traditionnelle » qui est souvent préférée. Ainsi, au cours de notre immersion, nous avons observé que la majorité des enseignants disposait d’un « cahier de concertations », par cycle, cahier complété au fil de l’année et remis, à intervalles réguliers, au directeur de l’établissement. Par ailleurs, il est intéressant de noter (et nous y reviendrons) que ce sujet est globalement absent de la sphère internet. La thématique des concertations est rarement abordée et, lorsqu’elle se présente, c’est davantage pour s’interroger sur les obligations légales qui en découlent.

5.4. La lutte contre le redoublement

Les comparaisons internationales placent la Belgique, et plus particulièrement la Communauté française, dans la liste des systèmes éducatifs qui recourent le plus au redoublement. Les recherches en éducation convergent vers une conclusion quasi-unanime : le redoublement est inefficace. Dans cette optique, la Belgique, comme de nombreux pays, a mis en place, dès les années 90, des politiques visant la réduction, voire l’abolition, des pratiques de redoublement. Si l’on constate quelques oscillations selon les mesures et les années scolaires, les indicateurs de l’enseignement montrent clairement que le redoublement reste très présent dans l’enseignement, de façon bien plus conséquente en secondaire qu’en primaire.

La question divise et crée un schisme entre chercheurs en éducation et enseignants. Alors que les premiers, à l’instar de Crahay (2003) estiment que « ceux qui continuent à faire redoubler les élèves le font en dépit de l’accumulation de preuves issues de recherches montrant que la probabilité d’effets négatifs l’emporte nettement sur les résultats positifs »,

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En distinguant les périodes qui sont organisées durant le temps de présence des élèves de celles qui sont organisées en dehors des temps de présence.

les seconds répondent que « le redoublement est moins un problème qu’une solution » (Draelants, 2006).

Afin d’atteindre ses objectifs, le politique réforme l’enseignement fondamental, par son décret de 1995 relatif à la promotion d’une école de la réussite, en instituant l’organisation en cycles et interdisant le redoublement au sein de ceux-ci. Toutefois, les enseignants disposent d’une mesure de maintien d’une année au sein du cycle, nommé « année complémentaire ». Selon les recommandations ministérielles, cette mesure doit rester « exceptionnelle et ne peut en aucun cas être confondue avec un redoublement ni même s'y apparenter. Tout ce qui ne serait qu'une reproduction de ce qui a été fait l'année précédente doit être banni »39.

Le débat sur la question du redoublement est épineux tant il est idéologique et oppose deux conceptions divergentes. A l’idéologique pragmatique des enseignants et des parents qui estiment cette pratique efficace, s’oppose celle des chercheurs et du politique qui, données à l’appui, tentent d’en démontrer l’inefficacité. Comme nous le verrons dans notre analyse, le sujet est rarement évoqué directement dans les discussions en ligne entre les enseignants. Alors que le sujet est polémique au sein des établissements scolaires, cette thématique disparaît de la sphère internet. Elle n’y surgit que lorsque le sujet concerne le niveau scolaire, voire les difficultés de travail des enseignants. Le non-redoublement devient alors l’un des boucs émissaires sur lequel enseignants et parents se rejoignent pour déplorer le « nivellement par le bas », le « laxisme » présent dans l’enseignement.

Les mesures se multiplient dans cette lutte contre le redoublement. La dernière en date, la plus médiatisée, est certainement le projet « Décôlage » qui « fait le pari qu’il existe des alternatives crédibles et praticables au maintien et au redoublement »40. A l’inverse d’autres mesures, ce projet visant un pan de la population scolaire spécifique (2,5 – 8 ans), se construit sur base volontaire et articule initiatives locales et de terrain avec le champ de la recherche. Dans son organisation, ce dispositif en rejoint d’autres sur des thématiques variées : dyslexie, Ecole numérique, Passeport TIC. Plutôt que de vouloir changer les pratiques par des injonctions, le projet, comme les autres, « ne vise pas à changer de regard sur l’enfant pour ensuite changer les pratiques, mais davantage à changer les pratiques pour faire évoluer le regard sur l’enfant »41.

5.5. D’une logique décentralisée à un pilotage centralisé

Jusque dans les années 90, le système éducatif belge était largement décentralisé. Chaque pouvoir organisateur jouissait d’une large autonomie et ce, jusque dans les modes d’évaluation des apprentissages. Afin de garantir la liberté pédagogique des pouvoirs

39 Circulaire n°105 du 13/05/2002 40

C’est ainsi que le projet est présenté sur le site Enseignement.be,

http://www.enseignement.be/index.php?page=26594

Chapitre 1 : Le système éducatif en Communauté française de Belgique organisateurs, ces derniers étaient habilités à définir les modalités d’évaluation, pour autant qu’elles respectaient les prescrits légaux.

Afin de piloter le système éducatif, le gouvernement estimait nécessaire de disposer d’indicateurs uniformes pour l’ensemble des réseaux d’enseignement. S’il existait bien, auparavant, différentes formes d’évaluations externes42, chaque pouvoir organisateur pouvait refuser la passation de ces tests par ses élèves. L’examen cantonal coexistait alors avec l’examen interdiocésain afin d’évaluer les compétences des élèves à la sortie de l’enseignement primaire.

Dans le courant des années 90, des évaluations externes non-certificatives furent initiées dans les écoles ; d’abord sur un échantillon restreint d’élèves puis en s’étendant à l’ensemble des écoles. Elles furent institutionnalisées par le décret de 2006 relatif à l'évaluation externe des acquis des élèves de l'enseignement obligatoire et au certificat d'études de base au terme de l'enseignement primaire. Ce n’est pas tant sur les évaluations externes non-certificatives que sur les conditions d’octroi du certificat d'études de base (CEB) que se marquèrent les dissensions. En effet, le décret prévoit que « le certificat d'études de base est délivré sur la base d'une épreuve externe commune organisée au terme » de l’enseignement primaire43, épreuve à laquelle doivent être inscrits tous les élèves fréquentant la 6e année primaire. En outre, l’octroi du CEB conditionne l’accès à l’enseignement secondaire, empêchant tout maintien dans l’enseignement primaire si l’élève prouve l’acquisition du seuil de compétences requis et stipulé dans les socles de compétences. Adopté en 2006, ce décret sera largement appliqué en 2007 et devient obligatoire en 2009. En parallèle, les épreuves non-certificatives ont été systématisées dans l’enseignement primaire visant un double objectif : celui de contribuer à la régulation du système éducatif et d’informer les enseignants sur le niveau de leurs élèves, leur proposant éventuellement des pistes didactiques et méthodologiques à développer en classe.

Cette réforme a touché le cœur des pratiques enseignantes, réduisant de fait leur autonomie. Alors qu’historiquement, les PO, mais surtout les enseignants, étaient les seuls « maîtres à bord » au niveau de l’évaluation, nombre d’acteurs de terrain se sont sentis privés de leur « outil », destitués d’une part de leurs fonctions. Alors que le dispositif s’étend (CE1D à la fin du continuum pédagogique, TESS au terme de l’enseignement secondaire), les évaluations externes continuent de déchaîner les passions. Nombre d’enseignants, mais aussi de parents, récusent ce dispositif et développent diverses stratégies pour tenter de le contourner.

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dont les plus connues concernaient la fin de l’enseignement primaire

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Décret de 2006 relatif à l'évaluation externe des acquis des élèves de l'enseignement obligatoire et au certificat d'études de base au terme de l'enseignement primaire, article 19

6. Le décret « Missions », le (re)cadrage du contrat