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Chapitre 1 : Le système éducatif en Communauté française de Belgique

3. La communautarisation de l’enseignement

Les quelques décennies qui suivent le Pacte scolaire sont paisibles dans le monde de l’enseignement. Mais alors que la massification de l'enseignement s'enclenche, la crise pétrolière marque le début d'une période d'austérité qui n'épargne pas le monde scolaire. Les années 80 sont le théâtre de contestations syndicales de plus en plus véhémentes. Les coupes budgétaires font progresser l’idée de communautariser l’enseignement.

Au fil de plusieurs reformes de l’Etat, le pays devient un « État fédéral qui se compose des communautés et des régions »25. Au cours de la troisième phase des réformes

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En Belgique, on désigne par « minerval », un droit d'inscription dans les hautes écoles et les universités pour les étudiants. Son montant varie selon l'année d'étude, l'établissement et la situation du demandeur. Le fait qu'il s'agisse d'un néologisme régional limite son usage. Ainsi, dans les documents officiels, il n'est jamais question de minerval, mais de droit d'inscription, comme dans les autres pays de la francophonie.

institutionnelles (1988), l’enseignement devient une compétence des communautés dont l’application prend cours au 1er janvier 1989. Toutefois, ce domaine avait déjà été le fruit de nombreuses tractations et dissensions ayant abouti, en 1969, au dédoublement du Ministère de l’Education nationale et de la Culture en deux ministères distincts (Draelants, Dupriez, Maroy, 2011) mais dont les pouvoirs restaient très limités. Cette communautarisation de l’enseignement est presque totale à l’exception de trois matières qui demeurent nationales : les règles liées à l’obligation scolaire, les conditions minimales de délivrance des diplômes et le régime de retraite des membres du personnel.

Le 1er janvier 1989, l'enseignement passe donc totalement sous la tutelle des communautés. La Constitution est révisée, confiant aux entités fédérées les responsabilités en matière d’enseignement26.

1. L'enseignement est libre27 ; toute mesure préventive est interdite ; la répression des délits n'est réglée que par la loi ou le décret. La communauté assure le libre choix des parents. La communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves. Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu'à la fin de l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle.

2. Si une communauté, en tant que pouvoir organisateur, veut déléguer des compétences à un ou plusieurs organes autonomes, elle ne le pourra que par décret adopté à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés.

3. Chacun a droit à l'enseignement dans le respect des libertés et droits fondamentaux. L'accès à l'enseignement est gratuit jusqu'à la fin de l'obligation scolaire. Tous les élèves soumis à l'obligation scolaire ont droit, à charge de la communauté, à une éducation morale ou religieuse.

4. Tous les élèves ou étudiants, parents, membres du personnel et établissements d'enseignement sont égaux devant la loi ou le décret. La loi et le décret prennent en compte les différences objectives, notamment les caractéristiques propres à chaque pouvoir organisateur, qui justifient un traitement approprié.

5. L'organisation, la reconnaissance ou le subventionnement de l'enseignement par la communauté sont réglés par la loi ou le décret.

Dans cette nouvelle organisation de la Belgique, certaines mesures sont prises pour gérer ces nouvelles compétences. Ainsi, dans la région de Bruxelles-Capitale, la Communauté française et la Communauté flamande se partagent la gestion du système scolaire selon la langue utilisée par les institutions dans leurs activités. Au sein des Communautés, la gestion des infrastructures, du matériel ou d’autres matières sera menée de façon distincte et variable. Nous prendrons, pour illustration, l’exemple du plan d’équipement des écoles primaires lors du projet « Cyberécole ». Alors que la formation du personnel était de la compétence de la Communauté française, l’équipement en matériel des écoles faisait l’objet d’un accord de coopération avec les régions. Suite à un appel d’offres, les Régions ont équipé différemment les écoles francophones : alors que celles situées en Région wallonne recevaient des I-Macs, celles de la région de Bruxelles-Capitale étaient équipées de PC. En

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Article 24 de la Constitution, dans sa version publiée au Moniteur belge du 17 février 1994, encore actuellement en vigueur.

Chapitre 1 : Le système éducatif en Communauté française de Belgique Communauté germanophone, dont le territoire est situé sur celui de la Région wallonne, les écoles étaient équipées d’I-Macs mais les formateurs faisaient partie d’une équipe distincte, dépendant, quant à eux, du Ministère de l’Enseignement de cette Communauté.

Bien que des synergies puissent exister, ce morcellement complexifie grandement les politiques éducatives. En outre, certains partenaires privilégiés de l’Ecole dépendent d’autres niveaux de pouvoir, ce qui tend à complexifier encore les relations. Notons, également, que la communautarisation de l’enseignement reste un sujet sensible lors d’études nationales telles que PISA. Ainsi, au classement national, viennent se greffer des analyses par communautés, tendant à pointer les différences entre le nord et le sud du pays. En Communauté française, les compétences se divisent, habituellement, en deux ministères. Mais les restrictions budgétaires se maintiennent et la fédéralisation du pays complique la recherche de solutions de financement. Le climat devient houleux et on assiste, en 1990, à la « grande grève » qui paralyse toutes les écoles pendant deux mois. Un accord intervient le 5 novembre entre les syndicats et le gouvernement et marque une certaine paix sociale qui dure encore jusqu'à nos jours28 mais des traces de rancœur et d’amertume subsistent. Depuis 1988, l'enseignement est partagé, au fil des législatures, entre socialistes et sociaux- chrétien29. La coalition « arc-en-ciel »30, gouvernant entre 1999 et 2004, marque une exception : les compétences relatives à l'enseignement sont scindées en trois ministères : l'enseignement primaire est confié à un ministre Écologiste, le secondaire à un Libéral et le supérieur à un Socialiste.

Le fédéralisme et la volonté de partager des compétences relatives à l'enseignement entre les partis gouvernants ont généré, indubitablement, un morcellement de la gestion et des réformes. Depuis 1988, par exemple, la formation initiale des futurs enseignants dépend d’un ministère différent de celui qui gère l’enseignement fondamental. En outre, certaines compétences relèvent d'autres ministères, voire d'autres niveaux de pouvoirs. Par exemple, lors du projet Cyberécole, l'équipement en matériel des écoles est du ressort du Ministère de l’Equipement et du Transport (MET) qui dépend de la Région wallonne, alors que la formation des enseignants incombe au Ministère de l'Enseignement obligatoire. Quant à son intégration dans la formation initiale des instituteurs, les faibles synergies avec le ministère concerné se soldent par une formation inexistante ou inadaptée.

Si les tensions liées aux guerres scolaires se sont nettement atténuées, les clivages profonds demeurent. Ainsi, libéraux, socialistes et démocrates-humanistes restent attachés à la constitution des réseaux et à leur distinction. Toutefois, en 1999, dans le cadre du projet Cyberécole, une première tentative de rapprochement est opérée. La formation technique des enseignants est externalisée et est confiée au Forem, organisme parastatal dépendant de la Région wallonne. Le décret du 11 juillet 2002, relatif à la formation continue des enseignants, permet la création de l'institut de formation de carrière (IFC). Cet opérateur de formation a pour mission d'organiser des formations en inter-réseaux dont l'objectif prioritaire est de permettre aux instituteurs de mettre en œuvre une pédagogie des

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Tout au moins, au moment de l’écriture de ce travail.

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Le parti social-chrétien est devenu, en 2002, le Centre Démocrate Humaniste (CDH)

compétences, permettant d'atteindre le niveau déterminé par les socles de compétences ou tout autre thème commun à l'ensemble des réseaux.

Le débat est loin d’être clos et émerge au fil des législatures. Les positions divergent entre partis politiques, d’aucuns souhaitant une « fusion » des réseaux, d’autres prônant le statu quo tandis que d’autres tendent vers une situation intermédiaire en proposant deux réseaux distincts : l’enseignement officiel versus l’enseignement libre.